Les polytechniciens Justes parmi les nations
Coup de projecteur sur la place des polytechniciens parmi ceux que l’État d’Israël a décidé de distinguer en raison de leur rôle pour le sauvetage des Juifs pendant l’Occupation. Le résultat de cette recherche est tout à l’honneur de la communauté polytechnicienne.
Une loi israélienne de 1953 a créé le mémorial de Yad Vashem à Jérusalem et a décidé d’honorer « les Justes parmi les nations qui ont mis leur vie en danger pour sauver des Juifs ». Plus haute distinction honorifique attribuée à des civils par l’État d’Israël, le titre de Juste parmi les nations a été décerné à 28 217 personnes, dont 4 206 en France (au 1er janvier 2022). Tirée du Talmud, l’expression originale en hébreu signifie littéralement « pieux des nations du monde ». Il nous est paru intéressant d’identifier les X ayant été nommés Justes et de leur rendre ainsi hommage.
Tableau des X Justes parmi les nations
Polytechnicien |
Promo |
Commune du sauvetage |
Dossier |
Date |
Jean Augeard (1923−2016) |
1943 |
Allériot (71) |
6803 |
1995 |
Jacques Faure (1906−1993) |
1926 |
Saint-Just-le-Martel (87) |
9930 |
2003 |
Pierre Genevey (1902−1972) |
1921 |
Grasse (06) |
7277 |
1996 |
Gaston Girousse (1880−1963) |
1899 |
Paris (75) |
11409 |
2008 |
Pierre Merlin (1914−2007) |
1932 |
Saint-Avertin (37) |
10560 |
2005 |
Pierre Robert de Saint-Vincent (1882−1954) |
1903 |
Lyon (69) |
3547 |
1993 |
Charles Sève (1890−1963) |
1909 |
Villefranche-sur-Saône (69) |
1732 |
1980 |
La date est l’année de nomination au titre de Juste. Seuls Jean Augeard et Pierre Merlin ont reçu de leur vivant la médaille de Juste parmi les nations.
La méthode de recensement
Une recherche dans La Jaune et la Rouge conduit à Gaston Girousse (X1899), auquel son gendre, Pierre Maucour (X39), avait consacré un portrait dans le numéro 654. Le site de Yad Vashem France nous conduit à trois autres Justes, ainsi qu’à quelques camarades ayant été sauvés par des Justes, dont les frères Albert et Roland Glowinski (X58). Mais nous avons voulu rechercher l’exhaustivité, en employant la méthode qui nous avait permis d’établir en 2017 la première liste des X médaillés de la Résistance : voir dossier Le Grand Magnan 2017 annexé au numéro 727 de La Jaune et la Rouge.
Nous avons tout d’abord regroupé les listes des promotions 1870 à 1945 (environ 17 000 camarades) et des Justes de France (2 588 lignes, une même entrée pouvant regrouper un couple ou plusieurs membres d’une même famille), trié l’ensemble par ordre alphabétique, puis cherché les personnes communes aux deux listes, avec deux précautions pour éviter les faux négatifs (X Justes passant à travers les mailles) : les noms à particule et les prénoms (le prénom d’usage n’est pas toujours le premier). Nous avons ensuite vérifié les correspondances et écarté 131 faux positifs (Justes homonymes d’X, nom et au moins un prénom commun). Ce travail fut nettement moins fastidieux que celui de 2017 (nous étions alors partis d’un annuaire d’environ 48 000 médaillés) et nous avons pu établir une liste de sept Justes X. Nous espérons n’en avoir omis aucun.
Présentations sommaires
Jean Augeard et ses parents Marcel et Fernande, agriculteurs, sont honorés pour avoir hébergé Ruth Ways de l’été 1942 à la Libération. Jean terminera sa carrière comme président de la CCI et de l’Union patronale de la Moselle. En mai 2016, un square des Justes est inauguré à Thionville en présence du grand rabbin de France et aumônier de l’X, Haïm Korsia (D17).
Jacques Faure et son épouse Simone, fille d’un officier mort pour la France 1915, sont honorés pour avoir accueilli début 1944 une fillette de trois ans et demi, Viviane Fribourg. Officier d’artillerie, Jacques Faure terminera sa carrière comme général de division.
Pierre Genevey est reconnu Juste avec son épouse Yvonne, fille du général Pierre Matton (X1874). Lieutenant-colonel dans l’artillerie, il est en poste à Tarbes quand le couple fait la connaissance de Marie Redlus, assistante de leur dentiste. Début 1943, en raison de la tuberculose d’Yvonne, ils s’installent à Grasse chez le général Matton, en emmenant Marie avec eux.
“Les X sont surreprésentés dans les statistiques de la Résistance et de la déportation.”
Président de compagnies d’électricité, Gaston Girousse établit de faux documents (cartes d’agent et ordres de mission), permettant à de très nombreux Juifs et résistants de passer en zone libre. En particulier son avocat, Me Léon Netter, exclu du barreau, pourra trouver refuge en Suisse avec sa femme et sa belle-sœur, conduits dans une voiture de service. Gaston Girousse aide aussi d’autres personnes, dont son camarade de promotion Louis Cahen.
Pierre Merlin est nommé Juste avec son épouse Odile. Ingénieur des Ponts et Chaussées, il est affecté en Indre-et-Loire où le couple héberge début 1943 une gouvernante juive, Rachel Cukierman, placée par les sœurs de Notre-Dame de Sion. Pierre Merlin lui fournit une fausse carte d’identité et la fait passer pour sa cousine.
Un des fondateurs de l’Amitié chrétienne, œuvre fondée pour aider les Juifs persécutés, Pierre Robert de Saint-Vincent est gouverneur militaire de la place de Lyon en 1942. Le 29 août, il refuse d’apporter le concours de l’armée à la gare de Perrache pour procéder à la déportation de 550 Juifs vers Drancy. Il est limogé par Vichy le surlendemain et doit se cacher après l’invasion de la zone libre.
Charles Sève est nommé Juste avec son épouse Jeanne. À l’été 1936 en vacances en Angleterre, leur fille Bernadette rencontre Denise Haltkowski. En visite en août 1942 chez les Haltkowski réfugiés à Nîmes, Bernadette promet de les aider. Après l’invasion de la zone libre, Bernadette invite Denise à vivre chez elle comme « onzième enfant de la famille ».
Pour aller plus loin
Nous ne pouvons entrer davantage dans les détails et conseillons les liens suivants, le plus rapide étant de chercher via le numéro de dossier :
> https://righteous.yadvashem.org/ ;
> https://yadvashem-france.org/recherche-justes/ ;
> http://www.ajpn.org/ (Anonymes, Justes et persécutés durant la période nazie).
Par ailleurs, Pierre Robert de Saint-Vincent dispose d’une page sur Wikipédia et Gaston Girousse d’une biographie sur le site de la bibliothèque centrale de l’X.
Nous terminerons cet article en évoquant quelques X dont les parents figurent au nombre des Justes parmi les nations, étant entendu qu’une recherche exhaustive serait très compliquée. Directeur de lycée, Arthur Varoquaux (1879−1967), père de Jean-Arthur (X37), sauve le jeune Albert Kenigsberg. À la tête d’une organisation clandestine, Roger Cazala (1904−1944), père de Pierre (X54), sauve de nombreux Juifs avant d’être arrêté sur dénonciation et de mourir en déportation. Émile Hugues (1901−1966) et son épouse Lucie Laffitte-Hugues (1890−1966), mère de Pierre Laffitte (X44), hébergent Denys Levy, camarade de lycée de Pierre, et ses parents. Paul Ramadier (1888−1961), qui deviendra président du Conseil en 1947, et son épouse Marguerite (1889−1979), parents de Claude (X38), sauvent le professeur de droit Henri Lévy-Bruhl et sa famille, ainsi que le député Salomon Grumbach. Pierre Laffitte et Claude Ramadier ont participé en mai 1994 au voyage du bicentenaire de l’École polytechnique en Israël. À cette occasion, la famille Ramadier a dévoilé à Yad Vashem la plaque des Justes en l’honneur de Paul et Marguerite.
Si l’on considère que les X représentaient environ 0,035 % de la population adulte française sous l’Occupation, on constate qu’ils sont surreprésentés dans les statistiques qui suivent. Nous n’entrerons pas dans les explications, il faudrait un autre article pour cela.
Médaillés |
Morts en déportation |
Compagnons de la Libération |
Justes parmi les nations |
|
X |
263 |
71 |
33 |
7 |
France |
48 000 |
100 000 (*) |
1 038 |
2 588 (**) |
Facteur de sur-représentation |
15 |
2 |
90 |
8 |
(*) Adultes uniquement. (**) Nombre d’entrées du tableau.