Les polytechniciens sauvés par des Justes parmi les nations
Après la publication dans La Jaune et la Rouge n° 782 de son article présentant les sept polytechniciens reconnus Justes parmi les nations par l’État d’Israël, l’auteur a été contacté par Michel Lévy (X58), qui lui a rappelé que des non‑X avaient sauvé des X juifs, avec à l’appui un document sur l’histoire de son père, Gilbert Lévy (X23). Voici donc la poursuite du travail et l’identification des X sauvés par des Justes.
Les listes qui suivent ne sont sans doute pas exhaustives pour les raisons suivantes : les sources sont moins précises pour les personnes sauvées que pour les Justes ; elles ne répertorient pas exhaustivement les personnes sauvées, car certains Justes en ont sauvé un grand nombre ; certaines personnes ont pu changer de nom, par exemple pour garder le nom des faux papiers qui leur ont permis d’être sauvées ; nous n’avons pas recherché les X sauvés par des Justes hors de France. Les lecteurs sont invités à nous adresser toute information concernant un X qui a été sauvé par un Juste et qui ne serait pas cité dans le présent article.
Une méthode éprouvée
La méthode de travail est globalement restée inchangée. Nous avons récupéré une liste de 6 700 personnes sauvées en France et avons retiré les femmes, soit un total de 3 250 personnes. Nous l’avons regroupée avec celle des promotions 1870 à 1945 (environ 17 500 camarades), trié l’ensemble par ordre alphabétique, puis cherché les correspondances. Nous avons obtenu une liste de 129 personnes sauvées susceptibles d’être des X. Après examen de nos sources et si besoin des recherches sur internet, nous avons identifié : 7 doublons (il y a notamment des personnes sauvées par plusieurs Justes ou familles de Justes) ; 83 faux positifs (il ne s’agit pas d’X) ; 36 cas indéterminés (les informations sont imprécises ou le patronyme trop répandu pour une recherche en ligne, il est peu probable qu’il s’agisse d’X) ; 3 résultats positifs (il s’agit bien d’X, dont l’histoire est brièvement décrite ci-après).
Trois cas avérés d’X
- Pol et Madeleine Arcens, dirigent l’école secondaire La Roseraie à Dieulefit. La plupart des professeurs étaient juifs, dont Gilbert Cahen (X22).
- Gaston Girousse (X1899), Juste parmi les nations, cache son camarade de promotion Louis Cahen dans une chambre d’un 6e étage parisien.
- Alerté par ses supérieurs, à commencer par M. Digue, l’ingénieur en chef du département qui aurait mérité d’être reconnu comme Juste, Jean-Marie Bordonnat, chef cantonnier des Ponts et Chaussées, cache Gilbert Lévy (X23), ingénieur des Ponts et Chaussées révoqué par Vichy, et sa famille.
Et le cas de neuf futurs X
Par ailleurs, au vu des informations dont nous disposions, il nous est apparu utile d’identifier également les « futurs X » sauvés par des Justes, alors qu’ils étaient encore enfants ou adolescents. En utilisant une liste des promotions 1946 à 1965 (environ 5 200 camarades), nous avons obtenu une nouvelle liste de 52 personnes sauvées : 4 doublons, 30 faux positifs, 9 cas indéterminés et 9 résultats positifs dont l’histoire est brièvement décrite ci-après.
- Olivier Cahen (X49), fils de Gilbert Cahen (X22), est caché comme pensionnaire à La Roseraie.
- Alain Chenciner (X63) est caché avec ses parents par Lucienne Deguilhem, la secrétaire de mairie de Monbahus.
- Agé de trois ans, Michel Fansten (X60) est accueilli par la famille de Dominique Poli, engagé dans la Résistance.
- Roger Franck (X56) et sa sœur Françoise sont cachés chez Jean et Marguerite Guy, propriétaires terriens, avec l’aide active de leur fille Jeanne.
- Les frères Albert et Roland Glowinski (X58) et leur mère Anna sont hébergés par Madeleine Botineau, avec qui Anna s’était liée d’amitié, et sa famille.
- Claude Grodner (X49) et sa sœur Eliane sont accompagnés par Emmanuel Peteuil depuis l’Yonne et placés chez les sœurs d’Eugénie Peteuil en Corrèze.
- Lionel Stoleru (X56) et son frère Yves sont hébergés par la famille Trillat et traités comme des membres de la famille.
- La famille de Daniel Tenenbaum (X59) se réfugie dans la maison de Marius et Marie-Thérèse Pallanca en cas de danger et ira ensuite se cacher dans le vieux Cagnes-sur-Mer.
Nous avons par ailleurs noté deux autres « futurs X » cachés par des Justes : Olivier Cahen (X49) nous a informés que Gérard Brunschwig (reçu au concours de 1945 et reclassé dans la promotion X43, cf. son article dans La Jaune et la Rouge n° 567) fut lui aussi élève à La Roseraie ; le fils aîné de Gilbert Lévy (X23), Jacques Lévy (X56), était également caché à Peyrieu (Michel Lévy, X58, était resté chez son grand-père en Espagne, retenu par une maladie infantile puis par la fermeture de la frontière).
Tableau récapitulatif des polytechniciens sauvés en France par des Justes parmi les nations
Polytechniciens (*) |
Promo |
Lieu |
Juste(s) |
Dossier |
Gilbert Cahen (1904−2001) Gérard Brunschwig (1924−2003) Olivier Cahen (né en 1929) |
1922 1949 |
Dieulefit (26) |
Pol et Madeleine Arcens |
4002 |
Louis Cahen (1881−1970) |
1899 |
Paris (75) |
Gaston Girousse (1899) |
11409 |
Gilbert Lévy (1904−1991) Jacques Lévy (1937−2012) |
1923 1956 |
Peyrieu (01) |
Jean-Marie Bordonnat |
4194 |
Alain Chenciner (né en 1943) |
1963 |
Monbahus (47) |
Lucienne Deguilhem |
12532 |
Michel Fansten (né en 1940) |
1960 |
Achères-la-Forêt (77) |
Dominique et Marie-Françoise Poli |
12470 |
Roger Francey (1936−2017) [né Franck] |
1956 |
Finhan (82) |
Jean, Marguerite et Jeanne Guy |
9406 |
Albert Glowinski (né en 1939) Roland Glowinski (1937−2022) |
1958 1958 |
Sargé-sur-Braye (41) |
Madeleine Botineau, ses enfants Roger |
10482 |
Claude Grodner (1929−1961) |
1949 |
Le Theil (19) |
Emmanuel et Eugénie Peteuil |
11317 |
Lionel Stoleru (1937−2016) |
1956 |
Passins (38) |
Clément et Marie Trillat, leurs enfants Robert et Isabelle |
6157 |
Daniel Tenenbaum (1937−2020) |
1959 |
Cagnes-sur-Mer (06) |
Marius et Marie-Thérèse Pallanca |
12404 |
(*) Gras : les anciens élèves sauvés par des Justes. Romain : ceux sauvés avant leur entrée à l’X.
La partie émergée de l’iceberg
Les Justes ne représentent que la partie émergée de l’iceberg dans le sauvetage des Juifs de France : le nombre de ces derniers ayant échappé à la déportation est près de 40 fois supérieur au nombre de ceux qui ont été sauvés par des Justes.
Pour terminer, j’ajoute que mon père, Bertrand Herz (X51), a pu survivre aux camps nazis entre autres grâce à l’action d’Otto Herrmann, kapo communiste allemand du kommando de Niederorschel, reconnu Juste à titre posthume en 2004 (voir Le pull-over de Buchenwald : « J’avais 14 ans dans les camps de la mort », éditions Tallandier).
Pour aller plus loin
- Sources : https://yadvashem-france.org/ et http://www.ajpn.org/
- Liste des 6 700 personnes sauvées en France : https://yadvashem-france.org/personnes-sauvees/
- L’école La Roseraie, Dieulefit : http://www.ajpn.org/sauvetage-La-Roseraie-336.html et https://youtu.be/NIT-Yvp2wak
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Futur X1959, j’ai été caché ainsi que ma soeur lors d’une soirée à Lyon en janvier 1944 par un couple (Louis et Simone Lamure) pendant une visite de la Gestapo. Louis et Simone Lamure nous ont fait passer pour leurs neveu et nièce. Les policiers qui étaient à la recherche des propriétaires de la maison se sont brièvement intéressé à nous ; ils ont ensuite passé la nuit à pilller tout ce qu’ils trouvaient. Nous avons quitté cette maison dès le lendemain
Merci pour ce témoignage. Il me semble qu’il n’est pas trop tard pour déposer un dossier de demande de reconnaissance (https://yadvashem-france.org/documents-et-rapports/79/) en faveur de Louis et Simone Lamure (déjà cités dans le dossier 13806 : https://yadvashem-france.org/dossier/nom/13806/).