Les Ponts et Chaussées : histoire d’un corps d’État
C’est l’historien qui nous montre que l’administration des .Ponts et Chaussées n’a jamais cessé d’évoluer depuis 1716 Au XVIIIe siècle la construction et de l’entretien des routes sans formation spécifique, au XIXe les canaux et le chemin de fer avec l’essor scientifique, au XXe les autoroutes et la planification urbaine et maintenant il faut prendre en compte les projets de société avec l’environnement et la négociation.
L’impact des différentes fusions qui ont donné naissance à l’actuel corps des Ponts, des Eaux et des Forêts ne doit pas faire oublier ses transformations successives.
Un premier fil conducteur de ces transformations sera constitué par l’identité des compétences de l’ingénieur des Ponts et Chaussées, au travers du type de relations que cet ingénieur a pu entretenir, à différentes époques, avec l’environnement naturel, les sciences et les techniques et enfin, les questions managériales.
REPÈRES
« Les ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts […] participent, sous l’autorité des ministres compétents, à la conception, à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques, notamment dans les domaines relatifs : au climat, à la demande énergétique, à l’aménagement et au développement durable des territoires, au logement et à la ville, aux transports ; à la mise en valeur agricole et forestière, à la gestion et à la préservation des espaces et des ressources naturelles terrestres et maritimes, à l’alimentation et à l’agro-industrie. »
(Extrait du décret n° 2009–1106 du 10 septembre 2009)
Insuffisamment étudiée, la question du rapport des Ponts et Chaussées à l’environnement naturel me semble particulièrement intéressante dans la perspective consistant à se demander ce que doit être un corps des Ponts, des Eaux et des Forêts aujourd’hui, par-delà la simple accolade des termes.
“ Des ambitions fortes pour la société française et son territoire ”
Le sens que les ingénieurs des Ponts ont pu donner à leur action, à des périodes et dans des contextes assez différents, constituera le second fil conducteur. Les périodes les plus marquantes de l’histoire des Ponts et Chaussées correspondent à des ambitions fortes concernant la société française et le territoire qu’elle occupe, au travers duquel elle se définit pour partie.
Identité de l’ingénieur d’État et projet de société et de territoire : ces deux termes sont difficiles à séparer l’un de l’autre.
LES PONTS ET CHAUSSÉES, CRÉÉS POUR CONSTRUIRE
Lorsque le corps des Ponts est créé en 1716, il est principalement chargé de la construction et de l’entretien des routes, ce qui constitue à l’époque une relative nouveauté, dans la mesure où le réseau routier est embryonnaire et en très mauvais état.
ENVIRONNEMENTALISTES AVANT L’HEURE
Ces ingénieurs sont également marqués par un rapport très fort aux éléments naturels. Leur formation comprend un véritable apprentissage de la nature : l’un des plus grands jardiniers du XVIIIe siècle, Jean Marie Morel, est d’ailleurs diplômé de l’École des ponts.
Le célèbre projet de Nicolas Brémontier de plantation des dunes des Landes en constitue une autre illustration : c’est lui qui a conçu le moyen de faire pousser des pins sur ces zones encore arides à l’époque.
Ce corps ne compte que 21 ingénieurs (un par généralité du royaume), assistés de sous-ingénieurs au statut encore peu précis : ce n’est qu’à la fin du siècle que l’ensemble de la pyramide des compétences des Ponts et Chaussées se verra doté d’un statut.
À la tête du corps se trouve un architecte Premier ingénieur. Ce poste sera occupé par l’un des fondateurs – et premier directeur – de l’École des ponts et chaussées, Jean Rodolphe Perronet, à partir de 1763.
Le corps est rattaché au contrôle général des finances, et ses ingénieurs sont parfois qualifiés d’ « ingénieurs de la finance » – une appellation péjorative, surtout employée par les militaires.
Le corps est très peu scientifique : la plupart des ingénieurs des Ponts connaissent l’arithmétique et les coniques, mais certainement pas le calcul infinitésimal. Ils sont très inférieurs, de ce point de vue, au corps du Génie, mais déploient une véritable virtuosité en matière de projets de routes, de ponts, puis de canaux ou de bords de mer.
LA PARTICIPATION AU PROJET DES LUMIÈRES
Les ingénieurs des Ponts, en connexion forte avec la pensée économique naissante et notamment celle des physiocrates (« le gouvernement par la nature »), voient les routes comme des moyens de mise en circulation des richesses.
Le projet de Nicolas Brémontier illustre le rapport très fort des ingénieurs des Ponts aux éléments naturels : c’est lui qui a conçu le moyen de faire pousser des pins sur les dunes des Landes.
Ils développent également très tôt l’idée qu’elles constituent un moyen de faire reculer les préjugés. L’ingénieur est donc un agent de progrès dans une société qui doit se moderniser.
Les Lumières ont bien sûr leurs limites, les routes sont bâties à cette époque au moyen de la corvée, mais les ingénieurs n’en sont pas moins persuadés d’œuvrer pour le bien commun, dans une perspective de modernisation.
On donne ainsi fréquemment aux élèves des Ponts, avant la Révolution, des sujets de dissertation du type « De l’égalité des conditions dans une société telle que la France ».
Les ingénieurs cultivent également l’idée d’une société réconciliée avec elle-même, vivant dans un territoire-jardin, comme le montrent les sujets de concours de l’époque, présentant des cartes de territoires imaginaires cultivés comme des jardins et pourvus de grandes infrastructures. L’École des ponts, créée en 1747, illustre ces valeurs de progrès.
Le XVIIIe siècle constitue donc une période faste pour les Ponts et Chaussées, au cours de laquelle sont ouverts environ 20 000 kilomètres de routes royales, dans un état d’entretien encore relatif, le financement de l’entretien des infrastructures demeurant un problème jusqu’au milieu du XIXe siècle.
La carte des temps de parcours comparés sur les routes de France permet toutefois de mesurer de réels progrès dans l’homogénéisation du territoire : s’amorce alors cette construction du territoire caractéristique de la période suivante.
L’INGÉNIEUR DES PONTS DEVIENT UN SCIENTIFIQUE
Au XIXe siècle, le corps des Ponts s’étoffe et compte désormais une centaine d’ingénieurs en chef. Il repose désormais sur une pyramide de compétences comprenant, au-dessus des ingénieurs en chef, des inspecteurs, et en dessous, des ingénieurs ordinaires, de 1re ou 2e classe. L’ensemble représente plusieurs centaines de personnes.
“ Un agent de progrès dans une société qui doit se moderniser ”
Le profil des ingénieurs est désormais plus scientifique. En 1794 est intervenue la création de l’École polytechnique, et les ingénieurs misent désormais sur une science à la fois théorique et appliquée.
Parallèlement, les compétences du corps s’éloignent d’une compréhension fine du cadre naturel, même si des ingénieurs comme Alphand s’occupent, sous Haussmann, de plantations et de parcs.
LA CONSTRUCTION DU TERRITOIRE NATIONAL
Le grand enjeu, au XIXe siècle, sera la construction d’un réseau moderne de routes, de canaux, de chemins de fer.
UNE PÉPINIÈRE DE SCIENTIFIQUES
Tout au long du siècle, le corps des Ponts fournira d’éminents scientifiques : Navier, Cauchy, Coriolis ou encore Saint-Venant.
Le cours de Navier de 1826, qui marque le début de l’application des principes de la mécanique aux constructions, connaît un tel impact qu’il est traduit à l’intention des élèves de West Point dans les années 1840.
Le territoire comptera environ 40 000 kilomètres de routes royales, impériales ou nationales selon les périodes, complétés par plusieurs centaines de milliers de kilomètres de routes départementales ou vicinales.
L’approche des infrastructures en termes de réseau est alors nouvelle. Elle s’appliquera à toutes sortes d’objets, jusqu’aux phares, mais le principal réseau sera néanmoins celui des chemins de fer, le moyen de transport qui a sans doute le plus changé le monde.
Les ingénieurs des Ponts ne seront pas pionniers en la matière, mais apporteront une dimension systémique au réseau, en concevant la fameuse « Étoile Legrand » centrée sur Paris.
Les grandes compagnies de chemin de fer modifient les carrières des ingénieurs, et l’on voit apparaître à cette époque les débuts du « pantouflage », ainsi qu’une inflexion de leurs missions vers des tâches managériales.
“ Construire un territoire national en réseau, support d’une société en réseau ”
Elles favorisent également la naissance de l’économie mixte, fruit d’un partenariat entre puissances publique et privée. Le chemin de fer constitue, à bien des égards, un laboratoire du territoire moderne.
Les ingénieurs des Ponts entrent également en force dans les villes, dans lesquelles ils étaient jusqu’alors des acteurs relativement marginaux.
Le réseau des égouts de Paris est ainsi construit par un ingénieur des Ponts, Belgrand.
Dans le Paris d’ Haussmann, même les plantations sont conçues comme un réseau technique : c’est pourquoi Charles Alphand dirige le service des Plantations, et le parc des Buttes- Chaumont est également dessiné par un ingénieur des Ponts, en collaboration avec un jardinier.
Les ingénieurs du XIXe siècle poursuivent l’ambition de construire un territoire national en réseau, lui-même support d’une société en réseau.
La diminution des temps de parcours devient à cette époque spectaculaire, et le projet politique et social d’un monde meilleur grâce au progrès technologique confine parfois à l’utopie. C’est le cas, notamment, chez les saint-simoniens, qui comptent de nombreux ingénieurs des Ponts et Chaussées et des Mines.
L’ÉTOILE LEGRAND
Le schéma du réseau ferroviaire en étoile centrée sur Paris, établi par une loi de 1842, est connu sous le nom d’« étoile de Legrand », du nom de Baptiste Alexis Victor Legrand, directeur général des Ponts et chaussées et des Mines.
Ce schéma avait été exposé pour la première fois en 1838 à l’occasion de la présentation d’un projet de loi rejeté par la Chambre des députés. Il reprenait les grandes lignes du mémoire de 1814 à Napoléon de Pierre Michel Moisson-Desroches.
LES TRENTE GLORIEUSES DESSINENT LA GÉOGRAPHIE VOLONTAIRE DE LA FRANCE
La période qui s’étend de 1945 à 1975 est marquée par des changements accélérés avec, notamment, l’apparition des autoroutes. Là encore, les ingénieurs des Ponts ne seront pas pionniers, mais accompagneront le changement, puis le penseront de manière plus systémique.
La grande nouveauté de cette époque consiste en l’arrivée des ingénieurs des Ponts dans la planification urbaine, notamment dans les projets de villes nouvelles. L’École des ponts se dotera d’ailleurs à ce moment d’une formation en urbanisme, qui existe toujours.
Les ingénieurs des Ponts développent surtout une vision générale de l’aménagement, qui ne consiste plus simplement à disposer des infrastructures sur un territoire, mais à contribuer à ce que le premier DATAR (Délégué à l’aménagement du territoire et à l’action régionale), Olivier Guichard, appellera la « géographie volontaire de la France ».
“ Un projet de modernisation à la fois technique et social ”
Il s’agit de constituer, de façon énergique et même autoritaire, un nouveau territoire pour une nouvelle société. Les ingénieurs des Ponts contribuent avec enthousiasme à ce projet de modernisation à la fois technique et social.
La voiture fait également partie de ce grand projet de modernisation, dont le résultat ressemble à la France d’aujourd’hui, où cohabitent des églises romanes et des projets architecturaux plus étranges.
Les trente glorieuses représentent le dernier moment où l’articulation entre technique et société s’est parée d’une netteté particulière dans le domaine des ponts et chaussées.
QUELQUES ENSEIGNEMENTS DE L’HISTOIRE
Marc Bloch, le fondateur de l’École des Annales, disait que la première leçon de l’histoire consistait à donner « le sens impérieux du changement ». Dans l’administration des Ponts et Chaussées, le seul élément de répétition est en effet le changement.
Évry vers 1975. La grande nouveauté des trente glorieuses consiste en l’arrivée des ingénieurs des Ponts dans la planification urbaine, notamment dans les projets de villes nouvelles.
Elle n’a plus rien à voir, en 1960, avec ce qu’elle était en 1716 ou vers 1850 – tel est aussi le sens de la célébration des 300 ans des Ponts et Chaussées.
On notera cependant que les grands moments de l’histoire du corps sont marqués par une forte articulation entre vision territoriale et technique d’un côté, et projet de société de l’autre. Cette question se pose à nous aujourd’hui. L’ingénieur ne doit pas considérer qu’il détient une vérité ex cathedra ; le dialogue avec les citoyens est d’autant plus nécessaire que nous devons réinventer un projet de société qui passe par la technologie au lieu de la refuser.
Je termine ironiquement par l’image de la plantation de la forêt des Landes par Brémontier, pour évoquer l’idée de la réconciliation entre technologie et aménagement environnemental.
De ce point de vue, la fusion des Ponts avec les Eaux et Forêts représente à la fois un défi, pour ces corps aux cultures différentes, mais également une chance.
Elle sera une chance à condition que l’on sache redécouvrir, non la faiblesse scientifique des ingénieurs du siècle des Lumières, mais leur ouverture d’esprit, et cette curiosité qui a caractérisé, pendant très longtemps, les ingénieurs des Ponts et Chaussées.
Joseph Vernet, Construction d’un grand chemin dans un pays montagneux, 1774. © RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE) / FRANCK RAUX
Commentaire
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pont evry
Bonne histoire sur Evry je vous demande de bien vouloir me faire de l’histoire de Paris