Les Profiteurs de l’État

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°563 Mars 2001Par : Bernard ZIMMERN (49)Rédacteur : Gérard de LIGNY (43) et Jean BOUNINE-CABALÉ (44)

Dans cet ouvrage, des­ti­né à secouer notre apa­thie face aux lour­deurs de notre bureau­cra­tie éta­tique, Zim­mern se réfère au contre-exemple de la démo­cra­tie amé­ri­caine. Il s’en jus­ti­fie en démon­trant la faus­se­té de deux infor­ma­tions qui cir­culent dans le micro­cosme selon lesquelles :

(a) les pré­lè­ve­ments obli­ga­toires n’apparaissent pas plus éle­vés en France qu’aux USA dès lors qu’on tient compte des pres­ta­tions sociales qui sont finan­cées, làbas, par les entreprises,

(b) la socié­té amé­ri­caine est pro­fon­dé­ment inégalitaire.

Le rai­son­ne­ment (a) est juste, mais les cal­culs (issus du “ rap­port Bour­gui­gnon ”) sont faux. En se basant sur les enre­gis­tre­ments offi­ciels des pres­ta­tions sociales du sec­teur pri­vé amé­ri­cain et en tenant compte de celles du sec­teur pri­vé fran­çais, Zim­mern démontre que le taux de pré­lè­ve­ment fran­çais demeure de 8,5 points supé­rieur à l’américain qui est de 30,4%. Concer­nant 1’affirmation (b), il indique que les pauvres gagnent, après redis­tri­bu­tion, aux USA et en France, 1a même pro­por­tion du reve­nu total des individus.

Le lec­teur qui n’a pas eu connais­sance du dos­sier que l’IFRAP1 a publié sur ce sujet appren­dra (p. 172 et suiv.) que les pauvres ne sont pas aus­si pauvres en Amé­rique que le dit notre pro­pa­gande éta­tiste et que la lutte contre la pau­vre­té y est beau­coup plus effi­cace que chez nous. D’ailleurs, les trans­ferts repré­sentent, aux USA, 5 % du PIB contre 2,7 % en France. En somme, notre sys­tème de prélèvement/ trans­fert est, toutes pro­por­tions gar­dées, à la fois beau­coup plus lourd et beau­coup moins effi­cace que l’américain.

L’inefficacité de nos Admi­nis­tra­tions publiques vient d’ailleurs d’être sou­li­gnée dans un autre ouvrage, publié sous l’égide de Mon­sieur Fau­roux, ancien ministre, en col­la­bo­ra­tion avec une ving­taine d’autres per­son­na­li­tés issues, comme lui, du sérail2. On y retrouve des cri­tiques qui sont fami­lières à tous les Fran­çais : absence de consi­dé­ra­tion pour l’usager (signi­fi­ca­ti­ve­ment dénom­mé l’assujetti), refus de toute idée de réforme, abus de pou­voir des syn­di­cats, mor­cel­le­ment des struc­tures, rejet de la notion de pro­duc­ti­vi­té et refus des com­pa­rai­sons internationales.

Il faut cer­tai­ne­ment se réjouir de cette contri­bu­tion inat­ten­due. Tou­te­fois, il ne suf­fi­ra pas de dénon­cer l’inefficacité du “ sys­tème ” pour pro­vo­quer sa réforme. En tant qu’organisateurs, nous par­ta­geons, à ce sujet, avec Zim­mern, l’avis d’Edward Deming, le pro­mo­teur de la qua­li­té totale : “ Mon expé­rience m’a prou­vé que lorsqu’un sys­tème est défi­cient, il y a 6 % de chances que ce soit dû aux acteurs du sys­tème et 94 % pour que ce soit dû au sys­tème lui-même, c’est-à-dire à ceux qui le dirigent. ”

Il fal­lait donc bien s’attaquer, comme l’a fait Zim­mern, aux hauts fonc­tion­naires des admi­nis­tra­tions cen­trales de 1’État et aux “ entre­pre­neurs du bon­heur public ” qui cau­tionnent leur action au nom du “ peuple sou­ve­rain ”, en ver­tu d’un man­dat élec­tif obte­nu pour six ans, ou parce qu’ils ont fait du “ social ” leur fonds de com­merce, aux frais du contri­buable. Les uns et les autres sont plus sou­cieux de main­te­nir leurs pri­vi­lèges et leurs pou­voirs exor­bi­tants, que de réfré­ner l’emprise étouf­fante de l’hydre admi­nis­tra­tive sur la socié­té fran­çaise. Tout le corps de l’ouvrage en est la démonstration.

Dès lors le pro­blème qui se pose est celui du contrôle de ces pou­voirs. Dans la démo­cra­tie amé­ri­caine, ce contrôle est réa­li­sé par le ren­for­ce­ment du rôle de la socié­té civile grâce aux inter­ven­tions directes qu’elle est tou­jours prête à faire, en cas de besoin, sur l’exécutif, le légis­la­tif et les admi­nis­tra­tions de l’État. Les Suisses recourent, comme on le sait, aux réfé­ren­dums d’initiative populaire.

La France de son côté se carac­té­rise mani­fes­te­ment, quoi qu’elle en ait, par un défaut de démo­cra­tie. Zim­mern attire notre atten­tion, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, sur les risques que nous fait cou­rir notre apa­thie. Sur un sujet aus­si sen­sible que celui des trans­ferts sociaux, le main­tien en l’état du sys­tème de trans­fert condui­ra inévi­ta­ble­ment, du fait de son effi­ca­ci­té déri­soire, à l’augmentation de la pres­sion fis­cale. Et d’ailleurs, il suf­fit de lire les gazettes pour savoir qu’il en est ques­tion, de façon récur­rente, dans cer­tains milieux poli­tiques. Les riches paie­ront beau­coup plus, les pauvres gagne­ront à peine plus ; de nou­veaux fonc­tion­naires pro­fi­te­ront de la différence.

L’autre solu­tion serait d’accroître l’efficacité du sys­tème en ayant l’audace de dimi­nuer pro­gres­si­ve­ment le nombre des fonc­tion­naires (qui repré­sentent plus de 80% du coût du sys­tème) afin de réduire les com­pli­ca­tions admi­nis­tra­tives et de per­mettre la créa­tion, au béné­fice des défa­vo­ri­sés, de plus d’entreprises et d’emplois dans le sec­teur mar­chand, notam­ment dans les services.

Il fau­dra bien que la “ socié­té civile ” par­vienne à s’exprimer direc­te­ment et effi­ca­ce­ment sur ce sujet, car il engage son ave­nir. Elle devra, pour cela, prendre conscience des retards qu’accumule notre pays par rap­port aux autres, du fait de l’impéritie de beau­coup de ses diri­geants. C’est pour cela qu’il nous paraît si néces­saire de lire et faire lire le cou­ra­geux ouvrage de Zimmern.

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1. Cf. Le mythe de la pau­vre­té aux États-Unis, dos­sier n° 60 de L’IFRAP, Ins­ti­tut de recherche sur les admi­nis­tra­tions publiques, 8 rue d’Uzès, 75002 Paris, fon­dé par Zim­mern en 1985 et finan­cé par lui.
2. Fau­roux et Spitz, Notre État – Le livre-véri­té de la fonc­tion publique, Laffont

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