Les Profiteurs de l’État
Dans cet ouvrage, destiné à secouer notre apathie face aux lourdeurs de notre bureaucratie étatique, Zimmern se réfère au contre-exemple de la démocratie américaine. Il s’en justifie en démontrant la fausseté de deux informations qui circulent dans le microcosme selon lesquelles :
(a) les prélèvements obligatoires n’apparaissent pas plus élevés en France qu’aux USA dès lors qu’on tient compte des prestations sociales qui sont financées, làbas, par les entreprises,
(b) la société américaine est profondément inégalitaire.
Le raisonnement (a) est juste, mais les calculs (issus du “ rapport Bourguignon ”) sont faux. En se basant sur les enregistrements officiels des prestations sociales du secteur privé américain et en tenant compte de celles du secteur privé français, Zimmern démontre que le taux de prélèvement français demeure de 8,5 points supérieur à l’américain qui est de 30,4%. Concernant 1’affirmation (b), il indique que les pauvres gagnent, après redistribution, aux USA et en France, 1a même proportion du revenu total des individus.
Le lecteur qui n’a pas eu connaissance du dossier que l’IFRAP1 a publié sur ce sujet apprendra (p. 172 et suiv.) que les pauvres ne sont pas aussi pauvres en Amérique que le dit notre propagande étatiste et que la lutte contre la pauvreté y est beaucoup plus efficace que chez nous. D’ailleurs, les transferts représentent, aux USA, 5 % du PIB contre 2,7 % en France. En somme, notre système de prélèvement/ transfert est, toutes proportions gardées, à la fois beaucoup plus lourd et beaucoup moins efficace que l’américain.
L’inefficacité de nos Administrations publiques vient d’ailleurs d’être soulignée dans un autre ouvrage, publié sous l’égide de Monsieur Fauroux, ancien ministre, en collaboration avec une vingtaine d’autres personnalités issues, comme lui, du sérail2. On y retrouve des critiques qui sont familières à tous les Français : absence de considération pour l’usager (significativement dénommé l’assujetti), refus de toute idée de réforme, abus de pouvoir des syndicats, morcellement des structures, rejet de la notion de productivité et refus des comparaisons internationales.
Il faut certainement se réjouir de cette contribution inattendue. Toutefois, il ne suffira pas de dénoncer l’inefficacité du “ système ” pour provoquer sa réforme. En tant qu’organisateurs, nous partageons, à ce sujet, avec Zimmern, l’avis d’Edward Deming, le promoteur de la qualité totale : “ Mon expérience m’a prouvé que lorsqu’un système est déficient, il y a 6 % de chances que ce soit dû aux acteurs du système et 94 % pour que ce soit dû au système lui-même, c’est-à-dire à ceux qui le dirigent. ”
Il fallait donc bien s’attaquer, comme l’a fait Zimmern, aux hauts fonctionnaires des administrations centrales de 1’État et aux “ entrepreneurs du bonheur public ” qui cautionnent leur action au nom du “ peuple souverain ”, en vertu d’un mandat électif obtenu pour six ans, ou parce qu’ils ont fait du “ social ” leur fonds de commerce, aux frais du contribuable. Les uns et les autres sont plus soucieux de maintenir leurs privilèges et leurs pouvoirs exorbitants, que de réfréner l’emprise étouffante de l’hydre administrative sur la société française. Tout le corps de l’ouvrage en est la démonstration.
Dès lors le problème qui se pose est celui du contrôle de ces pouvoirs. Dans la démocratie américaine, ce contrôle est réalisé par le renforcement du rôle de la société civile grâce aux interventions directes qu’elle est toujours prête à faire, en cas de besoin, sur l’exécutif, le législatif et les administrations de l’État. Les Suisses recourent, comme on le sait, aux référendums d’initiative populaire.
La France de son côté se caractérise manifestement, quoi qu’elle en ait, par un défaut de démocratie. Zimmern attire notre attention, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, sur les risques que nous fait courir notre apathie. Sur un sujet aussi sensible que celui des transferts sociaux, le maintien en l’état du système de transfert conduira inévitablement, du fait de son efficacité dérisoire, à l’augmentation de la pression fiscale. Et d’ailleurs, il suffit de lire les gazettes pour savoir qu’il en est question, de façon récurrente, dans certains milieux politiques. Les riches paieront beaucoup plus, les pauvres gagneront à peine plus ; de nouveaux fonctionnaires profiteront de la différence.
L’autre solution serait d’accroître l’efficacité du système en ayant l’audace de diminuer progressivement le nombre des fonctionnaires (qui représentent plus de 80% du coût du système) afin de réduire les complications administratives et de permettre la création, au bénéfice des défavorisés, de plus d’entreprises et d’emplois dans le secteur marchand, notamment dans les services.
Il faudra bien que la “ société civile ” parvienne à s’exprimer directement et efficacement sur ce sujet, car il engage son avenir. Elle devra, pour cela, prendre conscience des retards qu’accumule notre pays par rapport aux autres, du fait de l’impéritie de beaucoup de ses dirigeants. C’est pour cela qu’il nous paraît si nécessaire de lire et faire lire le courageux ouvrage de Zimmern.
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1. Cf. Le mythe de la pauvreté aux États-Unis, dossier n° 60 de L’IFRAP, Institut de recherche sur les administrations publiques, 8 rue d’Uzès, 75002 Paris, fondé par Zimmern en 1985 et financé par lui.
2. Fauroux et Spitz, Notre État – Le livre-vérité de la fonction publique, Laffont