Les relations entre l’Union européenne et l’Ukraine

Dossier : UkraineMagazine N°547 Septembre 1999
Par Olivier de LAROUSSILHE

L’Ukraine, indé­pen­dante depuis 1991, tien­dra à l’automne de 1999 les secondes élec­tions pré­si­den­tielles de son histoire.
Ce peut être l’occasion de s’interroger sur le bilan et de réexa­mi­ner les prio­ri­tés de l’aide internationale.
La tran­si­tion vers un État de droit et une éco­no­mie de mar­ché est incom­pa­ra­ble­ment plus dif­fi­cile en Ukraine qu’en Europe cen­trale ou même en Rus­sie, pays qui dis­po­sait au départ d’une struc­ture admi­nis­tra­tive et de res­sources natu­relles qui manquent ici. Nation long­temps sans État, qua­si­ment dépour­vue de cadres diri­geants, dotée d’une éco­no­mie dépen­dante et vieillie, l’Ukraine a dû faire face à ces défis sans pré­pa­ra­tion. Mais pour la pre­mière fois dans son his­toire, elle béné­fi­cie d’un impor­tant sou­tien inter­na­tio­nal, notam­ment celui de l’Union euro­péenne et des États-Unis.

Les fondateurs de Kiev.
Les fon­da­teurs de Kiev. © DATA BANK UKRAINE

Les trois enjeux majeurs de la tran­si­tion de l’U­kraine indé­pen­dante sont : enra­ci­ner la démo­cra­tie, asseoir son indé­pen­dance et son uni­té, mettre en place une éco­no­mie de mar­ché. Le bilan après huit ans est miti­gé, encou­ra­geant sur les deux pre­miers points, pré­oc­cu­pant sur le troisième.

La mise en place d’une démo­cra­tie consti­tue cer­tai­ne­ment l’un des élé­ments posi­tifs du bilan. La démo­cra­tie ukrai­nienne fonc­tionne plu­tôt bien, mieux que dans les autres pays de la CEI1, même si le Conseil de l’Eu­rope est pré­oc­cu­pé du retard pris dans l’ap­pli­ca­tion des enga­ge­ments de l’U­kraine en matière d’É­tat de droit. Ce pays a par ailleurs mon­tré sa capa­ci­té à résoudre ses conflits internes (notam­ment en Cri­mée) par le dia­logue poli­tique et le com­pro­mis. Ces acquis démo­cra­tiques ont gran­de­ment contri­bué à accroître la cré­di­bi­li­té inter­na­tio­nale de l’Ukraine.

Tou­te­fois la fai­blesse de la socié­té civile, due à une dépen­dance de plus de trois cents ans, consti­tue un grave han­di­cap. L’U­kraine n’est pas par­ve­nue, depuis l’in­dé­pen­dance, à faire émer­ger, ni dans l’o­pi­nion publique ni dans le sys­tème poli­tique, une base poli­tique sus­cep­tible de sou­te­nir les réformes. Les réfor­ma­teurs et les par­tis de tra­di­tion démo­cra­tique sont mar­gi­na­li­sés dans un sys­tème de par­tis fai­ble­ment orga­ni­sés, domi­né par l’an­cienne nomenk­la­tu­ra communiste.

L’Ukraine a incontestablement consolidé son indépendance depuis 1991

Celle-ci béné­fi­cie d’un réel sou­tien du pays mais la péren­ni­té de cette troi­sième indé­pen­dance ukrai­nienne (après celles de 1648–1654 et de 1918–1921) dépend à long terme de la recherche de garan­ties de sécu­ri­té inter­na­tio­nales ain­si que de la via­bi­li­té de l’économie.

Par une habile diplo­ma­tie, Kiev est par­ve­nue à trou­ver sa place dans la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale avec un double objec­tif : la récon­ci­lia­tion avec ses voi­sins et la recherche d’un équi­libre entre ses rela­tions avec la Rus­sie et son rap­pro­che­ment avec l’Occident.

L’U­kraine a sur­mon­té des dif­fé­rends his­to­riques lourds et anciens : la récon­ci­lia­tion avec la Pologne est sou­vent com­pa­rée à la récon­ci­lia­tion fran­co-alle­mande. Les rela­tions avec la Rus­sie sont à l’é­vi­dence un des élé­ments clés. La nor­ma­li­sa­tion des rela­tions, obte­nue par l’ac­tion opi­niâtre des deux pré­si­dents Elt­sine et Koutch­ma, a abou­ti à la signa­ture en mai 1997 du trai­té d’A­mi­tié et de Coopé­ra­tion entre les deux pays, par lequel la Rus­sie recon­naît l’in­dé­pen­dance de l’Ukraine.

Cette nor­ma­li­sa­tion reste tou­te­fois fra­gile car elle est sou­mise aux aléas des rela­tions entre une ancienne colo­nie et la métro­pole, et hypo­thé­quée par une dépen­dance éco­no­mique persistante.

Au-delà de ces acquis, la ques­tion cen­trale pour la sécu­ri­té de l’U­kraine est bien la recherche de garan­ties de son indé­pen­dance, recherche domi­née par une ques­tion d’i­den­ti­té : l’U­kraine se rat­tache-t-elle à l’Eu­rope ou aux Slaves de l’Est ?

Seul grand pays à la taille euro­péenne qui n’ap­par­tienne ni à l’Eu­rope bien­tôt élar­gie, ni à l’en­semble russe, l’U­kraine redoute de tom­ber dans un « vide de sécu­ri­té », entre l’en­semble euro-atlan­tique et l’en­semble russe du trai­té de Taschkent. L’é­lar­gis­se­ment en cours de l’U­nion euro­péenne a contri­bué à accen­tuer cette incer­ti­tude, dans la mesure où l’U­kraine avait d’a­bord recher­ché des for­mules de sécu­ri­té régio­nale avec les pays d’Eu­rope cen­trale avant de consta­ter que ceux-ci don­naient la prio­ri­té à l’U­nion européenne.

Tou­te­fois à l’Est, la signa­ture en mai 1997 de l’Acte fon­da­teur entre la Rus­sie et l’O­TAN (sui­vi en juillet 1997 par une Charte de Par­te­na­riat spé­cial OTAN – Ukraine) consti­tue un élé­ment posi­tif pour Kiev, dans la mesure où elle éloigne le risque d’une poli­tique aven­tu­riste russe, en inté­grant la Rus­sie (puis l’U­kraine) dans l’en­semble de sécu­ri­té euro-atlantique.

L’U­kraine s’est donc pro­gres­si­ve­ment écar­tée de la posi­tion d’É­tat neutre et non ali­gné, adop­tée en 1990, pour ren­for­cer ses liens avec les ins­ti­tu­tions de sécu­ri­té occi­den­tales. Ce rap­pro­che­ment fait l’ob­jet d’un sou­tien crois­sant mais non majo­ri­taire au sein de la classe poli­tique. La rela­tion avec l’O­TAN concentre l’es­sen­tiel des ques­tions non réso­lues de la sécu­ri­té ukrai­nienne : recherche de garan­ties de sécu­ri­té concrètes, place entre l’Est et l’Ouest, déga­ge­ment ou retour dans l’or­bite russe.

La spé­ci­fi­ci­té de la posi­tion ukrai­nienne a pu être obser­vée dans le conflit du Koso­vo. L’U­kraine, dont la popu­la­tion en grande majo­ri­té slave et ortho­doxe ne pou­vait être insen­sible aux inté­rêts serbes, s’est pour­tant abs­te­nue des appels à la « soli­da­ri­té slave » pro­fé­rés de Mos­cou dès les pre­miers jours du conflit2. Confor­mé­ment au pro­ces­sus de rap­pro­che­ment avec l’Oc­ci­dent dans lequel elle est enga­gée, l’U­kraine a pro­po­sé aux Occi­den­taux ses bons offices pour ten­ter de négo­cier entre les parties.

Ce rap­pro­che­ment de l’U­kraine avec l’Oc­ci­dent consti­tue une véri­table révo­lu­tion dans la géo­po­li­tique de la région. Mais la redé­fi­ni­tion par l’U­kraine de son orien­ta­tion est un pro­ces­sus inache­vé et la pour­suite de cette évo­lu­tion n’est pas du tout acquise. Elle dépen­dra d’une part de la réponse que les ins­ti­tu­tions occi­den­tales seront en mesure d’y don­ner, d’autre part de l’é­vo­lu­tion poli­tique interne et de la capa­ci­té de l’U­kraine à se doter des moyens de sa poli­tique, notam­ment en rédui­sant sa dépen­dance éco­no­mique par rap­port à la Russie.

Si la sécu­ri­té externe de l’U­kraine n’ap­pa­raît pas aujourd’­hui direc­te­ment mena­cée, ce pays est affec­té d’une série de fra­gi­li­tés internes, de nature poli­tique et éco­no­mique, sus­cep­tibles d’af­fec­ter sa sécu­ri­té au sens tra­di­tion­nel, au point qu’un déve­lop­pe­ment à la you­go­slave ou un retour dans l’or­bite russe ne peuvent être tout à fait exclus. Les sources d’in­sé­cu­ri­té internes les plus pré­oc­cu­pantes pour l’U­kraine sont : une uni­té natio­nale fra­gile, un État faible et un blo­cage poli­tique interne, une éco­no­mie dépen­dante et finan­ciè­re­ment fragile.

La mise en place d’une éco­no­mie de mar­ché est à l’é­vi­dence le prin­ci­pal point faible de la tran­si­tion. L’é­co­no­mie cumu­lait au départ une série de han­di­caps lourds (dépen­dance éner­gé­tique, vieillis­se­ment du capi­tal indus­triel, poids de l’in­dus­trie lourde et mili­taire, remise en cause des débou­chés tra­di­tion­nels) et l’in­dus­trie était à recons­truire. La situa­tion a été aggra­vée par l’ab­sence de réformes et les erreurs stra­té­giques com­mises entre 1991 et 1994.

Les réformes accom­plies depuis 1994 ne sont pas négli­geables, mais l’U­kraine n’est pas encore au milieu du gué et elle a encore été fra­gi­li­sée par les réper­cus­sions de la crise russe de l’au­tomne 1998.

La sta­bi­li­sa­tion macroé­co­no­mique réa­li­sée depuis 1994 s’est effec­tuée aux dépens d’une crise de liqui­di­tés (4,5 mds USD d’im­payés par l’É­tat) et d’un affai­blis­se­ment de l’É­tat lourd de consé­quences sociales. Le finan­ce­ment du défi­cit public, en grande par­tie par des bons du Tré­sor à court terme sur les mar­chés inter­na­tio­naux, et la fai­blesse des réserves de change laissent le pays expo­sé au risque d’une crise finan­cière. L’é­tape sui­vante de la tran­si­tion, la libé­ra­li­sa­tion micro-éco­no­mique, a été enga­gée (libé­ra­li­sa­tion des échanges internes et externes, libé­ra­li­sa­tion des prix et réduc­tion des inter­ven­tions publiques), mal­gré des reculs en matière de libé­ra­li­sa­tion des échanges externes.

Mais la par­tie la plus com­plexe de la tran­si­tion éco­no­mique, les réformes de struc­tures microé­co­no­miques et admi­nis­tra­tives, com­men­cée en 1996 a pris du retard : pri­va­ti­sa­tion et conver­sion des entre­prises, réforme de l’ad­mi­nis­tra­tion, de la fis­ca­li­té, du sys­tème finan­cier et ban­caire, mise en place d’une dis­ci­pline microéconomique.

La trans­for­ma­tion vers une réelle éco­no­mie de mar­ché se heurte à de fortes résis­tances poli­tiques, admi­nis­tra­tives et cor­po­ra­tistes, liées à la per­sis­tance de l’an­cienne nomenk­la­tu­ra sovié­tique aux com­mandes de l’é­co­no­mie et de la poli­tique. Au point que cer­tains n’hé­sitent pas à qua­li­fier cette éco­no­mie de « socia­lisme oli­gar­chique », sys­tème bien dif­fé­rent de l’é­co­no­mie de mar­ché3.

L’an­cien sec­teur indus­triel et agri­cole d’É­tat qui consti­tue la base éco­no­mique de la nomenk­la­tu­ra se main­tient hors des contraintes micro­fi­nan­cières et de concur­rence, en pro­dui­sant sou­vent une valeur ajou­tée néga­tive : 50 % des entre­prises indus­trielles et 80 % des entre­prises agri­coles sont défi­ci­taires. Ces entre­prises trans­fèrent leurs pertes à l’en­semble de l’é­co­no­mie : la dette tri­an­gu­laire particuliers/État/entreprises est supé­rieure à 138 mds Gr (soit 35 mds d’eu­ros), équi­va­lant à 130 % du PNB.

Les moyens de cette sur­vie ont peu de rap­ports avec l’é­co­no­mie de mar­ché : déve­lop­pe­ment d’une culture d’im­payés, troc (42 % des échanges internes dans l’in­dus­trie, beau­coup plus dans l’a­gri­cul­ture), cré­dits assu­rés par des rela­tions pri­vi­lé­giées avec les banques, exemp­tions fis­cales spé­ci­fiques, ou plus sim­ple­ment non-paie­ment des impôts, blo­cage poli­ti­co-admi­nis­tra­tif de l’ac­cès au mar­ché par des entre­prises concurrentes.

Et les consé­quences sont désas­treuses : l’é­co­no­mie croule sous une masse de défi­cits et d’im­payés ; en l’ab­sence de restruc­tu­ra­tion indus­trielle, le PIB réel est tom­bé à 31 % de son niveau de 1990 (sans l’é­co­no­mie sou­ter­raine, esti­mée à 50 % du PIB). L’in­ves­tis­se­ment est insuf­fi­sant pour assu­rer le renou­vel­le­ment du tis­su indus­triel. Il s’a­git essen­tiel­le­ment des inves­tis­se­ments étran­gers : 700 mil­lions de dol­lars en 1998, attei­gnant 2,7 mds USD en stock sur la période 1989–1998, contre 8,8 mds USD en Rus­sie, 15 mds USD en Pologne. La libé­ra­li­sa­tion de l’é­co­no­mie et la pri­va­ti­sa­tion étant inache­vées et le trai­te­ment réser­vé aux entre­prises étran­gères incer­tain (insta­bi­li­té du cadre légis­la­tif et fis­cal, com­por­te­ment arbi­traire de l’ad­mi­nis­tra­tion, cor­rup­tion, absence de tri­bu­naux de com­merce fiables), cette situa­tion prive l’é­co­no­mie d’un apport essen­tiel de dynamisme.

La dété­rio­ra­tion mar­quée des condi­tions de vie fra­gi­lise le consen­sus social. Cette dété­rio­ra­tion connaît des pro­por­tions incon­ce­vables en Occi­dent avec des salaires réels à 30 % de leurs niveaux de 1990 (salaire moyen dans l’in­dus­trie : 48 dol­lars par mois) et des ser­vices publics (tra­di­tion­nel­le­ment éten­dus) en déroute.

Les Ukrai­niens manquent de tout et les nou­veaux riches sont de plus en plus voyants. Le coût social extrê­me­ment éle­vé de la sor­tie du com­mu­nisme occa­sionne même des dom­mages durables : dété­rio­ra­tion de la situa­tion sani­taire, réduc­tion de l’es­pé­rance de vie, appau­vris­se­ment du capi­tal cultu­rel et scien­ti­fique, reprise d’une émi­gra­tion qui touche sou­vent les Ukrai­niens les plus qua­li­fiés, géné­ra­li­sa­tion de pra­tiques de cor­rup­tion et de criminalité.

Ivan Dziou­ba, l’une des grandes figures de la dis­si­dence ukrai­nienne des années 1960, a dénon­cé l’é­tat de dégra­da­tion de toute la culture ukrai­nienne, sous l’ef­fet de la pénu­rie éco­no­mique : plus d’é­di­tion de livres, plus de cré­dits ni de salaires pour l’en­sei­gne­ment et la recherche…

Le soutien occidental

Les Occi­den­taux, amé­ri­cains et euro­péens, ont un inté­rêt à une sta­bi­li­sa­tion de l’U­kraine, ceci à plu­sieurs titres : ce pays, qui aura à brève échéance une fron­tière com­mune avec l’U­nion euro­péenne, est une pièce essen­tielle d’une archi­tec­ture euro­péenne de sécu­ri­té, par sa proxi­mi­té avec la Rus­sie et sa place sur la mer Noire. Le déve­lop­pe­ment de sépa­ra­tismes et de conflits eth­niques en Ukraine ne man­que­rait pas d’a­voir des effets sur la sécu­ri­té de l’Europe.

L’U­kraine est bien, selon l’ex­pres­sion de Z. Brze­zins­ki, un des pivots géo­po­li­tiques sur la carte de l’Eu­ra­sie, par l’in­fluence de l’in­dé­pen­dance ukrai­nienne sur l’É­tat russe (sans l’U­kraine, la Rus­sie n’est plus un empire)4, mais aus­si par sa situa­tion géo­po­li­tique : voie d’ac­cès du gaz et du pétrole russes en Europe, prin­ci­pale voie d’ac­cès poten­tielle au pétrole de la mer Cas­pienne, une des voies de l’im­mi­gra­tion clan­des­tine entre le Moyen-Orient et la Pologne.

Enfin la sécu­ri­té nucléaire en Ukraine, après l’ac­ci­dent de Tcher­no­byl, ne laisse per­sonne insen­sible en Europe.

L’as­sis­tance occi­den­tale à l’U­kraine est sub­stan­tielle. L’U­nion euro­péenne est le pre­mier bailleur d’aide inter­na­tio­nale, éva­luée à 3,92 mds d’é­cus sur sept ans (1991−1997), les États-Unis éga­le­ment très pré­sents ont appor­té 2,405 mds USD dans la même période, soit 2,2 mds d’écus.

L’U­nion euro­péenne, consi­dé­rant l’in­dé­pen­dance de l’U­kraine comme un enjeu poli­tique majeur en Europe orien­tale, s’est enga­gée dès novembre 1994 à sou­te­nir son indé­pen­dance, le déve­lop­pe­ment de la démo­cra­tie, la tran­si­tion éco­no­mique, et son inser­tion dans l’é­co­no­mie mon­diale. L’U­nion euro­péenne a mis en œuvre une stra­té­gie d’en­semble de sou­tien à ce pays, éta­blis­sant des liens de nature poli­tique aus­si bien qu’économique.

Celle-ci est enca­drée par l’Accord de Par­te­na­riat et de Coopé­ra­tion (PCA), signé en 1994. Cet accord « mixte » signé par la Com­mu­nau­té euro­péenne et cha­cun des États membres éta­blit avec l’U­kraine « une rela­tion poli­tique forte » (réfé­rence aux valeurs démo­cra­tiques et mise en place d’un dia­logue poli­tique) et consti­tue le cadre de déve­lop­pe­ment pour une large coopé­ra­tion éco­no­mique. Il com­porte des enga­ge­ments com­mer­ciaux : confir­ma­tion du régime de la nation la plus favo­ri­sée, libé­ra­li­sa­tion des échanges de biens et ser­vices, des condi­tions d’é­ta­blis­se­ment et de fonc­tion­ne­ment des entre­prises (trai­te­ment natio­nal), har­mo­ni­sa­tion des normes, déve­lop­pe­ment de pro­tec­tion de la pro­prié­té intellectuelle.

Cet accord requiert de l’U­kraine un vaste effort d’a­dap­ta­tion de sa légis­la­tion et de ses pra­tiques administratives.

La mise en œuvre du PCA est accom­pa­gnée par une assis­tance tech­nique : l’U­kraine béné­fi­cie depuis 1991 du pro­gramme Tacis, qui a por­té sur 560 mil­lions d’é­cus sur la période 1991–1997 (264 mil­lions du pro­gramme natio­nal, 245 mil­lions pour la sûre­té nucléaire et envi­ron 60 mil­lions des pro­grammes inter-États) et 265,5 mil­lions d’é­cus pour la seule année 1998.

Les prio­ri­tés défi­nies en com­mun avec l’ad­mi­nis­tra­tion ukrai­nienne sont : la réforme du cadre légis­la­tif et régle­men­taire, la réforme de l’en­tre­prise et le déve­lop­pe­ment du sec­teur pri­vé, la réforme de l’en­vi­ron­ne­ment et du sec­teur éner­gé­tique. L’U­kraine rece­vra 105,6 mil­lions d’eu­ros en 1999.

Les rela­tions com­mer­ciales consti­tuent un volet impor­tant des rela­tions bila­té­rales et l’U­nion euro­péenne est deve­nue, der­rière la CEI, le pre­mier par­te­naire com­mer­cial de l’U­kraine (15,4 % des impor­ta­tions et 14,8 % des expor­ta­tions ukrai­niennes). Tou­te­fois ces échanges res­tent mar­gi­naux pour les pays de l’U­nion euro­péenne (0,4 % du com­merce exté­rieur de l’U­nion) : les 3,5 mds d’eu­ros de leurs expor­ta­tions vers l’U­kraine sont en effet à com­pa­rer avec les 21 mds d’eu­ros d’ex­por­ta­tions vers la Russie.

La situa­tion ukrai­nienne en matière d’ac­cès au mar­ché est pré­oc­cu­pante. En effet, la crise de l’ap­pa­reil de pro­duc­tion de ce pays a réduit sa capa­ci­té d’ex­por­ta­tion sur nos mar­chés à l’ex­cep­tion des pro­duits de l’in­dus­trie lourde tra­di­tion­nelle (acier, chi­mie lourde, tex­tile) ; sa capa­ci­té de concur­ren­cer les pro­duits impor­tés est éga­le­ment très diminuée.

Et les Ukrai­niens sont ten­tés de résoudre des pro­blèmes indus­triels pres­sants par des mesures pro­tec­tion­nistes : aug­men­ta­tion des droits de douane, taxes dis­cri­mi­na­toires, voire fer­me­ture par­tielle du mar­ché comme dans le cas des auto­mo­biles d’oc­ca­sion. Le prin­ci­pal conten­tieux entre l’U­nion euro­péenne et l’U­kraine est actuel­le­ment la loi sur les inves­tis­se­ments dans le sec­teur auto­mo­bile qui conduit à accor­der une série d’a­van­tages dis­cri­mi­na­toires à une entre­prise coréenne au détri­ment de la concur­rence et même au détri­ment des consom­ma­teurs ukrai­niens avec la fer­me­ture par­tielle du mar­ché des auto­mo­biles d’occasion.

Compte tenu des mul­tiples infrac­tions au PCA et à l’OMC que contient cette loi, l’U­nion a déclen­ché la pro­cé­dure de règle­ment des dif­fé­rends du PCA, ce qui est une pre­mière vis-à-vis des pays de la CEI et de l’Eu­rope cen­trale. Les pro­cé­dures de cer­ti­fi­ca­tion consti­tuent éga­le­ment un obs­tacle majeur et récur­rent au mar­ché ukrai­nien puisque les auto­ri­tés ne recon­naissent pas les cer­ti­fi­cats étran­gers et exigent une pro­cé­dure spé­ci­fique de chaque importateur.

Ces pro­cé­dures sont bien sou­vent dis­cri­mi­na­toires comme dans le cas des pro­duits phar­ma­ceu­tiques où les droits sont cent fois plus éle­vés sur la cer­ti­fi­ca­tion des pro­duits étran­gers. Le pira­tage audio, vidéo et infor­ma­tique est éga­le­ment un pro­blème crois­sant, ces acti­vi­tés s’é­tant dépla­cées vers l’U­kraine depuis que la Bul­ga­rie les a répri­mées sur son ter­ri­toire. La mul­ti­pli­ca­tion de ces obs­tacles com­mer­ciaux remet en ques­tion la stra­té­gie de l’U­nion euro­péenne vis-à-vis de l’U­kraine, fon­dée sur une inser­tion pro­gres­sive de ce pays dans les échanges mondiaux.

La sûreté nucléaire en Ukraine est un dossier considéré comme essentiel par les Occidentaux

Un pro­grès dans le dos­sier de Tcher­no­byl est poli­ti­que­ment très impor­tant aus­si bien pour les Occi­den­taux que pour le pré­sident Koutch­ma qui a déci­dé la fer­me­ture de Tcher­no­byl seul, contre l’in­dus­trie nucléaire ukrai­nienne et contre l’o­pi­nion publique, plus sen­sible à l’ap­pro­vi­sion­ne­ment éner­gé­tique qu’à la sécu­ri­té. Cette ques­tion com­porte trois aspects principaux :

  • la restruc­tu­ra­tion du sec­teur éner­gé­tique, avec pour objec­tif l’a­mé­lio­ra­tion de l’ef­fi­ca­ci­té du pro­ces­sus de pro­duc­tion ain­si que les éco­no­mies d’énergie ;
  • le trai­te­ment des consé­quences de l’ac­ci­dent de 1986 ; en par­ti­cu­lier, la recons­truc­tion du sar­co­phage est éva­luée à 750 mil­lions de dol­lars, sur les­quels l’U­nion euro­péenne s’est enga­gée à hau­teur de 210 mil­lions (Com­mu­nau­té : 100 mil­lions de dol­lars, le reste venant des États membres) ;
  • la fer­me­ture du réac­teur encore en état de marche : la com­pen­sa­tion éner­gé­tique est éva­luée à 100 mil­lions de dol­lars et l’a­chè­ve­ment des deux cen­trales de Rivne et Khmel­nyts­kyï est éva­lué à 1,5 md USD ; dans le cadre du plan du G7 déci­dé à Naples en 1994, l’U­nion euro­péenne a enga­gé 100 mil­lions d’eu­ros de Tacis dans cette action.
    Elle a en outre confir­mé son accord pour four­nir un prêt Eur­atom pour l’a­chè­ve­ment d’un des deux réac­teurs nucléaires en construc­tion sur les sites de Rivne et Khmel­nyts­kyï, à condi­tion qu’un par­tage du finan­ce­ment total soit assu­ré, notam­ment avec la par­ti­ci­pa­tion de la BERD. Une des pré­oc­cu­pa­tions essen­tielles reste la sol­va­bi­li­té de l’emprunteur ukrai­nien (Ener­goa­tom), compte tenu du faible niveau de paie­ment des fac­tures par les consom­ma­teurs finals (20 %).

Université “ Kyiv-Mohyla Academy ”. en Ukraine
Uni­ver­si­té “ Kyiv-Mohy­la Aca­de­my ”. © DATA BANK UKRAINE

Les auto­ri­tés ukrai­niennes mani­festent régu­liè­re­ment leur sou­hait d’adhé­rer un jour à l’U­nion euro­péenne. Cette orien­ta­tion du pré­sident Koutch­ma doit être rela­ti­vi­sée dans la mesure où elle ne semble béné­fi­cier d’un sou­tien majo­ri­taire ni dans l’o­pi­nion publique ni dans le sys­tème poli­tique ukrainien.

Cette demande est appa­rue pré­ma­tu­rée et l’U­nion euro­péenne, déjà enga­gée dans un pro­ces­sus com­plexe d’é­lar­gis­se­ment, a indi­qué à l’U­kraine que celle-ci devait se concen­trer sur l’ap­pli­ca­tion des trai­tés déjà signés et la mise en œuvre des réformes de struc­tures éco­no­miques, admi­nis­tra­tives sans les­quelles un rap­pro­che­ment avec l’U­nion reste hors d’atteinte.

Tou­te­fois l’U­nion euro­péenne va réaf­fir­mer son sou­tien à l’U­kraine en uti­li­sant un nou­vel ins­tru­ment du trai­té d’Am­ster­dam : la Stra­té­gie com­mune. L’ob­jec­tif de ce docu­ment en pré­pa­ra­tion est de don­ner un signal poli­tique confir­mant le sou­tien de l’U­nion euro­péenne à l’U­kraine, tout en assu­rant une plus grande cohé­rence entre l’ac­tion de l’U­nion et celle des États membres.

En effet, l’aide n’est pas tout. Et l’ex­pé­rience de huit ans d’in­dé­pen­dance per­met d’i­den­ti­fier clai­re­ment les défi­ciences de la tran­si­tion en Ukraine : la dif­fi­cul­té de conver­tir des ensembles mili­ta­ro-indus­triels lourds, la fai­blesse de l’É­tat inca­pable d’as­su­rer ses fonc­tions d’ar­bi­trage ain­si que de redis­tri­bu­tion sociale, le non-renou­vel­le­ment des élites, la fai­blesse de la socié­té civile, le blo­cage poli­tique des réformes après 1996.

Ce constat appelle cer­taines prio­ri­tés. La pre­mière est de res­tau­rer la cré­di­bi­li­té et le fonc­tion­ne­ment de l’É­tat : réforme fis­cale por­tant sur l’as­siette, les taux et les moyens de per­cep­tion, afin d’ac­croître les res­sources fis­cales ; restruc­tu­ra­tion du bud­get avec une réduc­tion des dota­tions à l’é­co­no­mie et une meilleure allo­ca­tion des res­sources en faveur des dépenses de san­té, d’é­du­ca­tion et d’in­fra­struc­tures ; réforme du sys­tème des retraites, avec notam­ment la créa­tion de fonds de pen­sions auto­nomes, indé­pen­dants du bud­get ; concen­tra­tion de l’ac­tion des pou­voirs publics sur les objec­tifs essen­tiels : sta­bi­li­té macroé­co­no­mique, ren­for­ce­ment des ins­ti­tu­tions du mar­ché, régu­la­tion des mar­chés finan­ciers, restruc­tu­ra­tion indus­trielle, réforme de l’éner­gie, poli­tique sociale, infra­struc­tures ; réforme admi­nis­tra­tive : sim­pli­fi­ca­tion de l’or­ga­ni­gramme gou­ver­ne­men­tal, formation.

La deuxième prio­ri­té est de ren­for­cer les ins­ti­tu­tions du mar­ché : déve­lop­pe­ment de l’É­tat de droit en matière éco­no­mique (mise en place d’un droit des faillites, d’un droit des créan­ciers et de tri­bu­naux de com­merce fiables) ; réfor­mer le sys­tème finan­cier (intro­duc­tion d’un méca­nisme fiable de régu­la­tion et de sur­veillance des acti­vi­tés ban­caires) ; amé­lio­ra­tion du cadre légis­la­tif pour les inves­tis­se­ments (code des impôts) ; pour­suite de la libé­ra­li­sa­tion com­mer­ciale avec pour objec­tifs de rem­plir à terme les condi­tions d’ac­ces­sion à l’OMC.

Les leçons de la crise russe et les lacunes de la tran­si­tion ont ame­né les ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales à pro­cé­der à une réap­pré­cia­tion de leur stra­té­gie. L’as­sis­tance occi­den­tale sera main­te­nue compte tenu notam­ment de l’im­por­tance stra­té­gique de l’U­kraine dans la région, mais devra peut-être réduire ses ambi­tions pour tenir compte de situa­tions de blo­cage appe­lées à persister.

Les orien­ta­tions sui­vantes devront être pri­vi­lé­giées : assu­rer une aide huma­ni­taire à la popu­la­tion, évi­ter une crise finan­cière majeure, pour­suivre l’a­mé­lio­ra­tion de la sécu­ri­té nucléaire, main­te­nir l’as­sis­tance tech­nique seule­ment dans les domaines où une volon­té de réforme existe, for­mer une nou­velle géné­ra­tion de diri­geants. Il fau­dra enfin accep­ter que le pro­ces­sus de tran­si­tion en Ukraine, comme dans toute l’an­cienne URSS, soit plus long et plus com­plexe qu’on ne l’au­rait espé­ré, qu’il néces­si­te­ra patience et modestie.

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1. Il arrive au pré­sident Koutch­ma de rap­pe­ler que lui n’a jamais envoyé de chars contre son par­le­ment… quelles que soient les dif­fi­cul­tés que celui-ci lui a causées.
2. Il est inté­res­sant de noter que la réflexion poli­tique ukrai­nienne a tou­jours, depuis les décem­bristes du XIXe siècle, contes­té vigou­reu­se­ment la notion de « soli­da­ri­té slave » prô­née par Mos­cou. Pour les Ukrai­niens, cette notion n’est rien d’autre qu’un ali­bi de l’im­pé­ria­lisme russe. Dès 1821, la Socié­té des Slaves réunis, com­po­sante ukrai­nienne du mou­ve­ment décem­briste, pré­co­ni­sait la réunion de nations slaves auto­nomes dans une struc­ture fédé­rale, idée qui res­sur­gi­ra dans les années 1840 avec Dra­go­ma­rov et sera reprise par la Rada cen­trale lors de l’in­dé­pen­dance de 1917.
3. David Snel­be­cker, conseiller poli­tique au Har­vard Ins­ti­tute for Inter­na­tio­nal Development.
4. The grand chess­board, 1997.

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