Les relations entre l’Union européenne et l’Ukraine
L’Ukraine, indépendante depuis 1991, tiendra à l’automne de 1999 les secondes élections présidentielles de son histoire.
Ce peut être l’occasion de s’interroger sur le bilan et de réexaminer les priorités de l’aide internationale.
La transition vers un État de droit et une économie de marché est incomparablement plus difficile en Ukraine qu’en Europe centrale ou même en Russie, pays qui disposait au départ d’une structure administrative et de ressources naturelles qui manquent ici. Nation longtemps sans État, quasiment dépourvue de cadres dirigeants, dotée d’une économie dépendante et vieillie, l’Ukraine a dû faire face à ces défis sans préparation. Mais pour la première fois dans son histoire, elle bénéficie d’un important soutien international, notamment celui de l’Union européenne et des États-Unis.
Les fondateurs de Kiev. © DATA BANK UKRAINE
Les trois enjeux majeurs de la transition de l’Ukraine indépendante sont : enraciner la démocratie, asseoir son indépendance et son unité, mettre en place une économie de marché. Le bilan après huit ans est mitigé, encourageant sur les deux premiers points, préoccupant sur le troisième.
La mise en place d’une démocratie constitue certainement l’un des éléments positifs du bilan. La démocratie ukrainienne fonctionne plutôt bien, mieux que dans les autres pays de la CEI1, même si le Conseil de l’Europe est préoccupé du retard pris dans l’application des engagements de l’Ukraine en matière d’État de droit. Ce pays a par ailleurs montré sa capacité à résoudre ses conflits internes (notamment en Crimée) par le dialogue politique et le compromis. Ces acquis démocratiques ont grandement contribué à accroître la crédibilité internationale de l’Ukraine.
Toutefois la faiblesse de la société civile, due à une dépendance de plus de trois cents ans, constitue un grave handicap. L’Ukraine n’est pas parvenue, depuis l’indépendance, à faire émerger, ni dans l’opinion publique ni dans le système politique, une base politique susceptible de soutenir les réformes. Les réformateurs et les partis de tradition démocratique sont marginalisés dans un système de partis faiblement organisés, dominé par l’ancienne nomenklatura communiste.
L’Ukraine a incontestablement consolidé son indépendance depuis 1991
Celle-ci bénéficie d’un réel soutien du pays mais la pérennité de cette troisième indépendance ukrainienne (après celles de 1648–1654 et de 1918–1921) dépend à long terme de la recherche de garanties de sécurité internationales ainsi que de la viabilité de l’économie.
Par une habile diplomatie, Kiev est parvenue à trouver sa place dans la communauté internationale avec un double objectif : la réconciliation avec ses voisins et la recherche d’un équilibre entre ses relations avec la Russie et son rapprochement avec l’Occident.
L’Ukraine a surmonté des différends historiques lourds et anciens : la réconciliation avec la Pologne est souvent comparée à la réconciliation franco-allemande. Les relations avec la Russie sont à l’évidence un des éléments clés. La normalisation des relations, obtenue par l’action opiniâtre des deux présidents Eltsine et Koutchma, a abouti à la signature en mai 1997 du traité d’Amitié et de Coopération entre les deux pays, par lequel la Russie reconnaît l’indépendance de l’Ukraine.
Cette normalisation reste toutefois fragile car elle est soumise aux aléas des relations entre une ancienne colonie et la métropole, et hypothéquée par une dépendance économique persistante.
Au-delà de ces acquis, la question centrale pour la sécurité de l’Ukraine est bien la recherche de garanties de son indépendance, recherche dominée par une question d’identité : l’Ukraine se rattache-t-elle à l’Europe ou aux Slaves de l’Est ?
Seul grand pays à la taille européenne qui n’appartienne ni à l’Europe bientôt élargie, ni à l’ensemble russe, l’Ukraine redoute de tomber dans un « vide de sécurité », entre l’ensemble euro-atlantique et l’ensemble russe du traité de Taschkent. L’élargissement en cours de l’Union européenne a contribué à accentuer cette incertitude, dans la mesure où l’Ukraine avait d’abord recherché des formules de sécurité régionale avec les pays d’Europe centrale avant de constater que ceux-ci donnaient la priorité à l’Union européenne.
Toutefois à l’Est, la signature en mai 1997 de l’Acte fondateur entre la Russie et l’OTAN (suivi en juillet 1997 par une Charte de Partenariat spécial OTAN – Ukraine) constitue un élément positif pour Kiev, dans la mesure où elle éloigne le risque d’une politique aventuriste russe, en intégrant la Russie (puis l’Ukraine) dans l’ensemble de sécurité euro-atlantique.
L’Ukraine s’est donc progressivement écartée de la position d’État neutre et non aligné, adoptée en 1990, pour renforcer ses liens avec les institutions de sécurité occidentales. Ce rapprochement fait l’objet d’un soutien croissant mais non majoritaire au sein de la classe politique. La relation avec l’OTAN concentre l’essentiel des questions non résolues de la sécurité ukrainienne : recherche de garanties de sécurité concrètes, place entre l’Est et l’Ouest, dégagement ou retour dans l’orbite russe.
La spécificité de la position ukrainienne a pu être observée dans le conflit du Kosovo. L’Ukraine, dont la population en grande majorité slave et orthodoxe ne pouvait être insensible aux intérêts serbes, s’est pourtant abstenue des appels à la « solidarité slave » proférés de Moscou dès les premiers jours du conflit2. Conformément au processus de rapprochement avec l’Occident dans lequel elle est engagée, l’Ukraine a proposé aux Occidentaux ses bons offices pour tenter de négocier entre les parties.
Ce rapprochement de l’Ukraine avec l’Occident constitue une véritable révolution dans la géopolitique de la région. Mais la redéfinition par l’Ukraine de son orientation est un processus inachevé et la poursuite de cette évolution n’est pas du tout acquise. Elle dépendra d’une part de la réponse que les institutions occidentales seront en mesure d’y donner, d’autre part de l’évolution politique interne et de la capacité de l’Ukraine à se doter des moyens de sa politique, notamment en réduisant sa dépendance économique par rapport à la Russie.
Si la sécurité externe de l’Ukraine n’apparaît pas aujourd’hui directement menacée, ce pays est affecté d’une série de fragilités internes, de nature politique et économique, susceptibles d’affecter sa sécurité au sens traditionnel, au point qu’un développement à la yougoslave ou un retour dans l’orbite russe ne peuvent être tout à fait exclus. Les sources d’insécurité internes les plus préoccupantes pour l’Ukraine sont : une unité nationale fragile, un État faible et un blocage politique interne, une économie dépendante et financièrement fragile.
La mise en place d’une économie de marché est à l’évidence le principal point faible de la transition. L’économie cumulait au départ une série de handicaps lourds (dépendance énergétique, vieillissement du capital industriel, poids de l’industrie lourde et militaire, remise en cause des débouchés traditionnels) et l’industrie était à reconstruire. La situation a été aggravée par l’absence de réformes et les erreurs stratégiques commises entre 1991 et 1994.
Les réformes accomplies depuis 1994 ne sont pas négligeables, mais l’Ukraine n’est pas encore au milieu du gué et elle a encore été fragilisée par les répercussions de la crise russe de l’automne 1998.
La stabilisation macroéconomique réalisée depuis 1994 s’est effectuée aux dépens d’une crise de liquidités (4,5 mds USD d’impayés par l’État) et d’un affaiblissement de l’État lourd de conséquences sociales. Le financement du déficit public, en grande partie par des bons du Trésor à court terme sur les marchés internationaux, et la faiblesse des réserves de change laissent le pays exposé au risque d’une crise financière. L’étape suivante de la transition, la libéralisation micro-économique, a été engagée (libéralisation des échanges internes et externes, libéralisation des prix et réduction des interventions publiques), malgré des reculs en matière de libéralisation des échanges externes.
Mais la partie la plus complexe de la transition économique, les réformes de structures microéconomiques et administratives, commencée en 1996 a pris du retard : privatisation et conversion des entreprises, réforme de l’administration, de la fiscalité, du système financier et bancaire, mise en place d’une discipline microéconomique.
La transformation vers une réelle économie de marché se heurte à de fortes résistances politiques, administratives et corporatistes, liées à la persistance de l’ancienne nomenklatura soviétique aux commandes de l’économie et de la politique. Au point que certains n’hésitent pas à qualifier cette économie de « socialisme oligarchique », système bien différent de l’économie de marché3.
L’ancien secteur industriel et agricole d’État qui constitue la base économique de la nomenklatura se maintient hors des contraintes microfinancières et de concurrence, en produisant souvent une valeur ajoutée négative : 50 % des entreprises industrielles et 80 % des entreprises agricoles sont déficitaires. Ces entreprises transfèrent leurs pertes à l’ensemble de l’économie : la dette triangulaire particuliers/État/entreprises est supérieure à 138 mds Gr (soit 35 mds d’euros), équivalant à 130 % du PNB.
Les moyens de cette survie ont peu de rapports avec l’économie de marché : développement d’une culture d’impayés, troc (42 % des échanges internes dans l’industrie, beaucoup plus dans l’agriculture), crédits assurés par des relations privilégiées avec les banques, exemptions fiscales spécifiques, ou plus simplement non-paiement des impôts, blocage politico-administratif de l’accès au marché par des entreprises concurrentes.
Et les conséquences sont désastreuses : l’économie croule sous une masse de déficits et d’impayés ; en l’absence de restructuration industrielle, le PIB réel est tombé à 31 % de son niveau de 1990 (sans l’économie souterraine, estimée à 50 % du PIB). L’investissement est insuffisant pour assurer le renouvellement du tissu industriel. Il s’agit essentiellement des investissements étrangers : 700 millions de dollars en 1998, atteignant 2,7 mds USD en stock sur la période 1989–1998, contre 8,8 mds USD en Russie, 15 mds USD en Pologne. La libéralisation de l’économie et la privatisation étant inachevées et le traitement réservé aux entreprises étrangères incertain (instabilité du cadre législatif et fiscal, comportement arbitraire de l’administration, corruption, absence de tribunaux de commerce fiables), cette situation prive l’économie d’un apport essentiel de dynamisme.
La détérioration marquée des conditions de vie fragilise le consensus social. Cette détérioration connaît des proportions inconcevables en Occident avec des salaires réels à 30 % de leurs niveaux de 1990 (salaire moyen dans l’industrie : 48 dollars par mois) et des services publics (traditionnellement étendus) en déroute.
Les Ukrainiens manquent de tout et les nouveaux riches sont de plus en plus voyants. Le coût social extrêmement élevé de la sortie du communisme occasionne même des dommages durables : détérioration de la situation sanitaire, réduction de l’espérance de vie, appauvrissement du capital culturel et scientifique, reprise d’une émigration qui touche souvent les Ukrainiens les plus qualifiés, généralisation de pratiques de corruption et de criminalité.
Ivan Dziouba, l’une des grandes figures de la dissidence ukrainienne des années 1960, a dénoncé l’état de dégradation de toute la culture ukrainienne, sous l’effet de la pénurie économique : plus d’édition de livres, plus de crédits ni de salaires pour l’enseignement et la recherche…
Le soutien occidental
Les Occidentaux, américains et européens, ont un intérêt à une stabilisation de l’Ukraine, ceci à plusieurs titres : ce pays, qui aura à brève échéance une frontière commune avec l’Union européenne, est une pièce essentielle d’une architecture européenne de sécurité, par sa proximité avec la Russie et sa place sur la mer Noire. Le développement de séparatismes et de conflits ethniques en Ukraine ne manquerait pas d’avoir des effets sur la sécurité de l’Europe.
L’Ukraine est bien, selon l’expression de Z. Brzezinski, un des pivots géopolitiques sur la carte de l’Eurasie, par l’influence de l’indépendance ukrainienne sur l’État russe (sans l’Ukraine, la Russie n’est plus un empire)4, mais aussi par sa situation géopolitique : voie d’accès du gaz et du pétrole russes en Europe, principale voie d’accès potentielle au pétrole de la mer Caspienne, une des voies de l’immigration clandestine entre le Moyen-Orient et la Pologne.
Enfin la sécurité nucléaire en Ukraine, après l’accident de Tchernobyl, ne laisse personne insensible en Europe.
L’assistance occidentale à l’Ukraine est substantielle. L’Union européenne est le premier bailleur d’aide internationale, évaluée à 3,92 mds d’écus sur sept ans (1991−1997), les États-Unis également très présents ont apporté 2,405 mds USD dans la même période, soit 2,2 mds d’écus.
L’Union européenne, considérant l’indépendance de l’Ukraine comme un enjeu politique majeur en Europe orientale, s’est engagée dès novembre 1994 à soutenir son indépendance, le développement de la démocratie, la transition économique, et son insertion dans l’économie mondiale. L’Union européenne a mis en œuvre une stratégie d’ensemble de soutien à ce pays, établissant des liens de nature politique aussi bien qu’économique.
Celle-ci est encadrée par l’Accord de Partenariat et de Coopération (PCA), signé en 1994. Cet accord « mixte » signé par la Communauté européenne et chacun des États membres établit avec l’Ukraine « une relation politique forte » (référence aux valeurs démocratiques et mise en place d’un dialogue politique) et constitue le cadre de développement pour une large coopération économique. Il comporte des engagements commerciaux : confirmation du régime de la nation la plus favorisée, libéralisation des échanges de biens et services, des conditions d’établissement et de fonctionnement des entreprises (traitement national), harmonisation des normes, développement de protection de la propriété intellectuelle.
Cet accord requiert de l’Ukraine un vaste effort d’adaptation de sa législation et de ses pratiques administratives.
La mise en œuvre du PCA est accompagnée par une assistance technique : l’Ukraine bénéficie depuis 1991 du programme Tacis, qui a porté sur 560 millions d’écus sur la période 1991–1997 (264 millions du programme national, 245 millions pour la sûreté nucléaire et environ 60 millions des programmes inter-États) et 265,5 millions d’écus pour la seule année 1998.
Les priorités définies en commun avec l’administration ukrainienne sont : la réforme du cadre législatif et réglementaire, la réforme de l’entreprise et le développement du secteur privé, la réforme de l’environnement et du secteur énergétique. L’Ukraine recevra 105,6 millions d’euros en 1999.
Les relations commerciales constituent un volet important des relations bilatérales et l’Union européenne est devenue, derrière la CEI, le premier partenaire commercial de l’Ukraine (15,4 % des importations et 14,8 % des exportations ukrainiennes). Toutefois ces échanges restent marginaux pour les pays de l’Union européenne (0,4 % du commerce extérieur de l’Union) : les 3,5 mds d’euros de leurs exportations vers l’Ukraine sont en effet à comparer avec les 21 mds d’euros d’exportations vers la Russie.
La situation ukrainienne en matière d’accès au marché est préoccupante. En effet, la crise de l’appareil de production de ce pays a réduit sa capacité d’exportation sur nos marchés à l’exception des produits de l’industrie lourde traditionnelle (acier, chimie lourde, textile) ; sa capacité de concurrencer les produits importés est également très diminuée.
Et les Ukrainiens sont tentés de résoudre des problèmes industriels pressants par des mesures protectionnistes : augmentation des droits de douane, taxes discriminatoires, voire fermeture partielle du marché comme dans le cas des automobiles d’occasion. Le principal contentieux entre l’Union européenne et l’Ukraine est actuellement la loi sur les investissements dans le secteur automobile qui conduit à accorder une série d’avantages discriminatoires à une entreprise coréenne au détriment de la concurrence et même au détriment des consommateurs ukrainiens avec la fermeture partielle du marché des automobiles d’occasion.
Compte tenu des multiples infractions au PCA et à l’OMC que contient cette loi, l’Union a déclenché la procédure de règlement des différends du PCA, ce qui est une première vis-à-vis des pays de la CEI et de l’Europe centrale. Les procédures de certification constituent également un obstacle majeur et récurrent au marché ukrainien puisque les autorités ne reconnaissent pas les certificats étrangers et exigent une procédure spécifique de chaque importateur.
Ces procédures sont bien souvent discriminatoires comme dans le cas des produits pharmaceutiques où les droits sont cent fois plus élevés sur la certification des produits étrangers. Le piratage audio, vidéo et informatique est également un problème croissant, ces activités s’étant déplacées vers l’Ukraine depuis que la Bulgarie les a réprimées sur son territoire. La multiplication de ces obstacles commerciaux remet en question la stratégie de l’Union européenne vis-à-vis de l’Ukraine, fondée sur une insertion progressive de ce pays dans les échanges mondiaux.
La sûreté nucléaire en Ukraine est un dossier considéré comme essentiel par les Occidentaux
Un progrès dans le dossier de Tchernobyl est politiquement très important aussi bien pour les Occidentaux que pour le président Koutchma qui a décidé la fermeture de Tchernobyl seul, contre l’industrie nucléaire ukrainienne et contre l’opinion publique, plus sensible à l’approvisionnement énergétique qu’à la sécurité. Cette question comporte trois aspects principaux :
- la restructuration du secteur énergétique, avec pour objectif l’amélioration de l’efficacité du processus de production ainsi que les économies d’énergie ;
- le traitement des conséquences de l’accident de 1986 ; en particulier, la reconstruction du sarcophage est évaluée à 750 millions de dollars, sur lesquels l’Union européenne s’est engagée à hauteur de 210 millions (Communauté : 100 millions de dollars, le reste venant des États membres) ;
- la fermeture du réacteur encore en état de marche : la compensation énergétique est évaluée à 100 millions de dollars et l’achèvement des deux centrales de Rivne et Khmelnytskyï est évalué à 1,5 md USD ; dans le cadre du plan du G7 décidé à Naples en 1994, l’Union européenne a engagé 100 millions d’euros de Tacis dans cette action.
Elle a en outre confirmé son accord pour fournir un prêt Euratom pour l’achèvement d’un des deux réacteurs nucléaires en construction sur les sites de Rivne et Khmelnytskyï, à condition qu’un partage du financement total soit assuré, notamment avec la participation de la BERD. Une des préoccupations essentielles reste la solvabilité de l’emprunteur ukrainien (Energoatom), compte tenu du faible niveau de paiement des factures par les consommateurs finals (20 %).
Université “ Kyiv-Mohyla Academy ”. © DATA BANK UKRAINE
Les autorités ukrainiennes manifestent régulièrement leur souhait d’adhérer un jour à l’Union européenne. Cette orientation du président Koutchma doit être relativisée dans la mesure où elle ne semble bénéficier d’un soutien majoritaire ni dans l’opinion publique ni dans le système politique ukrainien.
Cette demande est apparue prématurée et l’Union européenne, déjà engagée dans un processus complexe d’élargissement, a indiqué à l’Ukraine que celle-ci devait se concentrer sur l’application des traités déjà signés et la mise en œuvre des réformes de structures économiques, administratives sans lesquelles un rapprochement avec l’Union reste hors d’atteinte.
Toutefois l’Union européenne va réaffirmer son soutien à l’Ukraine en utilisant un nouvel instrument du traité d’Amsterdam : la Stratégie commune. L’objectif de ce document en préparation est de donner un signal politique confirmant le soutien de l’Union européenne à l’Ukraine, tout en assurant une plus grande cohérence entre l’action de l’Union et celle des États membres.
En effet, l’aide n’est pas tout. Et l’expérience de huit ans d’indépendance permet d’identifier clairement les déficiences de la transition en Ukraine : la difficulté de convertir des ensembles militaro-industriels lourds, la faiblesse de l’État incapable d’assurer ses fonctions d’arbitrage ainsi que de redistribution sociale, le non-renouvellement des élites, la faiblesse de la société civile, le blocage politique des réformes après 1996.
Ce constat appelle certaines priorités. La première est de restaurer la crédibilité et le fonctionnement de l’État : réforme fiscale portant sur l’assiette, les taux et les moyens de perception, afin d’accroître les ressources fiscales ; restructuration du budget avec une réduction des dotations à l’économie et une meilleure allocation des ressources en faveur des dépenses de santé, d’éducation et d’infrastructures ; réforme du système des retraites, avec notamment la création de fonds de pensions autonomes, indépendants du budget ; concentration de l’action des pouvoirs publics sur les objectifs essentiels : stabilité macroéconomique, renforcement des institutions du marché, régulation des marchés financiers, restructuration industrielle, réforme de l’énergie, politique sociale, infrastructures ; réforme administrative : simplification de l’organigramme gouvernemental, formation.
La deuxième priorité est de renforcer les institutions du marché : développement de l’État de droit en matière économique (mise en place d’un droit des faillites, d’un droit des créanciers et de tribunaux de commerce fiables) ; réformer le système financier (introduction d’un mécanisme fiable de régulation et de surveillance des activités bancaires) ; amélioration du cadre législatif pour les investissements (code des impôts) ; poursuite de la libéralisation commerciale avec pour objectifs de remplir à terme les conditions d’accession à l’OMC.
Les leçons de la crise russe et les lacunes de la transition ont amené les institutions internationales à procéder à une réappréciation de leur stratégie. L’assistance occidentale sera maintenue compte tenu notamment de l’importance stratégique de l’Ukraine dans la région, mais devra peut-être réduire ses ambitions pour tenir compte de situations de blocage appelées à persister.
Les orientations suivantes devront être privilégiées : assurer une aide humanitaire à la population, éviter une crise financière majeure, poursuivre l’amélioration de la sécurité nucléaire, maintenir l’assistance technique seulement dans les domaines où une volonté de réforme existe, former une nouvelle génération de dirigeants. Il faudra enfin accepter que le processus de transition en Ukraine, comme dans toute l’ancienne URSS, soit plus long et plus complexe qu’on ne l’aurait espéré, qu’il nécessitera patience et modestie.
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1. Il arrive au président Koutchma de rappeler que lui n’a jamais envoyé de chars contre son parlement… quelles que soient les difficultés que celui-ci lui a causées.
2. Il est intéressant de noter que la réflexion politique ukrainienne a toujours, depuis les décembristes du XIXe siècle, contesté vigoureusement la notion de « solidarité slave » prônée par Moscou. Pour les Ukrainiens, cette notion n’est rien d’autre qu’un alibi de l’impérialisme russe. Dès 1821, la Société des Slaves réunis, composante ukrainienne du mouvement décembriste, préconisait la réunion de nations slaves autonomes dans une structure fédérale, idée qui ressurgira dans les années 1840 avec Dragomarov et sera reprise par la Rada centrale lors de l’indépendance de 1917.
3. David Snelbecker, conseiller politique au Harvard Institute for International Development.
4. The grand chessboard, 1997.