Les renouvelables en débat
Le courrier des lecteurs est de retour, sur les énergies renouvelables du numéro de janvier. La question du stockage des énergies est au cœur de ces débats.
Courrier de Michel BIGNON (34)
Son portrait a été publié dans la série Atypix de Pierre AVENAS (65)
« […] Je dois préciser que toute ma carrière industrielle a été consacrée à l’énergie, notamment lorsque je dirigeais le service Procédés de USSI (Georges Besse), puis du projet Themis et enfin le secrétariat général de l’Iafedes (développement de l’énergie solaire).
Avec étonnement, je constate que le ton général est entièrement conforme à la position politique et médiatique où le réchauffement climatique dû à l’homme, et la peur de tout ce qui touche à l’atome, sont des vérités révélées qui ne souffrent pas discussion.
Vous ne pouvez pas ignorer que le recours massif à des sources d’énergie électrique intermittentes et aléatoires exigerait des moyens de stockage de cette énergie, et que ces moyens n’existent pas à l’échelle indispensable.
[…] De ce fait, la loi de 2015 sur la transition énergétique m’a paru d’emblée inapplicable, et M. Hulot commence à s’en apercevoir.
J’aurais attendu de notre revue qu’elle traite le sujet de façon plus équilibrée, en n’ignorant pas ce qui se passe en Allemagne et surtout en Australie du Sud, et en marquant quelque distance avec un organisme comme I’Ademe où la technique est occultée par l’idéologie.
Je sais que notre École doit ménager le pouvoir politique, c’est souligné par la récente visite du président de la République, mais elle doit aussi rester une référence objective et crédible.
Notre revue n° 730 ne me semble pas répondre à cette nécessité. »
Ce courrier est accompagné du texte d’une conférence donnée par l’auteur au printemps 2017. Michel Bignon démontre, chiffres à l’appui, le caractère très onéreux du stockage de l’électricité et souligne les difficultés pratiques à résoudre.
Le stockage de l’électricité, un Graal ou un leurre ?
Courrier de Philippe LABAT (73)
« Je travaille dans l’industrie pétrolière et, qui plus est, pour partie en France, autant dire que je suis le dernier des salauds.
Je n’ai pas de grandes compétences en énergies renouvelables, sinon que nous utilisons les mêmes lois de la thermodynamique, dont je crains le caractère inexorable.
Je m’intéresse quand même depuis fort longtemps aux énergies capricieuses (tu voudras bien excuser ma sémantique). J’aurais volontiers équipé mon logement de solaire thermique (et non photovoltaïque, évidemment) et d’une pompe à chaleur, si je n’avais pris la décision de vivre en immeuble collectif.
Je reconnais des mérites aux énergies capricieuses, puisque je ne les excluais pas pour mon propre usage. Mais je ne peux pas accepter que l’on affirme, sans la moindre preuve, que la parité réseau des énergies capricieuses est atteinte.
À la rigueur, qu’elle soit atteinte à l’avenir, c’est possible, mais ce n’est pas le cas de nos jours. Évidemment, si on se contente d’étudier les 2 000 heures de l’année où le vent souffle, ou les 1 000 heures dans l’année où le photovoltaïque permet de satisfaire une partie significative de la demande, c’est vrai.
Malheureusement, une année, c’est 8 760 heures. Et que fait-on sans vent et sans soleil, comme le 15 janvier à 19 heures, quand l’anticyclone couvre la France ? Est-ce qu’on demande aux fournisseurs éoliens et solaires de supporter leur quote-part du fardeau que constitue l’obligation de fournir le client final 8 760 heures par an ? Ce n’est pas l’impression que j’ai.
On observe, d’un côté, des chasseurs de subventions et de prix de rachat garantis, tant en solaire qu’en éolien, qui se lavent les mains de l’équilibre du réseau, et de l’autre, la vieille école qui finit par fournir, à perte, l’électricité au moment où la météo fait monter la demande d’électricité et en fait chuter l’offre capricieuse à zéro. […] »
Réponse d’Antoine HUARD (07)
« Le chiffre de 1 000 heures ou 2 000 heures, concernant le nombre d’heures de fonctionnement des centrales solaires ou éoliennes, correspond au facteur de charge, une notion théorique qui rend compte du fait qu’une éolienne, par exemple, produit en moyenne autant d’énergie sur une année que si elle avait hypothétiquement produit à puissance nominale pendant 2 000 heures.
Cela ne veut pas dire qu’elle ne fonctionne que 2 000 heures et qu’elle s’arrête brutalement les 6 760 heures restantes. Dans les faits, une éolienne fonctionne dès que sa vitesse d’enclenchement est atteinte, de l’ordre de 10 à 15 km/h de vent, mais elle ne produit alors pas à pleine puissance.
Dès lors que les technologies modernes permettent de prédire la production avec une fiabilité satisfaisante, je maintiens que l’emploi des mots “intermittent” ou “capricieux” n’est pas judicieux et qu’ils s’appliqueraient plutôt à une production entrecoupée et imprévisible.
À plus long terme, le stockage résoudra une grande partie des difficultés qui peuvent encore subsister – son prix ne cesse de chuter et nous ne sommes qu’au début d’un mouvement d’une ampleur similaire à celle que nous avons connue avec les cellules photovoltaïques.
Déjà, aux États-Unis, les centrales PV + stockage remportent les appels d’offres de la fourniture des heures de pointe, face aux centrales thermiques.
Il y a maintenant plus de deux ans que la production d’électricité issue de l’éolien et du solaire (et des autres EnR) n’est plus soumise à des tarifs d’achat garantis, mais vendue sur le marché et via un contrat de complément de rémunération, système inspiré du contract for difference britannique, mis en œuvre notamment pour le réacteur de Hinkley Point.
Il ne s’agit pas de subventions, mais de rendre possible le financement d’actifs fortement capitalistiques dans un environnement de marché journalier très fluctuant et incertain.
Il est évident que l’absence de caractère non pilotable de certaines EnR, comme le solaire ou l’éolien, entraîne des surcoûts de réseau et plus généralement de système. Toutefois, les producteurs EnR ne se lavent pas les mains de l’équilibre du réseau. En effet, ils vendent leur production au marché via des agrégateurs, qui assurent la responsabilité d’équilibre moyennant un coût d’équilibrage et d’agrégation de moins de 1 €/MWh. Par ailleurs, chaque projet prend à sa charge un coût réseau qui inclut évidemment ses propres coûts de raccordement, mais également une quote-part dite “S3REnR” qui vise à couvrir les coûts de renforcement liés à la variabilité des EnR.
Plus généralement, outre ce surcoût de renforcement des réseaux, il y a également un surcoût de système (maintien de réserve tournante, intégration de stockage, etc.) qui doit être pris en compte si on veut déterminer le coût complet des EnR. Ce surcoût est évalué selon les sources, aux environs de 30 %.
Le solaire et l’éolien produisant avec un LCOE de l’ordre de 30 à 60 €/MWh, même en y ajoutant un surcoût de 30 %, cela ne rend pas le prix final prohibitif. Enfin, j’ajouterai qu’on entend souvent dénoncer les surcoûts liés à l’intermittence des EnR, mais on entend généralement beaucoup moins parler des services système que les EnR sont capables d’apporter : une centrale solaire notamment, grâce aux progrès de l’électronique de puissance, est capable d’injecter du réactif, de redresser le cos phi sans avoir à rajouter des condensateurs, etc.
Ces services sont aujourd’hui rendus gratuitement, mais leur valeur devrait être prise en compte dans l’évaluation de l’impact global des EnR. »