Les réseaux de communication sous-marins, au cœur du monde digital de demain
UNE EMPRISE CROISSANTE AU FIL DES DEUX DERNIERS SIÈCLES
Depuis un siècle et demi, les télécommunications intercontinentales se sont développées grâce aux câbles sous-marins. L’essor des échanges commerciaux mondialisés a dopé la densification de ces réseaux, évoluant de la paire de cuivre à la technologie coaxiale et enfin à la fibre optique, avec un essor considérable ces dernières années.
Aujourd’hui, loin devant le satellite (réservé aux solutions d’accès ou de diffusion télévisuelle), plus de 99 % du trafic intercontinental voix et données confondues s’effectue via des câbles sous-marins.
Plus de 350 liaisons, totalisant près d’un million de km assurent les transmissions du monde entier, avec des capacités de l’ordre de 200 Tbit/s par liaison pour les plus récentes (soit 20 000 fois la capacité du premier câble transatlantique optique) avec un niveau de fiabilité permettant une durée d’exploitation de plus de 25 ans.
LES RÉSEAUX SOUS-MARINS AU CŒUR DE LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE
Conçus initialement pour transmettre des signaux télégraphiques, les réseaux sous-marins véhiculent désormais des données numériques à très haut débit, depuis les simples échanges de courriels jusqu’à la vidéo haute définition. La supériorité technologique des réseaux sous-marins à fibre optique a attiré l’attention des acteurs « Over The Top » tels que Facebook, Google, Amazon ou Microsoft.
D’un marché historiquement dominé par les grands opérateurs télécoms pour commercialiser du transport de données, le secteur des réseaux sous-marins sert aujourd’hui les besoins propres des OTT. En effet, si la croissance internationale du trafic IP continue de croître à des taux plus qu’enviables (+22 % par an), le développement du trafic entre centres de données (+44 % par an) a définitivement pris le pas sur les échanges « d’homme à homme ».
En effet, du fait de l’implantation continentale des « méga datacenters », la sécurisation des données exige des stockages simultanés en différents endroits de la planète et un transfert permanent de données afin de minimiser le coût d’exploitation de ces datacenters.
Pour répondre aux besoins croissants de capacité, de connectivité et de flexibilité, les routes sous-marines se multiplient afin d’offrir une résilience accrue.
De 1998 à 2009, grâce au multiplexage en longueur d’onde, la capacité de transmission d’une fibre sous-marine est passée de 20 Gbit/s (8 longueurs d’onde modulées chacune en intensité à 2,5 Gbit/s) à 1 Tbit/s (100 longueurs d’onde à 10 Gbit/s).
Avec l’arrivée de la technologie de détection cohérente en 2010 qui permet de détecter désormais, en plus de l’intensité, la phase et la polarisation du champ électromagnétique, il est possible d’utiliser des formats de modulation — combinant codage en phase et en intensité au multiplexage en polarisation — portant cette capacité à 20 Tbit/s par fibre, soit 200 Tbit/s pour un câble comportant 10 fibres optiques par sens de transmission.
Par ailleurs, les liaisons sont équipées d’unités de raccordement en mer capables de rediriger à la demande tout ou partie du trafic entre les différentes stations d’extrémité connectées au réseau terrestre.
Outre les applications de télécommunications, l’introduction de la fibre au sein des réseaux sous-marins permet d’offrir de nouvelles fonctionnalités en connectant des senseurs externes à la liaison (hydrophones, accéléromètres…) ou en utilisant la fibre elle-même en tant que capteur intrinsèque, sensible aux ondes acoustiques, vibratoires, etc.
Les réseaux sous-marins ne connectent plus seulement le monde de continent à continent, ils permettent également de sonder les fonds en recherche sismique et d’assurer la sécurité des infrastructures critiques militaires ou civiles.
DES GRANDS PROJETS D’INGÉNIERIE COMPLEXES
L’industrie de ces réseaux s’est structurée autour de systémiers intégrés verticalement qui proposent des solutions clés en main, incluant à la fois la conception, la fabrication, l’installation terrestre et marine, ainsi que l’exploitation et la maintenance du système complet pendant sa durée de vie.
Un système sous-marin est constitué de différents éléments :
- une section terrestre (« Dry Plant ») composée de l’alimentation haute tension (15 kV) de la liaison sous-marine, des terminaux et des réseaux de transmission terrestres connectant les centres de données (points de présence « PoP ») aux stations d’atterrage des câbles.
Le cœur des terminaux est constitué du multiplexage de plusieurs longueurs d’onde modulées à très haut débit. Grâce à la combinaison de la détection optique cohérente et du traitement numérique du signal, il est possible de coder à la fois l’amplitude et la phase de chacun des deux axes de polarisation de chaque longueur d’onde optique. Comme en radio, il est possible de transmettre plusieurs bits par symbole émis et le codage est adapté à la distance de transmission.
Plus récemment, des techniques dites « Probabilistic Constellation Shaping » permettent d’imaginer que d’ici deux à trois ans, la capacité de transmission sur une fibre optique aura atteint la limite théorique énoncée par Shannon en 1948. - une section sous-marine (« Wet Plant ») comprenant le câble sous-marin intégrant la liaison optique et les différents équipements optoélectroniques immergés (répéteurs, unités de raccordement, senseurs…). En effet, pour compenser l’atténuation de la fibre, le signal optique est périodiquement amplifié par des amplificateurs optiques à fibre dopée Erbium (« EDFA ») dont l’espacement varie entre 60 et 130 km suivant la longueur du réseau et la capacité transmise. Ces répéteurs sont conçus pour fonctionner durant 25 ans sans défaut, car toute panne entraînerait l’arrêt du trafic.
Un répéteur peut contenir jusqu’à 32 EDFAs et doit posséder les propriétés de résistance à la pression (800 bar correspondant à 8000 m d’immersion), de tenue à la tension électrique (15 kV) et d’étanchéité à l’eau ainsi qu’à l’hydrogène.
Le câble à proprement parler est composé d’un tube d’acier inoxydable de 2 mm de diamètre contenant les 32 fibres optiques protégées par un gel, une voûte constituée d’une torsade de fils d’acier destinés à garantir la résistance à la pression et à la torsion lors du lovage en usine ou sur le navire, d’un conducteur de 0,5 mm d’épaisseur et d’1,0 ohm/km de résistivité qui permet d’alimenter en courant continu (1 A) les répéteurs depuis les stations d’atterrage, d’un enrobage de polyéthylène destiné à assurer l’isolation électrique entre le conducteur et l’eau de mer, et enfin d’une armure protectrice composée de torons d’aciers d’un diamètre de 3 mm maintenus par un composite de goudron et de fibres polypropylène.
La conception de la liaison implique de trouver les meilleurs compromis de route et d’ensouillage en fonction des contraintes bathymétriques et des menaces sous-marines (sismiques, chalutage, ancrage…) tout en gardant le meilleur ratio vitesse/contraintes de pose par le navire câblier.
Le tout est recetté sur la base d’une performance optique de bout en bout : capacité, latence, traitement/reconnaissance du signal transmis… Les systémiers doivent alors maîtriser plusieurs dizaines de corps de métiers différents, depuis l’ingénierie système jusqu’aux compétences électroniques, optiques, mécaniques, thermiques, électriques, fiabilité, en passant par l’ingénierie marine ou la conduite de grands projets d’infrastructures.
La maîtrise de ce très grand éventail de compétences a donné lieu à une concentration autour de trois grands acteurs : Alcatel Submarine Networks, TE Subcom et NEC. Ils disposent de capacités de R&D importantes (entre 5 et 8 % du CA), de moyens industriels conséquents et de flottes de navires avec leurs équipements spécialisés (drônes, engins sous-marins téléguidés) nécessaires à la pose ainsi qu’à la maintenance des systèmes déployés.
DES INFRASTRUCTURES SOUTENANT LES APPLICATIONS TEMPS-RÉEL DE DEMAIN
La performance technologique des systèmes à fibre optique augmente de façon continue, afin de servir des applications de plus en plus gourmandes en bande passante : réseaux mobiles 4G/5G, streaming vidéo ultra-haute définition (8K), objets connectés/M2M, transactions financières à haute fréquence.
La tendance devrait continuer à s’accélérer : de nouvelles applications temps-réel, comme la réalité virtuelle, la réalité augmentée ou encore les véhicules autonomes, exigeront des futurs réseaux internationaux un bond important en matière de capacité et de réduction des temps de latence. Par exemple, les applications de réalité virtuelle et de réalité augmentée (si possible en 360° interactive !) exigent une bande passante 25 fois plus élevée que le streaming vidéo en HD, ainsi qu’un temps de latence réduit à moins de 0,1 ms afin d’offrir fluidité et réalisme.
D’autres applications dynamiques tendent à couvrir des besoins sociétaux apportant aux territoires les plus isolés les bienfaits du e‑learning interactif, de la télémédecine ou de la traduction simultanée automatisée.
Le volume de données transporté d’ici 2025 devrait ainsi être multiplié par 60, tout en améliorant le niveau de sécurisation (redondance et chiffrage des données) et de résilience des réseaux.
Après plus d’un siècle, il est pour le moins fascinant que ce secteur, à la croisée des industries mécaniques, navales, électroniques et optiques, soit toujours au cœur des évolutions technologiques les plus avancées.
Les réseaux sous-marins ont su préempter des technologies d’avant-garde, tout en préservant leur ADN d’infrastructures à très haute fiabilité. Car la bonne marche du monde entier en dépend !