Les richesses exceptionnelles d’une nature vierge en voie de disparition
Au Brésil et comme dans la plupart des pays en voie de développement, la protection de l’environnement est encore très souvent subordonnée aux intérêts économiques du pays, et en particulier à ceux d’une minorité influente. Cet article se propose de présenter un panorama général de l’environnement au Brésil.
Après une courte description des grands écosystèmes brésiliens, nous essaierons de comprendre pourquoi ils sont tous aujourd’hui tellement menacés.
Vues de la forêt tropicale côtière
Près de Belo Horizonte, dans l’État du Minas Gerais au Sud-Est du Brésil, l’aire protégée de « Lagoa Santa » a été créée pour préserver une parcelle de forêt tropicale intacte et un grand lac d’eau pure. Cette aire protégée est possédée par quelques grands propriétaires terriens qui doivent y suivre des règles strictes pour pouvoir y développer des activités humaines. L’un des propriétaires, pour augmenter les revenus qu’il tirait de ses terres, voulut un jour construire un grand hôtel de luxe dans la forêt au-dessus du lac. Son fils me raconta qu’il en discuta un jour avec un de ses amis, un des directeurs de l’IBAMA, l’institut brésilien de protection de l’environnement. Celui-ci lui répondit que, bien sûr, le projet d’hôtel n’était pas envisageable dans une aire protégée mais que si la forêt un jour brûlait malencontreusement il n’y aurait plus de riche écosystème à préserver.
Des écosystèmes extrêmement riches et variés
Les différents écosystèmes brésiliens
Pour bon nombre d’Européens qui connaissent peu ce pays, la nature au Brésil se réduit à des plages paradisiaques sur la côte Atlantique et à la forêt amazonienne à l’intérieur des terres. L’Amazonie occupe effectivement une grande partie du pays : 3,6 millions de km2, soit 42 % du territoire brésilien ou environ sept fois la France. La forêt tropicale humide qui la recouvre est l’écosystème le plus riche au monde, il abrite 20 % de toutes les espèces végétales terrestres, 20 % des espèces d’oiseaux, 10 % des espèces de mammifères.
L’Amazonie est d’une importance capitale pour l’Homme. C’est d’abord la plus grande réserve de biodiversité de la planète, où il reste des milliers d’espèces végétales et animales à cataloguer, où quelques 1 300 plantes amazoniennes possèdent des vertus thérapeutiques reconnues et d’autres sont découvertes tous les jours. Environ un quart des médicaments utilisés dans les pays développés contient des substances provenant des forêts tropicales. En d’autres termes, un traitement pour le sida ou le cancer pourrait se cacher dans la faune ou la flore de cette région.
L’Amazonie est aussi l’une des dernières grandes et sauvages régions non désertes de la planète que l’Homme a l’opportunité de laisser en l’état aux générations futures. Cette forêt possède encore ses secrets. Le long de quelques lointains affluents de l’Amazone des territoires demeurent inexplorés, des territoires qui abritent encore peut-être des communautés humaines restées inconnues du monde extérieur.
Mais le Brésil ne se réduit pas à l’Amazonie. D’autres écosystèmes presque aussi riches et variés occupent plus de la moitié du pays :
• la Caatinga couvre 11 % de la surface du pays, soit 844 000 km2. Elle recouvre le Nordeste, région semi-aride au Nord-Est du pays, et est composée essentiellement de cactées et de buissons d’épineux adaptés au manque d’eau et à la chaleur ;
• le Cerrado est une espèce de savane parsemée d’arbres bas, de broussailles, de palmiers, qui laisse parfois la place à des forêts plus épaisses près des cours d’eau. Il recouvre les immenses plateaux élevés du centre du Brésil, sur une étendue de deux millions de km2 environ. C’est un écosystème riche, renfermant plus de 10 000 espèces végétales, dont 44 % n’existent nulle part ailleurs ;
• le Pantanal occupe 140 000 km2 au centre du Brésil, à la frontière avec la Bolivie et le Paraguay. C’est la plus grande zone marécageuse non côtière du monde. C’est une immense cuvette à 2 000 km de l’Atlantique mais à 100 mètres d’altitude seulement, qui est inondée près de six mois par an. Elle est le refuge de 650 espèces d’oiseaux différentes, et abrite bon nombre d’animaux qui habitent aussi la forêt amazonienne mais qui sont beaucoup plus facilement observables dans les paysages découverts de savanes et marais du Pantanal : l’anaconda, le jaguar, l’ocelot, le fourmilier, plusieurs espèces de singes, le tapir, 10 à 35 millions d’alligators et bien d’autres…
• la forêt tropicale côtière ou « Mata Atlântica ». C’est « l’autre » forêt tropicale qui s’étire sur plusieurs milliers de kilomètres le long des côtes Atlantiques, du Nordeste jusqu’au Sud du pays. Elle occupait initialement un million de km2 et renfermait un écosystème très riche et sensiblement différent de l’Amazonie, mais aujourd’hui les trois quarts de la population brésilienne et des grandes villes industrielles sont installés là où s’étendait la forêt côtière ;
• la Pampa au Sud du pays est une zone de prairies semblable à la pampa argentine où les « gauchos », les cow-boys d’Amérique du Sud, pratiquent l’élevage extensif.
Vues des plateaux du Cerrado
Grâce à la diversité et la richesse de ses écosystèmes, le Brésil est un paradis pour les amoureux de nature. Ils passeront des vacances mémorables à randonner dans quelques-unes des 350 régions protégées. Les parcs nationaux offrent une magnifique palette des plus beaux paysages du pays : les hauts plateaux dénudés du Cerrado bordés de grandes falaises calcaires d’où s’élancent des majestueuses cascades de plusieurs centaines de mètres de haut, la forêt tropicale côtière qui semble se jeter dans l’océan en façonnant de part en part des petites criques sauvages et des plages désertes, les célèbres chutes d’Iguaçu où un fleuve grand comme sept fois le Rhône s’éparpille en 275 cascades pour franchir des falaises d’une centaine de mètres de haut, la faune extraordinaire et facilement observable du Pantanal, l’Amazonie qu’il faut découvrir avec un guide local pendant une à deux semaines pour espérer en pénétrer quelques secrets…
Malheureusement, le Brésil est tout autant réputé pour la beauté de ses richesses naturelles que pour les mauvais traitements que l’Homme leur inflige. Les menaces qui pèsent sur la forêt amazonienne sont bien connues mais il faut savoir aussi que les autres écosystèmes brésiliens sont encore plus menacés. Il ne reste aujourd’hui que 7 % de la forêt tropicale côtière qui existait au début du XVIe siècle lors de l’arrivée des Portugais. Au rythme actuel des dévastations, l’écosystème du Pantanal devrait disparaître en 2045, celui du Cerrado en 2030. Quant à l’Amazonie, en 1999, un tiers de sa forêt avait déjà été détruit.
Une économie historiquement basée sur l’exploitation des ressources naturelles
Depuis l’arrivée des Portugais au Brésil il y a cinq siècles et jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle, l’histoire du développement économique du pays se confond avec l’histoire de l’exploitation de ses ressources naturelles. En tant que colonie, le rôle donné par le Portugal au Brésil était la production de matières premières, d’or et de sucre. Après la fin de la colonisation, l’économie du Brésil est restée encore longtemps basée sur l’exploitation des richesses de son sol jusqu’à l’industrialisation effectuée à marche forcée à partir des années 1960.
Front pionnier de déboisement vers Alta Floresta, 2004.
Dès le XVIe siècle et tout au long du XVIIe siècle, les premières parcelles de terres sur la côte Atlantique sont défrichées pour planter la canne à sucre puis se développent rapidement. Des dizaines de milliers d’esclaves africains arrivent pour travailler dans des grandes exploitations dirigées par quelques riches Portugais. La jeune colonie progressait alors « en crabe » le long des côtes selon une expression d’un chroniqueur de l’époque qui est restée célèbre. À juste titre, puisque la production était entièrement destinée à l’exportation et que l’intérieur des terres était encore peuplé de tribus indigènes inconnues et hostiles.
Au cours du XVIIe siècle, les garimpeiros, des bandes d’aventuriers souvent métis portugais-indiens explorent l’intérieur des terres à la recherche de l’or. Ils le découvrirent en 1690 dans l’arrière-pays de Rio de Janeiro, la région qui s’appelle aujourd’hui le Minas Gerais, où les perspectives de s’enrichir rapidement attirèrent en un siècle 500 000 Européens. Lorsque les filons se tarirent à la fin du xviiie siècle, les forêts du Minas Gerais laissèrent la place à des pâturages pour le bétail.
Au début du XVIIIe siècle, quelques graines inconnues furent importées au Brésil. Un siècle plus tard, en parallèle au déclin de la canne à sucre, le café devenait quasiment une monoculture nationale. La plus grande partie de la forêt tropicale côtière fut défrichée pour laisser place à des immenses plantations de café qui employaient chacune des milliers d’esclaves, et qui sont à la base de la structure extrêmement inégalitaire de la société brésilienne actuelle, la réforme agraire et le partage des terres n’ayant été que très peu mis en œuvre.
A la fin du XIXe siècle et au début du siècle suivant, c’est l’Amazonie qui connut un autre bouleversement économique et fut pour la première fois exploitée à grande échelle par l’Homme. L’hévéa, ou arbre à latex, devint une manne inespérée pour la région au fur et à mesure que l’industrie automobile se développait en Amérique du Nord. En 1912, Manaus, la capitale de l’Amazonie, l’une des villes les plus isolées du monde, cernée dans toutes les directions par plusieurs milliers de kilomètres de forêt vierge, possédait l’électricité, plusieurs tramways et un grandiose opéra.
Le défrichage de la forêt amazonienne s’accéléra au début des années 1970, quand la dictature militaire y traça des grandes routes comme la transamazonienne pour faciliter la pénétration du territoire. Des dizaines de milliers de paysans pauvres quittèrent les terres arides du Nordeste pour aller défricher et cultiver des parcelles de forêt en Amazonie. La technique qu’ils utilisent encore aujourd’hui est la culture sur brûlis, n’assurant que quelques années de récoltes à cause de la grande pauvreté du sol. Ils vendent ensuite pour des sommes dérisoires leurs terres aux éleveurs de bétail qui achèvent de les rendre stériles. Depuis près de quarante ans des petits paysans s’avancent ainsi graduellement dans les profondeurs de la forêt. Bien des organisations qui luttent pour la préservation de l’Amazonie oublient que des millions de Brésiliens y survivent de cette manière pour tenter d’échapper à la misère.
Mais depuis vingt-cinq ans la majeure partie des dommages subis par l’Amazonie est à attribuer à des grandes entreprises multinationales.
En effet, dans les années quatre-vingt, le Brésil vendit des concessions gigantesques à des entreprises étrangères pour rembourser la dette de l’État au FMI. À cause des mauvaises conditions d’exploitation et de l’isolement, l’exploitation du bois fut un immense gâchis. À peine un arbre coupé sur cinq était en fin de compte réellement utilisé.
Un exemple bien connu de ce type d’exploitation à grande échelle et calamiteuse de la forêt est celle du projet Jari créé par le milliardaire américain Ludwig. En quelques années il réduisit à néant 12 000 km² de forêt vierge (superficie supérieure à celle du Liban), embaucha quelques 30 000 ouvriers qui travaillèrent dans des conditions semi-esclavagistes pour fabriquer de la cellulose et produire 50 000 têtes de bétail par an. Mais l’entreprise fit faillite et les ouvriers s’entassent aujourd’hui dans les favelas de Laranjal, Santarém et quelques autres villes de l’Amazonie.
Le soja, la nouvelle menace qui plane sur l’Amazonie
Le Brésil est le premier exportateur mondial de soja. L’essentiel de la production est vendu en Europe pour nourrir le bétail, en remplacement des farines animales désormais interdites. Les cultures de soja couvrent au Brésil 230 000 km2 (près de la moitié de la France), essentiellement là où s’étendait l’écosystème fragile du Cerrado. Mais aujourd’hui c’est sur la forêt amazonienne qu’elles gagnent du terrain à un rythme de 10 000 km2 par an. Une partie de la production est assurée par des immenses propriétés détenues par des hommes d’affaires brésiliens influents qui sont souvent les descendants directs des « fazendeiros » portugais qui s’étaient partagés le territoire brésilien quatre siècles auparavant. Le lobby de ces grands propriétaires terriens qui militent pour l’avancée des cultures en Amazonie est d’autant plus efficace qu’ils sont souvent liés au pouvoir.
Blário Borges Maggi, le gouverneur du Mato Grosso, l’État amazonien le plus menacé par les cultures de soja, est l’un des plus grands producteurs de soja au monde et est l’illustration parfaite de ces fazendeiros qui concentrent en leurs mains pouvoirs économique et politique. Son entreprise possède 50 000 hectares de soja. Il soutient publiquement le déplacement de la frontière agricole vers le nord de l’Amazonie. À tel point qu’il a été jusqu’à proposer de goudronner le tronçon d’une route qui n’est pas dans son état pour faciliter l’évacuation des récoltes de soja.
Les autres acteurs importants de la production du soja en Amazonie sont les multinationales étrangères. La plus grande et la plus active en Amazonie est Cargill, le géant américain des produits agroalimentaires. Il y a quatre ans, cette entreprise construisit un important port privé à Santarém, au centre de l’Amazonie, de manière illégale car sans étude d’impact environnementale préliminaire, pour embarquer par bateau les récoltes de soja. En 2005, Cargill exporta, seulement vers Liverpool, 220 000 tonnes de soja, soit 30 % des importations britanniques de soja.
C’est désormais un paysage aride et monotone qui entoure la paisible ville de Santarém. Certains paysans sont restés, aidés par Cargill qui leur prête des tracteurs pour défricher la forêt et cultiver le soja, mais une grande partie de la population locale a été obligée de quitter la région car la culture du soja est très mécanisée et ne crée donc que très peu d’emplois.
Aujourd’hui la moitié de la production mondiale de soja est génétiquement modifiée. Au Brésil, la culture de soja OGM a été récemment autorisée par le gouvernement Lula et s’étend rapidement. Le soja rendu résistant aux herbicides par modification génétique permet l’augmentation des rendements grâce à l’utilisation en grandes quantités d’herbicides. Le Brésil est le troisième consommateur mondial d’herbicides et la culture du soja absorbe 50 % de cette consommation qui pollue très fortement les rivières en aval des cultures.
La culture de soja génétiquement modifié présente l’inconvénient supplémentaire d’entraîner une dépendance des paysans envers une poignée d’entreprises (Monsanto, BASF, Syngenta…) auxquelles ils sont obligés de racheter tous les ans les semences OGM.
L’apparition timide de quelques projets de développement durable
En marge des grands projets de défrichage de la forêt destinés à des cultures ou à des constructions d’infrastructures (routes, barrages hydroélectriques, aéroports…), se développent ces dernières années des projets aux dimensions plus modestes et compatibles avec les exigences du développement durable.
L’un des projets qui combinent le mieux préservation des richesses naturelles et développement économique est la cueillette de la noix du Brésil. Dans l’État bien préservé de l’Amapa par exemple, où seulement 2 % des 143 000 km² de l’État sont marqués par la trace de l’Homme, des anciens travailleurs du projet Jari se sont associés en coopérative en 1995 pour organiser la cueillette de noix du Brésil dans une parcelle de 915 000 hectares de forêt primaire. Une fois cueillie, la noix est broyée en farine pour confectionner un biscuit qu’ils vendent avec des marges beaucoup plus intéressantes que le fruit brut non transformé.
Depuis une dizaine d’années, il existe aussi des projets d’exploitation du bois tropical respectueux de l’écosystème de la forêt. Les territoires concernés sont découpés en parcelles qui sont exploitées à tour de rôle pour leur laisser le temps de se régénérer et, dans chaque parcelle, certains spécimens parmi les plus grands sont laissés en place pour la fertiliser à nouveau.
En 1993, après le sommet de Rio, un label d’écocertification du bois fut créé : le label FSC (Forest Stewardship Council ou Conseil de bonne gestion forestière), qui permet de s’assurer que le bois acheté provient de forêts gérées durablement. Depuis lors, certaines entreprises européennes se sont engagées à n’acheter que du bois écocertifié : la première fut Ikea, puis Lapeyre, Leroy Merlin et Castorama prirent le train en marche. Mais aujourd’hui la France reste le premier importateur européen de bois tropical non écocertifié. La plupart des acheteurs de bois de construction continuent trop souvent à opter pour la solution la moins chère plutôt que pour la préservation des forêts tropicales. Il est à noter que l’État français, qui achète pour les marchés publics 25 % du bois importé en France, semble déterminé à rattraper son retard puisqu’il s’est fixé comme objectif d’acheter 100 % de bois écocertifié en 2010.
Quel avenir pour l’Amazonie ?
Aujourd’hui le rythme de la déforestation en Amazonie est de 20 000 à 25 000 km² par an, soit quatre hectares par minute. La tendance n’est pas au ralentissement. Dans les autres régions du Brésil, l’élevage extensif et l’extraction de minerais augmentent encore leur emprise sur les écosystèmes originels, les villes continuent leur expansion et rares sont celles qui traitent leurs déchets et leurs eaux usées.
À propos de l’Amazonie, Lula déçut beaucoup les organisations de protection de l’environnement quand entre 2003 et 2004 une augmentation importante du rythme de déboisement fut constatée après son arrivée au pouvoir. Mais la politique de Lula ne pourra être jugée qu’à l’aune de ses résultats à moyen et long terme. Il s’est indéniablement investi contre l’exploitation illégale de la forêt, pour que la législation qui protège l’environnement soit mieux appliquée.
Il existe en effet au Brésil une législation très étendue qui protège une partie importante des écosystèmes et des territoires indigènes. En théorie, 20 % du territoire brésilien et un tiers de la forêt amazonienne sont préservés par la loi. Mais il y a encore beaucoup trop peu de moyens pour contrôler l’application des lois. L’IBAMA ne dispose pas du budget de fonctionnement à la hauteur de la tâche et les menaces de mort sont monnaie courante en Amazonie pour les fonctionnaires trop zélés.
Il existe la même contradiction entre théorie et pratique au sein de l’opinion publique brésilienne. Les Brésiliens sont très attachés à leur nature et conscients de ses richesses mais, par manque d’éducation, la majeure partie d’entre eux est encore très peu informée des défis environnementaux qu’affronte leur pays. Même la frange la plus riche de la population qui a pourtant des revenus bien supérieurs à la plupart des Européens (10 % de la population brésilienne possèdent 46 % des richesses du pays) ne se soucie que très peu des problématiques environnementales locales et globales. La route est par exemple systématiquement privilégiée par rapport à tout autre moyen de transport moins polluant. À tort ou à raison, le réchauffement climatique est considéré par cette élite économique comme un problème des pays du Nord.
Début 2007, Lula a dévoilé son Plan pour l’accélération de la croissance (le PAC). Il prévoit 235 milliards de dollars d’investissement en quatre ans dans le domaine des infrastructures de production d’énergie et de transport essentiellement. En Amazonie, deux nouveaux barrages sur des affluents de l’Amazone sont prévus, des nouvelles routes seront construites pour faciliter l’évacuation de la production de soja, la frontière agricole sera repoussée pour augmenter la surface de terres cultivées. L’idée ancienne que le Brésil s’est développé et se développera en exploitant ses territoires vierges est manifestement toujours d’actualité.
Le PAC a été critiqué par les pays européens et quasiment toutes les associations écologiques. Mais Lula estime que sur le plan environnemental, le Brésil n’est pas un mauvais élève. En effet, son pays est à la tête de la révolution verte des biocarburants (qui n’est en fait pas aussi « verte » que ce qu’en disent les promoteurs), et plus de 80 % de son énergie électrique provient de l’hydroélectricité grâce à un relief et une pluviométrie favorables. Un seul barrage gigantesque, le barrage d’Itaipu, produit 14 GW d’électricité, soit 20 % de l’énergie consommée au Brésil et 90 % de la consommation du Paraguay.
Lula refuse donc de recevoir des leçons des pays du Nord et n’admet aucune ingérence de leur part à propos de la gestion de l’Amazonie. Au mois de février 2007, il déclarait : « Les pays riches sont malins, ils édictent des normes contre la déforestation, après avoir détruit leurs propres forêts. »
Les chiffres lui donnent raison. Au Brésil, les deux tiers de la forêt primaire sont intacts, alors qu’il ne reste que 0,3 % des forêts qui couvraient l’Europe il y a huit mille ans.
Il omet toutefois d’évoquer dans son discours les immenses « queimadas » ou brûlis en Amazonie, qui placent le Brésil au 4e rang de production de CO2 dans le monde…
Il est donc certain que la déforestation continuera encore longtemps au Brésil. L’avenir est sombre pour l’Amazonie. La meilleure solution pour sa préservation serait probablement un moratoire international avec des moyens financiers importants des pays développés pour assurer sa protection sur le terrain. Mais dans un pays où un tiers de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, tous les acteurs de la vie économique et politique considèrent que la croissance du PIB a la priorité sur le reste et que la sanctuarisation de l’Amazonie est inenvisageable. Il est difficile de leur donner complètement tort.
Par contre il est légitime d’espérer que ces projets de développement économique soient durables et que leurs fruits soient équitablement partagés. Or, au Brésil, les mégaprojets d’infrastructures n’ont jamais montré qu’ils pouvaient générer des revenus équitablement répartis parmi les différentes classes de la population tout en respectant suffisamment l’environnement pour assurer leur pérennité. En Amazonie, les sols exploités de manière intensive s’appauvrissent en quelques années, les barrages sont comblés par les limons, même les grands projets routiers ambitieux comme la transamazonienne se détériorent rapidement et deviennent vite impraticables pendant les six mois de la saison des pluies.
Les solutions conformes à l’esprit du développement durable sont des projets de plus petites dimensions comme les projets de cueillette de noix ou d’exploitation de bois écocertifié mentionnés plus haut. Mais la répartition extrêmement inégalitaire des terres au Brésil, le difficile accès aux prêts bancaires pour les paysans, leur manque d’éducation agricole et environnementale sont des obstacles de taille pour que ces petits projets soient réalisés un jour à grande échelle.
Rappelons pour terminer que les Européens sont les premiers importateurs de produits agricoles au monde. Or les entreprises agroalimentaires qui importent et transforment les produits agricoles issus des régions tropicales sont à l’écoute des exigences de leurs clients. Chacun d’entre nous, en tant que consommateur au supermarché, preneur de décision dans une entreprise ou pour l’État français, diffuseur d’opinion, a donc un rôle à jouer pour freiner la destruction des écosystèmes des régions tropicales.
Voici quelques pistes que suivront ceux qui se considèrent comme des citoyens du monde : acheter des meubles ou promouvoir des constructions en bois écocertifié, réduire sa consommation de viande provenant d’Amérique latine ou d’animaux nourris avec de la farine de soja (les poulets élevés en batterie, la viande des fast-foods…), privilégier les produits alimentaires issus du commerce équitable ou de l’agriculture biologique, promouvoir les mécanismes de développement propre du protocole de Kyoto, être un consommateur responsable en général en exigeant toujours de connaître l’origine des produits achetés.