Les sciences et les techniques au service des hommes

Dossier : Libres proposMagazine N°571 Janvier 2002
Par Jacques BOURDILLON (45)

Le xxe siècle est un siècle riche : fin des idéo­lo­gies tota­li­taires (léni­nisme et nazisme), pro­grès explo­sif des sciences et des tech­niques, accrois­se­ment spec­ta­cu­laire de l’es­pé­rance de vie et du bien-être, mais aus­si hélas, creu­se­ment des inéga­li­tés dans la plu­part des pays et entre les grandes régions du monde. Le XXIe siècle ne ver­ra cer­tai­ne­ment pas la fin du tra­vail (qu’il fau­drait plu­tôt réha­bi­li­ter !), ni la fin de l’his­toire, encore moins la fin de la science. On parle aus­si de fin des cer­ti­tudes. L’in­cer­ti­tude n’est pas nou­velle pour les scien­ti­fiques qui, tout au long de l’his­toire, ont tou­jours remis en ques­tion des cer­ti­tudes momen­ta­nées. Leur ori­gi­na­li­té étant la pra­tique du doute sys­té­ma­tique, ils n’ont jamais eu et n’au­ront jamais beau­coup de cer­ti­tudes.

Le XXIe siècle ver­ra d’autres idéo­lo­gies : on parle beau­coup de l’é­co­no­misme, avec une telle una­ni­mi­té pour le condam­ner que l’on peut pen­ser qu’il n’i­ra pas bien loin ; on parle de résur­gences du scien­tisme sus­cep­tibles de remettre en cause les valeurs de l’hu­ma­nisme, je ne suis pas inquiet car je ne connais pas beau­coup de scientistes.

On parle aus­si, et c’est plus inquié­tant à mes yeux, de l’é­co­lo­gisme et de l’an­ti­mon­dia­lisme, deux idéo­lo­gies appuyées sur la peur, la dés­in­for­ma­tion et le ter­ro­risme intel­lec­tuel, dont le dis­cours est deve­nu domi­nant, et que l’on peut consi­dé­rer comme anti­hu­ma­nistes, pas­séistes et mal­thu­siennes : la crois­sance démo­gra­phique (jugée néfaste) est attri­buée aux pro­grès des sciences et des tech­niques (notam­ment dans les domaines de l’a­li­men­ta­tion et de la san­té), l’homme se per­met d’a­mé­na­ger la pla­nète (mais il n’au­rait aucun droit à se consi­dé­rer comme le jardinier/usufruitier de la nature car il est un ani­mal comme les autres)… Les sciences et les tech­niques sont l’ob­jet d’une méfiance inex­pli­cable et injustifiée.

Cette méfiance est plus forte en France que dans le reste du monde alors que notre pays avait été aux XVIIIe et XIXe siècles le ber­ceau d’un déve­lop­pe­ment scien­ti­fique sans pré­cé­dent, dont le monde entier a pro­fi­té. Or nous ne pou­vons pas nous conten­ter d’une vision rétré­cie des choses dans l’es­pace et dans le temps. Une telle vision conduit en effet à une sous-esti­ma­tion consi­dé­rable des besoins des pays pauvres et des géné­ra­tions futures, dans tous les domaines : ali­men­ta­tion, san­té, eau, éner­gie, trans­ports, habi­tat, amé­na­ge­ment de l’es­pace, etc., c’est la rai­son pour laquelle il est urgent de conti­nuer à accroître la connais­sance, à déve­lop­per la tech­nique, à dif­fu­ser à tous les enfants du monde une ins­truc­tion qui les vac­cine contre l’i­gno­rance, la super­sti­tion et l’obs­cu­ran­tisme. Ces besoins s’ex­priment notam­ment dans cer­tains domaines stra­té­giques (génie géné­tique, éner­gie nucléaire, etc.). Je pro­pose donc une réflexion sur la place des sciences et des tech­niques dans l’o­pi­nion et un plai­doyer en leur faveur.

La science, les médias et l’opinion publique

La science a mauvaise presse, comment ?

André Bre­ton vis­cé­ra­le­ment anti­nu­cléaire écri­vait le 18 février 1958 : » Démas­quez les phy­si­ciens, videz les labo­ra­toires « , le phé­no­mène qui n’est donc pas récent est lar­ge­ment ana­ly­sé dans l’ou­vrage de Phi­lippe Kou­rils­ky La science en par­tage. J’ai cru pou­voir reprendre cette ana­lyse en la complétant.

  • On a ten­dance à glo­ba­li­ser la res­pon­sa­bi­li­té d’un cer­tain nombre d’er­reurs, d’é­checs, de fautes pour en repor­ter une par­tie sur la science deve­nue le bouc émis­saire des maux de l’humanité.
  • On s’in­ter­roge sur la réa­li­té de l’in­dé­pen­dance de cer­tains scien­ti­fiques écar­te­lés entre les inté­rêts finan­ciers de leur employeur (public, pri­vé, ou >Ong) en oppo­si­tion avec l’ex­pres­sion de la vérité.
  • Assi­mi­lée par cer­tains à un scien­tisme bor­né, inté­griste, arro­gant, pri­maire, hégé­mo­nique et conqué­rant, la science serait deve­nue un dan­ger mor­tel pour l’hu­ma­ni­té. Les oppo­sants aux bio­tech­no­lo­gies ou au nucléaire seraient des » huma­nistes « , leurs par­ti­sans seraient des » idéo­logues scien­tistes » !
  • Les scien­ti­fiques sont sou­vent pré­sen­tés comme peu sou­cieux de l’u­sage que l’hu­ma­ni­té pour­rait faire de leurs décou­vertes, comme des appren­tis sor­ciers avec les traits d’un savant fou : en contre­par­tie de bien­faits cer­tains, la science ferait cou­rir à l’hu­ma­ni­té des risques insupportables.
  • Cer­tains consi­dèrent que » la science s’est dis­qua­li­fiée  » en accep­tant de se mettre au ser­vice des deux tota­li­ta­rismes du XXe siècle (nazisme et sta­li­nisme), il est vrai qu’à l’ins­tar d’Hei­sen­berg, de Lys­sen­ko et de Mit­chou­rine un cer­tain nombre de savants ont ser­vi l’Al­le­magne nazie et l’URSS léniniste.
  • Mais il ne faut pas oublier qu’au péril de leur vie d’autres savants ont rejoint le camp de la liber­té : par­mi les­quels Albert Ein­stein qui a su appli­quer le prin­cipe de pré­cau­tion en conseillant au pré­sident Roo­se­velt de déci­der la fabri­ca­tion de la pre­mière bombe ato­mique de peur d’être devan­cé par Hitler.
  • Ces ques­tions ne sont pas trai­tées de la même façon en Europe, en France et dans le reste du monde, notam­ment aux États-Unis, où la ten­dance est net­te­ment plus favo­rable à la science et à la prise de risque… d’où l’in­té­rêt des com­pa­rai­sons internationales…
  • Néan­moins il existe, aus­si aux États-Unis, des éco­ter­ro­ristes, ani­més par une véri­table haine de la civi­li­sa­tion tech­no­lo­gique (qui se réclament par­fois de Jacques Ellul et de John Zer­zan) : faut-il rap­pe­ler que, bien avant les atten­tats de Ben Laden contre les Twin Towers de New York, un cer­tain Théo­dore J. Kac­zyns­ky plus connu sous le pseu­do­nyme d’U­na­bom­ber (un pour uni­ver­si­ty a pour air­lines) a pen­dant dix-huit ans de 1978 à 1996 (date de son arres­ta­tion) adres­sé des colis pié­gés à de nom­breux uni­ver­si­taires amé­ri­cains (dont deux prix Nobel) fai­sant 2 morts et 23 blessés.

La science a mauvaise presse, pourquoi ?

  • Les drames de ces der­nières années : ces drames d’im­por­tance inégale sont lar­ge­ment média­ti­sés, leurs liens avec la tech­nos­cience ne sont pas tou­jours évi­dents, on fait en outre un amal­game par­fai­te­ment arti­fi­ciel et tota­le­ment injus­ti­fié entre bombe ato­mique, sang conta­mi­né, mala­die de la vache folle, dégra­da­tion du cli­mat, pol­lu­tions diverses, Tcher­no­byl, OGM, déchets nucléaires… Pour­tant, c’est la plu­part du temps grâce aux scien­ti­fiques que les dan­gers (avé­rés ou hypo­thé­tiques) liés à ces affaires ont été détec­tés, c’est d’ailleurs aux scien­ti­fiques que l’on s’a­dresse pour trou­ver et mettre en œuvre les moyens de réduire les risques qui ont été identifiés.
     
  • La grande plu­ra­li­té voire la divi­sion d’une com­mu­nau­té scien­ti­fique libé­rale par nature : il y aura donc tou­jours des opi­nions mino­ri­taires, ce qui ne veut pas dire que tout mino­ri­taire sera for­cé­ment » Gali­lée « . Cette plu­ra­li­té est à l’é­vi­dence cause d’in­quié­tude pour une opi­nion mal informée.
     
  • Les tech­niques de com­mu­ni­ca­tion de la com­mu­nau­té scien­ti­fique : elles sont insuf­fi­santes. Si cer­tains scien­ti­fiques com­mu­niquent trop, d’autres jugent inutile de com­mu­ni­quer. La réa­li­té est la plu­part du temps pré­sen­tée à l’o­pi­nion non par la com­mu­nau­té scien­ti­fique elle-même mais par les médias qui pri­vi­lé­gient le sen­sa­tion­nel et l’ins­tan­ta­né. De ce fait cette com­mu­nau­té est aujourd’­hui en posi­tion d’as­sié­gée par ceux qui croient pou­voir annon­cer la fin de la science.
     
  • Une concep­tion fausse de la pré­cau­tion (assi­mi­lée à l’im­pos­sible risque zéro alors que, dans le même temps, on oublie que la pré­cau­tion a un coût et qu’elle pré­sente elle aus­si des risques) : elle conduit à un véri­table blo­cage du pro­grès (dont la science est un des prin­ci­paux moteurs). J’ai déjà abor­dé ce sujet dans un récent numé­ro de La Jaune et la Rouge (recen­sion de l’ou­vrage de Phi­lippe Kou­rils­ky, Rap­port au Pre­mier ministre sur le prin­cipe de pré­cau­tion). Je n’y revien­drai pas.
  • : elle est presque tou­jours irra­tion­nelle, mais quel­que­fois sal­va­trice, elle peut aus­si être un frein au pro­grès d’une effi­ca­ci­té redou­table. On constate une dis­per­sion des inquié­tudes sans aucun rap­port avec la vraie hié­rar­chie des risques, on montre du doigt les Ong et l’éner­gie nucléaire (dont les risques avé­rés ou poten­tiels sont faibles), mais on n’a pas vrai­ment peur de l’a­no­phèle, du gaz, du char­bon, du tabac, de la drogue, du dopage qui pré­sentent des risques avé­rés considérables…
  • La dés­in­for­ma­tion et le ter­ro­risme intel­lec­tuel qui nour­rissent la peur : ils sont au ser­vice d’i­déo­lo­gies pas­séistes et mal­thu­siennes dont les spé­cia­listes n’ont de cesse de dis­cré­di­ter la science chaque fois que celle-ci leur donne tort, ce qui est fréquent.
  • Les oppo­sants à la science sont nom­breux et orga­ni­sés, par­mi ces oppo­sants se sont suc­cé­dé des clercs ou des laïcs inté­gristes capables de conduire leurs vic­times au bûcher ou à la guillo­tine, les noms de ces vic­times sont connus : Jean Ser­vet brû­lé par Cal­vin, Gior­da­no Bru­no brû­lé par l’In­qui­si­tion, Lavoi­sier et Bailly déca­pi­tés sous la Ter­reur. Une des contri­bu­tions les plus utiles de la com­mu­nau­té scien­ti­fique c’est d’a­voir réus­si par la tolé­rance à faire recu­ler ce genre d’intégrisme…
  • Huit à dix mil­lions de Fran­çais consultent voyants, astro­logues ou gué­ris­seurs, 60 % lisent régu­liè­re­ment des horo­scopes, l’on éva­lue à 60 000 le nombre des spé­cia­listes de la méde­cine para­nor­male soit plus de la moi­tié du corps médi­cal, et l’on constate le même engoue­ment aux États-Unis ! Appa­rem­ment ces pra­tiques laissent tota­le­ment indif­fé­rents nos gou­ver­ne­ments dont les exi­gences sont para­doxa­le­ment sou­vent consi­dé­rables à l’é­gard de leurs com­mu­nau­tés scientifiques…

L’ennemi n° 1 des sciences et des techniques : l’obscurantisme

Le refus de la vérité, la circulation sanguine : William Harvey

Au XVIIe siècle, dans le domaine de la méde­cine, l’au­to­ri­té éma­nait de Galien et d’A­vi­cenne qui furent l’un et l’autre à leur époque de très grands méde­cins, mais qui n’é­taient pas pour autant infaillibles. Galien s’é­tait trom­pé notam­ment dans sa des­crip­tion de l’ap­pa­reil cir­cu­la­toire : il avait don­né au foie un rôle d’or­gane dis­tri­bu­teur et pen­sait que les veines appor­taient le sang aux tis­sus. En 1628, William Har­vey qui avait étu­dié l’a­na­to­mie en Ita­lie, et qui diri­geait l’hô­pi­tal Saint-Bar­tho­lo­mew à Londres publiait à Franc­fort un ouvrage : Exer­ci­ta­tio de motu cor­dis et san­gui­nis in ani­ma­li­bus. S’ap­puyant sur des expé­riences repro­duc­tibles, il démontre les erreurs de Galien et pré­sente une des­crip­tion conforme à la réalité…

Cinq siècles après, per­sonne ne met plus en doute sa décou­verte, mais à l’é­poque il eut dans les grandes villes uni­ver­si­taires de nom­breux contra­dic­teurs qui ne sup­por­taient pas que l’on cri­tique Galien. Phi­lippe Gor­ny a pu dres­ser une carte des villes qui accep­taient ou refu­saient la des­crip­tion par Har­vey de la cir­cu­la­tion sanguine.

Le refus de la nouveauté, pomme de terre et maïs : Antoine Augustin Parmentier

En 1771, une disette ter­rible frappe la Bour­gogne et la Franche-Com­té, Antoine Augus­tin Par­men­tier rem­porte un concours orga­ni­sé par l’a­ca­dé­mie de Besan­çon :  » Il s’a­git d’in­di­quer les végé­taux qui pour­raient sup­pléer en temps de disette à ceux que l’on emploie com­mu­né­ment à la nour­ri­ture des hommes « , son mémoire sur la culture de la pomme de terre (un Ogm de l’é­poque avec déjà le maïs) est deve­nu un classique.

L’a­ca­dé­mie de Besan­çon encou­rage fina­le­ment une culture que le Par­le­ment de Besan­çon avait inter­dite vingt ans aupa­ra­vant en rai­son des pré­ju­gés de l’é­poque qui n’ont rien à envier à ceux que l’on ren­contre aujourd’­hui : la pomme de terre pour­rit faci­le­ment, elle est accu­sée de don­ner des écrouelles, d’ap­por­ter la lèpre, elle est assi­mi­lée à un poi­son comme la man­dra­gore, la bel­la­done, le datu­ra. Par son éner­gie et sa téna­ci­té Par­men­tier finit par triom­pher des pas­séistes de l’é­poque, et réus­sit à faire accep­ter en France la culture de la pomme de terre !

Le refus du risque, le vaccin contre la rage : Louis Pasteur

En juillet 1885, Louis Pas­teur prend le risque de pra­ti­quer 11 injec­tions de moelle conte­nant un virus de la rage de moins en moins atté­nué à un jeune gar­çon qui avait été mor­du par un chien enra­gé et qui était consi­dé­ré comme per­du… l’en­fant est sau­vé… mais on reproche aus­si­tôt à Pas­teur d’a­voir trop légè­re­ment expé­ri­men­té sur l’homme, sans aucune preuve à l’ap­pui, on croit pou­voir accu­ser son vac­cin de don­ner la rage…

À l’é­tran­ger le suc­cès de Pas­teur est una­ni­me­ment recon­nu, on fait appel à lui en Ita­lie, Bel­gique, Rou­ma­nie, il est appe­lé à vac­ci­ner quatre Amé­ri­cains de New York qui gué­rissent tous, puis 29 Russes de Smo­lensk atro­ce­ment muti­lés par un loup (16 sur­vivent). Il est éga­le­ment recon­nu en France (1 324 vac­ci­na­tions dans l’an­née qui suit la pre­mière guérison).

> Les méfaits d’une communication alarmiste : le nuage de Tchernobyl

Sur Tcher­no­byl, les médias ont accu­sé le pro­fes­seur Pel­le­rin d’une com­mu­ni­ca­tion trop ras­su­rante, et d’a­voir dit ce qu’il n’a­vait pas dit (que le nuage s’est arrê­té à la fron­tière). Les faits ont don­né rai­son au pro­fes­seur : le nuage n’a cau­sé aucun dégât en Europe occi­den­tale, tout au plus peut-on lui repro­cher de n’a­voir pas don­né assez d’ex­pli­ca­tions. En revanche la com­mu­ni­ca­tion alar­miste des mêmes médias a cau­sé dans les pays voi­sins des dégâts irré­pa­rables (avor­te­ments inutiles, comme à Sévé­so). Les ouvrages de Bru­no Com­by et de Pierre Bacher donnent une des­crip­tion de ce qui s’est réel­le­ment passé.

La désinformation : le plutonium de Creys-Malville

Je me bor­ne­rai à citer Georges Ven­dryes : » En 1990, un orga­nisme qui se targue d’une totale indé­pen­dance et d’une grande rigueur scien­ti­fique déclare avec force publi­ci­té que Super Phé­nix rejette du plu­to­nium dans le Rhône… Cet orga­nisme fus­ti­geait le défaut de sur­veillance des exploi­tants de la cen­trale et le laxisme des auto­ri­tés de contrôle inca­pables de faire leur tra­vail cor­rec­te­ment. Ces accu­sa­tions firent du bruit à l’é­poque (la man­chette d’un jour­nal du 18 décembre 1990 : » Super Phé­nix : rejet illé­gal de plu­to­nium dans le Rhône »). Or ces allé­ga­tions étaient tota­le­ment dénuées de fon­de­ment… le plu­to­nium pro­ve­nait des retom­bées des explo­sions aériennes nucléaires amé­ri­caines ou russes des années soixante dont on décèle des traces un peu par­tout. L’a­na­lyse de la com­po­si­tion iso­to­pique du plu­to­nium prou­va qu’il ne pou­vait pas pro­ve­nir de Super Phé­nix… Il n’empêche, le mal était fait : comme tou­jours l’an­nonce ini­tiale d’un pré­ten­du » scan­dale » est faite à grand son de trompe et la presse s’en empare pour en faire ses gros titres. Des ana­lyses et des véri­fi­ca­tions appro­fon­dies demandent du soin et du temps. Quand le résul­tat est connu et le démen­ti appor­té, per­sonne n’en parle. »
Je cite­rai aus­si The Eco­no­mist du 8 sep­tembre 2001 qui recom­mande la lec­ture d’un récent ouvrage de Bjorn Lom­borg Mea­su­ring the real state of the world : » La plu­part des inquié­tudes concer­nant l’a­ve­nir de notre pla­nète céde­ront la place à l’in­di­gna­tion contre l’ar­mée d’é­co­lo­gistes appli­qués à pro­vo­quer des paniques en maquillant la vérité. »

L’écoterrorisme : la destruction de cultures transgéniques autorisées

On sait qu’une cam­pagne contre les OGM accom­pa­gnée d’ac­tions vio­lentes (arra­chage de plants trans­gé­niques auto­ri­sés) est enga­gée. À ce sujet je crois utile de citer le ministre de l’A­gri­cul­ture, en juillet 2000 : » Ne seriez-vous pas plus effi­caces si vous renon­ciez à la vio­lence ?La vio­lence n’est jamais légi­time en démo­cra­tie, les Fran­çais ne la sup­portent pas… Vous vous pré­sen­tez comme des résis­tants, atten­tion de ne pas deve­nir des jus­ti­ciers… deve­nir com­plices même invo­lon­taires d’ex­ci­tés ou de fous qui finissent par tuer… Je suis de gauche, je veux dire par là que je crois au pro­grès, au savoir et à la rai­son… si un jour les tra­vaux sur les OGM per­mettent de faire pous­ser du blé dans le Sahel, je serai le pre­mier à m’en réjouir… le prin­cipe de pré­cau­tion ne doit pas inter­ve­nir à l’en­contre de l’ex­pé­ri­men­ta­tion et quand je vois… détruire les champs d’OGM plan­tés par des scien­ti­fiques aus­si scru­pu­leux et pru­dents que ceux de l’In­ra, je m’indigne. »

Le refus de la sélection : l’affaire du sang contaminé

Une cita­tion de Phi­lippe Kou­rils­ky : » L’at­ti­tude de refus de la sélec­tion a été consta­tée non seule­ment chez les trans­fu­seurs, mais dans le corps médi­cal, voire dans cer­tains médias hos­tiles à la sélec­tion, voire chez les hémo­philes eux-mêmes, oppo­sés à un chan­ge­ment de leur trai­te­ment : la per­cep­tion du risque appa­raît alors comme le fac­teur clé de l’ob­ser­vance. On peut donc avan­cer qu’une action plus pré­coce, encore moins fon­dée sur les faits n’au­rait pas été plus effi­cace, car elle était moins cré­dible, plus coû­teuse et moins légi­time. »

Le cheminement de la pensée scientifique de Prométhée à nos jours

L’éveil de l’Occident à la science après les Grecs, les Alexandrins et les Arabes

  • Dans le domaine scien­ti­fique, l’Oc­ci­dent occupe depuis envi­ron cinq cents ans une posi­tion domi­nante qui dans le pas­sé avait été suc­ces­si­ve­ment occu­pée par les Grecs du ve siècle avant J.-C. (Tha­lès de Milet, Pytha­gore de Samos, Hip­po­crate de Chios) puis pen­dant plus de sept cents ans par le Musée d’A­lexan­drie (Euclide, Éra­tos­thène, Apol­lo­nios, Nico­mède, Méné­laüs, Hip­parque, Pto­lé­mée et Pap­pus, enfin, Hypa­tie) puis pen­dant envi­ron six cents ans par les Arabes de Bag­dad et de Cordoue…
  • Deux évé­ne­ments catas­tro­phiques pour la science doivent être évo­qués : l’in­cen­die de la biblio­thèque d’A­lexan­drie en 391 et la des­truc­tion de Bag­dad par les Mon­gols en 1258. Je crois enfin utile de citer à cette occa­sion un hadith du pro­phète Maho­met (évo­qué récem­ment dans un heb­do­ma­daire pari­sien par Ali Djaou­ti, Paris) : » Ensei­gnez la science, Qui l’en­seigne craint Dieu, Qui se bat pour elle com­bat pour Dieu, Qui la répand dis­tri­bue l’au­mône, Qui la pos­sède devient un être de bien­veillance et de véné­ra­tion, La science éclaire le che­min du paradis. »
  • L’Oc­ci­dent chré­tien s’é­veille au xie siècle avec Ger­bert d’Au­rillac (le pape de l’an mil for­mé en Espagne musul­mane, qui décide l’a­dop­tion des chiffres arabes), et Léo­nard de Pise (Fibo­nac­ci).>
  • La France entre en lice au xvie siècle avec Ambroise Paré et Fran­çois Viète. En concur­rence avec l’An­gle­terre et l’Al­le­magne elle va se his­ser au pre­mier rang des pays occi­den­taux pen­dant une période d’en­vi­ron cent ans de 1750 à 1850, mais par la suite, elle va peu à peu se lais­ser dépas­ser par les pays anglo-saxons, et la pri­mau­té des États-Unis va pro­gres­si­ve­ment se développer.
  • Des­cartes rejette la phy­sique sco­las­tique et l’ar­gu­ment d’au­to­ri­té qui pla­çaient les fon­de­ments de la véri­té dans les ouvrages des anciens et dans leurs com­men­ta­teurs auto­ri­sés. Mais la bonne ques­tion se pose aus­si­tôt après : com­ment main­te­nant pro­cé­der ? Des­cartes pré­co­nise le doute sys­té­ma­tique : il faut éprou­ver toutes les opi­nions reçues par la rai­son et l’ex­pé­rience… mais il ne voit pas le dan­ger de voir un jour les théo­ries car­té­siennes se muer en dogmes, puis en une nou­velle sco­las­tique… dans le même temps il croit pou­voir affir­mer la pré­do­mi­nance du rai­son­ne­ment sur l’ex­pé­rience, or toutes les théo­ries ne sont pas for­cé­ment heu­reuses, (Gali­lée a bien vu que notre pla­nète tour­nait sur elle-même et autour du soleil, mais il s’est trom­pé sur le méca­nisme des marées).
  • L’empirisme pas­ca­lien, sa méthode expé­ri­men­tale deviennent donc utiles et nécessaires…

    L’héritage scientifique français

    Révo­lu­tion, Empire, Restauration
    La France s’est impo­sée d’a­bord avec Pas­cal et Des­cartes puis avec les savants de la Révo­lu­tion, de l’Em­pire et de la Res­tau­ra­tion : Lavoi­sier, Car­not, Monge, Laplace, Ber­thol­let, Ara­go, Gay-Lus­sac, Cau­chy, ceci n’a été pos­sible que grâce à l’ap­pui qua­si incon­di­tion­nel que leur a pro­di­gué Napo­léon Bonaparte.

    Éric Sar­to­ri met Laplace au centre de la com­mu­nau­té scien­ti­fique fran­çaise de l’é­poque, et rend hom­mage à Bona­parte : » L’œuvre de Laplace est immense, pra­ti­que­ment sans égale et marque encore nos concep­tions et nos ins­ti­tu­tions. Laplace a régné sur l’in­fi­ni­ment vaste des espaces sidé­raux et sur l’in­fi­ni­ment petit des phé­no­mènes molé­cu­laires, il fut le plus émi­nent savant et le grand patron scien­ti­fique d’une époque où la France domi­nait les sciences comme aucune autre nation n’y est depuis par­ve­nue… » » Si la France se méta­mor­phose en empire des sciences, ce n’est pas par hasard : une grande part du mérite en revient au pre­mier des Fran­çais (Napo­léon). Aucun autre diri­geant poli­tique n’a nour­ri une telle pas­sion pour la science, n’a entre­te­nu de liens aus­si pri­vi­lé­giés avec les savants de son époque, n’a autant esti­mé et aimé le monde scien­ti­fique. »

    Ceci étant dit, il est légi­time de s’in­ter­ro­ger sur la riva­li­té fran­co-bri­tan­nique de l’é­poque dans le domaine des sciences : faut-il voir en New­ton, un Laplace anglais ou en Laplace un New­ton fran­çais ? Faut-il rap­pe­ler que Lamarck a pro­po­sé la théo­rie du trans­for­misme avant Dar­win ?

    La fin du XIXe siècle
    Le XIXe com­men­cé comme le siècle des savants va se pour­suivre et se ter­mi­ner comme celui des bâtis­seurs. Dès les pre­mières décen­nies appa­raissent les saint-simo­niens puis les posi­ti­vistes les uns et les autres por­teurs d’u­to­pies utiles et géné­reuses au ser­vice de l’hu­ma­ni­té. Les décou­vertes scien­ti­fiques déjà acquises vont per­mettre en Occi­dent un essor sans pré­cé­dent dans les domaines les plus variés : métal­lur­gie, chi­mie, agro-ali­men­taire, che­mins de fer, routes, canaux, ouvrages d’art.

    Mais en fin de siècle, en France (et seule­ment en France), la recherche fon­da­men­tale pié­tine : les papes de l’élec­tri­ci­té s’ap­pellent Fara­day et Max­well. La gloire de Le Ver­rier masque la grande misère de l’as­tro­no­mie fran­çaise de l’é­poque. Cepen­dant, Claude Ber­nard appa­raît comme celui par qui la méde­cine va deve­nir une science, il se pro­nonce pour le déter­mi­nisme contre le vita­lisme et l’empirisme et contri­bue à déve­lop­per la recherche fon­da­men­tale dans le domaine de la méde­cine. Pas­teur découvre et domes­tique les fer­ments, engage un com­bat pour l’a­sep­sie et contre la mala­die en inven­tant les pre­miers vac­cins à la suite de Jen­ner dont il se veut l’héritier.

    Les contri­bu­tions de la France au XXe siècle
    La France n’est plus au pre­mier rang, mais elle apporte une contri­bu­tion signi­fi­ca­tive à la recherche notam­ment dans les quatre domaines fon­da­men­taux : la matière, l’éner­gie, le temps, le vivant…

    • Hen­ri Poin­ca­ré consi­dé­ré comme le der­nier des uni­ver­sa­listes va jouer un rôle fon­da­men­tal dans le déve­lop­pe­ment des mathé­ma­tiques et de la méca­nique : il s’at­taque aux fonc­tions com­plexes solu­tions d’é­qua­tions dif­fé­ren­tielles et reprend l’é­tude de la sta­bi­li­té du sys­tème solaire, il remet en cause les sys­tèmes new­to­nien et lapla­cien, et forge les ins­tru­ments mathé­ma­tiques qui vont per­mettre l’é­mer­gence de la théo­rie de la rela­ti­vi­té dont la décou­verte fera la gloire d’Albert Ein­stein.
    • Pierre et Marie Curie en même temps qu’­Hen­ri Bec­que­rel découvrent l’exis­tence des radio­élé­ments, ajou­tant une nou­velle ligne au tableau de Men­de­leïev, ouvrant la voie à la théo­rie de la trans­mu­ta­tion… le prix Nobel leur est décer­né en novembre 1903. La France reste d’ailleurs dans le pelo­ton de tête des nations dans ce domaine hau­te­ment stra­té­gique qu’est la phy­sique atomique.
    • La créa­tion du Com­mis­sa­riat à l’éner­gie ato­mique (CEA) par le géné­ral de Gaulle, 18 octobre 1945, Fré­dé­ric Joliot-Curie et Raoul Dau­try seront les pre­miers Haut-Com­mis­saire et Admi­nis­tra­teur général.
    • Le lan­ce­ment et la réa­li­sa­tion de l’am­bi­tieux pro­gramme nucléaire fran­çais : à l’oc­ca­sion du pre­mier choc pétro­lier, pour assu­rer l’in­dé­pen­dance éner­gé­tique de la France, le gou­ver­ne­ment de Pierre Mess­mer décide en 1973 de le lan­cer. Il sera presque tota­le­ment réa­li­sé en moins de trois décen­nies et don­ne­ra à la France une posi­tion de lea­der et des atouts considérables.
    • Super Phé­nix : dans cette même dyna­mique est prise la déci­sion de construire Super Phé­nix, un réac­teur expé­ri­men­tal à neu­trons rapides dont les effets béné­fiques auraient pu être très importants.
    • Sou­vent asso­ciée à ses par­te­naires euro­péens la France est pré­sente dans presque tous les domaines : le trans­port aérien avec la Cara­velle, Concorde et l’Air­bus, l’es­pace avec la fusée Ariane, la san­té avec la décou­verte du virus du sida par le pro­fes­seur Mon­ta­gner, le prix Nobel de Fran­çois Jacob André Lwoff et Jacques Monod. La contri­bu­tion fran­çaise à l’é­la­bo­ra­tion et à la mise en œuvre de la Poli­tique agri­cole com­mune (une réus­site incon­tes­table injus­te­ment décriée qui nous a don­né l’au­to­suf­fi­sance et une pro­duc­ti­vi­té com­pa­rable à celle des Amé­ri­cains… même s’il est vrai qu’une actua­li­sa­tion s’im­pose après trois décen­nies). Dans le domaine du génie géné­tique, nous avons aus­si des cher­cheurs de pre­mier plan mal­heu­reu­se­ment quelque peu inhi­bés par le tohu-bohu anti-OGM.

    Le désengagement français : la France devient masochiste, le progrès est désormais ailleurs

    Mal­gré les outils de recherche per­for­mants dont elle dis­pose : CNRS, Inserm, Inra, Ors­tom, Cirad, que sais-je encore ? La France n’a plus la place qu’elle a eue dans un pas­sé récent, elle est peu à peu éclip­sée par des pays plus per­for­mants, mais elle est en outre quelque peu masochiste :
    l’ar­rêt coû­teux et inutile de Super Phé­nix déci­dé en 1997 contre l’a­vis de sa com­mu­nau­té scien­ti­fique. On pla­çait les plus grands espoirs dans ce réac­teur expé­ri­men­tal… J’ai eu honte,
    la France est un des seuls pays du monde où l’on arrache les cultures trans­gé­niques,
    d’autres pays épar­gnés par les idéo­lo­gies pas­séistes sont désor­mais en flèche notam­ment dans le domaine stra­té­gique de l’a­gri­cul­ture : citons l’Inde avec la révo­lu­tion verte, le Royaume-Uni avec la bre­bis Dol­ly, les États-Unis et bien­tôt la Chine pour les Ogm.

    • Thier­ry Gau­din donne son point de vue sur la révo­lu­tion verte : » À la suite de l’in­tro­duc­tion de nou­velles varié­tés de riz, l’Inde et la Chine ont aug­men­té leurs ren­de­ments en céréales de plus de 5 % par an entre les années 1975 et 1983, soit plus de 60 % durant la période. Ces pays vivaient depuis des siècles dans une famille endé­mique, ils sont deve­nus expor­ta­teurs de céréales. »
    • Guy Sor­man évoque Gur­dev Kush et nous rap­pelle les pro­pos du père de la révo­lu­tion verte, le doc­teur Swa­mi­na­than : » La carte de la famine coïn­cide avec celle des idéo­lo­gies fausses « , mais » L’Inde, le conti­nent de la famine dis­pose en 1887 d’un stock de 50 mil­lions de tonnes de céréales, l’Inde de 1988 pro­duit davan­tage de riz par habi­tant qu’en 1966 alors qu’elle compte 100 mil­lions d’ha­bi­tants en plus. L’ex­plo­sion démo­gra­phique n’a pas conduit à la famine, c’est le contraire. »

    Sciences et techniques de plus en plus au service du développement

    Si vous ne croyez pas au futur, essayez donc le passé

    Lais­sons d’a­bord par­ler Thier­ry Gau­din : » En 1970 sor­tait un livre res­té célèbre Halte à la crois­sance, il disait en sub­stance : nous consom­mons de plus en plus d’éner­gie et de matière, dont une grande par­tie n’est pas renou­ve­lable, nous allons nous trou­ver à court de res­sources, il faut tout arrê­ter, il y a des limites à la crois­sance… Il n’y a pas eu de crise des matières pre­mières, celles de l’éner­gie ont été sur­mon­tées… l’ho­ri­zon d’une rup­ture catas­tro­phique des appro­vi­sion­ne­ments s’é­loigne à mesure qu’on s’en approche, comme tous les hori­zons. Le Club de Rome, voyant ses pré­vi­sions contre­dites par les faits, a fait amende hono­rable, ce qui doit être mis à son actif, mais n’a pas pour autant chan­gé sa vision de l’é­co­no­mie… les maté­riaux se mul­ti­plient… l’éner­gie est maî­tri­sée… on ose rema­nier la vie… on découvre la contrac­tion du temps… Si vous ne croyez pas au futur, essayez donc le pas­sé ! Le pas­séisme natio­na­liste s’exa­cerbe dans les Bal­kans, le natio­na­lisme théo­lo­gique enflam­ma les inté­grismes dans toutes les reli­gions (isla­mique, chré­tienne, juive, hin­doue…). La poli­tique et les affaires s’en­gluent dans des conten­tieux. Faute d’être en mesure de regar­der l’a­ve­nir, les années quatre-vingt-dix ont fon­cé tête bais­sée vers le pas­sé. C’est un mou­ve­ment com­pré­hen­sible, les psy­cha­na­lystes l’ap­pellent une régres­sion. Face au » choc du futur « , on va cher­cher les solu­tions toutes faites, on rejoue les drames d’au­tre­fois. Alors seule­ment une fois ce mou­ve­ment accom­pli, on peut accep­ter que reviennent les temps créa­teurs, et tour­ner son regard vers l’a­ve­nir. J’in­vite à le faire le plus tôt pos­sible. »

    Les besoins du tiers-monde et des générations futures largement sous-évalués…

    Vers le milieu de ce XXIe siècle, il fau­dra nour­rir, loger trans­por­ter et soi­gner quelque 10 mil­liards d’êtres humains. Vers 2005, la moi­tié de l’es­pèce humaine vivra dans les villes… si les sau­vages urbains ne repré­sen­taient que 3 % de l’es­pèce, ce ne serait qu’un pro­blème d’as­sis­tance et de contrôle social, mais s’ils sont plus de 10 % cela devient un pro­blème structurel.

    Face à ces besoins poten­tiels consi­dé­rables dans les domaines de l’éner­gie, de l’a­li­men­ta­tion, des trans­ports, de la san­té, de l’ur­ba­ni­sa­tion et du loge­ment, ne rien faire repré­sente un énorme risque sans com­mune mesure avec les modestes risques dus au nucléaire et aux OGM injus­te­ment dia­bo­li­sés. Ces besoins concernent prin­ci­pa­le­ment le tiers-monde que nous n’a­vons pas le droit de res­treindre alors que les pays du Nord sont plu­tôt à l’aise et les géné­ra­tions futures qui sont en droit d’at­tendre de nous la trans­mis­sion d’un patri­moine enri­chi, d’une pla­nète en état de marche. Ces besoins néces­sitent un effort excep­tion­nel de recherche fon­da­men­tale et appli­quée qui devra être finan­cé à la fois par le sec­teur public, par le sec­teur pri­vé et peut-être par les ONG. Il ne s’en suit pas pour autant que la com­mu­nau­té scien­ti­fique devra perdre au pro­fit de ces trois sources de finan­ce­ment une indé­pen­dance qui per­dure à tra­vers les siècle et à laquelle elle est pro­fon­dé­ment attachée.

    Il faut donc avoir le cou­rage d’af­fir­mer que ce n’est pas un crime d’être par­ti­san des bio­tech­no­lo­gies, des trans­ports, ou du nucléaire et de résis­ter aux groupes de pres­sion qui uti­lisent la peur, la vio­lence, le ter­ro­risme intel­lec­tuel, qui cherchent à culpa­bi­li­ser les Fran­çais, et qui appa­rem­ment ont momen­ta­né­ment réus­si à blo­quer le pro­grès dans des domaines pour­tant fondamentaux.

    … Notamment dans le domaine de l’énergie

    Ils appa­raissent très lar­ge­ment sous-éva­lués. Je ne reviens pas sur un sujet qui a déjà été très lar­ge­ment trai­té dans des numé­ros anté­rieurs de La Jaune et la Rouge notam­ment les numé­ros 555 et 569, sinon pour sou­hai­ter que, dans ce domaine, la France de Marie Curie et l’Eu­rope de l’Eu­ra­tom conti­nuent à res­ter fidèles à une tra­di­tion de lea­der­ship lar­ge­ment mérité.

    Les perspectives des biotechnologies

    Je me suis effor­cé de lire sur ce sujet des ouvrages variés et contra­dic­toires, et j’ai cru pou­voir pro­po­ser une courte syn­thèse… mais je sug­gère un numé­ro spé­cial de La Jaune et la Rouge sur la question.

    a) Les adversaires des OGM s’inquiètent notamment de trois dangers qui leur paraissent graves

    • Cer­taines entre­prises (labo­ra­toires, semen­ciers et autres…) à la recherche du pro­fit sont sus­cep­tibles de se pla­cer grâce aux Ogm en situa­tion de posi­tion domi­nante sur le marché.
    • D’autres entre­prises (quel­que­fois les mêmes) ont la pré­ten­tion de prendre des bre­vets sur le vivant (une por­tion de génome, une bac­té­rie, une plante…) et de se pla­cer en posi­tion de mono­pole jus­qu’à ce que le bre­vet tombe dans le domaine public.
    • Cer­tains États (l’Al­le­magne nazie, l’URSS) ont failli réus­sir à domes­ti­quer la science à des fins inavouables (j’ai déjà évo­qué les cas d’Hei­sen­berg, de Lys­sen­ko, de Mit­chou­rine, et d’autres).

    Ces trois risques sont réels et graves et, selon moi, il importe de mettre en œuvre tous les moyens néces­saires pour les rendre inopé­rants… mais il ne faut pas se trom­per de cible : les Ogm n’y sont pour rien, et ce n’est pas en bri­dant la science et la tech­nique qu’on sup­pri­me­ra les abus de posi­tion domi­nante, les mono­poles dus aux bre­vets et les crimes des tota­li­ta­rismes, c’est en orga­ni­sant la gou­ver­nance mon­diale, en créant des com­mis­sions de concur­rence et des lois anti­trust, en amé­na­geant la légis­la­tion sur les bre­vets, en déve­lop­pant la démo­cra­tie dans le monde.

    b) Les biotechnologies représentent un immense espoir pour l’humanité

    • Le choix des États-Unis : le Congrès après une longue étude qui a duré de 1984 à 1986 a conclu que les béné­fices des Ogm pour le citoyen amé­ri­cain étaient lar­ge­ment supé­rieurs aux risques. Les États-Unis ont donc choi­si les Ogm dès 1986, ce qui a évi­dem­ment contri­bué à confor­ter leur pre­mière place mon­diale dans ce domaine.
    • Le retard de la France et de l’Eu­rope : l’Eu­rope a choi­si une autre voie, longue et dif­fi­cile, l’in­ter­dic­tion pure et simple des Ogm pro­po­sée par les dépu­tés verts au Par­le­ment a été refu­sée suite à une levée de bou­cliers de la com­mu­nau­té scien­ti­fique… On a mis des années à trou­ver un sem­blant de com­pro­mis (en fait un mora­toire). Or la pré­cau­tion implique que la situa­tion soit réver­sible, et que l’hé­si­ta­tion qui doit être brève abou­tisse soit à une levée du mora­toire soit à une inter­dic­tion. La France et l’Eu­rope pour­ront-elles rat­tra­per dans ce domaine hau­te­ment stra­té­gique le retard qu’elles ont pris sur les USA en rai­son des coû­teux et nom­breux mora­toires qu’elles ont cru devoir s’im­po­ser ? Pierre Miquel a rap­pe­lé que l’am­bi­tion de tirer la nation fran­çaise de la dépen­dance où elle avait été jus­qu’à pré­sent de l’in­dus­trie étran­gère était déjà celle de Monge…<
    • L’es­poir des pays pauvres : selon Guy Sor­man, Gur­dev Kush qui dirige à Manille les recherches de l’IR­RI (Inter­na­tio­nal Rice Research Ins­ti­tute) estime que : » Les espèces hybrides de la pre­mière révo­lu­tion verte n’ont pas suf­fi­sam­ment fait recu­ler les mala­dies, virus, cham­pi­gnons et insectes qui détruisent chaque année un dixième des récoltes de riz « , et consi­dère que » Si les Ogm ne consti­tuent pas une réponse exclu­sive à ces défis accu­mu­lés, s’en pri­ver serait cri­mi­nel. » Il pense que : » Tout retard dans la mise au point de nou­velles varié­tés de riz se tra­dui­ra en jours de famine ou en carences ali­men­taires en Afrique et en Asie. » Le pro­fes­seur Go, direc­trice de la trans­gé­nèse à l’u­ni­ver­si­té de Pékin, déclare : » Si les éco­lo­gistes (anti-ogm) l’emportaient, la recherche en Chine en serait retar­dée, et les vic­times ne seraient pas tant les Occi­den­taux que les habi­tants les plus pauvres de la Chine. »
    • Pers­pec­tives pour l’hu­ma­ni­té tout entière, plus géné­ra­le­ment on peut affir­mer que la com­mu­nau­té scien­ti­fique attend beau­coup des bio­tech­no­lo­gies et notam­ment des Ogm, elle espère un accrois­se­ment consi­dé­rable des connais­sances sur le vivant (homme, ani­mal, végé­tal), et des capa­ci­tés d’in­ter­ven­tion rai­son­née sur les génomes avec des objec­tifs nom­breux et variés : thé­ra­pie génique, aide à la pro­créa­tion, fabri­ca­tion de sub­stances thé­ra­peu­tiques par des bac­té­ries géné­ti­que­ment modi­fiées, greffes plus nom­breuses et plus sûres grâce aux ani­maux trans­gé­niques, ali­men­ta­tion plus saine, plus riche et de meilleur goût, agri­cul­ture moins coû­teuse et plus res­pec­tueuse de l’en­vi­ron­ne­ment (moins de pes­ti­cides, de fon­gi­cides, d’her­bi­cides, d’in­sec­ti­cides et d’en­grais), peut-être un jour des plantes détoxi­fiantes ou sources d’énergie…

    Conclusions

    Je prends les scien­ti­fiques pour des gens sérieux (ce qui ne les empêche pas d’être ambi­tieux), ils sont en géné­ral pro­fon­dé­ment huma­nistes, quel­que­fois chré­tiens, quel­que­fois athées. Ils ne sont cer­tai­ne­ment pas des » scien­tistes « , au sens que l’on don­nait à ce mot au xixe siècle. J’emprunterai mes pre­mières conclu­sions à Augus­tin Cau­chy, Pierre Miquel et Antoine Augus­tin Parmentier.

    • Augus­tin Cau­chy plaide pour les cher­cheurs : » L’homme ne peut se pas­ser de véri­té, il ne peut vivre sans elle, elle est une des condi­tions de son exis­tence, comme l’air qu’il res­pire et le pain qui le nour­rit. La Véri­té est un tré­sor ines­ti­mable dont l’ac­qui­si­tion n’est sui­vie d’au­cun remords et ne trouble pas la paix de l’âme. » En quelque sorte : la recherche de la véri­té scien­ti­fique (la science pour la science comme l’art pour l’art).
    • Pierre Miquel parle pour les ingé­nieurs et réa­li­sa­teurs (sou­vent poly­tech­ni­ciens) : » Seul les inté­resse le pou­voir de réa­li­ser, de lan­cer des entre­prises, de construire des che­mins de fer, de déve­lop­per les éco­no­mies colo­niales, de tra­cer des canaux inter­océa­niques, ils n’aiment le pou­voir que pour sa capa­ci­té à trans­for­mer le monde… leur âge d’or com­mence à la prise de pou­voir des saint-simo­niens, ils sont les ser­vi­teurs, mais aus­si les créa­teurs de l’u­ni­vers indus­triel. »
    • Mais avec Par­men­tier nous irons encore plus loin, dans un pays démo­cra­tique les scien­ti­fiques, face aux poli­tiques, à l’o­pi­nion publique et aux médias ont un rôle fon­da­men­tal à jouer dans la pré­pa­ra­tion des déci­sions qui concernent l’a­ve­nir de leurs conci­toyens : ils ont un véri­table devoir d’ex­pli­ca­tion et de vul­ga­ri­sa­tion. Dans ce tra­vail ils auront à s’op­po­ser à l’i­gno­rance et aux super­sti­tions, à résis­ter aux idéo­logues pas­séistes et aux spé­cia­listes de la peur et de la dés­in­for­ma­tion, c’est ce qu’a fait Par­men­tier toute sa vie, lais­sons-le donc conclure : » On a déjà beau­coup écrit sur la culture et les avan­tages éco­no­miques de la pomme de terre. Mais ce sujet est du nombre dont on ne sau­rait trop par­ler puis­qu’il inté­resse la nour­ri­ture du peuple, et je ne crois pas qu’il y ait d’ob­jet plus impor­tant, plus digne des médi­ta­tions du phi­lo­sophe… » » Ce n’est qu’en popu­la­ri­sant les sciences que l’on par­vient à les rendre utiles. »

      Ma conclusion personnelle

      Il nous fau­drait trois Par­men­tier : un pour l’é­du­ca­tion et la vul­ga­ri­sa­tion, un pour le nucléaire, un pour les biotechnologies.

      P.-S. : mer­ci aux cama­rades qui m’ont encou­ra­gé à conti­nuer de déve­lop­per mes idées qu’ils approuvent et qu’ils ont pu trou­ver dans La Jaune et la Rouge (n° 561 et n° 533 : » Défi pour le XXIe siècle : besoins des géné­ra­tions futures « , » Quelle éco­lo­gie pour le XXIe siècle ?  »).

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