Cyril, maître de conf à l’ENS

Les sciences pour tous

Dossier : ExpressionsMagazine N°734 Avril 2018
Par François GAUDEL (66)

L’au­teur a pris à la retraite la pré­si­dence béné­vole de l’as­so­cia­tion Science Ouverte qu’il a consi­dé­ra­ble­ment déve­lop­pée dans le double but d’ou­vrir les sciences aux jeunes et de lut­ter contre un sen­ti­ment d’enfermement et d’impuissance trop pré­sent dans le 93. 

À par­tir du lycée Louise- Michel de Bobi­gny et d’une Mai­son de jeunes à Dran­cy, le pro­jet abou­tit en avril 2007 à la créa­tion de l’association Science Ouverte. 

Grâce au tra­vail anté­rieur, cette der­nière jouit dès le départ d’une expé­rience recon­nue et de par­te­na­riats solides dans les milieux scien­ti­fiques, édu­ca­tifs, de la média­tion scien­ti­fique et des col­lec­ti­vi­tés locales. 

Elle conti­nue depuis à déve­lop­per sur le ter­rain des pra­tiques vivantes et riches asso­ciées à la ren­contre de la science qui se fait, de ses acteurs et de ses questions. 

REPÈRES

François Gaudel a déjà publié dans le Forum social des articles où il rendait compte de son expérience de professeur de maths au lycée Louise-Michel de Bobigny. Il a créé il y a dix ans l’association Science Ouverte à l’intention des étudiants et des lycéens de la Seine- Saint-Denis.
Il rend compte ici de son activité dans laquelle interviennent des stagiaires de première année à l’École : Souhail Cadi (2017) est l’un d’eux dont le témoignage complète la présentation de François Gaudel.

DES SALARIÉS, DES BÉNÉVOLES ET DES PARTENAIRES DE RENOM

L’association s’est struc­tu­rée pro­gres­si­ve­ment : 7 sala­riés per­ma­nents, des sta­giaires (dont depuis deux ans des élèves de l’X dans le cadre de leur stage de for­ma­tion humaine) et plus d’une soixan­taine de bénévoles. 

Elle dis­pose de locaux d’activités et de bureaux dans le quar­tier prio­ri­taire de l’Avenir pari­sien, et au châ­teau de Ladou­cette à Dran­cy où elle peut en outre orga­ni­ser des expositions. 

L’université Paris-13, l’Institut Hen­ri-Poin­ca­ré et l’École nor­male supé­rieure l’accueillent pour des acti­vi­tés et des stages. 

UN COMITÉ SCIENTIFIQUE DE HAUTE VOLÉE

Le comi­té scien­ti­fique com­prend essen­tiel­le­ment onze uni­ver­si­taires, cher­cheurs et cher­cheuses de haut niveau en maths, phy­sique astro­phy­sique, infor­ma­tique, bio­lo­gie. Tous par­ti­cipent direc­te­ment à l’organisation et à l’animation d’activités.

Ils en déter­minent col­lec­ti­ve­ment les orien­ta­tions ain­si que le pro­gramme annuel des stages. Le conseil d’administration est com­po­sé pour moi­tié de membres indi­vi­duels et pour moi­tié de repré­sen­tants d’organismes liés à l’enseignement, à la recherche ou à la com­mu­ni­ca­tion scientifique. 


Cyril, maître de conf à l’ENS, lors d’un stage Olym­pic Maths

Jacques Moreau, directeur de recherche honoraire en embryologie moléculaire
Jacques Moreau, direc­teur de recherche hono­raire en embryo­lo­gie molé­cu­laire, stage sur l’ADN en juillet 2017.

VERS LA RÉUSSITE DANS DES ÉTUDES LONGUES

En dix ans, ses acti­vi­tés ont connu un fort déve­lop­pe­ment et rem­por­té d’importants suc­cès. Plu­sieurs cen­taines de lycées et d’étudiants ont été mobi­li­sés et accom­pa­gnés vers la réus­site dans des études supé­rieures, pou­vant ser­vir de repère aux autres. 

LES SOUTIENS FINANCIERS

Cette structuration n’a été possible que grâce à une reconnaissance croissante et une diversification des soutiens financiers, publics et privés (mécénat).
Ils sont essentiels et demandent un travail important car les apports des participants représentent moins de 4 % d’un budget qui avoisine les 400 000 euros (une heure d’activité nous revient à peu près à 9 euros).

Sur 274 résul­tats recen­sés au bac­ca­lau­réat depuis six ans, nous rele­vons 195 men­tions AB ou plus, dont 68 men­tions TB. 

Plus éton­nant encore : 7 de nos anciens ont été reçus à Poly­tech­nique, 7 dans les ENS (2 à Ulm), une à HEC, un à Mines Paris­Tech, un est lau­réat de l’école de l’Inserm.

95 % d’entre eux pour­suivent des études longues. Paral­lè­le­ment, en pri­maire et en col­lège, l’action dans et hors la classe vise à impul­ser des espaces où, dès le plus jeune âge, les sciences appa­raissent sous un aspect ludique, expé­ri­men­tal et explo­ra­toire ; ce qui redonne inté­rêt et confiance à ceux qui les pra­tiquent, et en pri­maire les enseignent. 

En dix ans, avec le sou­tien de ses par­te­naires, l’association a tou­ché des dizaines de mil­liers de jeunes (13 200 en 2017). Depuis deux ans, avec l’appui de la Fon­da­tion Poly­tech­nique, nos liens avec l’École, et notam­ment son Pôle Diver­si­té et Réus­site, se sont renforcés. 

Salon des maths.à l’association Science Ouverte
Salon des maths.

SUSCITER DES VOCATIONS SCIENTIFIQUES

Nous pré­pa­rons, à échéance 2020, la créa­tion d’un centre d’exploration et de dif­fu­sion des sciences qui don­ne­ra une plus grande visi­bi­li­té et effi­ca­ci­té à notre action. Ce centre occu­pe­ra des locaux de 1 800 m2 à Drancy. 

Il com­por­te­ra une salle d’exposition inter­ac­tive per­ma­nente cen­trée sur les construc­tions et jeux mathé­ma­tiques, une salle d’exposition tem­po­raire, des salles per­met­tant d’accueillir classes et ate­liers, un fablab et un audi­to­rium, ain­si que les bureaux de l’association.

Il maté­ria­li­se­ra notre but à moyen terme qui est de créer, en Seine-Saint-Denis, et rayon­nant au-delà, une struc­ture visible et effi­cace, capable de sus­ci­ter des voca­tions scien­ti­fiques et d’aider sur place les jeunes qui s’engagent dans cette voie. 

Créer ain­si une dyna­mique posi­tive, bri­ser l’image pure­ment néga­tive du ter­ri­toire tant pour ceux qui y vivent que pour ceux qui n’y vivent pas ! 

DES ACTIVITÉS VARIÉES À L’ÉCOLE ET EN DEHORS

Avant de pas­ser la parole à Sou­hail, sta­giaire de la pro­mo­tion 2017, j’expose (très) briè­ve­ment les types d’activités que nous menons. Vers le grand public et les classes, nous pro­po­sons des stands, ani­ma­tions (dont nos fameux poly­èdres géants), expo­si­tions, confé­rences et débats (cycle Scien­ti­fic Park) qui touchent une dizaine de mil­liers de per­sonnes à l’année.

2 500 jeunes par­ti­cipent aux acti­vi­tés longues. Il s’agit d’une part d’ateliers en ou hors milieu sco­laire en mathé­ma­tiques, astro­no­mie, robo­tique, gra­phisme 3D, et aus­si d’initiation à l’informatique des « petites sou­ris » (5−7 ans) aux lycéens, et quelques adultes. 

Atelier de recherche à lL’association Science Ouverte
Un ate­lier de recherche pen­dant un stage de deux semaines
pour élèves de seconde.

D’autre part, des ate­liers de 7 à 20 séances de mathé­ma­tiques explo­ra­toires et ludiques sont pro­po­sés en école pri­maire dans le cadre du pro­gramme, prin­ci­pa­le­ment en CP et CE1. Nous éten­dons cette action en la cen­trant sur la for­ma­tion des ensei­gnants (46 classes tou­chées cette année). 

Nous orga­ni­sons éga­le­ment des stages lycéens et étu­diants avec des scien­ti­fiques, d’une à deux semaines au conte­nu riche (confé­rences, cours, visites) avec une par­tie expé­ri­men­tale ou de recherche par petits groupes avec restitution. 

Depuis deux ans, nous éten­dons ce modèle au public col­lé­gien. C’est là que nous for­mons des « accros ». 

Enfin, nous sommes enga­gés dans une aide à la réus­site sco­laire et aux études supé­rieures. En col­lège, où le besoin est énorme, nous inter­ve­nons pour l’instant très loca­le­ment (75 élèves environ). 

Notre tuto­rat pour lycéens et étu­diants (5 heures le same­di après-midi, 250 ins­crits) est enca­dré par des doc­to­rants, ensei­gnants béné­voles, étu­diants de mas­tères ou écoles d’ingénieurs. Il s’accompagne d’une aide à l’orientation.

Nous met­tons en place éga­le­ment un ate­lier de pré­pa­ra­tion aux études supérieures.
 

SOUHAIL CADI, polytechnicien promotion 2017Sou­hail CADI (17)

LE TÉMOIGNAGE DE SOUHAIL

Je m’appelle Sou­hail Cadi, j’ai 21 ans et je viens d’intégrer l’X après trois années de classes pré­pa­ra­toires au lycée Hoche de Ver­sailles. Je fais par­tie des 57 élèves inter­na­tio­naux fran­co­phones de la pro­mo­tion X2017. Je suis maro­cain et j’ai pour­sui­vi mes études à Casa­blan­ca jusqu’à dix-huit ans avant de conti­nuer en France dont le sys­tème méri­to­cra­tique m’a tou­jours attiré. 

Je fais mon stage de pre­mière année à l’association Science Ouverte, avec deux, et depuis peu trois autres camarades. 

CORRIGER LES CLICHÉS

Ces six mois en immer­sion dans un milieu tota­le­ment dif­fé­rent de ce que j’avais connu à Casa­blan­ca ou à Ver­sailles m’ont per­mis de mûrir, de façon­ner plu­sieurs per­cep­tions et cor­ri­ger des cli­chés qui avaient été nour­ris en par­ti­cu­lier par les médias et les réseaux sociaux. 

L’image de jeunes en train de traî­ner en bas des immeubles, à vaquer à des acti­vi­tés plus ou moins légales a certes une réa­li­té, mais exclut la majo­ri­té des per­sonnes, les nom­breuses familles qui habitent là. 

La ban­lieue pari­sienne est un grand ras­sem­ble­ment de per­sonnes, d’horizons mul­tiples, avec des situa­tions toutes dif­fé­rentes et par­fois dif­fi­ciles : les dif­fi­cul­tés ne sont pas que finan­cières, elles sont sou­vent d’ordre socio­cul­tu­rel. Cela m’a per­mis de réa­li­ser que l’environnement social avait une impor­tance majeure sur les trajectoires. 

PROMOUVOIR LE SUCCÈS

Les jeunes de ban­lieues défa­vo­ri­sées ont très lar­ge­ment le sen­ti­ment d’être enfer­més dans leurs quar­tiers et souffrent d’un pro­blème de confiance en eux-mêmes, comme s’ils n’étaient pas des­ti­nés à la réussite. 

Notre rôle est de com­bler ce vide et pro­mou­voir la culture scien­ti­fique et le suc­cès sco­laire qui sont des valeurs et des idées beau­coup moins incul­quées par l’environnement fami­lial ici qu’ailleurs. Sou­vent les parents n’ont pas pour­sui­vi d’études et sont dés­in­for­més, par­fois même anal­pha­bètes et inca­pables de com­mu­ni­quer en fran­çais, ce qui rend la tâche d’autant plus dif­fi­cile pour eux.
 

REDÉCOUVRIR LA BANLIEUE

J’ai très vite per­du quelques pré­ju­gés : dans ces quar­tiers, tout le monde se connaît, les jeunes et les adultes, et c’est une atmo­sphère très convi­viale. Venant de l’extérieur, on peut avoir des appré­hen­sions, mais voi­sin, cela change beau­coup de choses. 

Dans le quar­tier où j’habite, je n’ai jamais eu peur, tout d’abord grâce à Science Ouverte qui y est recon­nue, et aus­si par la confiance que j’avais en tous ces gens. 

GAGNER EN EFFICACITÉ PAR LA CONFIANCE

En ce qui concerne l’ambiance de tra­vail, j’ai pu très vite réus­sir à gagner la confiance d’un grand nombre de jeunes de presque tous les âges. La rela­tion avec l’élève dépasse le stade de l’obéissance et devient plu­tôt une forme de coopé­ra­tion, on se met d’accord ensemble pour son bien. 

Cela est pas­sé à tra­vers des moments de dis­cus­sion néces­saire où l’on apprend à connaître la per­sonne et cela grâce au récit d’anecdotes ou d’expériences vécues. 

C’était per­son­nel­le­ment d’autant plus facile, car une bonne par­tie des élèves par­ta­geait avec moi une part de culture et une langue com­mune autre que le fran­çais (sou­vent l’arabe mais par­fois l’anglais). J’ai ain­si par­fois décou­vert un pas­sé dou­lou­reux que cer­tains n’osaient pas révé­ler et qui me per­met­tait de mieux com­prendre et m’adapter.

Cette proxi­mi­té a per­mis d’améliorer signi­fi­ca­ti­ve­ment la com­mu­ni­ca­tion mais aus­si l’efficacité du travail. 

CONNAÎTRE MA CHANCE

Je retiens au final l’image d’une ambiance cha­leu­reuse avec beau­coup d’entraide et de coopé­ra­tion entre les habi­tants que j’ai côtoyés. 

Par ailleurs, cette expé­rience m’a aus­si rap­pe­lé la chance que j’ai eue durant ma jeu­nesse puisque j’ai vécu dans un milieu social et cultu­rel plus épargné. 

Sur un plan finan­cier, je ne fai­sais pas par­tie des plus aisés, mais socio­cul­tu­rel­le­ment, je béné­fi­ciais d’une grande fortune. 

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