Les sombres dessous de la guerre économique
Cela fait 50 ans que Bernard Esambert a proposé le concept de guerre économique pour caractériser les rapports en train de s’établir entre les entreprises et les pays. Face à l’ogre américain, à la puissance de ses entreprises, il fallait s’organiser pour se défendre, mieux encore se mettre dans une posture de conquête.
Nos champions nationaux se sont ainsi lancés dans la conquête du monde et nombre d’entre eux y ont réussi. Les X étaient souvent, en quelque sorte, des officiers de la guerre économique. Les moyens mis en relief étaient l’innovation, les acquisitions, l’art de la stratégie et du management. Ces méthodes étaient abondamment enseignées, et aussi vantées par les médias. Cette geste magnifiée faisait les héros de la guerre économique : grands patrons, managers performants, ingénieurs créatifs, commerciaux courant le monde, responsables de fabrication sachant mener les troupes.
Mais derrière ces mouvements visibles s’est développée une forme de guerre plus sournoise, dangereuse même – on peut passer par la case prison sans s’y attendre. L’espionnage et la déstabilisation font certes partie depuis toujours de l’arsenal de la guerre économique, mais les outils d’aujourd’hui permettent de lui donner une ampleur nouvelle. On peut utiliser avec « les amis de toujours » des moyens d’information et de captation des données qui n’ont guère à envier à ceux dont la série Le Bureau des légendes donne une idée pour le renseignement militaire ou politique.
La guerre des données bat donc son plein, avec un avantage considérable aux Américains, et aux Chinois, qui ont beaucoup plus de moyens et moins de scrupules que les Européens. L’extraterritorialité du droit américain donne à ce pays de redoutables moyens de pression. Quand, par exemple, une grande entreprise européenne est vue comme une belle cible, on « découvre » qu’un de ses membres avait été mêlé, de près ou de loin à une vieille affaire, et il est incarcéré un jour où il met pied sur le territoire américain pour servir d’otage dans une négociation qui le dépasse.
L’Europe semblait désarmée, ou du moins mal préparée, mais elle commence à réagir. Il est une source de faiblesse qu’il convient de vite corriger : la naïveté, l’ignorance des moyens employés. Ce dossier ne prétend pas faire le tour de tous les aspects de cette drôle de guerre, mais en montrer des émergences, à la lumière de témoignages de victimes et d’experts du sujet.
Une personne avertie en vaut deux, c’est cet esprit qui a animé La Jaune et la Rouge en préparant ce dossier.