Les spécificités de l’expertise dommages-ouvrage
Présentation de la loi Spinetta du 4 janvier 1978
La loi du 4 janvier 1978, issue des travaux d’une Commission gouvernementale présidée par M. SPINETTA, a voulu répondre à l’évolution du secteur du bâtiment en se fixant comme axes : une protection effective des maîtres d’ouvrage et des acquéreurs successifs, une prévention améliorée des sinistres ainsi qu’une moralisation du secteur de la construction.
Cette loi relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction est entrée en vigueur le 1er janvier 1979. Elle a adapté le régime de la responsabilité des constructeurs aux données nouvelles de la construction en modifiant les articles 1792–1 à 1792–6 et 2270 du Code civil. Elle a également réformé le contrôle technique des ouvrages de bâtiment. Enfin, elle a institué des mécanismes d’assurances originaux de la responsabilité décennale des constructeurs et des ouvrages de bâtiment.
Les responsabilités des constructeurs
La loi Spinetta a transformé radicalement les garanties et responsabilités des constructeurs prévues par les articles 1792 à 1792–6 du Code civil en :
- abandonnant la distinction issue de la loi de 1967 fondée sur l’importance des ouvrages, au profit d’une distinction plus fonctionnelle opposant les ouvrages relevant de la fonction construction (englobant l’infrastructure, la structure, le clos et le couvert) des ouvrages relevant de la fonction équipement (c’est-à-dire tous les aménagements intérieurs de l’espace délimité par le clos et le couvert) ;
- édictant une responsabilité de plein droit d’une durée de dix ans à compter de la réception pesant sur tout constructeur d’un ouvrage, et ce pour les dommages compromettant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination (nota : ceci exclut par exemple les manquements d’ordre contractuel, les dommages connus à la réception…) ;
- augmentant le nombre des responsables de plein droit. Sont en effet réputés constructeurs non seulement les locateurs d’ouvrage mais également toute une foule de participants directs ou indirects à l’acte de construire (contrôleur technique, vendeur après achèvement…) ;
- instituant une garantie de bon fonctionnement des éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage d’une durée minimale de deux ans à compter de la réception ;
. instituant une garantie de parfait achèvement.
Le mécanisme d’assurance obligatoire à double détente
Le législateur a distingué la réparation des désordres qui doit être, pour le maître de l’ouvrage, aussi rapide que possible, de la détermination précise des responsabilités des divers intervenants à la construction qui demande souvent beaucoup plus de temps.
Ainsi la rapidité de la réparation des désordres est satisfaite par une assurance de l’ouvrage, assurance de choses qui a pour objet de garantir au propriétaire de l’ouvrage le préfinancement de la réparation des dommages graves, cela en dehors de toute recherche de responsabilité.
Cette assurance de l’ouvrage est une assurance de préfinancement et après avoir versé l’indemnité, l’assureur dommages-ouvrage la récupère en exerçant des recours sur les constructeurs assujettis à la présomption de responsabilité et leurs assureurs.
Aussi dans ce cadre, le législateur impose au propriétaire qui fait construire un ouvrage de bâtiment de souscrire une assurance dommages-ouvrage et aux constructeurs qui réalisent des travaux de bâtiment de souscrire un contrat d’assurance garantissant leur responsabilité lorsqu’elle peut être engagée sur le fondement des articles 1792 et 1792.2 du Code civil (contrat dit Responsabilité civile décennale ou RCD).
À noter que cette assurance n’est obligatoire que pour la réalisation d’ouvrages de bâtiment. Les ouvrages de génie civil ne sont pas soumis à l’obligation d’assurance.
La procédure de règlement d’un sinistre dommages-ouvrage
La procédure de règlement des sinistres dommages-ouvrage par l’assureur présente une particularité, elle est prévue par un texte de loi inséré dans le Code des assurances. Cette procédure définit notamment :
- les délais de notification de la prise de position sur les garanties et de proposition d’indemnité et les sanctions en cas de non-respect de ces délais (respectivement soixante jours et quatre-vingt-dix jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre par l’assureur) ;
- les modalités de l’expertise amiable : mission de l’expert et règles en cas de récusation, respect du contradictoire, de la consultation pour avis, rédaction et contenu des rapports d’expertise.
Cette procédure est également organisée par une convention signée par la plupart des assureurs en construction appelée Convention de règlement assurance construction (CRAC) qui a pour objectif d’améliorer l’efficacité de l’assurance construction par : - un abaissement du coût de gestion des sinistres en instituant un expert unique qui intervient à la fois pour l’assureur dommages-ouvrage et pour les assureurs RCD concernés par le sinistre,
- un règlement rapide et équitable de ces sinistres entre les sociétés adhérentes avec, en cas de désaccord entre ces sociétés, le recours à des organismes consultatifs professionnels.
Une des particularités de la procédure amiable de règlement d’un sinistre dommages-ouvrage est que cette procédure amiable est obligatoire et qu’avant toute assignation en justice et demande de désignation d’un expert judiciaire, le maître de l’ouvrage doit avoir mis en œuvre cette procédure amiable et donc effectué une déclaration auprès de son assureur dommages-ouvrage (arrêt de la Cour de cassation du 28 octobre 1997).
Les spécificités de l’expertise amiable dommages-ouvrage
Une mission d’expertise amiable définie par la loi (les clauses types dommages-ouvrage)
Le législateur a défini de manière précise les modalités de l’expertise amiable dommages-ouvrage et notamment :
- de la désignation de l’expert,
- du constat des dommages,
- du respect du contradictoire et la consultation pour avis,
- de la préservation des recours de l’assureur dommages-ouvrage,
- du contenu des rapports d’expertise.
Ainsi l’une des principales originalités de cette expertise amiable est qu’elle est strictement organisée par un texte de loi.
Une mission d’expertise amiable unique organisée par une convention entre assureurs, la Convention de règlement assurance construction
Cette convention appelée communément Convention CRAC instaure le principe d’un expert unique désigné par l’assureur dommages-ouvrage, expert commun aux différents assureurs en présence (assureur dommages-ouvrage et assureurs en responsabilité décennale des entreprises).
Cet expert unique doit être choisi par l’assureur dommages-ouvrage sur une liste d’experts agréés CRAC. En effet, l’expert doit remplir certaines conditions tenant à l’âge, à l’expérience et doit avoir réussi un examen. Par ailleurs la qualité des prestations de ces experts fait l’objet de contrôles de la part des assureurs.
L’expert amiable dommages-ouvrage : le chef d’orchestre de la résolution du sinistre
La bonne résolution du sinistre est donc étroitement liée à la qualité de l’expertise réalisée.
Vis-à-vis du maître de l’ouvrage, il s’agit de lui permettre de faire procéder à la bonne réparation dans les meilleurs délais. Vis-à-vis de l’assureur dommages-ouvrage, l’expert doit notamment mettre en mesure cet assureur de respecter ses obligations légales de prise de position et de proposition d’indemnité dans les délais, veiller à préserver les recours de celui-ci en assurant le respect du contradictoire tout au long de l’expertise et déterminer les responsabilités. Et enfin vis-à-vis des entreprises concernées par le sinistre et de leurs assureurs de responsabilité, il doit faire preuve de capacité d’écoute, de dialogue et les tenir strictement informés des différentes phases du déroulement de l’expertise.
Ainsi la conduite de l’expertise doit permettre le règlement du sinistre au mieux des intérêts de tous.
En cas d’expertise judiciaire suite à un désaccord du maître de l’ouvrage sur la prise de position sur les garanties de l’assureur ou sur le montant de l’indemnité allouée à celui-là, l’expert va être amené à poursuivre sa mission en relation avec l’expert judiciaire nommé.
Il restera un acteur essentiel de l’expertise et devra veiller à apporter toute sa technique et sa compétence au service de cette expertise (recherche du mode réparatoire, chiffrage des travaux, assistance à la définition des investigations à réaliser).
Tout cela, bien sûr, en étroite relation avec l’assureur dommages-ouvrage qui reste susceptible de préfinancer certaines investigations.