Les technologies numériques au service de l’agriculture de demain
L’agriculture doit augmenter sa production, tout en diminuant sa forte pression sur l’environnement. Les techniques numériques peuvent lui permette de réussir ce challenge, en valorisant les masses de données existantes, en simulant l’évolution de la croissance d’une culture pour tenir compte des paramètres agissants et en profitant des progrès du machinisme avec informatique embarquée.
L’agriculture moderne fait face à un certain nombre de grands défis qui vont nécessiter le déploiement de technologies de rupture afin de pouvoir y faire face. D’une part, la croissance continue de la population mondiale impose d’augmenter les productions agricoles d’au moins 50 % d’ici à l’horizon 2050.
“ Toujours plus de données à tous les maillons des filières agroalimentaires ”
D’autre part, le secteur agricole exerce déjà une très forte pression sur l’environnement, en étant responsable de 32 % des émissions de gaz à effet de serre et en consommant 70 % des ressources en eau de la planète.
Afin de garantir la pérennité des productions, le secteur agricole doit parvenir à préserver les ressources naturelles et respecter les contraintes environnementales en limitant les intrants tels que fertilisants ou produits phytosanitaires.
REPÈRES
Aujourd’hui, 79 % des agriculteurs utilisent Internet (plus que la moyenne française) et 70 % des agriculteurs connectés utilisent des applications professionnelles (source : Alim’agri – ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation).
L’agriculture de demain devra parvenir à produire beaucoup plus en consommant et polluant beaucoup moins.
Pour y parvenir, les technologies numériques représentent une opportunité majeure de progrès. Ces sources de progrès reposent d’un côté sur les progrès en matière d’apprentissage profond qui permettent aujourd’hui de valoriser les grandes masses de données générées dans le domaine agroclimatique, et d’un autre côté sur les méthodes de simulation de croissance de plantes fondées sur la compréhension des processus biologiques.
L’agriculture de précision. © PROJET SMART AGRICULTURE SYSTEM
L’EXPLOITATION MASSIVE DE DONNÉES, NOUVELLE RESSOURCE AGRICOLE
Un point essentiel de la nouvelle révolution agricole est la disponibilité de toujours plus de données à tous les maillons des filières agroalimentaires. Ces données proviennent de sources multiples et hétérogènes, ce qui complexifie d’autant leur traitement.
D’abord, des masses de données historiques ont été accumulées dans les grands organismes publics tels que l’Agence sanitaire américaine (USDA) ou via la PAC en Europe.
Ensuite, les différents engins agricoles, dont typiquement tracteurs, semoirs, épandeurs, robots ou encore outils de transformation, sont désormais équipés de capteurs embarqués permettant de suivre en temps réel le travail agricole et la qualité des productions.
“ Les outils de modélisation permettent aujourd’hui de simuler l’évolution de la croissance d’une culture ”
Le développement rapide de l’Internet des objets dans les champs via les réseaux de basse énergie LORA ou Sigfox va également rendre possible le déploiement de réseaux de capteurs in situ, permettant de suivre localement le développement des cultures ainsi que les conditions pédologiques et climatiques.
Enfin, l’ouverture des données issues de constellations de satellites, par exemple le programme Sentinel de l’Union européenne, va aider à inventer de nouveaux modèles économiques autour de la modulation intraparcellaire en imageant précisément les hétérogénéités de développement que l’on sait très importantes à l’intérieur même des parcelles.
L’ensemble de ces données, historiquement peu mises en valeur, peut aujourd’hui être traité conjointement grâce à la modélisation mathématique et à la puissance de calcul, offrant ainsi de nouvelles perspectives pour l’optimisation des processus agricoles. La valorisation de ces données peut se faire selon deux approches complémentaires.
L’APPRENTISSAGE STATISTIQUE
La première approche se fonde sur les outils de traitement et d’apprentissage statistique. Une des principales difficultés du traitement de ces données est liée à leur grande hétérogénéité : images satellites, séries de données climatiques, informations parcellaires, données économiques…
RÉSEAUX DE NEURONES
Les méthodes d’apprentissage profond utilisant des réseaux de neurones profonds ont récemment montré des résultats spectaculaires sur un grand nombre de problèmes.
La profondeur, liée au nombre de couches de traitement, permet d’apporter la flexibilité nécessaire à la caractérisation des processus sous-jacents décrits par les données.
Des méthodes mathématiques de réduction de dimension rendent possible le traitement conjoint de ces données avec des algorithmes de machine learning.
Ces algorithmes sont typiquement de deux types et utilisent les données : soit pour calibrer des modèles de « régression » où une ou plusieurs variables sont prédites à partir d’un grand nombre de covariables, comme le rendement à partir des données climatiques et itinéraires culturaux, soit pour classifier et identifier des typologies pertinentes, comme reconnaître différentes cultures à partir de séries d’images satellites.
La difficulté de la calibration de ces modèles, en raison de la complexité de leur architecture, est aujourd’hui surmontée grâce aux progrès récents en matière d’algorithmique et de capacités de calcul, ouvrant ainsi les portes à leur apprentissage sur de très grandes bases de données.
SIMULER LA CROISSANCE DES PLANTES
En parallèle de la modélisation par les données, des travaux sont menés depuis une trentaine d’années pour parvenir à intégrer dans des formalismes mathématiques cohérents les connaissances acquises en matière d’agronomie, de biologie et de botanique.
LES GRANDS SEMENCIERS INNOVENT
Avec en moyenne 20 % de leurs revenus réinvestis chaque année dans la R & D, les grandes firmes semencières telles que Pioneer-Dow, Bayer- Monsanto, Limagrain, KWS et d’autres font figure de modèles en matière d’innovation.
Ces outils de modélisation permettent aujourd’hui de simuler l’évolution de la croissance d’une culture, intégrée dans son environnement grâce à un couplage avec la modélisation du sol et de l’environnement : cycle de l’azote, flux énergétiques sol-plante-atmosphère, balance en eau…
Ces modèles sont confrontés aux données pour leur étalonnage et validation, et il est alors possible de travailler par simulation numérique sur nombre de facteurs d’intérêt : estimer le potentiel de rendement en fonction d’une conduite culturale donnée, quantifier l’impact du changement climatique sur les productions agricoles…
En utilisant les outils de modélisation et de simulation construits, soit à partir des connaissances extraites des bases de données, soit en injectant les connaissances scientifiques sur le système sol-plante-atmosphère, un grand nombre de services à forte valeur ajoutée peuvent être apportés à toutes les étapes du cycle de vie du végétal, depuis la sélection variétale jusqu’à la première transformation des produits agricoles.
“ Un large éventail de pratiques culturales peut être optimisé grâce à l’utilisation de services numériques ”
Cette approche, générique et transverse à toutes les filières agroalimentaires, repose sur des méthodes d’optimisation stochastique prenant en compte l’aspect aléatoire des prévisions climatiques. Ces méthodes numériques sont aujourd’hui opérationnelles grâce aux progrès très rapides en matière de capacités de calcul.
L’avènement du cloud et plus récemment des offres du type HPC as a service ouvre désormais une nouvelle fenêtre pour des modèles économiques proposant des services en ligne à forte valeur ajoutée en évitant des investissements lourds dans des infrastructures de calcul.
TOUTE LA FILIÈRE AGROALIMENTAIRE EST CONCERNÉE
L’horizon des possibles ouvert par les technologies numériques en agriculture est large et touche l’ensemble des étapes successives des filières agroalimentaires.
LE NUMÉRIQUE EN PLEIN CHAMP
Les progrès en matière de machinisme tels que l’informatique embarquée permettant la modulation automatique, le GPS différentiel avec localisation à 2 cm près, la robotique permettent aujourd’hui d’utiliser ces cartes d’application de façon automatisée sans aucune intervention humaine en champ.
À commencer par la sélection variétale, dans un marché très concurrentiel.
L’effort pour parvenir à produire une nouvelle variété plus performante est long (une dizaine d’années) et donc coûteux. Chaque année, les semenciers réalisent des millions d’essais en carrés latins de croisements nouveaux dans l’espoir de faire ressortir une génétique avec des traits toujours plus performants.
Les technologies numériques introduisent un véritable changement de paradigme en promettant de remplacer les coûteux essais en champ par des simulations par ordinateur, de la même façon que la conception d’une voiture ou d’un avion a été complètement bouleversée par l’introduction de la simulation numérique dans les années 70.
LE CHAMP D’APPLICATION EST ÉTENDU
Les technologies numériques au service de l’ensemble de la filière agroalimentaire. © CYBELETECH
Au niveau de la conduite des cultures, c’est un large éventail de pratiques culturales qui peuvent être optimisées grâce à l’utilisation de services numériques.
Ces services sont pertinents qu’il s’agisse d’intervenir en amont de la saison, choix de variétés adaptées, optimisation de la densité de semis en fonction du potentiel du sol ; ou pendant la saison : optimisation des pratiques de fertilisation et d’irrigation en fonction des réels besoins de la plante…
Un point important est l’adaptation des préconisations de conduite aux hétérogénéités parcellaires en produisant des cartes d’application modulées sur la parcelle adaptant la conduite en fonction des différences de développement et donc des besoins de la plante.
La mesure du développement des cultures à l’échelle intraparcellaire est effectuée en quasi-temps réel grâce à la télédétection par satellite avec des temps de revisite réduits à cinq jours, offrant une couverture exhaustive sur l’ensemble de la saison.
Un autre champ d’optimisation des conduites concerne le pilotage des serres pour le maraîchage pour réguler le climat interne de la serre et les apports aux plantes en fonction du stade de développement et du climat extérieur. Un certain nombre de capteurs, reliés par l’Internet des objets, permettent de suivre en temps réel les progrès de la culture et ainsi quantifier les besoins de la plante et les besoins d’environnement optimal.
L’ensemble de ces services, touchant à l’ensemble des filières et processus agroalimentaires, est rendu aujourd’hui possible grâce aux progrès en matière d’algorithmique et d’infrastructure de calcul haute performance.
Le déploiement de ces services est une opportunité sans précédent pour assurer la compétitivité et la pérennité des activités agricoles, tout en s’adaptant aux contraintes environnementales toujours plus fortes.