Les trois clés du modèle chinois
On peut distinguer trois phases dans le développement du modèle chinois depuis les années 1980.
La première est celle de l’influence américaine. Beaucoup de jeunes Chinois sont allés étudier dans les business schools américaines. Deng Xiaoping avait fait du profit un objectif noble. Le plus court chemin pour y parvenir était alors d’imiter le capitalisme américain.
Le tournant de 2008
Puiser dans l’histoire, la philosophie et les valeurs chinoises
La deuxième phase du développement de la Chine intervient à partir de 2008. La crise financière qui débute aux États-Unis provoque un choc en Chine. On se met à douter de l’excellence du modèle américain. Les résultats des entreprises chinoises, mais aussi la croissance de l’économie poussent les dirigeants politiques et les chefs d’entreprise à faire preuve de davantage d’assurance dans le modèle chinois.
Les Jeux olympiques de Pékin sont une expression spectaculaire du fait que la Chine a atteint une sorte de maturité et de confiance en elle-même qui lui permet de se dissocier progressivement de tout modèle étranger.
Enfin, la troisième phase est en train de se mettre en place. C’est celle de la montée en puissance d’un modèle authentiquement chinois de développement et de management, qui puise à la fois dans les leçons apprises à Harvard ou à Princeton, mais aussi dans l’histoire, la philosophie, les valeurs spécifiquement chinoises.
REPÈRES
Le point de départ du miracle économique chinois se situe à la fin des années 1970, lorsque Deng Xiaoping, après la mort de Mao, choisit une méthode assez risquée. Puisqu’il ne peut pas changer d’un coup la Chine entière, il choisit d’expérimenter, dans des zones spécifiques, les fameuses « zones économiques spéciales » (ZES), dont les règles de fonctionnement dérogeront aux principes du Parti et laisseront libre cours à l’entreprise et à l’enrichissement. À partir de 1978, les ZES fleurissent dans toute la Chine, les résultats sont spectaculaires. La transformation du pays reprend de plus belle après 1989.
Une combinaison d’éléments
Il existe des éléments fondamentaux dont la nature permet de saisir l’essence d’un pays. Ces trois éléments s’appellent l’esprit, la nation, l’énergie. La Chine en présente une combinaison unique qui façonne aujourd’hui sa puissance économique et politique.
L’esprit
Le zèle et l’honnêteté
Le confucianisme valorise les administrateurs, ceux dont le zèle et l’honnêteté assurent le bon fonctionnement de l’État, portés aux nues par Gao Zu, le premier empereur de la dynastie Han (206 avant J.-C.–220 après J.-C.). Le fait que le nouveau maître de la Chine, Xi Jinping, fasse de la lutte contre la corruption l’un de ses objectifs prioritaires est le signe que l’idéal confucéen est totalement d’actualité dans la Chine d’aujourd’hui. Beaucoup d’entrepreneurs chinois parlent ouvertement et fréquemment de spiritualité, de philosophie, de morale et de la façon dont leurs valeurs et leur style de gestion reflètent la culture et les traditions chinoises.
En dépit des années difficiles de la Révolution culturelle et de l’explosion de l’économie socialiste de marché, le fond de la pensée chinoise s’articule toujours autour des notions développées par Confucius et ses disciples. Le confucianisme repose sur des idées et des principes clés (le rituel, le comportement éthique, la hiérarchie, etc.) qui sont nécessaires à la bonne organisation de la société, elle-même essentielle au maintien de la stabilité.
Les domestiques doivent obéir à leurs maîtres, les sujets doivent obéir à leur souverain, les enfants à leurs parents. De cette structure hiérarchique vient l’idée du ren (la bienveillance), du yi (la propriété), du xiao (la piété filiale) et du zhong (la loyauté). La famille joue un rôle central dans la pensée confucéenne, depuis la notion de base des parents et des enfants, jusqu’à une acception plus complète, comme l’État et le peuple et, par analogie, le chef d’entreprise et ses employés.
La nation
La prise de décision
En Chine, la prise de décision politique est un processus long et minutieux. Les propositions font systématiquement l’objet de « fuites » dans les médias d’État afin qu’elles donnent lieu à des débats avant de devenir des décisions politiques. Il n’y a pas de changement radical ou soudain de direction. Il s’agit davantage d’encourager des tendances, de changer d’intensité ou de priorité. Ce sens de la nation fait aussi que les entrepreneurs chinois prennent leur rôle très au sérieux. Leurs succès, en Chine ou à l’étranger, sont aussi des succès de la Chine.
Les dirigeants chinois semblent aujourd’hui davantage conscients de leurs responsabilités historiques envers le peuple, sous le mandat du Ciel. Ils utilisent toujours le pouvoir de conviction et de contrôle avec beaucoup d’efficacité, mais semblent conscients aussi de leurs limites et du danger de pousser l’énorme masse de la population trop fort ou trop vite dans quelque direction que ce soit.
L’énergie
L’énergie de commercer et d’entreprendre est aux origines de la Chine. Les Chinois ont commencé à faire commerce du sel il y a plus de 4 000 ans. Ne revenons pas sur l’extraordinaire expansion économique de la Chine au Moyen Âge puis, plus tard, entre les XVe et XIXe siècles.
1895 (lorsque Zhan Jian créa Dasheng Cotton Mill) et 1915, 549 entreprises ont vu le jour, un quart d’entre elles étant dirigées par des entrepreneurs privés. Outre Zhang, les héros chinois des affaires comptaient dans leurs rangs les frères Rong (soie, farine, tissage de coton), Mu Ouchou (coton), Zhou Xuexi (mines, ciment), Fan Xudong (chimie), Lu Zuofu (transports maritimes), Liu Hongshen (ciments, allumettes), Yu Qiaqing (transports), et Chen Guangfu (1880−1976), connu aussi sous le patronyme de K. P. Chen, actif dans la banque, le tourisme, l’assurance.
Au service de la nation
L’importance donnée à la personne par rapport au savoir
La combinaison de l’esprit, de la nation, de l’énergie explique pour une part les succès des entrepreneurs chinois qui savent puiser dans la culture millénaire de l’empire du Milieu, qui s’estiment au service de la nation chinoise et de l’État, et qui sont des travailleurs et des entrepreneurs infatigables.
Ils apportent dans la gestion des entreprises des ingrédients intéressants à étudier pour les dirigeants occidentaux, comme l’élément spirituel, l’observation très attentive de l’environnement qui leur donne réactivité et souplesse, l’importance donnée à la personne par rapport au savoir, la capacité de changer très rapidement de stratégie pour s’adapter à un environnement en mutation très rapide, un mode de commandement centralisé et une grande exigence à l’égard de leurs collaborateurs.