Les usages et les infrastructures sont aussi des leviers de la mobilité décarbonée
Pour Tractebel, les efforts pour décarboner la mobilité ne doivent pas se concentrer uniquement sur la dimension énergétique. Il s’agit aussi de repenser les usages et de mieux dimensionner les infrastructures pour être plus impactant. Charles-Édouard Delpierre, CEO Business Area Infrastructures Europe, et membre du COMEX de Tractebel-ENGIE, et Thibaud Hilmarcher, Senior expert mobilité durable et décarbonée au sein de Tractebel-ENGIE, nous en disent plus.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la mobilité dans un contexte où la transition énergétique s’accélère ?
La transition énergétique révolutionne le monde de la mobilité depuis déjà plusieurs décennies. Au cœur des enjeux, on retrouve notamment la question du carburant et des sources d’énergie. Avec l’accélération de l’électrification des flottes et le développement de l’hydrogène pour décarboner la mobilité lourde, les besoins en infrastructures pour accompagner ces évolutions sont de plus en plus importants.
Cette décarbonation de la mobilité s’accompagne, par ailleurs, d’évolution des usages. On note notamment un recul du nombre de personnes qui ont le permis de conduire. Aujourd’hui, la mobilité ne se résume plus aux véhicules. Elle est de plus en plus appréhendée comme un service. Ce « mental shift » ou changement de paradigme facilite toutefois le passage d’une mobilité carbonée avec des véhicules essentiellement thermiques alimentés par des hydrocarbures vers de nouvelles mobilités et une pluralité d’énergies.
Qu’est-ce ce que ces évolutions impliquent pour un acteur comme Tractebel ?
Il est évident qu’il n’est aujourd’hui plus possible d’avoir une approche silotée de la mobilité. L’enjeu est de développer une approche plus globale de la mobilité afin de trouver le parfait équilibre entre la mobilité, le transport, les énergies et la ville. Ces problématiques sont au cœur de l’activité et de l’expertise de Tractebel. Filiale du groupe ENGIE, Tractebel est une société d’ingénierie qui emploie plus de 5 500 ingénieurs, dont plus de 1 000 travaillent au quotidien sur les enjeux de la ville de demain.
Au sein de cette équipe dédiée à la ville, nous avons 40 ingénieurs qui travaillent sur la mobilité. Plus concrètement, nous intervenons en amont, dans une démarche de conseil, au niveau de l’élaboration et de la définition du schéma directeur de planification, jusqu’aux étapes aval avec la maîtrise d’œuvre pour accompagner l’implémentation ou l’exploitation de projets de mobilité individuelle et collective utilisant des carburants décarbonés. Nous sommes ainsi amenés à intervenir sur divers enjeux : l’accompagnement du changement pour favoriser l’adoption de carburants alternatifs et plus verts ; le développement de la mobilité électrique avec notamment le changement de flottes d’entreprises et de collectivités locales (bus, camions de ramassage d’ordures…) ; le déploiement d’infrastructures de recharges ; l’électrification et/ou l’automatisation du transport urbain (métro, tramway…) ; l’adaptation de la logistique urbaine et péri-urbaine ; le développement du fret et du ferroviaire pour les poids lourds…
Fortes d’une expertise de plus de 40 ans, nos équipes couvrent ce large spectre et accompagnent nos clients sur l’ensemble de ces mobilités. Et dans cette démarche, nous capitalisons aussi sur le savoir-faire historique d’ENGIE en matière d’énergies. Aujourd’hui, pour relever ce défi de la mobilité décarbonée de demain, notre positionnement est de travailler, d’abord, sur l’optimisation de l’offre et de la demande, afin ensuite de décarboner les carburants.
Dans cette démarche, vous vous appuyez sur un outil et une approche que vous avez développés au sein de Tractebel, TracToZero. Pouvez-vous nous en dire plus ?
En effet ! TracToZero est une suite d’outils logiciels permettant de prendre en compte l’ensemble des paramètres pour proposer l’infrastructure la plus adaptée aux besoins en mobilité tout en prenant en compte la dimension décarbonation : quel est le modèle de transport le plus pertinent ? où est-il plus pertinent d’implanter des bureaux, un dépôt de bus… ? comment optimiser les flux ? quels sont les services à déployer (accessibilité, parkings…) ? comment décarboner une flotte professionnelle, rattachée à une entreprise ou une collectivité locale ? quels types d’infrastructures énergétiques déployer (bornes de recharges électriques, stations hydrogène…) ?
Plus concrètement, nous mettons à la disposition des entreprises un outil qui va les accompagner dans la décarbonation de leur flotte tout en leur garantissant la continuité opérationnelle et un processus de décarbonation en cohérence avec leurs différents usages (à quel moment changer un véhicule, quel vecteur énergétique choisir, comment dimensionner l’infrastructure… ?). Nous leur proposons aussi un outil pour les aider dans l’optimisation de leur plan de déplacement d’entreprise. À partir d’un état des lieux de la situation existante, qui va prendre en compte différents critères (environnementaux, financiers, durée des trajets…), nous allons être en mesure d’élaborer une feuille de route pour améliorer la mobilité des collaborateurs.
En parallèle, nous proposons des outils équivalents qui ont été pensés et conçus pour répondre aux problématiques à l’échelle d’un territoire, d’une collectivité ou d’une ville. En partant d’une fine vision de leurs différents flux et mouvements de personnes, de la logistique urbaine, des transports en commun, nous les aidons à réduire l’impact de la mobilité sans aucun compromis sur la qualité de services délivrée aux usagers et citoyens.
Pouvez-vous nous donner des cas d’usages concrets ?
Dans le cadre du schéma directeur de Liège en Belgique, nous accompagnons la métropole sur l’ensemble de la stratégie relative à la décarbonation des flottes du territoire, des entreprises et des individus dans une démarche globale qui se veut exemplaire et multi-acteurs permettant également de dimensionner, localiser et phaser le futur réseau public de bornes de recharges. À Charleroi, toujours en Belgique, nous sommes intervenus dans le cadre du projet de construction d’un nouvel hôpital afin d’identifier le meilleur emplacement au regard des flux de transports en commun et en termes d’accessibilité au site aussi bien pour les personnels que les visiteurs ; de dimensionner les infrastructures de stationnement et de recharge en prenant en compte l’évolution de la demande sur le long terme et les capacités de l’hôpital sur le plan énergétique…
En France, avec le groupe SAUR, un acteur de la distribution et de l’assainissement des eaux, nous travaillons sur le verdissement de leur flotte. En parallèle, nous avons accompagné Aéroports de Paris (ADP) dans le cadre du verdissement des flottes des trois aéroports de Paris avec notamment un appel d’offres qui a été lancé pour l’installation de bornes de recharge pour les véhicules sur la base des études amont que nous avons menées.
Quels sont selon vous les principaux freins et enjeux qui persistent actuellement ?
Au niveau de la massification de la mobilité électrique individuelle, le principal frein est l’installation des bornes de recharge et leur financement. Aujourd’hui, est-ce au particulier de prendre en charge ce coût ? l’entreprise s’il s’agit d’un véhicule de fonction ? le bailleur social ? la copropriété ? la collectivité locale ? le fournisseur automobile ? l’énergéticien ? l’Etat ?
Si les infrastructures publiques et relevant des entreprises se développent rapidement, cela n’est pas le cas au niveau des utilisateurs particuliers. Pour accélérer l’électrification de la mobilité, nous militons pour une gouvernance clarifiée appuyée par une planification intégrant menée à l’échelle nationale. Dans cette démarche, il serait intéressant de s’inspirer de modèles qui ont fait leur preuve comme celui du déploiement du très haut débit dans le domaine des télécommunications.
Au niveau de la mobilité collective, le principal frein est le coût du véhicule électrique et gaz qui reste supérieur à celui d’un véhicule thermique. Là encore, il serait pertinent de prendre en exemple le modèle des télécommunications qui dispose d’un organe régulateur qui a accompagné et supervisé le déploiement du plan très haut débit. Cette planification pilotée par l’État et impliquant aussi bien la sphère publique que privée nous semble nécessaire pour réussir la décarbonation de la mobilité.
Et pour conclure ?
La décarbonation de la mobilité repose sur la capacité à se faire parler trois écosystèmes : l’énergie, les véhicules et les infrastructures. Dans ce cadre, notre ambition est de continuer à conseiller et accompagner les décideurs pour qu’ils puissent réussir leur décarbonation. Et pour ce faire, nous recrutons des talents pour venir renforcer nos équipes en Europe.