Les villes doivent s’adapter aux enjeux climatiques
Les villes, à l’origine des deux tiers des émissions de gaz à effet de serre, sont aussi particulièrement vulnérables à l’accroissement des événements climatiques extrêmes (inondations, vagues de chaleur), ainsi qu’à l’élévation du niveau des eaux.
REPÈRES
Bien qu’elles n’occupent que 2 % des terres, les villes sont responsables d’au moins deux tiers des usages de l’énergie et des émissions de gaz à effet de serre, compte tenu du poids, dans ces émissions, de l’énergie (26%) et notamment de la production d’électricité et de chaleur, des transports (13 %), des bâtiments résidentiels et tertiaires (8 %), de l’industrie (19 %) et de la gestion des déchets (3 %).
De plus, elles concentrent l’essentiel de la croissance économique.
Des risques de submersion
« L’îlot de chaleur urbain », c’est-à-dire l’excès de température par rapport aux zones avoisinantes, peut atteindre une dizaine de degrés dans certaines mégalopoles, ce qui accroît leur vulnérabilité aux fortes chaleurs.
D’autre part, l’urbanisation se développe d’abord sur les littoraux. Les aires susceptibles d’être submergées par les « marées de tempête » augmentent donc, celles-ci affectant particulièrement les zones urbanisées qui concentrent la population et sont dépendantes du bon fonctionnement des réseaux d’assainissement, de transports et d’énergie.
Les deux dimensions
L’îlot de chaleur urbain peut atteindre une dizaine de degrés
Les enjeux sont maintenant bien perçus par la plupart des responsables de villes et de collectivités, comme le montrent les rapports des Nations unies UN-Habitat ou les déclarations de la Convention des maires.
Cette prise de conscience se reflète aussi dans le développement des plans d’action climat-énergie territoriaux, aujourd’hui en voie de généralisation en France, la loi Grenelle II les ayant rendu obligatoires à partir de 50 000 habitants.
De plus en plus souvent, les deux dimensions de la réduction des émissions et de l’adaptation au changement climatique y sont prises en compte.
Des quartiers durables
Les réponses les plus élaborées dont on dispose aujourd’hui relèvent plutôt d’échelles très locales, avec les « quartiers durables » qui expérimentent de nouvelles solutions techniques en matière de performance énergétique et de transports.
Ainsi, l’inertie des émissions de gaz à effet de serre des villes demeure encore le principal obstacle à la réalisation de leur inflexion globale qui serait nécessaire pour stabiliser le climat, ou, à tout le moins, préserver des capacités d’adaptation suffisantes face à son évolution.
L’enjeu est lourd, car la réduction de ces émissions et celle de la vulnérabilité des villes aux impacts du changement climatique dépendent de multiples facteurs, techniques, économiques et sociaux, qui vont de l’urbanisme aux modes de vie. Des cadres d’action commencent cependant à se construire pour répondre à ces deux défis, de la réduction des émissions des villes, et de leur adaptation à des évolutions du climat déjà en partie irréversibles.
LA FORME DES VILLES EN QUESTION
Le rôle de l’urbanisme sur la consommation d’énergie a été abondamment discuté, suite aux études de Newman et Kenworthy (Sustainability and Cities : Overcoming Automobile Dependance). Ceux-ci observaient une relation globale inverse très marquée entre les densités urbaines (nombre de personnes par hectare) et les consommations d’énergie liées aux transports. Les villes européennes se situent en position intermédiaire entre les villes asiatiques (très denses et peu consommatrices), et les villes canadiennes, australiennes ou américaines peu denses et très consommatrices).
Mobilité et densité
L’orientation en faveur de villes denses et de taille importante pour réduire les « empreintes carbone » ne heurte pas les recommandations des analyses purement économiques en matière de stratégies d’urbanisation. En effet, la « nouvelle économie géographique » souligne que la densité démographique est source de richesse, car elle permet d’exploiter les économies d’agglomération qui sont associées à la diffusion des connaissances, à un marché du travail efficace, à de larges viviers de qualifications et de facteurs de production, et à l’exploitation des économies d’échelle dans la production.
Cependant l’empreinte écologique se joue moins au niveau de la concentration des activités que des mobilités et densités « résidentielles ». On se situe donc au niveau plus exigeant de l’organisation interne des villes, avec comme obstacle à lever, de construire des villes denses et attractives.
Causalité et recommandations
Cette relation a été étudiée à la fois en termes de causalité et de recommandations. La densité est-elle le facteur déterminant ou un marqueur reflétant un ensemble de caractéristiques plus complexe, telles que l’âge, les revenus, les modes de vie ?
Comment accroître les densités urbaines ? Sur le premier point, on observe, par exemple, quand on considère les disparités d’effort énergétique des ménages français, que la densité semble un facteur déterminant, non seulement des dépenses de carburants, mais aussi de chauffage. Dans ce dernier cas, la causalité n’est évidemment pas directe ; ce qui est en jeu est l’importance des maisons individuelles construites avant les premières réglementations thermiques et encore chauffées au fuel.
Tarification et fiscalité
Sur le second point, il faut prendre en compte que les densités et l’étalement urbain sont des variables « endogènes », produits de forces d’agglomération et de forces de dispersion, notamment la baisse des coûts de transports individuels.
La densité démographique est source de richesse
Certes, les travaux menés pour préciser ces questions confirment que les formes urbaines (densité et distance au centre) sont des déterminants cruciaux des émissions de CO2 liées aux transports.
Les leviers pour l’intervention publique sont donc le rôle premier de la tarification des transports individuels ou la fiscalité sur les carburants, puis l’importance de l’offre de transports publics et des règles d’urbanisme, qui, par exemple, ne doivent pas entraver la densification dans les centres ou à proximité des stations des réseaux de transports collectifs.
LE RÔLE DES « MAIRES »
Le programme pour le XXIe siècle de la conférence de Rio a constitué le point de départ de la reconnaissance que ces enjeux concernaient les villes en tant qu’institutions, les autorités locales ayant donc un rôle à jouer dans les politiques climatiques, à la fois pour la mitigation des émissions et pour l’adaptation au changement climatique.
Un bien public global
Aller vers un prix uniforme du carbone
Ce rôle des villes dans les politiques climatiques n’a émergé que progressivement. En effet, les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère constituant un « bien public global », il avait été souligné à juste titre que l’efficacité économique réclame que l’on ne dépense pas, par exemple, 200 euros pour éviter l’émission d’une tonne de CO2 quelque part, alors que des gisements d’abattements à 15 euros par tonne demeurent inexploités ailleurs.
Les politiques visant la réduction des émissions de gaz à effet de serre devraient donc être définies au niveau le plus élevé, c’est-à-dire international. L’idée, qui a sous-tendu le protocole de Kyoto, était donc d’aller vers un prix uniforme du carbone, qui aurait pu ensuite être décliné nationalement, pour réguler les pollutions « diffuses » tendanciellement les plus importantes.
Des décisions privées
Par ailleurs, l’adaptation au changement climatique demeurait un parent pauvre de la réflexion, notamment parce que l’on craignait que la discussion sur ce sujet ne retarde les efforts nécessaires sur la réduction des émissions.
Il y avait aussi l’idée que les choix correspondants relevaient de décisions « privées », chaque agent économique étant à même d’apprécier les bénéfices qu’il peut retirer de ses efforts d’adaptation. Les villes apparaissent ainsi de plus en plus impliquées dans les politiques climatiques.
Le succès des Néerlandais face aux inondations tient autant à la mise en place des institutions nécessaires à la gestion du risque, qu’à la capacité technique à construire des digues. FOTOLIA
Diffus et privés
Les « Agendas 21 locaux » visaient essentiellement à ce que les politiques locales intègrent les concepts du développement durable, l’accent étant mis sur la gouvernance. Cependant, il est apparu qu’il fallait prendre garde à ne pas mal interpréter les mots « diffus » et « privé ». Certes, les émissions de CO2 sont la résultante de celles de tous les agents économiques, ménages et entreprises, donc « diffuses » par rapport aux agents émetteurs. Mais elles sont géographiquement très concentrées dans les villes.
De plus, si leur ampleur dépend de choix individuels, de localisation, d’équipements, et de mobilité, ceux-ci sont conditionnés par les équipements publics des villes, notamment l’offre de transports publics, et leurs régulations foncières. Les villes sont donc un acteur clef des politiques de réduction des émissions de CO2. D’autre part, le renvoi aux choix « privés » pour l’adaptation est d’abord à interpréter comme l’affirmation que ceux-ci relèvent du niveau « infragouvernemental ». Mais ce sont en fait les villes et les gestionnaires de leurs différents réseaux qui sont concernés au premier chef.
Deux éléments renforcent encore ce processus : la difficulté à élaborer et faire accepter les politiques d’atténuation au niveau national, où les intérêts des différentes industries et des différents types de ménages apparaissent très contradictoires et par là trop difficiles à concilier ; la nécessité de développer des expérimentations, ou démonstrateurs, « grandeur nature ».
DES VILLES BAS-CARBONE
Bien que la conception des politiques correspondantes soulève encore beaucoup de difficultés, des références commencent à émerger, proposant un cadre général d’action pour le financement des infrastructures urbaines « vertes ».
Des politiques cohérentes
Leurs recommandations insistent tout d’abord sur l’importance de la cohérence des politiques entre les différents niveaux de gouvernement. L’action au niveau des villes sera d’autant plus facile et efficace qu’un cadre général pour les politiques climatiques sera en place au niveau national.
Cela nécessite notamment l’établissement d’un « signal-prix » général incitant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ; l’élimination des réglementations qui constituent des obstacles à l’action des villes en ce domaine, y compris au niveau des possibilités d’expérimentation ; d’éventuels fonds de compensation pour les collectivités locales s’engageant sur des objectifs plus ambitieux.
Il convient ensuite de s’assurer qu’au sein des villes les agents économiques sont pleinement responsabilisés aux coûts sociaux de leurs choix. Cela passe par l’élimination de tout ce qui pourrait constituer, par exemple, des subventions ou incitations à l’étalement urbain, et par des politiques de tarification des déplacements routiers qui incitent à la réduction des trafics et des pollutions. Cela nécessite cependant que les usagers disposent d’alternatives, notamment de transports publics, et donc une programmation cohérente des investissements.
Des choix difficiles
Trois incertitudes
En matière d’adaptation, le rapport de Perthuis-Hallegatte-Lecocq soulignait qu’il faut tenir compte de trois types d’incertitudes, qui s’additionnent : celles sur l’évolution future du climat, car les impacts attendus du changement climatique sont incomparables selon que l’on se situe dans un scénario de hausse moyenne de + 2°C ou de + 4°C ; celles sur les conséquences possibles d’un scénario climatique donné au plan local ; et celles sur l’évolution des capacités d’adaptation de nos sociétés dans le futur. Ces incertitudes imposent notamment d’évaluer les mesures d’adaptation en tenant compte du degré de flexibilité qu’elles préservent pour l’action future.
Toutefois, compte tenu des inerties techniques, économiques, politiques, institutionnelles et culturelles, il n’est pas toujours possible de prendre des mesures d’adaptation parfaitement flexibles.
Il est donc nécessaire de faire des choix relatifs à l’adaptation en l’absence d’information complète, malgré le risque de « maladaptation » ex post qui en résulte.
En tout état de cause, la question n’est pas de savoir comment s’adapter à un « nouveau » climat mais de savoir comment et à quel coût nous pouvons adapter nos villes à un climat « sans cesse changeant ». L’adaptation doit donc être comprise comme une politique de transition permanente sur le très long terme.
Quatre niveaux pour le rôle de l’action publique en matière d’adaptation étaient identifiés par ce rapport.
Diffuser l’information
En premier lieu, les pouvoirs publics ont un rôle à jouer dans la production et la diffusion de l’information sur le changement climatique, ses impacts et les moyens de s’y adapter afin de permettre aux acteurs privés de prendre leurs décisions en connaissance de cause. Transmettre l’information sur l’incertitude et sur les outils à même de la prendre en compte est ici essentiel.
Adapter les normes et la fiscalité
Un second type d’action publique vise à adapter les normes, les règlements et la fiscalité qui encadrent l’action des acteurs publics et privés.
À côté des normes techniques stricto sensu, il peut s’avérer nécessaire d’adapter les normes procédurales, ainsi que d’autres normes non directement liées au climat, mais qui influencent la capacité à s’adapter, comme les normes architecturales dans le domaine du bâtiment.
Impliquer les institutions
Une politique de transition permanente
Un troisième type d’action publique concerne les institutions, car en modifiant de manière rapide et imprévisible les circonstances, le changement climatique va exercer une tension croissante sur les institutions et contrats existants, par exemple en matière d’assurance vis-à-vis des catastrophes naturelles.
L’histoire suggère que les institutions jouent un rôle essentiel dans l’adaptation. Par exemple, le succès des Néerlandais face aux inondations tient autant à la mise en place des institutions nécessaires à la gestion du risque, qu’à la capacité technique à ériger des digues.
Infléchir les politiques d’aménagement
Enfin, le quatrième type de mesures publiques face au changement climatique recouvre l’action directe d’adaptation des collectivités locales sur les infrastructures publiques, les bâtiments publics et les espaces dont elles ont la charge.
Il s’agit là d’intégrer directement les impacts à venir du changement climatique dans les politiques d’aménagement et la gestion des réseaux urbains.
Commentaire
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J’ai apprécié la référence
J’ai apprécié la référence aux Néerlandais qui, concernant les digues de protection contre la mer, ont mis en place des « institutions nécessaires à la gestion du risque ». Oui, je crois avoir lu après la catastrophe de la tempête Xynthia que les Néerlandais n’avaient guère que trois organismes pour gérer des centaines de kilomètres de digues remarquables quand nous en avions des milliers (8000, il me semble, dont pas mal de particuliers dont certains ne savaient peut-être même pas qu’ils étaient gestionnaires des digues en question !!) pour gérer des digues … absolument minables, de ce fait.
Question, si les maires et autres responsables de notre millefeuille administratif ont la « compétence » du Pouvoir (comment est-elle partagée d’ailleurs, mais c’est un tout autre sujet …), quelles institutions ont, chez nous, la compétence du Savoir, un savoir pourtant « nécessaire à la gestion du risque », qu’il s’agisse de gestion de digues de protection ou de développement / rénovation de grandes villes ?
Car les normes et les réglements, d’une part doivent être établis par des institutions compétentes (au premier sens du terme), d’autre part ne suffisent pas. Pour qu’ils soient efficaces il faut que ces mêmes institutions les fassent vivre à bout de bras. La fin de cet article par ailleurs fort intéressant me paraît un peu « courte ». Il est question « d’Impliquer les institutions ».
Ne faudrait‑i pas d’abord simplifier, clarifier les rôles et responsabilités, transformer les institutions en question pour qu’elles soient enfin « compétentes » aux deux sens du terme, Pouvoir et Savoir. Comme chez les Néerlandais ? Pourquoi y a‑t-il eu 50 morts lors de la tempête Xynthia ?