Les vingt-neuf polytechniciens d’Autolib”
L’aventure autolib’, c’est une aventure un peu folle d’entrepreneurs. Une aventure initiée par Vincent Bolloré, qui a vu dans l’appel d’offres lancé par le syndicat mixte Autolib’ (SMA), association de communes de la région parisienne, l’occasion de démontrer la performance de la batterie électrique qu’il développait depuis plusieurs années.
Il fallait relever le défi de la réalisation informatique en moins de douze mois, tâche qui a été confiée à Polyconseil.
USAGE FACILE, TECHNIQUE COMPLEXE
Il est possible de s’abonner à Autolib’ via son ordinateur, son smartphone ou une borne d’abonnement dans la rue. On peut réserver trente minutes à l’avance une voiture ou une place de stationnement. Quand on a ses documents avec soi, la procédure d’abonnement dure cinq à sept minutes et la prise de location est immédiate.
La complexité technique et informatique réside dans le fait qu’Autolib’ est un véritable opérateur de service de transport. Il faut gérer des clients dans la rue ; des véhicules qui possèdent leur propre électronique embarquée ; des bornes qu’il faut maintenir ; des équipes de terrain qui accompagnent les utilisateurs et des téléconseillers.
Un parc de trois mille voitures
Le service Autolib’ est le plus gros service urbain de partage de véhicules électriques dans le monde, permettant de prendre un véhicule en un point A et de le déposer en un point B.
Il dessert aujourd’hui une soixantaine de communes de la région parisienne, avec un parc de plus de trois mille voitures, accessible à partir de neuf cents stations d’accueil et complété par cinq mille bornes de recharge.
“ Prendre un véhicule en un point A et le déposer en un point B ”
On compte en moyenne 15 000 locations par jour, chaque voiture étant louée cinq fois en moyenne dans la journée. Depuis le lancement, en 2011, plus de 200 000 personnes se sont abonnées, dont 70 000 abonnés dits « premium », engagés sur une durée d’un an. Le taux de renouvellement chaque année est supérieur à 90 %.
Après Lyon et Bordeaux, où un service similaire a été ouvert l’an dernier, l’ouverture du service à Indianapolis, aux États- Unis, est en cours. Une implantation est envisagée à Singapour et de nombreuses grandes capitales sont intéressées.
Un nouveau métier
Polyconseil a assumé la responsabilité du projet dans son ensemble, avec le développement du système informatique, celui des infrastructures de télécommunication et le montage du centre opérationnel, avec l’ensemble de ses systèmes et sa téléphonie.
“ Avoir l’entrepreneuriat dans le sang ”
Il a fallu gérer les interconnexions des différents systèmes techniques avec les bornes d’abonnement, de location ou de charge, et avec les véhicules et leurs systèmes électroniques internes.
Avec Autolib’, un nouveau métier est né. Fin 2011, une quinzaine de développeurs avaient travaillé pendant dix mois. Aujourd’hui, le système est vingt fois plus gros. Il est possible de changer les bornes, les gens ou les véhicules, mais le logiciel central est le pivot de la structure.
Une vocation d’entrepreneur
Pour prendre un véhicule, il suffit de présenter son badge sur une borne.
Après une première expérience dans le domaine de l’ADSL, peu avant l’éclatement de la bulle Internet, Sylvain Géron (92) a rejoint son ami Marc Taieb (92) pour créer deux sociétés, Polyconseil et Wifirst. Dans un esprit de communauté et de solidarité, leurs frères respectifs, Aurélien Géron et Dominique Taieb, sautent dans leurs bateaux.
Wifirst, qui est devenu la référence du WiFi en France, a équipé la plupart des Centres nationaux des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS), les économats des Armées ainsi que les hôtels Accor ou Barrière.
Polyconseil et Wifirst sont ensuite entrées progressivement dans le groupe Bolloré.
Les valeurs de Polyconseil, souligne Sylvain Géron, sont « des valeurs d’entrepreneurs, et les collaborateurs doivent avoir l’entrepreneuriat dans le sang ». Nombreux sont les anciens de l’École polytechnique, « ce qui donne à l’entreprise une culture très “ingénieur” et très “commando” ».
La croissance de Polyconseil est assez régulière, de l’ordre de 25 % à 30 % par an depuis huit ans ; aujourd’hui, le cabinet compte une centaine de personnes et est situé au centre de Paris.
Être client d’Autolib’
Le client d’Autolib’ utilise successivement l’abonnement, la réservation, la prise de véhicule, l’ordinateur embarqué, la liaison avec le centre opérationnel et le système financier.
Il existe, dans Paris, soixante-dix bornes d’abonnement, dont l’emplacement a été choisi sous le contrôle des Monuments de France. Les clients peuvent également s’abonner depuis leur ordinateur ou leur smartphone.
Sur un écran tactile, le client entre les informations demandées ; il est ensuite photographié et un scanner permet de numériser sur place les documents requis ; une imprimante délivre un badge d’accès au véhicule. Il ne faut guère plus de sept minutes au client moyen pour s’abonner.
On compte en moyenne 15 000 locations par jour.
Pour prendre un véhicule, il suffit ensuite de présenter son badge sur une borne de location. Celle-ci vous pose un certain nombre de questions préalables, par exemple sur la prise éventuelle d’alcool ou de stupéfiants. Plus de la moitié du volume de la borne est occupée par l’appareillage électrique qui alimente les bornes de charge.
Le client peut réserver gratuitement sa voiture et sa place. Cette réservation se fait depuis l’application iPhone ou Android : il suffit de cliquer sur le bouton indiquant un véhicule libre et, cinq secondes plus tard, celui-ci est réservé pendant les trente minutes qui suivent.
Le centre d’appels est le centre névralgique du système. Son écran de contrôle est comparable à celui d’un opérateur de télécommunications et c’est là où sont concentrés les téléconseillers.
C’est également là qu’est réalisée l’assistance en cas de véhicule abîmé ou de place réservée mais volée. Le client est alors orienté vers une autre place ou, dans de rares cas, autorisé à laisser le véhicule sur place.
Une batterie solide
Un pack pour Autolib’ représente une contenance de trente kilowattheures et pèse trois cents kilos, le double pour un bateau et le triple pour un bus.
C’est une solution développée sur la base d’une batterie lithium métal polymère (LMP), mélange qui a la particularité d’être solide, à la différence des batteries lithium-ion, dont le mélange est liquide et qui ont besoin d’être refroidies.
Elle est également beaucoup plus stable, ce qui est essentiel pour toutes les applications mobiles ou en pays chaud. Ces batteries peuvent être combinées en site stationnaire jusqu’à des ensembles de trente-six, stockés dans des conteneurs pour une capacité allant jusqu’à un mégawattheure.
L’autonomie d’énergie
À Niamey ou au Togo sont développées les Bluezones, de plusieurs hectares, équipées en panneaux solaires. Elles confèrent une autonomie énergétique à la zone, un service de télécommunications, des dispensaires, de la production d’eau, des installations sportives, du cinéma, etc.
“Le centre d’appels est le point névralgique du système”
Toutes ces activités sont regroupées dans une société dénommée Blue Solutions, filiale du groupe Bolloré, dans laquelle la société Polyconseil est intégrée.
L’entrée en Bourse a été réalisée, en octobre 2013, avec une valorisation d’environ quatre cent cinquante millions d’euros, valorisation qui a plus que doublé depuis lors.
Aujourd’hui, Vincent Bolloré dirige lui-même le projet Autolib’ et Blue Solutions.
À la recherche de l’aventure
Une quinzaine de polytechniciens participent toujours aux évolutions d’Autolib’ et de Blue Solutions.
LA FAMILLE BLUECAR
Le groupe Bolloré a été fondé en 1822. Fort aujourd’hui de cinquante-cinq mille collaborateurs et d’un chiffre d’affaires de quinze milliards de dollars, c’est un groupe familial depuis six générations. Au cours des années 1990, il a commencé à investir dans le secteur de la batterie électrique.
Vincent Bolloré a décidé de produire son propre véhicule, la Bluecar. Le groupe Bolloré a aussi développé un Bluebus, un Bluetram et un Blueboat, tous s’appuyant sur la batterie électrique. La Bluesummer, décapotable, est commercialisée sur la Côte d’Azur et aux Antilles.
On en a compté jusqu’à vingt-neuf. Deux d’entre eux ont déjà créé leur propre entreprise. Les autres sont maintenant sur d’autres défis au sein de Polyconseil ou de Wifirst.
Les tout jeunes ont été nombreux, en particulier quatre présidents récents du binet « Réseau » de l’École. Qu’est-ce qui les attire ?
« Être un acteur d’une aventure exceptionnelle, répond Sylvain Géron. Les jeunes polytechniciens sont capables de devenir experts en quelques jours sur tous les sujets. Ils ont l’habitude d’assimiler très rapidement les textes polycopiés des cours auxquels ils n’ont pas toujours eu le courage d’assister, donc ils savent déchiffrer et comprendre un texte sur n’importe quel sujet.
« Ils font, de plus, preuve d’un bon sens à toute épreuve.
« Contrairement à des cabinets de conseil plus traditionnels, où l’élaboration d’un cahier des charges fait l’objet d’incessants allers et retours, Polyconseil offre la possibilité de créer de façon très rapide.
Par exemple, le projet Autolib a été défini en deux semaines et entériné en deux jours.
« Ce qui fait vibrer les jeunes, c’est de créer. Chez nous, on part de zéro et on bâtit un édifice en commando. »
Les vertus du bouche-à-oreille
Les conditions de salaire sont-elles à la hauteur des enjeux ?
« Nous recrutons au prix du marché, sans faire de surenchère. Rapidement, les salaires et les responsabilités dépendent du talent et du potentiel de chacun.
Dans un projet entrepreneurial, il y a autant de place que les gens peuvent en prendre. Ce qui porte, c’est notre réputation de petite entreprise où l’on peut s’épanouir sur la durée.
Le bouche-à-oreille est notre agent de recrutement le plus efficace en complément de quelques salons et d’annonces diffusées à l’École même.
« Plus tard, chacun peut évoluer comme il l’entend, en restant pour lancer des projets nouveaux ou en décidant de voler de ses propres ailes. »
Vers la transformation numérique
La transformation digitale est une lame de fond qui touche toutes les entreprises dans l’ensemble de leurs composantes : la conception de leurs produits, leur logique de distribution, leur organisation.
L’enjeu n’est donc pas de créer des experts du digital au sein des organisations, mais de mettre l’ensemble de l’entreprise à l’heure du digital. Cela peut impliquer de faire appel à des experts du sujet à l’extérieur de l’entreprise, la mission première de ces experts étant d’accompagner un mouvement d’ensemble que doivent s’approprier les équipes.
Depuis dix-huit mois, seize entreprises du CAC 40 ont créé un poste de CDO, chief digital officer, le plus souvent membre du Comex. 75 % de ces profils viennent des télécoms ou du e‑business.
« Avec Autolib”, Polyconseil a démontré sa capacité à créer et diriger un projet digital native très innovant et de grande ampleur. Nous travaillons aussi depuis quinze ans avec une logique centrée usages et services digitaux pour les plus grands groupes.
Un produit digital native très innovant.
Il est très agréable de travailler sur des missions qui permettent d’accroître de manière très significative l’efficacité réelle et perçue des organisations.
Cela nous permet de recruter et de garder les meilleurs du secteur ».