Les vœux du Provéditeur-Inquisiteur Général
À l’heure des SMS, les amoureux des livres peuvent s’estimer heureux de recevoir encore par voie postale une carte de vœux pour la nouvelle année.
Louis Barnier, directeur de l’Imprimerie Union, offrait pour sa part à ses amis de précieux volumes qui, de 1961 à 1986, constituèrent de la sorte une singulière collection de vingt ouvrages, tous hors-commerce et tirés à petit nombre, dont la parfaite tenue typographique accompagnait des œuvres littéraires ou graphiques toujours remarquables.
Barnier occupait la dignité de Provéditeur-Inquisiteur Général du Collège de ’Pataphysique, au nombre des publications duquel figurent d’autres éditions de certains de ces rares ouvrages de circonstance, et l’on ne doit pas s’étonner de la présence du discret fondateur de cette institution, sous forme anonyme ou pseudonyme, d’abord dans un recueil de prophéties traduites de Léonard de Vinci, qu’accompagnait – toujours gracieusement – une gravure signée de Max Ernst – 111 exemplaires, 1961 –, puis dans un hommage posthume à ses talents de photographe de lieux rimbaldiens, d’aisance y compris – 555 exemplaires, 1975.
Signalons La Vache au pré noir, qui présente les vingt-quatre résultats obtenus à partir d’un tableau de Jean Dubuffet par permutation des quatre tons de base de la quadrichromie – ce dont le peintre se réjouira fort, ainsi qu’en atteste la réponse qu’il fit à l’imprimeur, reproduite dans le volume ; c’est du reste à cette époque que se développaient, non loin, les travaux analogues de l’Oulipo.
Le même procédé sera reconduit quelques années plus tard pour produire de semblables variations quadrichromiques à partir de La Joconde – 333 exemplaires, 1984–1985. D’autres publications rappelaient le souvenir de curieux personnages méconnus, tels Solon de Voge, auteur au XVIe siècle d’adages et proverbes originaux – 333 exemplaires, avec une aquatinte signée d’Édouard Pignon, 1964 – ou Nicolas Cirier, « typographe fou » du XIXe siècle – 333 exemplaires, 1981.
En 1972, ce sont les talents de graveur de Chaval – l’auteur des Gros Chiens – qui se trouvaient révélés de la sorte – 444 exemplaires –, faisant suite à la savante étude de Raymond Fleury dévoilant d’étonnantes beautés pataphysiques – en est-il d’autres ? – des archives de l’Office national de la propriété industrielle – 333 exemplaires, 1971 –, moins ésotériques que celles de la réédition des prophéties « perpétuelles, très-anciennes et très-certaines » de Thomas-Joseph Moult – 333 exemplaires, 1967 – ou du Mutus Liber – 333 exemplaires, 1968.
Invitant le lecteur à partir à la recherche de ces ouvrages et de ceux que, faute de place, nous n’évoquons pas – le catalogue thématique du libraire Sylvain Goudemare pourra servir d’utile guide –, contentons-nous de signaler, pour les années 1977–1978, la réédition du Crève-Cœur du vieux soldat, d’après la maquette d’un ouvrage jamais réalisé que Picasso devait illustrer pour l’éditeur Iliazd ; hommage à ces derniers de Barnier et Cárdenas – auteur d’un beau frontispice –, ce volume reprend le texte d’un extraordinaire poème autobiographique d’un soldat cruellement désabusé du temps de Louis XIII.
Donné par Barnier comme ne subsistant qu’en un seul exemplaire, provenant de la bibliothèque du maréchal de Richelieu, ce texte se trouve toutefois dans deux éditions différentes à la BnF. Un lecteur pourra-t-il nous en dire davantage sur cette œuvre, son auteur et ses éditions ?