Les vrais bénéficiaires du « Wifi »
Malgré la crise, les évolutions technologiques continuent de se succéder à un rythme important. La fin des années quatre-vingt-dix a été dominée par le rêve de la téléphonie mobile de 3ème génération, ou UMTS (Universal Mobile Telephony Service), qui promettait d’offrir à tous, après le succès du GSM, des services époustouflants sur de petits terminaux.
Puis l’ADSL vint promettre début 2000 qu’une ligne d’abonné fixe pourrait supporter des débits de plusieurs Mb/s et offrir ainsi un accès rapide et convivial à Internet et tous ses applicatifs.
Aujourd’hui la technologie WiFi, accès sans fil à des réseaux locaux de données, est disponible en standard sur de nombreux PC portables et assistants personnels. Elle pourrait se répandre prochainement sur nos bureaux et dans le fond de nos poches.
L’accès public à l’Internet haut débit sans fil arrive enfin en France. France Télécom/Orange et Cegetel/SFR viennent tout juste d’annoncer leurs futures offres WiFi (Wireless Fidelity). Ces offres permettront aux utilisateurs munis d’un ordinateur portable ou d’un assistant numérique équipé d’une carte adaptée (coût environ 100 euros) d’accéder à l’Internet à haut débit dans les points de passage publics (aéroports, gares, hôtels, universités, etc.) – moyennant un abonnement ou un paiement à la connexion.
À quel modèle économique correspondent ces offres ? Vont-elles coexister avec ou plutôt cannibaliser les futures offres mobiles 3G ? Quelle sera leur influence sur les résultats des acteurs historiques du marché ? Qui seront les vrais bénéficiaires ?
Le WiFi fut, jusqu’à récemment, le domaine de petites start-ups comme Metricom, MobileStar, Joltage et Boingo Wireless (USA), Megabeam (GB) et Monzoon (Suisse).
L’investissement initial est relativement faible – entre 800 et 1 500 euros par point d’accès. Par contre, les coûts d’exploitation sont beaucoup plus importants.
Afin d’offrir un service aux clients finaux, une connexion multi-utilisateurs à haut débit (avec la revente autorisée), des ressources de « back office » (développement, distribution et maintenance de logiciels sur sites, hotline clients, facturation, recouvrement) et des compétences marketing et commerciales sont nécessaires. Les petites start-ups ont donc du mal à suivre. Certaines, comme Metricom et MobileStar, ont déjà fait faillite.
Les grands acteurs, qui disposent déjà des compétences et des infrastructures requises, commencent à s’y lancer depuis moins d’un an. Aux États-Unis, T‑Mobile (filiale de Deutsche Telekom) a racheté les actifs de MobileStar pour trois fois rien et couvre aujourd’hui 2 140 points d’accès, y compris des cafés (Starbucks) et des salons d’American Airlines dans les grands aéroports. En Europe, une poignée d’opérateurs mobiles comme Telia Mobile (Suède), Swisscom Mobile (Suisse) et T‑Mobile (GB) proposent, depuis quelques mois, des offres WiFi à leurs abonnés GSM.
L’intérêt pour un point d’accès de passage paraît assez prometteur. Si l’on en croit les chiffres de Sky Dayton, fondateur d’Earthlink (fournisseur d’accès à Internet) et de Boingo Wireless aux États-Unis, une « hotspot« 1 type café peut typiquement gagner 440 $ par mois avec une marge EBIT/CA de plus de 60 % avec une seule borne.
Il n’est donc pas surprenant que T‑Mobile ait réussi à s’installer dans plus de 2 000 cafés aux États-Unis et que mmO2 (filiale de téléphonie mobile de BT) et T‑Mobile ciblent ces mêmes endroits au Royaume-Uni.
Le projet le plus ambitieux a été annoncé en décembre dernier. Cometa Networks – un consortium entre Intel, AT&T, IBM et deux fonds de capital-risque (3i et Apax Partners) – prévoit d’installer 20 000 points d’accès publics afin de « couvrir » les 50 plus grandes villes des États-Unis d’ici à 2004. Son offre de gros sera destinée aux opérateurs mobiles et fournisseurs d’accès à Internet. Ces dernières estimations du coût de ce déploiement avoisinent les 30 millions de dollars – soit 1 500 $ par point d’accès. Mais avec 20 000 points d’accès sur 50 villes, on est loin d’une couverture réelle.
Des contraintes techniques limitent le champ d’action. Le rayon de couverture d’une borne WiFi est actuellement entre 50 mètres et 100 mètres. Pour des raisons de performance, une borne commence à saturer à partir de huit utilisateurs simultanés. Les parasites et atténuations de propagation rendent difficile une couverture à travers les murs – les tests récents pour une grande chaîne d’hôtels souhaitant étendre l’offre WiFi aux chambres à chaque étage n’ont pas été satisfaisants. Des interférences entraînant des perturbations sur des équipements militaires font réagir le Pentagone, côté États-Unis. En France, l’ART a limité actuellement son autorisation à 58 départements pour cette même raison.
L’impact direct sur les revenus d’un opérateur mobile sera relativement limité. Si on suit les prévisions de SFR, qui projette entre 100 000 et 200 000 usagers réguliers du WiFi public en France d’ici 2005, on ne parle que de 30 millions à 60 millions d’euros par an en chiffre d’affaires supplémentaires (moyennant un revenu moyen mensuel par utilisateur optimiste de 25 euros), soit moins de 0,5 % du marché actuel de la téléphonie mobile en France.
On peut aussi imaginer un impact indirect d’une telle offre – surtout sur les clients en itinérance venant de l’international et les clients professionnels et entreprises (flottes). Ce service pourrait effectivement servir à attirer ces clients de forte valeur vers un opérateur plutôt qu’un autre, mais ceci reste difficile à prévoir.
Le WiFi peut tout à fait coexister avec les futures offres de téléphonie mobile de troisième génération. Bien que le débit offert par une solution WiFi soit largement supérieur à celui de l’UMTS, la couverture et la mobilité seront réduites par rapport à cette technologie. Même les projets les plus ambitieux en termes de couverture (notamment à Séoul, où Korea Telecom déploie 10 000 points d’accès) ne couvriront pas, de loin, l’ensemble des zones urbaines des grandes villes. On envisage, à terme, une offre permettant l’utilisation de services UMTS en pleine mobilité à débit limité, et à un prix plus élevé, couplée avec l’utilisation de services WiFi à haut débit pour les usagers dans les zones publiques équipées.
Certains prédisent que l’offre WiFi suivra le même cours que celui du fax – créant une demande supplémentaire pour les équipementiers, mais n’aidant en rien les fournisseurs de services. En 2002, les ventes d’équipements WiFi pour les entreprises ont augmenté de 65 % à 11,6 millions d’unités et pour les foyers résidentiels de 160 % à 6,8 millions d’unités sur le plan mondial, selon In-Stat/MDR.
Sur la même année, la hausse de revenus a été limitée à 23 %, à cause des chutes de prix, pour atteindre 2,2 milliards de dollars. Le taux d’inclusion de technologies WiFi dans les nouveaux ordinateurs portables a aussi fortement augmenté – de 2 % des unités vendues aux entreprises en 2001 à 14 % en 2002.
Personne n’est capable, à ce jour, de fournir une estimation fiable quant aux perspectives d’une offre de service WiFi. Mais vu les investissements limités et les enjeux, les opérateurs mobiles ont bien raison de tenter le coup.
Une chose paraît certaine – les grands gagnants seront les clients professionnels itinérants, plutôt friands de bande passante et déçus par les offres WAP et GPRS2 existantes.
Estin & Co est un cabinet international de conseil en stratégie basé à Paris, Londres et Genève. Le cabinet assiste les directions générales de grands groupes européens et nord-américains dans leurs stratégies de croissance.
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1. Surface couverte par l’installation d’une borne radio.
2. Services de transmission de données offerts par les réseaux GSM.