Les X dans la guerre secrète
Si, de fait, la direction technique et ses innombrables spécialités à la pointe des technologies modernes constitue le principal recruteur pour les X au sein de la « Boîte », certains de nos camarades occupent ou ont occupé des postes très divers, notamment à la direction des opérations, qui accueille en particulier le mythique service Action, ou encore à la direction du renseignement.
Les rédacteurs de cet article ont choisi de présenter ci-dessous leurs expériences personnelles comme agents de renseignement à la DGSE, mais tiennent à préciser que celles-ci ne représentent qu’un mince échantillon des rôles que les X sont appelés à occuper au sein de cette maison où, comme l’auraient dit certains commandants de promotion, « votre carrière sera ce que vous en ferez ».
ROGER, ANALYSTE À LA DIRECTION DU RENSEIGNEMENT
Comme analyste à la direction du renseignement, j’ai découvert un rôle de chef d’orchestre, au cœur de la manœuvre du renseignement. On représente souvent cette dernière sous la forme d’un cycle, faisant s’enchaîner les étapes d’orientation (que cherche-t-on, où et comment), de recueil du renseignement, d’analyse des éléments recueillis et de diffusion du « produit final » vers les destinataires.
“ S’adapter en permanence aux soubresauts d’un monde sans cesse en mouvement ”
Contrairement à ce que son nom indique, l’analyste est appelé à intervenir dans l’ensemble de ces phases. Il reçoit en effet les questions que les autorités étatiques posent au Service, sur les sujets qui le concerne, et oriente, à partir de là, les divers capteurs de recueil de renseignement, tant humains (sources) et techniques qu’opérationnels.
Il est aussi destiné à participer au recueil proprement dit du renseignement et c’est ainsi que j’ai pu participer au traitement de certaines sources. Il est enfin le rédacteur des notes que la DGSE adresse à ses destinataires.
En réalité, en raison de la diversité des sujets sur lesquels la Boîte est amenée à travailler, l’analyste devient très rapidement l’expert des sujets qui lui sont confiés. À ce titre, et en tant qu’X fraîchement arrivé au Service, mes connaissances dans un domaine de spécialité très technique ont immédiatement été mises en œuvre.
Si, de nos jours, c’est le terrorisme qui vient le premier à l’esprit lorsqu’on entend le mot « renseignement », il en est d’autres où le profil type d’un X (si tant est que cela existe) paraît plus directement adapté. Pour n’en citer que deux, on retiendra le domaine de la lutte contre la prolifération d’armes de destruction massives (nucléaires, balistiques, bactériologiques et chimiques) et les activités de cyberdéfense.
Georges Painvin (1905)
© COLLECTIONS ÉCOLE POLYTECHNIQUE (PALAISEAU)
André Dewavrin (1932)
dit « colonel Passy »
DEUX GRANDS ANCIENS DES SERVICES
Nombre de nos anciens ont servi dans l’ombre durant les grands conflits. Parmi eux, Georges Painvin et André Dewavrin ont particulièrement marqué l’histoire des Services, à deux époques différentes, l’un à la pointe de la technique, l’autre dans la clandestinité
Georges Painvin (1905), ingénieur du corps des Mines
Affecté au service du Chiffre – ancêtre de l’actuel secteur de cryptographie de la DGSE – lorsqu’éclate la Grande Guerre, Georges Painvin se distingue en « cassant » les chiffres allemands, permettant de lire leurs télégrammes et communications militaires. Son génie technique conféra ainsi un avantage tactique décisif aux forces alliées.
André Dewavrin (1932) dit « colonel Passy », officier du Génie, compagnon de la Libération
Embarquant pour Londres à la tête de sa compagnie dès le 18 juin 1940, il prend le commandement, dès sa création, du Bureau central de renseignements et d’action (BCRA) – qui deviendra à la fin de la guerre le SDECE, puis en 1982 la DGSE.
Il prend pour nom de guerre « colonel Passy » et participe activement aux missions clandestines du Bureau, notamment lors de l’unification des branches de la Résistance et de la création du Conseil national de la Résistance.
Assez vite, l’opportunité m’a aussi été donnée de participer à l’amélioration du fonctionnement même de la direction du renseignement, dans ses process internes et ses outils destinés à l’analyse. Car c’est là l’un des principaux défis de cette administration : s’adapter en permanence, non seulement aux soubresauts d’un monde sans cesse en mouvement, mais aussi à l’évolution rapide des technologies qui lui sont utiles dans la réalisation de ses missions.
Il existe, à ce titre, une opposition entre la nature administrative de la DGSE et les progrès démesurés réalisés ces dernières années par les technologies de l’information et du big data. La création d’un outil français de construction et de gestion de la connaissance constitue ainsi un réel enjeu de souveraineté au vu du caractère sensible des données concernées.
Je suis fier d’avoir été appelé à participer à un tel projet porté par la DGSE.
HENRI, INGÉNIEUR À LA DIRECTION TECHNIQUE
Ingénieur à la direction technique – la plus forte en effectifs de la DGSE et où sont employés la plupart de nos camarades –, je travaille à rendre les données issues de nos capteurs techniques intelligibles au profit des analystes comme Roger.
Le défi est à la hauteur des enjeux : comment trouver, parmi les données complexes dont dispose le Service, les éléments pertinents qui permettront d’anticiper les menaces portées contre la France et ses intérêts ? Cette question, de plus en plus importante aujourd’hui en raison de la place centrale qu’occupent les télécommunications dans nos sociétés, est étroitement liée à la manière dont un analyste aborde son dossier : chaque thème, du contre-terrorisme à la contre-prolifération, nécessitera une approche technique différente et adaptée, en appui à la manœuvre de renseignement conçue par ce « chef d’orchestre ».
“ Trouver les éléments pertinents qui permettront d’anticiper les menaces ”
La modélisation mathématique ou statistique, dont le technicien détient la clef, s’appuie alors sur les connaissances du spécialiste pour apporter des réponses techniques aux questions de renseignement. C’est cette interaction, répétée sur tout un panel de dossiers, qui donne pour moi tout son sens au travail d’ingénieur au service du renseignement.
Cette complémentarité est inscrite dans la structure même de la DGSE : le regroupement au sein d’une même entité du renseignement humain, du renseignement technique et de la capacité à mener des actions clandestines est une spécificité française, qui en fait un « service intégré ».
Ainsi j’ai pu, parallèlement à mon affectation permanente, rejoindre comme coordinateur technique une « cellule de crise » regroupant des intervenants de toutes les directions du Service. La proximité avec des agents aux profils très variés, du spécialiste d’une région géographique au linguiste en passant par l’opérationnel rompu aux actions clandestines, permet alors de décupler la réactivité du Service sur les sujets les plus sensibles.