Les X et la médecine, une histoire de physique

Dossier : L'année 1865Magazine N°707 Septembre 2015
Par Romain LUCKEN (12)
Par Ruben ZAKINE (2012)

On compte par­mi les pre­miers méde­cins poly­tech­ni­ciens Pierre Pel­le­tan, qui avait inté­gré l’École en 1796, à l’âge de qua­torze ans. Il s’illustra dans les cam­pagnes napo­léo­niennes aux­quelles il prit part en tant que chi­rur­gien militaire.

Il reçut pour ses ser­vices la Croix d’honneur en 1814, puis diri­gea quelques années la Facul­té de méde­cine de Paris au cours des années 1820 et fut le pre­mier pro­fes­seur de la chaire de Phy­sique de cette même faculté.

REPÈRES

Les Écoles de médecine furent créées en 1794, en remplacement du système universitaire de l’Ancien Régime. La même année, l’École polytechnique était fondée par des scientifiques ayant une pensée proche du matérialisme. Les deux institutions sont créées dans un même esprit issu des Lumières et de la Révolution.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, nombreux sont les polytechniciens qui, comme le médecin Édouard Foleÿ (1839), seront d’ardents défenseurs du positivisme développé en particulier par l’un d’entre eux : Auguste Comte (1812).

Statistique, chimie et pharmacologie

On retrouve des poly­tech­ni­ciens dans toutes les pro­fes­sions médi­cales, du pra­ti­cien de pro­vince au pro­fes­seur à la facul­té de Paris, en pas­sant par le chi­rur­gien et le pharmacien.

Néan­moins, on retrouve dans les domaines de recherches en sciences médi­cales explo­rés par les poly­tech­ni­ciens deux lignes prin­ci­pales : d’une part, la méde­cine sta­tis­tique, par exemple avec Gué­neau de Mus­sy (1795), et d’autre part la chi­mie et la phar­ma­co­lo­gie avec Pel­le­tan et son ouvrage sur L’Influence des lois phy­siques et chi­miques sur la vie, ou Bus­sy (1813), qui com­men­ça sa car­rière comme pré­pa­ra­teur de chi­mie à l’École de phar­ma­cie de Paris.

“ On retrouve des X dans toutes les professions médicales ”

Dès la créa­tion de l’École de San­té en 1794, l’enseignement des sciences phy­siques reçoit une place rela­ti­ve­ment impor­tante dans le cur­sus des étu­diants en méde­cine. En décembre 1831, une chaire de phy­sique est offi­ciel­le­ment créée. Après la mise au concours du poste auprès des membres de la facul­té du poste de pro­fes­seur de cette nou­velle chaire, c’est Pierre Pel­le­tan (1796) qui rem­porte le poste. Choix assez logique de la part d’un jury prin­ci­pa­le­ment com­po­sé de polytechniciens.

En 1843, c’est Gavar­ret (1829) qui suc­cède à Pel­le­tan. Ce der­nier insiste sur l’importance d’une connais­sance appro­fon­die des concepts géné­raux de la phy­sique pour bien com­prendre les phé­no­mènes de la vie.

Un saut conceptuel

Extrait de Ber­trand (1814), Lettres sur les révo­lu­tions du globe, Paris, Just Tes­sier, 1845.

Son suc­ces­seur est un élève à lui, éga­le­ment poly­tech­ni­cien, Charles Gariel (1861), qui sera par ailleurs auteur d’un article sur les élèves de Poly­tech­nique ayant choi­si une car­rière médi­cale à l’occasion de la paru­tion du Livre du cen­te­naire de l’École poly­tech­nique (1894).

Dans son ouvrage de phy­sique médi­cale paru en 1870, on peut per­ce­voir le véri­table saut concep­tuel qu’a réa­li­sé cette dis­ci­pline en une petite tren­taine d’années.

La com­mu­nau­té des méde­cins est désor­mais consciente de l’enjeu des sciences phy­siques dans la com­pré­hen­sion des états phy­sio­lo­giques. De nom­breux phé­no­mènes phy­siques simples (hydro­sta­tique, ther­mo­dy­na­mique, vibra­tion des corps et pro­pa­ga­tions des ondes) sont mis en équa­tions, avec des sché­mas ou des gra­vures de dis­po­si­tifs expé­ri­men­taux précis.

Ce cours res­semble à un cours de phy­sique géné­rale de classe pré­pa­ra­toire ou de pre­mière année de méde­cine d’aujourd’hui.

Le primat de la physique

Plus qu’un domaine de recherche, la phy­sique devient autour de 1865 une des matières prin­ci­pales qu’étudient les étu­diants en médecine.

Tout d’abord, une solide connais­sance de la phy­sique géné­rale est indis­pen­sable pour suivre les avan­cées en bio­lo­gie et com­prendre les phé­no­mènes phy­siques de la vie. Non seule­ment ce sont des phé­no­mènes d’origine phy­sique qui sont en jeu en bio­lo­gie, mais les méthodes de la phy­sique sont celles qu’il faut uti­li­ser pour arri­ver à un résul­tat pré­cis et quan­ti­ta­tif dans les sciences médicales.

Extraits de Gavarret, Phénomènes physiques de la phonation et de l’audition : figure 1
Extraits de Gavarret, Phénomènes physiques de la phonation et de l’audition : figure 2
Extraits de Gavarret, Phénomènes physiques de la phonation et de l’audition : figure 3
Extraits de Gavar­ret, Phé­no­mènes phy­siques de la pho­na­tion et de l’audition, par J. Gavar­ret, Paris, G. Mas­son, 1877.

C’est le point de vue que défend Gavar­ret dans son ouvrage Les Phé­no­mènes phy­siques de la vie, paru en 1869 :

« Aus­si nous sommes-nous tou­jours effor­cé […] de mon­trer com­ment et com­bien l’application des prin­cipes, des méthodes et des pro­cé­dés de la Phy­sique géné­rale a contri­bué et est appe­lée à contri­buer encore aux pro­grès de la Phy­sio­lo­gie, de la Patho­lo­gie, de l’Hygiène et même de la Thérapeutique. »

Du reste, à cette époque, on com­mence à com­prendre que des lois phy­siques iden­tiques régissent le monde inor­ga­nique et le monde organique.

Même si les sys­tèmes vivants sont très dif­fi­ciles à appré­hen­der, il n’existe pas de rup­ture théo­rique fon­da­men­tale entre l’étude d’un sys­tème inani­mé et l’étude du corps humain.

Pédagogie polytechnicienne

La méde­cine est clai­re­ment deve­nue une dis­ci­pline scien­ti­fique au XIXe siècle et, en tant que futurs méde­cins donc scien­ti­fiques, il était bon pour les étu­diants en méde­cine de se consti­tuer au moins une culture en sciences physiques.

L’enseignement reti­ré de la péda­go­gie poly­tech­ni­cienne à la facul­té de méde­cine de Paris passe à la pos­té­ri­té par la voix de Mar­cel Dufour, nor­ma­lien et pro­fes­seur de phy­sique médi­cale à la facul­té de Nan­cy : « La Phy­sique médi­cale sup­pose la connais­sance préa­lable de la phy­sique géné­rale, qu’elle doit com­plé­ter sur cer­tains points. »

Extrait de Desplats et Gariel, Nouveaux éléments de physique médicale
Extrait de Des­plats et Gariel, Nou­veaux élé­ments de phy­sique médi­cale, pré­face par Gavarret.

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Illus­tra­tions : col­lec­tions École poly­tech­nique (Palai­seau).

DEUX FAITS MARQUANTS

Comment imaginer notre quotidien sans pouvoir conserver et consommer plus longtemps le lait, le jus des fruits, les concentrés de tomates, les bières et les cidres ? La paternité de la pasteurisation revient, comme son nom l’indique, au plus connu des savants français. En 1863, Louis Pasteur a 41 ans. Il s’intéresse depuis sept ans aux fermentations alcooliques lorsqu’il est sollicité par Napoléon III pour se pencher sur le problème des maladies du vin, qui causent nombre de pertes dans la production vinicole hexagonale.
C’est en 1865 que Pasteur publie ses travaux sur un procédé qui prendra le nom de pasteurisation. Il a constaté que du vin chauffé quelques minutes à 57 °C en l’absence d’oxygène ne contient plus de germes. Il apporte ainsi une solution aux problèmes de conservation et de transport du vin. Ce procédé fera l’objet d’un brevet en 1871.
Mais c’est à un savant allemand, Franz von Soxhlet, que revient l’idée de l’appliquer au lait.
La même année, Claude Bernard publie le livre Introduction à la médecine expérimentale, publication qui lui vaut depuis d’être considéré comme le fondateur de cette discipline.

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