Les X et la médecine, une histoire de physique
On compte parmi les premiers médecins polytechniciens Pierre Pelletan, qui avait intégré l’École en 1796, à l’âge de quatorze ans. Il s’illustra dans les campagnes napoléoniennes auxquelles il prit part en tant que chirurgien militaire.
Il reçut pour ses services la Croix d’honneur en 1814, puis dirigea quelques années la Faculté de médecine de Paris au cours des années 1820 et fut le premier professeur de la chaire de Physique de cette même faculté.
REPÈRES
Les Écoles de médecine furent créées en 1794, en remplacement du système universitaire de l’Ancien Régime. La même année, l’École polytechnique était fondée par des scientifiques ayant une pensée proche du matérialisme. Les deux institutions sont créées dans un même esprit issu des Lumières et de la Révolution.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, nombreux sont les polytechniciens qui, comme le médecin Édouard Foleÿ (1839), seront d’ardents défenseurs du positivisme développé en particulier par l’un d’entre eux : Auguste Comte (1812).
Statistique, chimie et pharmacologie
On retrouve des polytechniciens dans toutes les professions médicales, du praticien de province au professeur à la faculté de Paris, en passant par le chirurgien et le pharmacien.
Néanmoins, on retrouve dans les domaines de recherches en sciences médicales explorés par les polytechniciens deux lignes principales : d’une part, la médecine statistique, par exemple avec Guéneau de Mussy (1795), et d’autre part la chimie et la pharmacologie avec Pelletan et son ouvrage sur L’Influence des lois physiques et chimiques sur la vie, ou Bussy (1813), qui commença sa carrière comme préparateur de chimie à l’École de pharmacie de Paris.
“ On retrouve des X dans toutes les professions médicales ”
Dès la création de l’École de Santé en 1794, l’enseignement des sciences physiques reçoit une place relativement importante dans le cursus des étudiants en médecine. En décembre 1831, une chaire de physique est officiellement créée. Après la mise au concours du poste auprès des membres de la faculté du poste de professeur de cette nouvelle chaire, c’est Pierre Pelletan (1796) qui remporte le poste. Choix assez logique de la part d’un jury principalement composé de polytechniciens.
En 1843, c’est Gavarret (1829) qui succède à Pelletan. Ce dernier insiste sur l’importance d’une connaissance approfondie des concepts généraux de la physique pour bien comprendre les phénomènes de la vie.
Un saut conceptuel
Extrait de Bertrand (1814), Lettres sur les révolutions du globe, Paris, Just Tessier, 1845.
Son successeur est un élève à lui, également polytechnicien, Charles Gariel (1861), qui sera par ailleurs auteur d’un article sur les élèves de Polytechnique ayant choisi une carrière médicale à l’occasion de la parution du Livre du centenaire de l’École polytechnique (1894).
Dans son ouvrage de physique médicale paru en 1870, on peut percevoir le véritable saut conceptuel qu’a réalisé cette discipline en une petite trentaine d’années.
La communauté des médecins est désormais consciente de l’enjeu des sciences physiques dans la compréhension des états physiologiques. De nombreux phénomènes physiques simples (hydrostatique, thermodynamique, vibration des corps et propagations des ondes) sont mis en équations, avec des schémas ou des gravures de dispositifs expérimentaux précis.
Ce cours ressemble à un cours de physique générale de classe préparatoire ou de première année de médecine d’aujourd’hui.
Le primat de la physique
Plus qu’un domaine de recherche, la physique devient autour de 1865 une des matières principales qu’étudient les étudiants en médecine.
Tout d’abord, une solide connaissance de la physique générale est indispensable pour suivre les avancées en biologie et comprendre les phénomènes physiques de la vie. Non seulement ce sont des phénomènes d’origine physique qui sont en jeu en biologie, mais les méthodes de la physique sont celles qu’il faut utiliser pour arriver à un résultat précis et quantitatif dans les sciences médicales.
C’est le point de vue que défend Gavarret dans son ouvrage Les Phénomènes physiques de la vie, paru en 1869 :
« Aussi nous sommes-nous toujours efforcé […] de montrer comment et combien l’application des principes, des méthodes et des procédés de la Physique générale a contribué et est appelée à contribuer encore aux progrès de la Physiologie, de la Pathologie, de l’Hygiène et même de la Thérapeutique. »
Du reste, à cette époque, on commence à comprendre que des lois physiques identiques régissent le monde inorganique et le monde organique.
Même si les systèmes vivants sont très difficiles à appréhender, il n’existe pas de rupture théorique fondamentale entre l’étude d’un système inanimé et l’étude du corps humain.
Pédagogie polytechnicienne
La médecine est clairement devenue une discipline scientifique au XIXe siècle et, en tant que futurs médecins donc scientifiques, il était bon pour les étudiants en médecine de se constituer au moins une culture en sciences physiques.
L’enseignement retiré de la pédagogie polytechnicienne à la faculté de médecine de Paris passe à la postérité par la voix de Marcel Dufour, normalien et professeur de physique médicale à la faculté de Nancy : « La Physique médicale suppose la connaissance préalable de la physique générale, qu’elle doit compléter sur certains points. »
Extrait de Desplats et Gariel, Nouveaux éléments de physique médicale, préface par Gavarret.
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Illustrations : collections École polytechnique (Palaiseau).