Les X et le métro de Paris
Cet article propose un panorama des stations de métro et RER parisiennes dont les noms sont ceux de polytechniciens plus ou moins célèbres, du maître d’œuvre du métro de Paris Fulgence Bienvenüe au résistant Honoré d’Estienne d’Orves. Il est le fruit de la curiosité de l’auteur, ne prétend pas à l’exhaustivité ni à l’exactitude historique, mais est plutôt une invitation à découvrir la vie de ces anciens dont les noms rythment le quotidien de nombreux Parisiens.
Montparnasse-Bienvenüe
pour Fulgence Bienvenüe, X1870
Ne vous y trompez pas, la RATP ne vous souhaite pas la « bienvenue » lors de votre arrivée en gare Montparnasse depuis le sud de la France ou l’une des quatre lignes de métro qui y marquent l’arrêt. Le tréma est une référence directe à Fulgence Bienvenüe, polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, concepteur du métro de Paris. Encouragé par l’État français à concevoir une ligne de métro pour l’Exposition universelle de 1900 et les Jeux olympiques de la même année, il est l’ingénieur en chef des travaux de la ligne 1 (ligne « un » et non pas ligne « une »…) du métro, qui à l’époque relie la porte Maillot à la porte de Vincennes. L’École a consacré un épisode de sa série de podcasts « École polytechnique : 225 ans de contribution au monde » à l’ingénieur Bienvenüe.
Denfert-Rochereau (Colonel Rol-Tanguy)
pour Aristide Denfert-Rochereau, X1842
Cette station du 14e arrondissement de Paris, où d’aucuns croisent régulièrement des camarades sur les quais, porte également le nom d’un illustre ancien. Denfert-Rochereau s’engage dans le génie à la sortie de l’École polytechnique, il est surtout connu pour son courage lors de la défense de Belfort dans le contexte de la guerre franco-prussienne de 1870 (après laquelle il sera fait colonel). C’est lui qui est surnommé le « lion de Belfort », la sculpture animale sur la place éponyme n’étant qu’une allégorie de son engagement héroïque.
Laumière
pour Clément Vernhet de Laumière, X1828
Voir la rubrique HistoriX de notre numéro 791 daté de janvier 2024 : « Deux destins d’X artilleurs » ! Rappelons que Laumière est un officier d’artillerie qui participa aux guerres d’Italie (1859) et du Mexique (1861−1867), lors de laquelle il est mortellement blessé à la tête. Les circonstances plus ou moins floues de sa mort sont relatées dans l’Histoire de la guerre du Mexique, de Félix Ribeyre.
Faidherbe-Chaligny
pour Léon Faidherbe, X1838
Léon Faidherbe, originaire de Lille, est la figure de proue (controversée) de la colonisation française au Sénégal. Il contribue d’abord à la phase de conquête armée, puis est nommé gouverneur du Sénégal en 1858. Il supervise ou est à l’origine de grandes œuvres telles que le port de Dakar ou la ligne de chemin de fer reliant le Sénégal au Niger. Il est également général pendant la guerre franco-prussienne de 1870, puis entame une carrière politique sur la fin de sa vie. Dans le contexte de remise en question du passé colonial occidental lors des années 2010, la figure de Faidherbe est critiquée et des manifestations sont organisées pour obtenir le déboulonnement de certaines statues du militaire à Lille.
Il n’en reste pas moins que Faidherbe a publié plusieurs travaux de linguistique et d’anthropologie, et maîtrisait des langues comme le wolof ou le toucouleur (pour une étude critique des travaux ethnographiques de Faidherbe, voir Pondopoulo (1996), « L’image des Peuls dans l’œuvre du général Faidherbe », History in Africa, vol. 23, 279–299). Un excellent lycée de Lille dont nombre de nos camarades sont issus porte son nom. Rappelons aussi que Faidherbe a été le sujet de l’HistoriX du numéro 776 (juin 2022) de notre revue.
Javel – André Citröen
pour André Citroën, X1898
Certainement connu pour avoir fondé l’entreprise du constructeur d’automobiles éponyme, l’on semble oublier qu’André Citröen débute dans la production de munitions dans le contexte de la Première Guerre mondiale. Il fait construire sur les terres du quai de Javel (l’association n’est donc pas fortuite) une immense usine de production d’obus, qui emploie alors quasi uniquement des femmes (effort de guerre oblige) et produit des munitions à un rythme effréné. Au lendemain de la guerre, il convertit son capital pour se lancer dans la production automobile. Plus que par l’ingénierie, c’est par les méthodes de travail et par le marketing (emprunté en partie aux Américains) qu’il se distingue.
On notera une publicité nocturne reprenant les lettres de l’enseigne Citroën sur la tour Eiffel, utilisant des centaines de milliers d’ampoules, entre 1925 et 1933 – chose complètement impensable aujourd’hui… Rappelons encore que l’HistoriX du numéro 749 (novembre 2019) fêtait le centenaire de cette « firme mythique ».
Vaneau
pour Louis Vaneau, X1829
On ne présente plus Vaneau, symbole interne (plus qu’externe) de notre école. Les promotions récentes lui ont dédié un hymne, composé par Maître Holiner sur des paroles écrites par les X13 – « les paroles c’est vous, la musique c’est moi ». La mort de Vaneau sur les barricades en 1830 a contribué à ancrer l’École polytechnique dans l’imaginaire populaire comme une véritable institution révolutionnaire – rappelons que notre école fut fondée par la Convention en 1794 ! Les plus attentifs auront remarqué que, dans le célèbre tableau La Liberté guidant le peuple de Delacroix, on trouve un polytechnicien au second plan – l’institution est une figure de liberté, après la Marianne, le Gavroche et surtout avec le peuple.
À titre personnel, je soupçonne que l’événement de la mort de Vaneau (ou plutôt son héritage culturel) a grandement contribué à faire déplacer l’École sur le plateau de Saclay dans un contexte tendu entre étudiants et pouvoir en place (post-Mai 68). On a certainement jugé dangereux d’avoir quelques centaines de polytechniciens dans le 5e arrondissement de Paris, qui seraient capables de prendre les armes si un soulèvement populaire devait avoir lieu…
Trinité‑d’Estienne d’Orves
pour Honoré d’Estienne d’Orves, X1921
Honoré d’Estienne d’Orves s’engage dans la marine à la sortie de l’X. Il est surtout connu pour son engagement dans la Résistance, rejoignant C. de Gaulle en Angleterre au lendemain de la débâcle de 1940. Il effectue des missions clandestines en France pour la Résistance et établit notamment le réseau Nemrod, ainsi que la première liaison radio durable entre la Résistance et les forces françaises libres en Angleterre. Fait prisonnier par les Allemands, il est fusillé en 1941 au mont Valérien. Il est l’un des dédicataires du célébrissime poème résistant d’Aragon, La Rose et le Réséda. La Khômiss rappelle régulièrement, par le biais des discours du GénéK lors de la remise des tangentes et des bicornes, qu’Estienne d’Orves était missaire.
Avenue Foch
pour Ferdinand Foch, X1871
L’un des deux géants de la Grande Guerre (avec Joffre) s’est vu offrir une station du RER C. Foch effectue une carrière classique d’officier dans une période finalement plutôt calme (entre la guerre franco-prussienne de 1870 et la Première Guerre mondiale). En 1914, au début de la guerre, il a déjà été à la tête de l’École de guerre pendant trois ans et est un général établi. Il est réputé pour son action offensive et est même qualifié de « fou » par Clemenceau, là où Pétain était vu à l’époque comme plus calme et raisonné. Les alliés préfèrent pourtant Foch pour commander les forces alliées et françaises sur le front de l’Ouest en 1918.
Il est élevé à la distinction de Maréchal pendant la guerre, préside la délégation pour la signature de l’armistice, est élu aux Académies des sciences et française, et obtient des titres militaires équivalents en Angleterre et en Pologne. Il considère le traité de Versailles et les conditions imposées à l’Allemagne comme une paix factice et une trêve de court terme (et aura raison, mais ne le verra pas de son vivant). Il est enterré aux Invalides dans un majestueux tombeau sculpté par Paul Landowski. Pour l’anecdote, sa femme est issue de la même famille que Fulgence Bienvenüe (voir plus haut).
Musée d’Orsay (Valéry Giscard d’Estaing)
pour Valéry Giscard d’Estaing, X1944
On ne présente plus l’homme-titan qu’était le regretté VGE. Engagé volontaire à moins de vingt ans pour la libération de Paris, il entre à l’École polytechnique puis à l’ENA (celle-ci venait de réserver deux places aux polytechniciens, ce qui fut détruit par Jacques Chirac dans les années 1980). Président de la République – l’un des trois seulement issus de l’École, avec Sadi Carnot et Albert Lebrun – entre 1974 et 1981, il a laissé le souvenir d’une manière de parler quelque peu vieille France et d’un président classé à droite.
Pourtant, Valéry Giscard d’Estaing mène des réformes sociétales majeures liées à l’évolution des mœurs pour certaines, beaucoup plus avant-gardistes pour d’autres : dépénalisation de l’IVG (loi Veil), majorité à 18 ans, divorce par consentement mutuel, statut des handicapés, réforme de l’audiovisuel public, fin de la censure au cinéma… Rappelons enfin que La Jaune et la Rouge lui a consacré un numéro spécial (n° 761 de janvier 2021) au moment de son décès.
Autour de l’École polytechnique
Bien que ne faisant pas directement référence à des polytechniciens, d’autres stations sont intimement liées à l’École. Sur la ligne 7, on trouve notamment la station Place Monge, en référence directe à Gaspard Monge, l’un des fondateurs de l’École et père du problème de transport optimal aujourd’hui connu comme le problème de Monge-Kantorovitch.
Également sur la ligne 7, on retrouve la station Pierre et Marie Curie, nommée d’après le célèbre couple de scientifiques. Pierre Curie a été brièvement répétiteur de physique à l’X.
Une station de la ligne 13 est nommée Brochant, pour André Brochant de Villiers, géologue et minéralogiste, entré à l’École des ponts l’année précédant la création de l’X, en 1793. Il prend ensuite des cours à Polytechnique, mais semble officiellement inscrit à l’École des mines (également créée en 1794) et suit en tout cas les enseignements de Monge.
Enfin, les promotions plus ou moins récentes connaissent bien la station Lozère du RER B, réputée pour ses marches abruptes, qui porte en sous-titre « École polytechnique ».
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Il manque à cette liste, sur la ligne 8, la station Michel Bizot qui porte le nom du général du génie Bizot, Michel Brice (X 1811 ; 1795–1855) qui fut directeur de l’École polytechnique et participa au siège de Sébastopol où il fut tué.
À propos de la ligne B, qui dessert la gare de Lozère, il convient de citer Arnoux, Jean Claude Républicain (X 1811 ; 1792–1866) à l’origine d’une lignée polytechnicienne (ses 3 fils et ses 2 gendres !). Fondateur de la ligne de chemin de fer Paris-Sceaux en 1845, Arnoux avait proposé une solution technique permettant d’améliorer la vitesse des trains en courbe (Cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_de_Sceaux)