Les X face à leur premier choix de carrière

Les X face à leur premier choix de carrière : Tendances et inquiétudes

Dossier : Vie de l'AssociationMagazine N°752 Février 2020
Par Charlotte MOULONGUET (2015)
Par Jérôme de DINECHIN (84)

J & R : Le choix d’une 4A, d’un corps ou d’un métier occupe beaucoup les polytechniciens dans leur 3e année ? Quelles sont les tendances actuelles ?

Char­lotte Mou­lon­guet : Tout d’abord, il me paraît essen­tiel de sou­li­gner la chance que nous avons. Les pos­si­bi­li­tés qui s’offrent à nous sont extrê­me­ment diver­si­fiées, en termes de loca­li­sa­tion, de conte­nu, d’environnement de tra­vail… Le revers de la médaille est la dif­fi­cul­té que cer­tains ont à faire un choix. Pro­blème de riches dira-t-on avec rai­son, mais par­fois dou­lou­reux à vivre sur le moment !

Le désir de contri­buer à rendre notre socié­té plus juste et plus res­pon­sable est très pré­sent dans nos pro­mo­tions. Le mani­feste pour un réveil éco­lo­gique, signé par presque 700 jeunes poly­tech­ni­ciens, en est la preuve. Les che­mins pos­sibles pour mettre en œuvre ces aspi­ra­tions sont encore une fois nombreux.

En termes de pre­mier emploi, il semble que les élèves sont de moins en moins atti­rés par les grands groupes indus­triels, au pro­fit des petites struc­tures. La peur de ne pas avoir d’impact, de n’être qu’un rouage dans une énorme machine ou de contri­buer à un sys­tème dans lequel ils n’ont plus confiance freine l’engagement de cer­tains dans ces grandes entre­prises. Nous avons éga­le­ment assis­té dans ma pro­mo­tion à une vraie recru­des­cence de l’attrait pour les corps de l’État.

Jérôme de Dine­chin : Pour avoir recru­té 140 ingé­nieurs de l’armement depuis 2012, j’ai pu obser­ver que le choix se mûrit len­te­ment. En sor­tant des concours, à peine 40 % savent ce qu’ils sou­haitent faire. Au top des moti­va­tions : « rendre à mon pays ce que j’ai reçu », « valo­ri­ser mon niveau en sciences », « don­ner le meilleur de moi-même ». De l’altruisme, donc, et un besoin d’efficacité typi­que­ment polytechnicien.

De l’autre côté, les recru­teurs se pressent au por­tillon. Ain­si, lors de l’X‑Forum, les entre­prises riva­lisent d’ingéniosité pour atti­rer les jeunes talents dont elles ont tant besoin.

Com­ment cepen­dant se rendre compte de la réa­li­té du métier d’ingénieur, et com­ment savoir si l’on s’épanouira dans telle ou telle boîte ? Des métiers où l’on est sûr d’apprendre, où l’on est utile, où l’on conserve une diver­si­té d’activités pré­ser­vant l’avenir. Mais on ne fait pas l’économie de choi­sir pour soi, un jour.

J & R : De quoi disposent les élèves pour s’orienter et faire leurs choix ?

CM : Sur le cam­pus, les élèves ont beau­coup de pro­po­si­tions de la DE, du SOIE, de l’AX, de la DFHM et des binets pour décou­vrir le monde de l’entreprise et les aider à faire leurs choix : amphis de pré­sen­ta­tion des 4A et des corps, visites d’entreprise, confé­rences de pré­sen­ta­tion d’entreprises orga­ni­sées par la Kès et les binets, Forum de l’X, tables rondes…

Depuis la pro­mo 2016 (avec une expé­ri­men­ta­tion chez quelques 2015), un men­to­ring par un ancien de la pro­mo N‑10 est pro­po­sé à tous les élèves. Cela per­met d’établir un contact plus direct entre les étu­diants et le monde pro­fes­sion­nel et c’est à mon avis de cela que nous avons le plus besoin sur le campus.

JDD : L’AX est main­te­nant bien pré­sente sur le pla­tâl, pour per­mettre aux X de béné­fi­cier du réseau des anciens, de la soli­da­ri­té entre cama­rades qui peut prendre des formes variées. Outre le men­to­ring déjà cité pour 120 élèves cette année (cf. La J & R n° 748), citons les apér’orientations ou ren­contres thé­ma­tiques sans but de recru­te­ment direct. Les groupes X à thé­ma­tique pro­fes­sion­nelle sont bien­ve­nus pour y témoi­gner, comme l’a fait X‑Mer récemment.

La veille de l’X‑Forum, l’AX Car­rières orga­nise éga­le­ment une jour­née CV au pro­fit des élèves avec 250 CV exa­mi­nés, des confé­rences sur l’employabilité comme Pro­jets ou Réseau, et en soi­rée une ving­taine de confé­rences métiers sur le spa­tial, la finance, la recherche, l’IA, etc. Les élèves appré­cient visiblement.

J & R : Concrètement, comment choisit-on son métier ?

JDD : Dans les faits, on choi­sit sou­vent en dis­cu­tant avec quelqu’un qui a l’air heu­reux dans son job, et qui nous rend acces­sible un futur un peu effrayant. D’abord avec des cama­rades de pro­mo, et j’ai été par­fois sur­pris des effets de masse hori­zon­taux : peu de conti­nui­té d’une pro­mo à la sui­vante et, par­fois, un engoue­ment curieux pour telle des­ti­na­tion… Ensuite avec les ensei­gnants. Majo­ri­tai­re­ment issus du monde uni­ver­si­taire, ils sont les pre­miers ambas­sa­deurs des par­cours de for­ma­tion par la recherche, même si une thèse est par­fois un moyen de repous­ser l’échéance du choix.

Les cadres mili­taires de l’École et ceux croi­sés lors de la FHM, sur­tout si le com­man­dant de pro­mo a du lea­der­ship… La famille enfin, qui a par­fois encou­ra­gé une voca­tion d’ingénieur et connaît chez tel parent, tel oncle, une tra­jec­toire heu­reuse. Mais je ne vou­drais pas m’engager dans une énu­mé­ra­tion, voire un modèle qui, par prin­cipe, ne peut s’appliquer aux X. En tout cas, on gagne à diver­si­fier ses sources.

“Les X sont capables
de faire des choses qui
les ennuient, très bien
et très longtemps.
Le burn-out n’est pas loin.

J & R : Que faudrait-il faire pour mieux discerner ?

CM : Je pense qu’il faut aug­men­ter la sur­face de contact entre les élèves et le monde pro­fes­sion­nel. Pas seule­ment à tra­vers des pré­sen­ta­tions ou des visites d’entreprise mais sur­tout à tra­vers des ren­contres, du men­to­ring, des dis­cus­sions gra­tuites entre élèves et pro­fes­sion­nels de tous âges.

C’est en écou­tant des per­sonnes en poste par­ler de leur métier sim­ple­ment, sans enjeu de recru­te­ment, qu’il est pos­sible de se pro­je­ter ou non. Nous sommes nom­breux à avoir de grandes ambi­tions envi­ron­ne­men­tales ou sociales pour le monde de demain ; nous sommes éga­le­ment nom­breux à ne pas savoir com­ment décli­ner ces aspi­ra­tions dans le monde pro­fes­sion­nel qui nous entoure, sûre­ment car nous n’en avons pas une vision assez large ou assez poin­tue. Par ailleurs, aug­men­ter ces échanges per­met­tra éga­le­ment aux entre­prises de mieux com­prendre les aspi­ra­tions des jeunes géné­ra­tions et de les prendre en compte dans leurs décisions.

Enfin, je pense qu’il ne faut pas avoir peur de sor­tir des sen­tiers bat­tus. Le très réus­si col­loque orga­ni­sé en novembre par l’AX et HEC Alum­ni sur le thème « Enga­ge­ment socié­tal et Car­rière : Conci­lia­tion ou Uto­pie ? » don­nait plu­sieurs beaux témoi­gnages de par­cours plus atypiques !

JDD : D’abord, dépas­sion­ner le débat. Le choix de 4A est enga­geant, notam­ment pour un corps ou une car­rière de long terme. Mais il n’est pas si cru­cial dans notre époque où les car­rières linéaires n’ont plus cours.

Ensuite, c’est le coach qui parle, cela vaut la peine de miser du temps et de l’énergie pour cher­cher et trou­ver sa pas­sion, le ser­vice qu’on se sent appe­lé à rendre. Par exemple com­prendre le monde, faire gran­dir, soi­gner, entraî­ner, trans­for­mer, etc. Où se sent-on le plus heu­reux, le plus rem­pli de vie ? C’est dans cette direc­tion que nous don­ne­rons le meilleur de nous-mêmes, au-delà du métier ou de la structure.

L’un des drames des X est qu’ils sont capables de faire des choses qui les ennuient, très bien et très long­temps, alors même que cela les consume de l’intérieur et les empêche de vivre vrai­ment. Le burn-out n’est pas loin.

Enfin, les X ont tou­jours su s’adapter pour prendre en charge les enjeux majeurs de leur époque : guerre, indus­tria­li­sa­tion, finance, révo­lu­tion numé­rique… Ils res­sentent aujourd’hui le besoin de remé­dier aux graves dérives de nos socié­tés, et la recherche de sens pousse à recher­cher des voies non conven­tion­nelles. Mais in fine c’est dans l’action, dans l’engagement à la tête d’entreprises col­lec­tives que les X sont atten­dus pré­ci­sé­ment pour faire chan­ger le monde.


Sur le même sujet : Enga­ge­ment socié­tal et car­rière : conci­lia­tion ou uto­pie ? La Jaune et la Rouge n°751 Jan­vier 2020

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