Les X n’ont jamais arrêté d’écrire !
Faire un dossier sur les X et l’écriture, ce n’est pas seulement poursuivre le travail d’inventaire et de rassemblement des innombrables ouvrages écrits par nos camarades décédés ou contemporains. C’est aussi découvrir chez ces scientifiques un goût prononcé pour les lettres et un grand éclectisme dans l’écriture. Découverte qui amène à s’interroger sur une possible spécificité des écrits polytechniciens.
L’idée de ce dossier sur les polytechniciens et l’écriture m’est venue peu à peu. La première raison en est le regard que je porte, depuis des dizaines d’années, sur la tribu polytechnicienne, attentif à repérer certaines caractéristiques générales tout en m’étonnant d’innombrables destins singuliers. Et une bonne manière de les connaître davantage est sans doute d’analyser ce qu’ils ont écrit. Ajoutons que c’est un vrai plaisir de lire, et que, comme beaucoup de polytechniciens, je cultive ce plaisir depuis longtemps. L’amour des livres, ceux qu’on dévore avec appétit ou ceux dont on déguste avec gourmandise les illustrations, ceux qu’on parcourt en format de poche dans les voitures de transports publics et ceux qu’on consulte avec un intérêt religieux à la bibliothèque de l’École polytechnique.
REPÈRES
La préparation du Bicentenaire, comme la responsabilité de la Sabix et donc la fréquentation d’historiens des sciences, mais aussi le simple hasard d’une lecture m’ont souvent donné l’envie d’en savoir plus sur tel ou tel de nos camarades. Ainsi Hyacinthe de Bougainville (1797), navigateur aussi exceptionnel que son père. Ou Jules Roche (1872) dont je découvris le tragique destin en lisant Le Transsaharien de Marcel Cassou (61). Ainsi s’est imposée à moi cette évidence : les X n’ont jamais arrêté d’écrire !
Lire de l’X
Je peux lire des ouvrages d’X dans une bibliothèque, pour m’amuser du style qu’utilise Arago dans ses traités d’astronomie ; mais je n’ai pas besoin de ces excursions dans le passé lointain pour lire de l’X, je suis fasciné par les combats relatés de Robert Saunal (40) qu’il relate avec une tranquille modestie dans Le Parcours d’un Français libre. J’admire le dernier essai cosigné par Robert Dautray (49) et Jacques Lesourne (48) sur L’Humanité face au changement climatique dont La Jaune et la Rouge a publié une recension en avril 2010. En juxtaposant ces exemples, je rends déjà hommage aux divers genres littéraires et aux nombreux centres d’intérêt sur lesquels les X ont écrit.
« Une bonne manière de connaître les polytechniciens est d’analyser ce qu’ils ont écrit. »
Une grande créativité
L’examen des ouvrages écrits par mes camarades de promotion (56) est une autre illustration de cet éclectisme. Lors du cinquantième anniversaire de notre promotion, j’avais suggéré à mes cocons de venir avec leurs livres, histoire d’apprécier visuellement ce qu’était la production écrite d’une promotion. J’avais l’objectif de la connaissance, mesurée et susceptible d’être classée, on n’est pas X pour rien, et nous avons rassemblé en sachant que nous n’étions pas exhaustifs 25 auteurs et une centaine d’ouvrages. Mais aussi l’objectif de la collecte : s’il était possible, le rassemblement de tous les ouvrages écrits par tous les X me paraîtrait une intéressante approche, certes partielle mais intéressante quand même, de la création polytechnicienne ! Évidemment nous savons que notre création dépasse de beaucoup les seuls livres : nous avons aussi créé des entreprises, des armées, des règlements administratifs, des théories scientifiques, des machines et des barrages.
Parfois, le plus souvent, nos livres sont étroitement liés à notre activité principale, les cours de Cauchy (1805) étant surtout le support de ses enseignements et de ses découvertes et le récit de la Campagne de l’armée du Nord en 1870- 1871 par Louis Faidherbe (1838) la présentation de ses actions de défense. Mais il nous est aussi arrivé d’être capables de créations d’un autre ordre, en quelque sorte supplémentaire, apportant un éclairage différent sur un personnage, une époque, une société : les œuvres de Louis de Launay (1879) sont certes souvent consacrées à sa spécialité, la géologie, mais cet ingénieur des Mines fut aussi un biographe prolixe et un poète inspiré. Et que dire de celles de Jacques Attali (63) ? En écrivant, les X ne cherchent pas simplement à » expliquer » ou » raconter « , mais parfois aussi à » inventer » ou » imaginer « .
Mais un dossier sur les X et l’écriture ne peut pas seulement être la constitution, au demeurant déjà entamée à la bibliothèque de la Sabix, d’une sorte d’encyclopédie avec la liste documentée de leurs œuvres. Il peut aussi mener à une tentative d’analyse sur la spécificité, si elle existe, de leur écriture. Et, ce qui est encore plus utile, à une réflexion sur la meilleure méthode pour aider les jeunes X à acquérir les bons outils d’une écriture utile et agréable. L’idée de placer des chapitres » apprendre à écrire » au milieu de chapitres » savoir raconter » ou » savoir convaincre » s’est donc vite imposée.
Des choix difficiles
Notre ambition d’appréhender les rapports des X avec l’écriture ne peut s’inscrire dans un dossier de taille limitée qu’au prix de sacrifices. Il a fallu préférer des exemples à une vue globale (je crois que Buffon disait à peu près ceci, à propos des animaux de son Histoire naturelle : comme il est très difficile de prétendre à la vérité de leur connaissance, je me contenterai d’une énumération à peu près classée et descriptive).
Nous savons que notre création dépasse de beaucoup les seuls livres
Il a fallu parfois procéder par résumés ou approximations, quitte à solliciter des réactions ultérieures de la part de nos lecteurs. Espérons que, malgré des présentations parfois rapides, ce dossier fournira aux lecteurs des éléments de qualité pour nourrir leur mémoire et leur réflexion.
Il leur donnera aussi l’occasion de voyager à travers des livres de toutes sortes, espérons que cela leur fera plaisir. Faudra-t-il préciser ce qu’on appelle un livre ? Difficile… Et de découvrir ou retrouver une foule d’auteurs à travers leur oeuvre écrite. Évidemment, leur liste ne saurait en rien représenter une liste complète des X auteurs. Faudra-t-il préciser ce que nous entendons par auteur ? Difficile… Il y en a sans doute plus d’une dizaine de milliers, sur les presque cinquante milliers de polytechniciens. Non seulement, les personnages cités ne seront qu’un modeste échantillon des personnages susceptibles d’être cités, mais leur sélection n’est pas l’expression d’une préférence. Aussi je propose aux lecteurs qui auront légitimement envie d’apporter des compléments ou des corrections ou mieux encore des approfondissements comme le Livre du Centenaire en a réalisés en 1894 de le faire, avec détermination ! Et de nous aider à compléter cette bibliothèque, virtuelle ou réelle des ouvrages de polytechniciens que nous essayons de rassembler.
De la littérature à l’écriture
Ceux des lecteurs de La Jaune et la Rouge qui se souviendront de l’excellent numéro de mai 1995 établi sous la direction de Gérard Pilé se rendront donc compte que l’objectif de notre dossier est différent, en quelque sorte complémentaire : Gérard Pilé avait centré son sujet sur les X et la littérature, et présenté des romanciers ou poètes qui font honneur à Polytechnique et à la littérature française. Ici, nous cherchons à couvrir, de manière plus générale, tous les rapports des X avec l’écriture.