L’Espace, enjeu de souveraineté pour la France et pour l’Europe
De longue date la France a utilisé l’espace à des fins militaires. Elle doit renouveler ses capacités d’observation et de télécommunication pour terminer la digitalisation de la conduite des opérations militaires. Mais de nouvelles menaces surgissent, en particulier dans l’espace où la multiplicité des intervenants peut conduire à des comportements agressifs.
Nous sommes entrés dans l’ère de l’information, une information source de richesse et de puissance pour celui qui sait la maîtriser. Qui maîtrise l’information prend en effet un temps d’avance sur l’adversaire ou le compétiteur.
Le monde dans lequel nous évoluons est devenu un monde globalisé, « crisogène », marqué par une dissémination géographique de multiples risques et menaces, de toute nature. Pour traiter ces risques et ces menaces, nous avons besoin de plus en plus de renseignements et de capacités d’anticipation, c’est-à-dire d’informations élaborées.
REPÈRES
Les satellites sont un des socles de l’appui aux opérations militaires. Ils participent à l’anticipation et à l’évaluation des crises (grâce au renseignement) ; à la planification des opérations (grâce aux capacités en matière de géographie et de renseignements, de météo et d’océanographie) ; et à la conduite des opérations militaires (échange des informations avec les théâtres, positionnement et synchronisation permanents des acteurs, conduite des opérations extérieures depuis le territoire métropolitain).
Voir, écouter, communiquer et localiser
Pour mener à bien ses missions militaires, la France a besoin de capacités propres d’évaluation de situation, de planification et d’action.
“Galileo compte déjà aujourd’hui 22 satellites en orbite”
Il s’agit de disposer d’une supériorité dans la connaissance qui garantisse un temps d’anticipation sur l’adversaire, d’obtenir une vision commune et partagée de la situation qui puisse garantir une efficacité militaire optimale, et enfin de pouvoir communiquer à tout moment de façon sûre et indépendante, pour assurer les liaisons entre les centres de commandement et les théâtres extérieurs.
Les satellites jouent un rôle majeur, en synergie avec l’ensemble des autres moyens militaires.
L’espace étant un domaine libre d’accès, il est un atout majeur pour la préparation et la conduite des missions, sans nécessiter un affichage politique fort de la position nationale : les satellites survolent les territoires, prennent des photos ou écoutent les communications en toute transparence pour le pays concerné.
Un engagement ancien
La France s’est très tôt engagée dans l’utilisation de l’espace à des fins militaires. Elle s’est dotée, seule ou en coopération, de satellites d’observation, d’écoute et de télécommunications sécurisées.
Elle a développé les satellites Helios puis Helios 2, en coopération avec l’Italie, l’Espagne, la Belgique, la Grèce et l’Allemagne. En outre, des accords avec nos partenaires italiens et allemands nous permettent d’accéder à leurs capacités d’observation radar Cosmo-SkyMed et SARLupe en échange d’un accès réciproque au système Helios 2.
Enfin, les satellites Syracuse 3 couvrent nos besoins dans le domaine des télécommunications militaires spatiales et offrent, avec les satellites britanniques et italiens, des moyens de communication à l’Otan.
Un nécessaire renouvellement
La période 2019–2022 sera marquée par le renouvellement de ces capacités d’observation et de télécommunication et, pour la prochaine décennie, par la mise en place d’une capacité d’écoute opérationnelle.
Dans le domaine de l’observation, la composante spatiale optique CSO assurera la relève des satellites Helios 2 à partir de fin 2018. La mise en place de coopérations bilatérales sur CSO avec nos principaux partenaires militaires européens sera poursuivie (comme cela est déjà le cas avec l’Allemagne). L’accès de l’Union européenne à cette capacité et la fourniture d’images au bénéfice de son Centre d’imagerie satellitaire sont en cours d’instruction.
Nos discussions avec l’Italie en vue d’un échange capacitaire optique-radar (comme c’est déjà le cas avec l’Allemagne) se poursuivent en vue de renforcer notre capacité d’observation « tout temps ».
Concernant l’écoute, les satellites Ceres sont destinés à l’interception, la caractérisation et la localisation des signaux électromagnétiques permettant ainsi de cartographier et d’analyser le fonctionnement des émetteurs et d’optimiser l’efficacité de nos plateformes et effecteurs.
Des capacités de communication accrues
S’agissant des communications, les années à venir seront marquées par la mise en œuvre dès 2021 de la capacité militaire Syracuse 4 qui succédera progressivement à la génération actuelle, et par un accès accru à l’Internet haut débit sur le champ de bataille, via la poursuite d’une coopération exemplaire avec nos amis italiens, grâce au satellite dual Athena-Fidus.
La France, pour compléter ses capacités de communications sécurisées, a privilégié un schéma de coopération sous leadership italien : le programme Sicral 2.
Enfin, la France dispose également, grâce à l’Europe, d’une capacité temps et navigation avec la montée en puissance du programme Galileo qui compte déjà aujourd’hui 22 satellites en orbite.
Nouveaux enjeux et nouvelles menaces
La période à venir doit aussi servir à préparer le futur de nos capacités à l’horizon 2030, aussi bien pour traiter les enjeux « traditionnels » que les nouvelles menaces. Le domaine spatial a fait l’objet d’une attention particulière dans les travaux de la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale qui se sont achevés en octobre dernier.
Celle-ci rappelle l’importance stratégique que revêtent nos capacités spatiales pour nos armées, et souligne les nouvelles menaces que présente le spatial, en mettant notamment en avant la relative vulnérabilité de nos systèmes dans un espace exoatmosphérique où l’augmentation importante du nombre de satellites en orbite renforcera les risques de destruction d’un satellite.
Un belligérant pourra chercher à exploiter la dépendance de son adversaire vis-à-vis de ses moyens spatiaux en déployant des armes dans l’espace capables d’agresser les satellites adverses.
Les évolutions récentes permettent en effet à un nombre grandissant d’acteurs étatiques comme non étatiques de disposer de capacités autrefois réservées à un nombre restreint d’États et de grandes puissances.
Des dangers nouveaux et difficiles à cerner
Dans le même temps, des comportements suspects, illicites voire agressifs dans l’espace ont déjà été observés et des travaux sont en cours pour essayer de mieux réglementer les activités (notamment commerciales) amenées à s’y développer.
La difficulté est de détecter et de caractériser un comportement agressif, d’en attribuer la responsabilité et de mettre en place des réactions proportionnées.
Les évolutions récentes ont ainsi vu l’émergence de nouvelles menaces liées à la banalisation de l’espace, la prolifération des technologies, la densification du trafic, et sa militarisation. Les capacités antisatellites ont fait l’objet de deux démonstrations officielles : le 11 janvier 2007, la Chine a lancé un engin dérivé d’un missile balistique pour détruire par interception un de ses satellites de météorologie sur son orbite opérationnelle ; le 14 février 2008, le gouvernement américain a détruit par un tir de missile SM‑3 son satellite de reconnaissance USA-193 avant sa rentrée incontrôlée dans l’atmosphère.
Garantir l’autonomie et la résilience de nos moyens
Satellite d’observation CSO
Face à ce constat, deux questions se posent : celle de notre autonomie en matière de surveillance de l’espace (SSA : Space Surveillance Awareness) et celle de la résilience de nos capacités spatiales, devenues indispensables aussi bien à notre économie qu’à l’efficacité de nos opérations militaires.
En France, nous disposons du radar Graves pour la surveillance des orbites basses, de télescopes pour la surveillance de l’orbite géostationnaire et de quelques autres moyens complémentaires qui nous permettent d’apprécier la situation dans une certaine limite.
Mais nous devons accentuer et adapter nos efforts à différents niveaux : identifier les menaces, attribuer les comportements, s’assurer de la résilience, renouveler et augmenter nos capacités… Nous devons aussi accepter de coopérer en Europe et avec nos alliés pour être en mesure de protéger nos capacités spatiales.
À cet égard, la décision Space Surveillance and Tracking de l’UE est un premier pas vers un service européen de surveillance de l’espace qui permettra le suivi des objets en orbite, la protection de nos moyens et la lutte contre la prolifération de débris.
Nouvelles opportunités : le New Space, source de rupture
Certaines techniques utilisées pour la militarisation de l’espace sont duales et sont proposées par les industriels pour dépolluer les orbites d’intérêt, réparer ou ravitailler des satellites déployés. La DGA observe ces travaux avec intérêt. L’émergence du New Space est également source de nombreuses opportunités.
“Les acteurs industriels européens prennent une part active à la dynamique New Space”
Le New Space occupe aujourd’hui les médias du fait de la personnalité de ses promoteurs, mais celle-ci masque la réalité des ruptures. Désormais, un satellite n’est pas forcément un objet cher qu’il faut réaliser pour des raisons politiques ou opérationnelles, mais un contributeur à une stratégie de marché plus globale, souvent en lien avec le développement de l’économie numérique.
Nous nous réjouissons d’ailleurs que nos acteurs industriels européens prennent une part active à cette dynamique New Space.
De nouveaux processus industriels sont mis en œuvre qui impactent les chaînes de conception et de production (telle la nouvelle usine de fabrication d’assemblage des satellites OneWeb inaugurée par Airbus Defence and Space en juillet dernier à Toulouse).
Des ruptures porteuses d’avenir
Les principales ruptures en cours ou à venir sont la miniaturisation des composants et des satellites ; la numérisation massive des satellites ; leur interconnexion rapide et flexible dans l’espace ou avec d’autres objets ; les traitements s’appuyant sur l’intelligence artificielle, nécessaire à l’exploitation massive et rapide des données qu’ils généreront ; des ruptures d’usage portées par une offre accrue de services.
Ce sont des opportunités à saisir pour la défense. Par exemple, la défense a noté avec intérêt et soutient l’initiative prise par le Cnes concernant le projet Argos for Next Generations et le projet qui vise à développer une filière industrielle de nanosatellites en partenariat avec Nexeya.
En outre, la défense pourrait avoir recours de manière accrue aux offres commerciales en expansion sur l’observation optique et les télécommunications, en réfléchissant à des architectures nouvelles pour les capacités futures. Ces architectures, par la seule présence de capteurs performants et en nombre accru, contribueraient d’ailleurs à une meilleure résilience de nos capacités nationales.
Ces évolutions nous conduisent à accompagner les développements technologiques et industriels qui nous semblent prometteurs (créateurs d’emploi et nous permettant de rester aux avant-postes de l’innovation); elles nous conduisent aussi à repenser nos systèmes pour tirer parti de ces innovations mais aussi pour préserver une capacité export dynamique.
Un nouveau modèle économique pour le spatial
Les évolutions et ruptures technologiques ouvrent la porte à de nouveaux intervenants et amplifient une concurrence industrielle mondiale exacerbée qui amène certains États (Chine, Russie, États-Unis…) ébranlés par l’intervention des acteurs privés, et préoccupés par leur capacité à être présents dans le domaine spatial, à apporter un soutien politique, économique et stratégique à leurs industriels.
Des atouts majeurs
L’ engagement spatial de la France, initié il y a plusieurs décennies, nous permet aujourd’hui de disposer de l’ensemble des compétences techniques, que ce soit dans la sphère étatique (au Cnes et à la DGA notamment) ou chez les maîtres d’oeuvre industriels.
Ces ruptures portées par le New Space représentent une opportunité d’apporter à nos citoyens des capacités et des services réservés jusqu’alors à certains États, mais elle constitue aussi une menace qui risque de faire perdre à l’Europe son industrie spatiale.
Faute de réciprocité dans l’ouverture des marchés, l’Europe est devenue une exception au niveau de l’économie mondiale : elle soutient son industrie sans lui donner de visibilité suffisante sur le marché européen ou sur le marché mondial.
Pour autant le secteur spatial n’a pas subitement basculé d’un contexte institutionnel à un contexte à dominante privée. Le budget annuel consenti par les États est encore largement dominant : de l’ordre de 80 G$ par an face à des investissements privés limités à 1 à 1,5 G$ par an dont les deux tiers aux USA.
L’espace au service de l’ambition de défense européenne
L’espace est au cœur des enjeux stratégiques de notre outil de défense. Les moyens spatiaux sont un atout déterminant pour garantir à la France et à l’Europe une autonomie d’appréciation dans l’anticipation et l’évaluation des crises. Ils doivent se concevoir de manière globale et européenne.
Par exemple, nous devrions disposer d’une capacité d’alerte avancée, réalisée entre partenaires motivés, ce qui suppose que nous soyons capables de nous organiser. Pour cela, l’Europe devra aussi tirer parti des compétences uniques acquises par la DGA et l’industrie française dans ce domaine.
C’est en promouvant et en favorisant le partage des capacités spatiales entre Européens que nous donnerons un exemple concret de notre volonté de forger une identité européenne en matière de sécurité et de défense.