Lettre à tous ceux qui aiment l’école
Ce livre est un plaidoyer dans lequel Luc Ferry cherche à convaincre les enseignants du bien-fondé des réformes qu’il voudrait mener à bien. Il s’agit, écrit-il en avant-propos, non pas d’un vaste remaniement, mais de projets de réformes portant sur des points clefs qu’il se propose d’identifier par un diagnostic préalable. Ce diagnostic et ces projets seront débattus au cours de rencontres avec les élus, les parents d’élèves, les enseignants, des jeunes… » bref avec tous ceux qui s’intéressent à la jeunesse, à l’école et à la recherche, avant d’ouvrir un grand débat devant le Parlement « .
Le diagnostic
C’est d’abord le scandale de l’illettrisme, le constat du fait qu’entre 21 à 35 % d’élèves ne maîtrisent pas un niveau minimal de connaissances en lecture ou en calcul, lorsqu’ils entrent au collège.
© PIERRE CHIQUELIN/MJENR
Ce sont ensuite les 158 000 élèves qui ne dépassent pas le niveau de la troisième ou qui sortent sans diplômes du second cycle du secondaire. Ce sont aussi les 55 % d’étudiants qui n’arrivent pas à obtenir le DEUG en deux ans. Ces données sont à mettre en relation avec l’augmentation du nombre des incidents graves, avec le problème de la violence à l’école. À la racine du mal, une poussée individualiste met l’école en difficulté. Son exacerbation » a précipité l’école dans la crise, en valorisant l’innovation aux dépens de la tradition, l’authenticité aux dépens du mérite, le divertissement contre le travail, la liberté illimitée en lieu et place de la liberté réglée par la loi « .
Toute éducation doit comporter une part de tradition : la rénovation permanente en pédagogie ignore qu’il faut aussi transmettre un patrimoine, un ensemble de savoirs déjà constitués, parmi lesquels le langage et la civilité. Jusqu’en 1968, » l’école républicaine a fonctionné sur une certaine vision morale du monde « , des valeurs communes, des normes collectives incarnées dans des programmes que chacun devait réaliser dans sa vie. On disait » un élève » ; on récompensait le travail et l’effort. Le but de l’éducation a changé. Il était de faire en sorte que l’élève devienne autre qu’il est ; il est maintenant de le faire devenir ce qu’il est, et l’idée qu’il existe une norme supérieure à l’individu a été dénoncée comme aliénante.
Or ce n’est pas l’élève qui doit être mis au centre du système éducatif, c’est la relation de l’élève aux savoirs, » c’est-à-dire d’un côté, le rôle de transmission, qui est celui des maîtres, de l’autre l’impératif du travail, qui est celui des élèves « . Les élèves sont devenus des usagers, et des sanctions comme le renvoi, qui marchaient dans le passé, ont perdu leur signification. Il faut avoir le courage de retirer des classes certains élèves particulièrement violents ou agressifs, pour les insérer dans des dispositifs, qui rendent de nouveau crédible l’idée de sanction, tout en apportant une pédagogie adaptée. Enfin, contre les dérives communautaristes, il faut réaffirmer les principes de la laïcité républicaine.
Luc Ferry déduit de ce diagnostic une série de réformes, qu’il a regroupées en deux chapitres.
D’abord lutter contre la fracture scolaire
Il faut prévenir l’illettrisme dès l’école primaire, puis revaloriser la voie professionnelle en diversifiant les parcours du collège, pour permettre à ceux qui le souhaitent de découvrir des métiers. Il faut aussi améliorer l’information et l’orientation, de façon à faire disparaître l’orientation couperet. Il faut promouvoir un lycée des métiers, en rendant visible la possibilité, pour ceux qui ont choisi la voie professionnelle, de rejoindre les plus hauts niveaux de qualification. Ce lycée des métiers, qui associerait les voies professionnelles et technologiques, multiplierait les possibilités de parcours, poursuite d’études en formation initiale ou en apprentissage, formation continue avec validation des acquis de l’expérience.
Il faut combattre l’échec au niveau des premiers cycles universitaires de façon à conduire tous les étudiants au niveau de la licence. Cela suppose de remédier aux dysfonctionnements de l’orientation, en donnant priorité aux bacheliers technologiques pour suivre les formations supérieures courtes et en favorisant les passages en STS2 des bacheliers professionnels. Cela suppose aussi de mettre en place des cours de culture générale dans les premiers cycles universitaires, comme cela se fait dans les classes préparatoires aux grandes écoles. Il faut enfin multiplier les bourses, les postes ouverts aux diplômés, les allocations de recherche, les réhabilitations de logements étudiants.
Il faut lutter contre l’incivilité et la violence aux côtés des enseignants. Cela suppose de repenser les sanctions pour restaurer leur efficacité : des classes-relais seront créées pour accueillir les élèves en rupture avec l’institution scolaire. Mais il faut aussi réconcilier les jeunes avec l’institution scolaire par tous les moyens disponibles : lutte contre l’échec scolaire, redéfinition des programmes, développement de » l’École ouverte « , action en faveur de l’engagement des jeunes. L’enseignement serait recentré, » afin que le sens des savoirs enseignés ressorte davantage « , et les capacités d’accueil de l’École ouverte seraient doublées, école dans laquelle les élèves sont reçus en dehors du temps scolaire.
Le livre présente encore deux mesures : d’une part de mieux prendre en charge les élèves handicapés, d’autre part encourager les jeunes à s’engager dans des activités, qui à la fois les intéressent et leur permettent d’être socialement reconnus.
Ensuite améliorer la qualité des services rendus par l’école
Les réformes porteraient aussi sur la formation des enseignants et sur la mobilité des étudiants, dont les diplômes devront être reconnus dans toute l’Europe. Des mesures seront prises pour stopper la crise des vocations scientifiques. Enfin la décentralisation devrait permettre aux établissements de disposer d’une plus grande autonomie de gestion, en échange de laquelle ils seraient invités à mettre en place des chartes de qualité.
Lettre à tous ceux qui aiment l’école – Pour expliquer les réformes en cours. Éditions Odile Jacob – CNDP, 2003.
1. Sections de techniciens supérieurs, auxquelles correspond le diplôme du BTS.