Lettre à un ami musulman suivie de Une spiritualité pour notre temps
On ne fréquente pas impunément la terre d’Orient. Après nous avoir promenés de Byzance à Khorsabad à Saint-Jean d’Acre dans trois romans captivants, après un détour par l’Europe du premier demi-siècle dernier, de Saint-Pétersbourg au mont Athos, à Rabat, à Berlin, avec le plus attachant des héros – auquel il prêta beaucoup de lui-même – Gilles Cosson est passé de la recherche historique, que nous souhaitons ne pas le voir abandonner tout à fait, à la quête spirituelle.
Après Vers une nouvelle spiritualité, réponses à une catastrophe annoncée, voici Lettre à un ami musulman (une réponse à la correspondance suscitée par le premier ouvrage) suivie d’Une spiritualité pour notre temps, qui reprend et développe son analyse et son message.
Cette fois l’accent n’est plus mis sur les désastres imminents (bombes atomiques, gaz à effet de serre, terrorisme, guerres de religion) mais sur les moyens d’y faire face en retrouvant le chemin de Dieu.
Depuis que l’homme est l’homme, Dieu est périodiquement à réinventer. Les prophètes et les hommes de bonne volonté s’y emploient. Après tant d’illustres prédécesseurs, Gilles Cosson, au titre de la deuxième catégorie, le fait à son tour, refusant de laisser le terrain à l’usage exclusif de MM. Ben Laden et Bush. Il le fait avec une passion, une sincérité, une foi, qui ne laissent pas indifférent.
Il a raison de le faire. Le monde où nous vivons n’est plus celui du Rousseau de la Profession de foi du vicaire savoyard. “ L’environnement conditionne largement notre façon de penser. Et cet environnement a tellement changé que les réponses du passé ”, y compris, peut-on penser, la “ religion naturelle ” chère au citoyen de Genève, “ ne suffisent plus ”, tandis que l’angoisse pascalienne est toujours d’actualité.
Gilles Cosson n’est pas tendre pour les fidèles des religions révélées. Il déplore que les élites intellectuelles, dont le rôle lui apparaît crucial, aient “ trop souvent tendance à se réfugier dans un suivisme confortable pour ne pas encourir les foudres des intégristes de tous bords, laïcs ou religieux ”. Il les invite à dépasser ce stade, à prendre des risques pour le progrès spirituel de l’humanité. Il est pourtant indulgent pour “ ceux qui restent dans les rails des traditions anciennes ”, même s’il a “ une meilleure chance d’être compris par ceux qui ont rejeté toute attache religieuse ”. Dans tous les cas “ il nous appartient de respecter tout ce qui est sincère : la foi de nos voisins comme les convictions de l’agnostique ”.
Mais mieux vaut se tourner soi-même vers Dieu et lui donner la parole. C’est ainsi que procède l’auteur d’Une spiritualité pour notre temps. Par sa bouche Dieu nous assène quelques vérités bien senties, délivrées dans le mode poétique, où se glissent de beaux alexandrins : ainsi, à propos du Bien :
“ Son éclat t’éblouit mais ne t’aveugle pas ”
et à propos du Mal :
“ Vous ne pouvez plaider l’innocence des pierres. ”
La religion que Dieu nous propose aujourd’hui par la plume de Gilles Cosson, l’universalisme, se veut être une synthèse des principes masculin (la raison) et féminin (l’intuition, celle-ci illustrée par les deux Thérèse, Avila et Lisieux, que cite l’auteur, omettant toutefois de rappeler que l’une comme l’autre ont été proclamées docteur de l’Église). Ses rituels, car l’homme ne peut se passer de rituels, estime-t-il, seront déterminés après la formation des nouvelles communautés de pratiquants.
Une expérience similaire, me semble-t-il, a déjà été tentée au siècle des Lumières avec la franc-maçonnerie. L’universalisme est en somme une franc-maçonnerie adaptée au contexte d’aujourd’hui, capable de rassembler chrétiens, musulmans, juifs et bouddhistes pour la paix du monde et la plus grande gloire de Dieu.
Comme Rousseau, qui avait inséré la Profession de foi dans Émile ou De l’éducation, Cosson est conscient que l’enseignement donné aux enfants est la clé de l’avenir religieux apaisé qu’il souhaite à l’humanité. Il recommande donc de leur donner une instruction religieuse “ relativisant les différentes doctrines héritées du passé, sans abaisser en rien la valeur de la quête ” et ouvrant leur esprit à la beauté des livres sacrés, de tous les livres sacrés. Il ne s’agit pas de ressusciter les cours d’athéisme jadis imposés aux enfants soviétiques mais “ d’éveiller l’esprit à la beauté de la recherche du divin au travers d’approches multiples ”.
Ainsi, dans l’esprit de l’auteur, seront prévenues les méfiances, les incompréhensions, les haines, les violences, nées des excès des religions existantes. L’idée est louable. Certains n’en pourront pas moins penser qu’elle fait partie de ces bonnes intentions dont l’enfer est pavé.
Parmi les exercices recommandés aux adeptes de l’universalisme, il en est un en revanche qui fera l’unanimité : la dépense physique, les longues marches, tout particulièrement en terrain difficile, incomparable instrument de libération de l’esprit.
L’exercice essentiel reste pourtant la méditation en un lieu solitaire, conduisant à la communion au Tout et au contact avec Dieu. Une telle méditation pourra déboucher sur la prière, par exemple le Notre Père universaliste :
“ Dieu de la Terre et des cieux
Toi qui as orienté les voiles des caravelles
Conduit les chameliers dans le désert
Et sauvé l’esquimau dans la tourmente…
Éclaire ma route comme la lagune le fanal du gondolier…
Que ton image soit ma consolation dans les ténèbres
Ainsi soit-il. ”
Gilles Cosson affirme : “ Il est difficile d’adhérer profondément à sa propre religion et en même temps d’admettre comme une égale la foi de son voisin. ” Sa vision à cet égard est pessimiste. Rester, ou rentrer, dans la foi de ses pères tout en respectant celle d’autrui, apprendre à coexister au sein de la nouvelle société, de l’environnement nouveau commun à tous, est possible et même désirable.
Oui, Gilles, je le crois profondément, on peut, on doit, vivre sa foi, héritée à la naissance, personnellement acceptée à l’âge adulte, et pratiquer la tolérance. Mais je salue ta recherche. Elle nous invite, chrétiens, musulmans, tous tant que nous sommes, à rentrer en nous-mêmes, à nous dire : au fait, et avec Dieu, où en sommes-nous ?
Avec Dieu et avec les autres : même si tu n’emploies pas le terme de “prochain”, il est constamment présent dans ta pensée. Même si tu recommandes la méditation solitaire, préférée aux démonstrations de piété collective.
En des termes que n’aurait pas reniés Brassens mais que tu as trouvés chez Sénèque, tu nous invites à ne pas “ suivre, comme des moutons, le troupeau”. Tu demandes que chacun de nous juge au lieu de se contenter de croire – ou de ne pas croire. Ce “ self-check-up ” spirituel ne peut qu’être salutaire à tous.
Et, pour conclure, il te sera beaucoup pardonné car tu rends hommage à la poésie. En France, dit-on, tout finit par des chansons. Tu finis, toi, par deux strophes des Orientales – toujours l’Orient – empruntées au plus grand de nos poètes, qui lui aussi s’était construit sa propre religion. Bravo de terminer cet ouvrage sérieux sur une note qui invite au rêve…