L’évolution de la politique sociale en Allemagne
Pourtant le discours politique prend relativement peu en compte les charges de la réunification pour expliquer la crise financière de la protection sociale. Les recettes moindres liées à la situation tendue du marché de l’emploi sont retenues comme la principale cause des difficultés actuelles. Le « sauvetage » de la protection sociale s’articule donc principalement autour de la lutte contre le chômage, centrée sur la baisse des charges sociales pour diminuer les coûts du travail.
Contrairement à ce qui se passe en France, jusqu’ici les réformes ne se sont pas attachées à augmenter les recettes en taxant, en plus des revenus du travail, d’autres revenus comme ceux du patrimoine. Pas de CSG ou de RDS en Allemagne ! Certes, dans une récente interview à l’hebdomadaire économique Die Wirtschaftswoche, Horst Seehofer (CSU), ministre fédéral de la Santé, remarquait que « notre société doit se poser très sérieusement la question de savoir si elle doit continuer de lier les cotisations sociales aux postes de travail ». Néanmoins, vu les éventuelles fuites de capitaux,
il excluait finalement l’éventualité d’une taxation des revenus des capitaux. Les cotisations sociales portent donc, en Allemagne, uniquement sur les revenus du travail. Pour l’instant ceux des emplois de faible importance (moins de quinze heures par semaine et 610 DM par mois) en sont exemptés ; peut-être plus pour très longtemps. Les cotisations sont calculées sur une assiette plafonnée, revue chaque année (en 1997, 6 150 DM par mois pour les assurances maladie et dépendance et 8 200 DM mensuels pour les assurances chômage et vieillesse).
Ainsi, une partie des hauts revenus du travail échappe aux cotisations sociales, ce que déplorent régulièrement le parti social-démocrate et la confédération des syndicats allemands. L’extension de l’assiette de calcul des cotisations sociales – et donc l’augmentation des recettes – étant pour l’instant taboue, les réformes s’appliquent principalement à diminuer les dépenses en responsabilisant davantage les assurés c’est-à-dire en diminuant le niveau des prestations et en privatisant ainsi de plus en plus les risques.
Pourtant, en dépit de tous les problèmes qu’elle traverse, l’Allemagne s’est dotée récemment d’une nouvelle assurance sociale, l’assurance dépendance (taux de cotisation : 1,7 %), non soumise à des conditions de ressources. Elle verse, depuis le 1er avril 1995, une prestation autonomie aux personnes maintenues à domicile (entre 400 et 1 300 DM par mois) et prend en charge, depuis le 1er juillet 1996, une partie des frais des personnes placées en établissement (de 2 000 à 2 800 DM par mois). Un million sept cent mille personnes en bénéficient. Pour l’instant cette branche est excédentaire ; en partie parce que des cotisations ont été prélevées trois mois avant qu’elle serve les prestations.
Les difficultés financières des assurances sociales (maladie, vieillesse, chômage) ont conduit à une réflexion sur les prestations servies. Il est ainsi apparu que nombre d’entre elles ne relèvent pas du but premier de l’assurance mais, en réalité, du devoir de toute la société et qu’à ce titre elles devraient être financées par les impôts. Les Allemands les appellent les prestations non compensées (Fremdleistungen). Tous les intervenants ne sont pas d’accord sur leur définition. Cependant il y a consensus pour affirmer, par exemple, que dans l’assurance maladie, les prestations maternité, dans l’assurance chômage, les mesures de formation continue ou encore dans l’assurance vieillesse, la validation de l’éducation des enfants sont des prestations non compensées.
L’assurance maladie est la branche des assurances sociales qui diffère le plus du système connu en France.
En effet, il n’y a pas une caisse unique mais plusieurs caisses qui sont concurrentes entre elles, toutefois plus au niveau des taux de cotisation qu’au niveau des prestations qui sont fixées dans la loi. Au cours des dernières années, au lieu de diminuer les dépenses, la concurrence les aurait plutôt augmentées car les caisses ont eu tendance à multiplier les prestations volontaires pour conserver leurs assurés. Chaque caisse étant obligée de couvrir ses dépenses par ses recettes, le taux de cotisation dépend en grande partie de « la qualité » des assurés.
Au premier semestre 1997, le taux de cotisation moyen s’est élevé à 13,5 %. Néanmoins, les différences entre les taux de cotisation se sont atténuées depuis l’institution d’une péréquation des risques entre les caisses en 1994. Les caisses maladie de l’Est connaissant d’importants problèmes financiers (les dépenses ont rattrapé le niveau de l’Ouest mais les recettes sont plus faibles du fait des salaires plus bas et du nombre important de chômeurs) il est question d’instaurer une péréquation financière entre elles et les caisses de l’Ouest. Une telle mesure accentuerait encore le poids que la réunification fait peser sur les assurés sociaux de l’Ouest.
De plus, les salariés dont le salaire mensuel est supérieur à 6 150 DM ont la possibilité de s’assurer pour la maladie auprès d’une compagnie d’assurances privée – décision irréversible. Les compagnies d’assurances maladie privées ne fondent pas leurs primes sur le montant du salaire mais sur le risque représenté (chaque ayant droit « cotise »).
Les titulaires de hauts revenus en bonne santé peuvent ainsi s’assurer contre la maladie pour un montant inférieur à la cotisation de l’assurance maladie légale même si cette dernière n’est prélevée que sur la partie du salaire inférieure à 6 150 DM. En outre, les assurés privés peuvent avoir le sentiment rassurant qu’ils sont mieux soignés que les autres puisque, pour un même acte, le médecin peut pratiquement facturer le double.
Depuis plus de dix ans l’assurance maladie légale est chroniquement déficitaire (6,2 milliards DM en 1996, 4 milliards DM au premier semestre 1997). La résorption des déficits se concentre principalement, d’une part, sur l’augmentation de la participation des assurés à leurs frais de santé (médicaments, prothèses et hospitalisation/cures) et, d’autre part, sur le contrôle des dépenses de soins médicaux et de médicaments. La réforme de l’été 1997 tient compte de l’enveloppe globale pour instituer des budgets indicatifs par cabinets médicaux.
Ce système plus souple que le précédent fait craindre aux caisses une augmentation des dépenses. Afin d’obliger ces dernières à épuiser toutes les possibilités d’économies avant d’augmenter les cotisations, la réforme lie l’augmentation du taux de cotisation à celle de la participation des assurés à leurs frais de santé (pour 0,1 point de cotisation en plus, 1 DM supplémentaire de participation). Elle donne en contrepartie aux assurés la possibilité de changer rapidement de caisse. En ce sens, contrairement aux réformes précédentes qui par le plafonnement strict des dépenses avaient fait surtout pression sur le corps médical et sur l’industrie pharmaceutique, cette dernière réforme « s’en prend » davantage aux caisses.
Depuis le milieu des années 90, les Allemands tentent de maîtriser les dépenses hospitalières (34 % des dépenses de l’assurance maladie) entre autres par des forfaits par pathologie. Un prochain pas sera la comparaison des coûts pour le traitement d’une même pathologie d’un hôpital à l’autre afin de faire pression sur les plus onéreux.
De plus, la réforme de l’été 1997 prévoit des modifications structurelles qui instituent dans le régime général légal des éléments, propres jusqu’ici à l’assurance maladie privée. Il s’agit entre autres du remboursement a posteriori des coûts (actuellement relative généralisation du tiers payant), du remboursement d’une partie des cotisations en cas de non-recours aux services de l’assurance et de la minoration des cotisations en contrepartie d’une majoration des tickets modérateurs. Dans leur ensemble les caisses sont opposées à ces mesures qu’elles n’appliquent d’ailleurs pas encore. Elles estiment en effet qu’elles remettent en cause la solidarité entre les malades et les bien portants – pilier de l’assurance maladie légale – en faisant supporter l’assainissement des finances de cette assurance davantage aux malades qu’aux autres.
Afin de libérer les coûts du travail de l’hypothèque des dépenses de santé en constante augmentation, Horst Seehofer, ministre fédéral de la Santé, souhaitait initialement geler les cotisations maladie patronales au niveau actuel. Toute augmentation du taux de cotisation aurait alors été à la seule charge des assurés. Horst Seehofer n’a pas pu imposer cette idée, ressentie comme un changement de système. Il a, cependant, fait un petit pas dans cette direction. Il a transformé certaines prestations obligatoires, notamment au niveau de la prévention, en prestations volontaires et a obligé les caisses qui offrent ces dernières à les financer par des cotisations supportées uniquement par les salariés.
L’assurance vieillesse est financée, d’une part, par des cotisations dont le taux unique pour tout le territoire est fixé par la loi (actuellement 20,3 %) et, d’autre part, par une subvention du Bund qui varie en fonction de l’évolution des salaires et du taux de cotisation (en 1996 : 63 milliards DM soit environ 20 % des dépenses). La réunification a pesé lourd sur les finances de l’assurance vieillesse. Cette dernière a en effet dû verser des retraites à des retraités qui n’avaient pas cotisé et à nombre de salariés âgés qui, les problèmes de l’emploi étant importants, ont été mis à la retraite anticipée. L’étude précitée du DIW souligne que l’augmentation en 1995 des préretraites à cause du chômage, en partie à l’origine de la réforme de cet automne 1997, a été principalement un phénomène des nouveaux Länder.
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À partir du début de 1999, l’augmentation des retraites ne suivra plus strictement l’évolution des salaires nets. Elle sera pondérée par une variable démographique afin de tenir compte de l’allongement de la durée de bénéfice des retraites lié à une espérance de vie plus grande. De ce fait, à long terme, le niveau des retraites passera de 70 % des salaires nets perçus pendant la vie travaillée à 64 %, au plus tard en 2030. En outre, maintenant tout départ à la retraite avant 65 ans est pénalisé (retraite amputée de 18 % pour un départ à 60 ans) et l’octroi des retraites pour incapacité de travail est revu.
Actuellement, la jurisprudence permet aux salariés à la capacité de travail réduite de percevoir une retraite complète pour incapacité de travail ou professionnelle dès lors qu’ils ne trouvent pas sur le marché de l’emploi un poste adéquat à temps partiel. De ce fait l’assurance vieillesse supporte une partie des coûts du chômage. Désormais un salarié qui ne dispose plus de toute sa capacité de travail sera considéré en partie comme chômeur et en partie comme invalide du travail. Il percevra donc une pension partielle d’invalidité et des indemnités partielles de chômage.
Les difficultés financières de l’assurance vieillesse ont relancé la discussion sur l’opportunité de passer d’un financement par répartition à un financement par capitalisation. Rudolf Dressler, expert social du SPD, souhaitait introduire une part de capitalisation dans le système actuel de répartition en constituant un fonds. Ce dernier aurait été utilisé, à partir de 2010, pour financer une partie des retraites et ainsi éviter une augmentation trop forte des cotisations. Pour l’instant cette idée n’a pas été retenue.
Par contre, un principe semblable a été institué dans le régime vieillesse des fonctionnaires. Ces derniers perçoivent une retraite (75 % de leur dernier traitement brut), financée uniquement par les impôts. Le poids des pensions servies étant appelé à peser très lourd dans les budgets publics des années à venir, de 1999 à 2013, les fonctionnaires renonceront à 0,2 point d’augmentation de salaire ou de pension. L’argent ainsi économisé servira à alimenter un fonds auquel l’État aura recours, dans les années difficiles.
Kurt Biedenkopf, ministre président de la Saxe et grand défenseur depuis des années de la retraite de base, a tenté de relancer son concept. Cependant, les réactions ont montré que l’immense majorité des hommes politiques et de la population – une partie croissante des jeunes mis à part – restent très attachés au principe d’une retraite qui reflète les performances professionnelles de la vie active passée (salaire différé). Cependant, le niveau des prestations de l’assurance vieillesse pourrait se rapprocher de celui d’une retraite de base, financée par les impôts, étant donné les diminutions constantes de prestations et les carrières professionnelles de plus en plus souvent incomplètes du fait du chômage. Déjà actuellement, il faut cotiser pendant vingt-sept ans sur le salaire moyen pour obtenir une retraite du niveau de l’aide sociale. Par manque d’équivalence entre les cotisations versées et la retraite perçue, les cotisations vieillesse pourraient se transformer de fait progressivement en un impôt vieillesse.
Alors que, jusqu’ici, il y avait généralement eu consensus entre l’opposition et le gouvernement sur les réformes de l’assurance vieillesse, les sociaux-démocrates, très opposés à la diminution du niveau des retraites, ont annoncé qu’en cas de victoire électorale ils annuleraient la réforme de l’assurance vieillesse.
L’emploi étant au centre des problèmes des assurances sociales, la situation financière de l’Office fédéral du travail, responsable, d’une part, des prestations chômage d’assurance (Arbeitslosengeld) et d’assistance (Arbeitslosenhilfe) et, d’autre part, de la politique active de l’emploi, ne peut être que tendue. Comme la loi oblige l’Office à équilibrer son budget, l’État fédéral doit combler son déficit. Cette année, la subvention fédérale s’élève à 15 milliards DM (initialement 4 milliards étaient prévus). Les réformes de l’assurance chômage ne sont donc pas seulement guidées par le souci de stabiliser le taux de cotisation (en 1997 : 6,5 %) mais aussi par celui de ne pas trop grever le budget public. Il est donc arrivé au législateur de se laisser aller à quelques manipulations pour améliorer les finances de l’assurance chômage. Ainsi, en 1995, pour alléger les coûts de l’Office, le législateur a diminué la cotisation maladie des chômeurs affaiblissant ainsi les recettes de l’assurance maladie.
Estimant qu’il existe un lien entre le chômage et le montant des allocations, depuis 1990 le gouvernement n’a cessé de réduire les prestations. Actuellement, l’allocation chômage d’assurance s’élève à 67 % du salaire net (60 % si le chômeur n’a pas d’enfants à charge) et celle d’assistance, versée sous conditions de ressources à 57 % (53 %). La réforme du printemps 1997 a diminué les prestations en renforçant les critères d’acceptabilité d’un emploi et en relevant les seuils d’âge qui ouvrent droit à un bénéfice plus long des indemnités (il faudra, par exemple, attendre 57 ans pour percevoir les allocations chômage pendant trente-deux mois).
Désormais, au cours des trois premiers mois d’inactivité, les chômeurs devront accepter tout emploi qui leur permet de percevoir un salaire inférieur de 20 % à leur rémunération précédente, sous peine de perdre leurs droits. Après six mois de chômage, tout emploi sera réputé acceptable si sa rémunération est supérieure aux allocations. Selon certains, ces mesures qui pénalisent rapidement les personnes à la recherche d’un emploi remettent en cause le principe même de l’assurance chômage.
Estimant qu’il vaut mieux subventionner l’embauche que le chômage, la réforme a aussi institué de nouveaux instruments de la politique active de l’emploi allant en ce sens. En contrepartie, ceux qui « favorisaient l’installation » sur le second marché du travail ont été réduits.
À force de réduire les prestations et d’augmenter les cotisations, le système contributif de protection sociale se heurte de plus en plus souvent à la question de sa légitimité et donc de son acceptation dans la population. Quatre familles nombreuses ont déposé une plainte à la Cour fédérale constitutionnelle de Karlsruhe pour être exemptées du versement des cotisations vieillesse. Elles estiment en effet qu’elles contribuent actuellement à l’assurance vieillesse par leurs cotisations et par l’éducation des enfants davantage qu’elles ne percevront plus tard sous forme de retraite. La Cour n’a pas encore statué.
En plus des prestations des assurances sociales, l’Allemagne dispose de prestations d’assistance sociale, financées par les impôts et versées sous conditions de ressources dont la principale est le minimum d’existence (Hilfe zum Lebensunterhalt). Le chef d’un ménage démuni perçoit une prestation de 530 DM par mois en moyenne, les adultes (+ de 19 ans) du même ménage de 424 DM chacun et les enfants de 265 à 477 DM selon leur âge. Le bureau d’aide sociale qui verse cette prestation, financée par les communes, prend aussi en charge le loyer, le chauffage, l’électricité et des frais exceptionnels, comme le baptême, l’anniversaire d’un enfant ou l’achat d’un nouveau manteau.
Ainsi, de fait, une famille de deux enfants peut disposer d’un revenu d’assistance d’environ 2 900 DM par mois, ce qui est proche du niveau de revenus des familles de salariés peu qualifiés. Le débat sur la réforme de l’aide sociale est donc entièrement axé sur l’écart nécessaire entre les prestations d’assistance et les bas revenus du travail pour maintenir l’incitation au travail. Le nombre des chômeurs peu qualifiés qui ont recours au minimum d’existence augmente.
Les employeurs proposent donc d’instituer de « vrais bas salaires » (« le travail peu qualifié serait de nouveau rentable ») qui seraient complétés par une prestation d’assistance. Cette proposition éveille l’intérêt de personnalités d’opinions diverses, du président de la confédération des syndicats allemands (DGB) à celui des commissions sociales de la CDU. Néanmoins, le gouvernement attire l’attention sur les effets pervers d’une telle mesure qui pourraient, entre autres, faire baisser les salaires et ainsi augmenter le nombre des prétendants aux prestations d’assistance…