L’expérience chinoise de PSA Peugeot Citroën
L’aventure chinoise est solidement ancrée dans l’histoire du groupe PSA Peugeot Citroën. Sous un angle plutôt épique, elle commence avec la Croisière jaune des équipes Citroën dans les années vingt.
Sur le terrain médiatique, on se souviendra de la publicité “ révolutionnaire ” pour l’AX tournée sur la Grande Muraille alors que le pays s’ouvrait à peine à l’extérieur.
Pour la première fois sur les terrains industriels et commerciaux, Peugeot s’installa à Canton pour y assembler des véhicules “ semi knocked down ” dans les années quatre-vingt, parvenant à occuper jusqu’à 16 % d’un marché encore embryonnaire.
Mais c’est surtout depuis le début des années quatre-vingt-dix avec l’installation de Citroën à Wuhan et la création de la joint venture DongFeng Citroën Automobiles Company (DCAC) que commence la stratégie de développement du groupe en Chine.
Au terme de dix ans d’expérience et alors que la signature d’un nouveau contrat de joint venture fin 2002 a donné un nouvel élan à cette coopération, il peut être tiré plusieurs enseignements de cette expérience.
Dix ans d’acquis
Comme d’autres industries jugées stratégiques par les autorités chinoises, la présence commerciale dans le secteur automobile ne peut se concevoir sans création d’un outil de production local. Abrité derrière des barrières tarifaires et réglementaires, le marché chinois n’a absorbé que 6 % d’importations au terme de la première année de participation à l’OMC.
Notre expérience en Chine n’a pas échappé à la règle qui veut qu’un partenaire étranger soit sélectionné par les autorités pour accompagner un industriel local dans une aventure d’abord industrielle, empruntant à la fois aux objectifs de transfert de technologie, d’aménagement du territoire et de cofinancement.
L’investissement industriel de PSA en Chine prend aujourd’hui la forme de deux unités de production installées dans le Hubei au centre du pays. Une usine produisant des organes mécaniques a été construite à Xiang Fan (350 km au nord-ouest de Wuhan). Depuis 1995, elle produit des moteurs, boîtes de vitesses et liaisons au sol. Sa capacité d’usinage est également exploitée pour les besoins d’appoint du groupe PSA en Europe. L’usine terminale est, quant à elle, installée à Wuhan et a également commencé à produire ses premiers véhicules en 1995. Elle comprend des capacités d’emboutissage, de ferrage, de peinture et d’assemblage en tout point comparables à celles disponibles en Europe, n’était leur taux actuel d’utilisation. Utilisé en deux équipes quotidiennes, cet outil industriel permet de produire aujourd’hui à une cadence de 500 véhicules par jour et avec une relative diversité puisque quatre silhouettes différentes sont assemblées sur la même ligne.
La présence en Chine constitue donc un choix lourd de conséquences. Ce point mérite d’être d’autant plus signalé que le dimensionnement de l’investissement n’a pas toujours répondu à des règles strictes de gradualisme par rapport à l’éclosion de la demande.
Au début des années quatre-vingt-dix quand Citroën s’est installée en Chine, le « ticket d’entrée » était fixé à 300 000 véhicules par an (pour un marché total qui n’a dépassé ce seuil qu’en 1996), découpé entre une ou deux phases selon les cas. Aujourd’hui, les nouveaux entrants s’engagent à financer des capacités de production de l’ordre de 300 000 à 500 000 véhicules par an.
L’adhésion de la Chine à l’OMC ne modifiera d’ailleurs pas les choses. Avant 2006, les droits de douane seront progressivement abaissés de 80 % en 2000 à 43 % en 2002 puis 25 % d’ici 2006. Mais entre-temps les importations resteront contingentées par un dispositif de licence et par la réglementation appliquée au secteur de la distribution. La majorité des constructeurs mondiaux aura donc déjà posé le pied en Chine sous forme de prises de participation avec l’un des trois piliers de l’industrie automobile nationale, FAW, SAIC et DongFeng (ex-SAW). Bénéficier de l’explosion actuelle du marché est à ce prix.
Mais cet outil industriel n’a de sens que mis en valeur par un réseau commercial. Comme pour beaucoup d’industriels en Chine, la construction d’une force de vente et d’une image de marque a dû passer par l’exploitation dans un premier temps du réseau du partenaire avant de pouvoir s’adosser comme ailleurs dans le monde sur des investisseurs – privés ou publics. Aujourd’hui fort de plus de 400 points de vente répartis dans toute la Chine, ce réseau se met au niveau de standards internationaux de la marque Citroën avec des exigences « sévérisées » en termes d’investissement et de qualité de service. La marque Peugeot se lance dans ce travail de constitution d’un réseau de concessionnaires afin d’être prête dès 2004 à vendre son premier véhicule sorti des lignes de Wuhan.
Au terme de dix ans d’existence, le bilan tiré de DCAC est clairement positif de trois points de vue.
Sa part de marché atteint 8 % en 2002 et même 9 % sur les derniers mois de l’année, représentant des ventes supérieures à 85 000 unités en 2002 (contre 53 000 en 2001) et une vitesse acquise au cours du dernier trimestre permettant de largement dépasser 100 000 ventes en 2003, soit une performance comparable à celle réalisée par le groupe dans ses plus importantes filiales européennes. Depuis l’été 2001, les nouveaux produits lancés par les différents constructeurs représentent la majorité des ventes (65 % mi-2002) et le maintien des positions commerciales dans ces conditions nouvelles de concurrence doit être considéré comme la traduction d’un véritable ancrage de Citroën dans le paysage automobile chinois.
Derrière un leader, qui représente encore 43 % du marché, pointent quatre dauphins potentiels dont deux ont vu leur pénétration commerciale progresser ces derniers mois. PSA via la marque Citroën est l’un d’eux. Les suiveurs occupent des segments plus limités tant en potentiel de développement que de rentabilité.
Mesurée selon les règles comptables chinoises, l’entreprise dégage un bénéfice annuel positif. Cette situation doit être considérée elle aussi comme favorable alors que l’investissement initial a dépassé 10 Mds RMB de l’époque (1,2 Md d’euros), financé à 60 % par les actionnaires et à 40 % par endettement. À la différence de certains de ses concurrents qui sacrifient leur santé financière à la culture déflationniste locale, DCAC a su jusqu’à présent suivre les évolutions du marché sans sacrifier ses résultats. À titre de référence, une ZX se vendait (hors taxes) il y a encore deux ans plus de 14 000 euros contre 11 000 cette année.
Enfin, à l’aune de l’aventure que représente une installation en Chine, pour un groupe solidement enraciné dans ses traditions françaises, être en Chine depuis dix ans constitue un remarquable actif. Le groupe a désormais une histoire en Chine faite de lancements industriels, d’un réseau et d’une image de marque.
2002 : la nouvelle étape
C’est à partir de cet acquis que se développe aujourd’hui la nouvelle stratégie de développement du groupe en Chine. Car ici autant que sur les autres marchés, les positions doivent être défendues. Défendues face à la concurrence des constructeurs déjà installés en Chine et qui multiplient les nouveaux produits (pas moins d’une quinzaine de lancements depuis le début de l’année 2002). Défendues face à la stratégie des autorités chinoises soucieuses de tirer le meilleur parti des potentialités du marché local.
L’opportunité que constitue le marché automobile chinois ne se dément pas. Le marché chinois est le seul bénéficiant à la fois d’une croissance forte (15 % par an en moyenne depuis cinq ans mais 53 % en 2002) et d’une prime naturelle aux premiers entrants (sous la forme d’une réponse aux besoins immédiats alors que les importations restent contingentées). Le marché chinois, tous véhicules confondus, est déjà le 4e marché mondial. Limité aux seuls véhicules particuliers il pointe désormais dans les 20 premiers mondiaux. Au classement des rythmes de croissance il arrive aujourd’hui en tête.
Pour tout acteur mondial du secteur automobile, la présence en Chine constitue ainsi une quasi-obligation. Les ventes de Citroën y représentaient 9 % des ventes totales de PSA hors Europe de l’Ouest en 2001. L’objectif est d’atteindre 18 % en 2004. Cet objectif n’est pas propre à PSA et les « offres de service » des grands groupes auprès des autorités chinoises se multiplient pour qui a manqué le train des premières joint ventures.
Aujourd’hui, les trois piliers de l’industrie locale ont tous au moins deux partenaires.
Cette saine émulation se traduit par l’accélération des phases de développement, l’offre de nouvelles formes de coopération : développements de centres techniques permettant de relayer le transfert technologique par la construction d’une véritable capacité locale de développement ; premiers pas dans le domaine du financement automobile.
Pour saisir cette opportunité, le groupe se fondera sur deux des piliers de sa réussite actuelle dans le reste du monde et en particulier en Europe :
- la présence de deux marques permettant de développer deux stratégies commerciales différentes au service de clientèles différentes,
- une politique de plate-forme industrielle permettant de partager les coûts entre plusieurs types de véhicules tout en permettant de diversifier les modèles. En l’occurrence, la plate-forme 2 de PSA sera introduite en Chine à partir de 2004. C’est elle qui, en Europe, a été inaugurée avec la Peugeot 307.
Cette stratégie s’est traduite par la signature d’un nouvel accord de joint venture qui est l’occasion de donner également une nouvelle forme à notre coopération : équilibre dans la répartition du capital, organisation commerciale plus proche des standards du groupe, modification des conditions de contrôle de l’entreprise par les actionnaires.
Être en Chine, une exigence permanente pour un groupe industriel français
Au-delà des clichés sur les opportunités chinoises et la nécessité d’y développer une stratégie répondant point par point au canon de l’Art de la Guerre, il me semble utile de relire notre expérience d’un œil plus critique, au moins du point de vue de notre propre engagement vis-à-vis de ce pays et de ce marché. L’aventure chinoise est celle de l’exigence pour au moins trois raisons.
La première est celle du management local
Le mariage arrangé que constitue une joint venture suppose un exercice quotidien d’équilibre entre les parties. Dans certains cas, comme celui de Peugeot avec la municipalité de Canton entre 1986 et 1991, l’affaire peut déboucher sur un constat de désaccord. Dans le cas de Citroën à Wuhan, la tournure des événements a été plus favorable. Au terme des huit premières années, le management est revenu à la partie chinoise. Le transfert de savoir-faire, la consolidation des aspects commerciaux et financiers et l’accélération du développement passent donc par de nouvelles formes de management et par l’assimilation par le partenaire de ces exigences. Cela ne va pas de soi. Je veux en citer quelques exemples vécus.
La gestion des ressources humaines pourrait apparaître comme la moindre des difficultés au regard de la stabilité réputée du pays. Longtemps, la même personne a occupé les postes d’administrateur de la société, de président du syndicat (et donc secrétaire du PCC de l’entreprise) et de directeur des ressources humaines.
Chaîne de fabrication des Peugeot 307. DOMINIQUE PIZZALLA–PSA PEUGEOT CITROËN
À défaut d’être un modèle de « corporate governance », ce cumul peut apporter un gage d’efficacité dans le dialogue social ! En fait, la réalité du terrain est complexe. L’offre de techniciens, d’ingénieurs ou de gestionnaires n’atteint pas encore la demande des entreprises. Les salaires demandés par les jeunes diplômés dépassent largement ceux des cadres dirigeants des entreprises traditionnelles. Pour un salaire net de l’ordre de 3 500 RMB par mois pour un ingénieur ou un informaticien, les demandes se situent au-delà de 15 000 RMB à Shanghai ou à Canton. Ne pas se limiter à l’exploitation des coûts de la main-d’œuvre ouvrière est donc un véritable challenge, en particulier dans les régions non côtières.
La transparence des informations financières ne constitue pas non plus un point de rencontre naturel entre partenaires. La comptabilité chinoise s’oriente progressivement vers des pratiques proches de celles généralement admises en Occident, mais les règles fiscales restent difficiles à appréhender.
Le domaine technique n’échappe pas à ces difficultés. Le raccourcissement des délais de développement a emprunté aux États-Unis et en Europe la voie d’une modification des règles de management des équipes, des conditions de relation entre les différents métiers de l’automobile.
Le management transversal est devenu la règle et les organisations matricielles se sont imposées. En Chine, ce type d’organisation n’est pas, loin s’en faut, naturel. La relation hiérarchique, la prééminence du rang sur la mission, le primat de l’obéissance sur l’initiative sont autant de difficultés à surmonter.
En dix ans près de 200 collaborateurs du groupe PSA se sont succédé en Chine pour avancer sur l’ensemble de ces sujets. Le choix qui a été fait est celui de spécialistes de leurs métiers, faute de pouvoir à de rares exceptions près faire le choix de spécialistes de la Chine.
Le choc de cultures, l’âpreté des négociations est un basique pour qui a déjà travaillé en Chine.
Je suis persuadé qu’à très court terme ce modèle devra évoluer au profit de cadres chinois, formés aux techniques et au management en France et disposant de l’avantage culturel et linguistique d’une formation initiale en Chine et d’une parfaite connaissance des rouages de la société chinoise.
La seconde exigence est celle des relations entre la joint venture et sa maison mère
Le succès en Chine suppose de trouver un équilibre entre l’application des recettes industrielles et commerciales ayant fait leurs preuves sur les marchés traditionnellement concurrentiels et mûrs et la prise en compte des spécificités chinoises. En l’occurrence, PSA n’est pas seulement l’actionnaire de la joint venture, il est la source de ses produits, de ses méthodes.
Ces spécificités s’appliquent naturellement au produit lui-même. Les ZX chinoises ont ainsi été adaptées au marché en leur ajoutant un coffre inconnu des versions « occidentales » et même 18 centimètres entre les places avant et les places arrière pour satisfaire les élites administratives. La même adaptation s’appliquera aux lancements qui vont se succéder chaque année jusqu’en 2008.
Cet exercice indispensable comporte deux difficultés : celle de la bonne lecture des spécificités chinoises (à n’en pas douter le besoin de coffre ne subsistera pas à un tel niveau d’ici les trois prochaines années) ; celle des délais et des ressources nécessaires pour ces adaptations (un lancement majeur tous les sept mois dans notre usine). La construction sur place d’une capacité de développement sinon autonome du moins de bon niveau dans le domaine du marketing et du développement technique constitue une réponse à ces besoins. Au même titre que les exigences de sinisation des équipes, celle de l’équilibre entre des développements déjà validés et des adaptations gérées sur place nécessite donc des ressources spécifiques.
La troisième exigence est celle des relations entre constructeurs et fournisseurs
À cet égard, le groupe PSA bénéficie en Chine des deux casquettes au travers des cinq implantations de Faurecia sur place dans deux de ses métiers principaux.
La complexité des rapports de force entre constructeurs et fournisseurs constitue une première difficulté. Outre les vestiges des anciennes entreprises d’État ou des conglomérats militaires, les myriades de participations croisées nuisent à l’énoncé d’une stratégie claire et d’une appréciation objective du tissu industriel local. Les fondements mêmes de l’acte d’achat constituent un véritable écart avec les meilleures pratiques mondiales. Les progrès réalisés par constructeurs et fournisseurs dans leur partenariat au cours des dix dernières années restent à appliquer en Chine. Or, ce secteur des achats est stratégique pour l’entreprise. La part de la valeur ajoutée est encore limitée et le niveau des charges fixes aura tendance à se réduire au fur et à mesure de l’augmentation des volumes. La part des achats, relativement au prix de vente, dans le prix de revient d’un véhicule chinois est encore le double de celui connu en Europe.
La nécessité d’une intégration locale restera donc une évidence. Elle le restera pour des raisons différentes de celles imposées il y a dix ans et qui ont conduit à intégrer 85 % de la ZX contre 42 % actuellement pour Picasso. La réglementation tend en effet à réduire le seuil en deçà duquel des taux de douane prohibitifs sont appliqués. La stabilité monétaire rend l’intégration locale moins cruciale qu’au Mercosur comme parade aux variations monétaires. Au moins à court terme, l’ancrage du renminbi au dollar semble défendu (la Chine a les plus grandes réserves monétaires mondiales). Mais la dépréciation du dollar par rapport à l’euro fait bien peser un risque sur les coûts locaux compte tenu des parts importées. De plus, l’exploitation des avantages compétitifs en termes de main-d’œuvre comme la nécessité de ne pas peser sur l’utilisation de capacités de production européennes constituent des motifs sérieux d’intégration.
En conclusion, je me risque à sacrifier aux poncifs des traités de stratégie. Plus que l’Art de la Guerre, je conseille la lecture des 36 stratagèmes qui détaillent les tactiques à adopter dans les multiples cas de figure d’une bataille « déjà emportée » ou « indécise ». À l’issue d’une négociation toujours difficile, l’industriel étranger a la douloureuse impression d’en avoir été une nouvelle illustration. De fait, nos amis chinois excellent dans l’art de faire payer chèrement l’accès à leur marché, tant en termes de partage des pouvoirs que de négociation strictement commerciale. Mais à l’heure où tous les constructeurs se tournent vers la Chine pour y trouver un relais de croissance, ces tourments passent au second plan. La Chine est clairement un enjeu stratégique pour notre groupe.
Commentaire
Ajouter un commentaire
Je connais bien Alain
Je connais bien Alain Sartoris et je pense que ce n’est pas sa photo qui est insérée dans cet article.…