L’expérimentation, une autre façon d’étudier
Dans les années 2000–2005, il y avait au Conseil d’administration de l’X un vieux monsieur aux yeux très bleus, aux cheveux abondants et très blancs, au verbe haut et décapant mais toujours constructif et pragmatique.
Il s’appelait Georges Charpak et avait rénové l’enseignement des sciences à l’école primaire en créant avec Pierre Léna et Yves Quéré « La Main à la pâte ».
“ Donner envie d’étudier les sciences et leurs conséquences sur notre société ”
Il illustrait ainsi la pédagogie utilisée : « À huit, neuf ou dix ans, les enfants font de l’astronomie diurne, à l’aide de petits ballons de baudruche gonflés et d’une lampe électrique puissante. Par groupe de quatre, ils discutent pour comprendre les mouvements de la Terre et du Soleil, ainsi que les saisons qui en résultent.
Or, je suis persuadé que 80 % des adultes sont incapables d’expliquer la différence entre l’été et l’hiver. » Grâce aux élèves polytechniciens qui avaient choisi d’effectuer leur stage de formation humaine – qui remplaçait depuis 2000 le service militaire – dans une école primaire pratiquant cette pédagogie, j’ai eu la chance de participer à quelques cours.
De cette expérience, je suis sorti convaincu qu’il fallait introduire cette méthode dans l’enseignement supérieur, méthode à mes yeux parfaitement adaptée à ceux qui sont plus attirés par l’expérimentation que par la théorie, tout au moins en première approche.
REPÈRES
Reprenant une idée américaine (Hands On, Leon Lederman, Chicago), Georges Charpak a lancé en 1995 l’opération « La Main à la pâte », qui « vise à développer un enseignement des sciences fondé sur l’investigation à l’école primaire et au collège […] permettant de stimuler chez les élèves esprit scientifique, compréhension du monde et capacités d’expression ».
De l’idée au projet concrétisé
En 2009, j’ai profité d’un séminaire sur la diversité organisé par les écoles de ParisTech pour reprendre cette idée en l’adaptant aux jeunes étudiants possédant un fort potentiel mais peu à l’aise dans une approche théorique des sciences, ou que les études longues peuvent décourager parce qu’ils ne bénéficient pas d’un fort soutien familial.
Les premiers concernés étant les étudiants issus des zones urbaines sensibles et des zones rurales, c’est vers eux que nous nous sommes en priorité tournés.
Cette idée s’est transformée en un projet qui a vu le jour en septembre 2013 sous le nom d’« Institut Villebon – Georges- Charpak ». Une équipe pédagogique extraordinairement motivée et compétente, composée d’enseignants des grandes écoles de ParisTech mais aussi des universités Paris-Sud et Paris Descartes, en a été le moteur.
Cette équipe s’est constituée spontanément autour d’une pédagogie qui « donne confiance en soi et permette de prendre conscience de ses capacités », « donne envie d’étudier les sciences et leurs conséquences sur notre société » et « développe la créativité et le goût de l’expérimentation ».
Sélectionner les étudiants, définir les programmes
La première démarche a été de concevoir une méthode de sélection des étudiants sans lien direct avec les résultats scolaires, fondée sur un entretien visant à tester leur motivation et leur capacité à convaincre, sur la synthèse d’un texte scientifique ou technologique et sur leur attitude lors d’une épreuve de créativité en groupe.
Georges Charpak. © REUTERS
La seconde a été de concevoir un programme qui permette de délivrer une licence scientifique généraliste après avoir suivi une formation réellement interdisciplinaire, construite avec les étudiants et attentive à développer leur formation humaine. Les étudiants qui auront obtenu leur licence en trois ans devront avoir acquis une solide confiance en eux et auront la possibilité de poursuivre en master ou d’intégrer une école d’ingénieurs dans les mêmes conditions que ceux qui ont une licence universitaire.
L’Institut a ouvert ses portes en septembre 2013. La première promotion comptait 36 étudiants parmi lesquels il y avait 66 % de boursiers, 45 % de jeunes filles et 30 % de bacheliers technologiques.
Le soutien puissant de l’X
Ce projet n’aurait jamais vu le jour sans le soutien de l’École polytechnique. C’est le directeur général qui a proposé de loger dans les caserts la première promotion, c’est lui aussi qui a proposé des cours de sport pour tous les étudiants, qui a mis à notre disposition des salles pour le tutorat en soirée (l’ENSTA proposant d’accueillir les cours), et qui a permis à deux X de première année d’effectuer leur stage de formation humaine dans l’Institut en tant que tuteurs.
Quentin Lisack (2013), qui a donné tous les soirs des séances de tutorat aux 36 élèves de la première promotion, résumait ainsi son rôle :
« Notre démarche cherche à privilégier l’entraide et la confiance en soi. En les regroupant en petits groupes, nous incitons souvent les étudiants à jouer, chacun à leur tour, le rôle de tuteur. Celui qui a compris un point du cours l’explique aux autres. C’est une bonne façon de vérifier que les notions sont acquises. »
Difficile acceptation du diplôme
La mise en œuvre de ce projet ne fut pas facile (c’est un euphémisme), les difficultés que nous avons rencontrées ont été nombreuses.
“ Privilégier l’entraide et la confiance en soi ”
La plus grande a été de convaincre qu’il n’était pas injuste que l’État dépense plus pour les étudiants de la « licence Villebon » que pour ceux des autres licences universitaires, même si cette dépense était largement inférieure à celle des étudiants de classes préparatoires.
L’égalitarisme est une notion (une idéologie ?) que l’on trouve partout dans notre société, c’est en son nom que ce projet a été le plus contesté, au départ au sein de cabinets ministériels, aujourd’hui encore par certains syndicats étudiants.
Je suis persuadé que les diplômés de cet Institut constitueront un vivier nouveau d’étudiants entreprenants, innovants et passionnés de science et technologie.