L’expert, un ingénieur engagé
Le dieu du Bien chez les personnes du premier millénaire avant Jésus-Christ, Ahura Mazda, incite les hommes à conduire leur vie de façon à mériter la sagesse et le bonheur. Or les relations humaines sont source de conflits et de différends. C’est en cela qu’intervient l’« expert ». Le terme expert vient du latin expertus. L’expert est celui qui a fait ses preuves, est expérimenté, a tenté de réaliser quelque chose, a su faire valoir son droit devant la justice. Ses qualités et compétences le rendent légitime à régler les conflits et apporter une forme de sérénité aux parties. À la différence des scientifiques qui sont dans le doute méthodique, l’expert doit donner une solution. Il complète donc l’analyse des faits par une opinion.
L’expertise est dans le langage courant plutôt une notion juridique. Nous n’évoquerons pas dans ce dossier l’autre grand volet de l’expertise : celui des choix scientifiques et technologiques. Mesure d’instruction, elle permet à des spécialistes (experts) de procéder à un examen technique et d’en exposer le résultat dans un rapport au juge. Avec le développement des modes non judiciaires de règlement des conflits (arbitrage, conciliation, médiation, etc.), l’expertise va se développer notamment à l’international, dynamisée par le droit anglo-saxon.
Nous verrons comment l’expert règle les conflits nés de l’activité économique et aussi pourquoi son expertise est actuellement fortement contestée. L’expert est seul à conduire une procédure complexe qu’il doit rendre transparente dans les détails, faute de quoi il ouvre la porte à la contestation de ses opposants. Mais cette contestation est aussi celle de la décision pour laquelle l’expertise a été décidée. Les Français, en fait, ont confiance dans les ingénieurs et les scientifiques. Ils s’étonnent de voir que ces derniers n’ont pas la place qu’ils devraient occuper dans la société (cf. La Jaune et la Rouge n° 737). Mais ils sont aussi victimes des réseaux sociaux qui développent la « puérilité intellectuelle », selon l’expression de Gérald Bronner dans La démocratie des crédules, et ont pour caractéristique de transformer les faits en opinions.
À la pointe de l’ingénierie parmi d’autres, les ingénieurs polytechniciens ont une responsabilité dans cette évolution et devraient considérer l’expertise comme un engagement majeur. Cet engagement peut être choisi dès lors que l’on est spécialisé dans un domaine, avec une expérience confirmée (dix ans au moins) et une disponibilité suffisante pour répondre aux sollicitations des magistrats. En mettant son expérience au service du règlement des conflits, l’ingénieur expérimenté assume des responsabilités nouvelles et stimulantes.
En quelques mots, il s’agit de maintenir allumé le feu de la sagesse d’Ahura Mazda.