L’expertise judiciaire : une place privilégiée pour des polytechniciens dans la chaîne pénale ?
Si les polytechniciens ne sont pas nombreux à travailler dans le domaine du droit en général (moins de 50 d’après l’annuaire de www.polytechnique.org), ils le sont encore moins dans celui du droit pénal.
Les X et le droit pénal
Si les polytechniciens ne sont pas nombreux à travailler dans le domaine du droit en général (moins de 50 d’après l’annuaire de www.polytechnique.org), ils le sont encore moins dans celui du droit pénal.
Alors que l’objet fondamental du droit civil est le règlement des conflits entre particuliers (affaires familiales : divorces, etc.) ou entreprises (propriété intellectuelle : brevets, etc.), celui du droit pénal est le jugement des fautes commises contre la société. Contrairement à une idée fort répandue, l’État (en l’occurrence un représentant du ministère public – le parquet) peut ainsi poursuivre une personne (physique ou morale) soupçonnée d’avoir commis une infraction, même en l’absence de tout dépôt de plainte ou de victime bien identifiée ! On peut donc dire que le droit pénal est, sans doute, l’une des branches du droit dont le caractère régalien est le plus affirmé (laissons une place à nos quelques camarades du Conseil d’État, spécialistes du droit administratif !).
Dès lors, pourquoi l’École polytechnique, dont l’une des vocations est de former des cadres de haut niveau pour la fonction publique, n’en fournit-elle que si peu à la chaîne judiciaire publique ? L’explication provient assurément de la distance qui sépare les sciences » dures » de la science juridique ; en corollaire, les voies d’accès sont extrêmement ténues pour un polytechnicien : l’École polytechnique n’a pas vocation à se substituer à l’École nationale de la magistrature (Bordeaux) ou à l’École nationale supérieure de police (qui forme les commissaires à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or). Outre les parcours tortueux dont certains de nos camarades ont le secret, il existe cependant une voie de recrutement directe à la sortie de l’X : l’École des officiers de la gendarmerie nationale.
Les X dans la gendarmerie
Les camarades qui ont fait le choix de cette force armée tournée vers le grand public (en moyenne un par an depuis 1990 tout de même !) n’assurent pas tous, en permanence, une fonction dans la chaîne pénale : certains X gendarmes ont une » dominante de carrière » (spécialiste des infrastructures informatiques et de télécommunications équipant toutes les unités de gendarmerie, spécialiste des ressources humaines…) mais tous, à un moment ou à un autre de leur parcours, exercent un commandement au sein d’une unité opérationnelle.
Ils y jouissent alors des prérogatives de l’officier de police judiciaire (tous ces termes étant à comprendre dans un sens générique : » officier » comme » officier d’état civil « , et » police judiciaire » comme » police de la route » ou » police de l’environnement « , etc.) : ils sont ainsi compétents pour effectuer des perquisitions, mener des auditions et rédiger des procédures d’investigations ; en tant que chef, ils sont également à même de contrôler et organiser l’activité judiciaire de leurs subordonnés (relance d’une procédure trop lente ou mal étudiée, affectation de moyens supplémentaires à une enquête…), et d’être le relais de la gendarmerie auprès des autorités judiciaires.
Le cas particulier des X gendarmes affectés à l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) est intéressant à plusieurs titres. Créé en 1987 sous l’appellation » Section technique d’investigation criminelle » par un X, le général Caillet (75), l’IRCGN est l’unité de gendarmerie où la science est reine : il s’agit en effet de l’unique laboratoire de police technique et scientifique (là encore, » police » est à comprendre dans un sens générique) de la gendarmerie.
À vocation nationale, il a pour mission l’exploitation, par des moyens et méthodes scientifiques, de tous les éléments de preuve ayant pu être saisis au cours d’une enquête. Empreintes digitales, ADN, balistique, entomologie médico-légale (étude des insectes nécrophages permettant la datation de la mort), véhicules, documents, informatique-électronique, etc. : il existe douze départements au sein de l’IRCGN, couvrant la quasi-totalité du spectre scientifique. Les personnels qui y travaillent, gendarmes de tous grades, officiers du Service de santé des armées ou techniciens et ingénieurs civils du ministère de la Défense, sont tous diplômés dans leur domaine de compétence (diplôme acquis soit avant l’entrée dans la fonction publique, soit après – à titre professionnel ou personnel) : docteurs en médecine, en biologie ou en traitement du signal, titulaires de diplômes d’études approfondies en chimie ou en physique, ingénieur en informatique ou en électronique…
Les matériels utilisés sont à l’avenant : microscope électronique à balayage, spectromètre de masse, laser Raman, séquenceur ADN, analyseur de spectre-réseau, lecteur-programmateur de composants électroniques… Les contacts avec les partenaires industriels sont fréquents (constructeurs automobiles, fabricants de peinture, opérateurs de téléphonie mobile, etc.) et les projets de recherche et développement, en lien avec les universités ou d’autres laboratoires (CNRS, Délégation générale pour l’armement, etc.), nombreux. Pas étonnant, dès lors, que l’IRCGN constitue une affectation privilégiée pour les X gendarmes !
Les X et l’expertise judiciaire pénale
Les personnels affectés à l’IRCGN (et en particulier les X gendarmes) interviennent dans la chaîne pénale exclusivement, en tant qu’experts judiciaires. Selon le type d’enquête (enquête préliminaire, enquête de flagrance, recherche des causes de la mort ou commission rogatoire), ils sont saisis sur réquisition à personne qualifiée (signée par tout enquêteur ou tout représentant du ministère public) ou sur ordonnance de commission d’expert (délivrée par le juge d’instruction). Même si la vocation première de l’IRCGN est de servir les besoins de la gendarmerie dans le domaine de la police technique et scientifique, ses experts peuvent donc être saisis par un policier ou par un magistrat et travailler ainsi à leur profit.
Cependant l’IRCGN n’est non seulement pas le seul et unique recours dans le domaine de l’expertise judiciaire, mais il n’est même pas le recours exclusif pour les gendarmes ! Tout enquêteur de la gendarmerie, tout enquêteur de la police, tout représentant du ministère public et tout juge d’instruction peut, librement, faire appel à qui bon lui semble pour l’exploitation scientifique des éléments de preuve qu’il détient.
La police nationale a elle-même plusieurs laboratoires (essentiellement à vocation régionale), certaines entreprises réalisent des expertises judiciaires (extraction d’ADN, analyse de disques durs informatiques…), sans compter les multiples experts judiciaires privés qui oeuvrent à titre individuel et figurent sur des listes agréées par les cours d’appel (dans lesquelles figurent, selon les spécialités, un nombre conséquent de camarades) ; notons d’ailleurs que l’inscription sur une liste d’experts agréés n’est pas une condition sine qua non pour offrir ses services à titre individuel, tout magistrat pouvant faire appel à un expert non inscrit pour des raisons particulières (urgence, non-disponibilité des experts inscrits, connaissances techniques spécifiques…).
Le requérant effectue son choix tout simplement en comparant les résultats techniques que chacun annonce espérer obtenir, mais aussi les délais de traitement et les tarifs proposés (les laboratoires de la police et de la gendarmerie ne facturant leurs services que sous le régime de l’ordonnance de commission d’expert, dans le cadre d’une enquête sur commission rogatoire – les revenus étant reversés à l’administration).
Si les règles régissant le statut de l’expert judiciaire se sont singulièrement étoffées ces dernières années (obligation pour certaines spécialités comme la biologie – ADN – de détenir un diplôme particulier, devoir de formation continue…), il n’en demeure pas moins relativement aisé, dans la plupart des spécialités, de se faire reconnaître comme expert judiciaire (inscrit ou non inscrit sur une liste de cour d’appel).
Cela permet malheureusement à certains opportunistes, peu qualifiés mais désireux de trouver une source de revenus complémentaire, de gagner la confiance de requérants plus éclairés en droit qu’en sciences, surtout lorsque les tarifs pratiqués sont en dessous de ceux établis par le marché. Mais cela devrait également encourager certains de nos camarades, enclins à briser la routine et désireux de concourir à la marche en avant de la justice, à se lancer dans l’aventure ! Certes, un vernis juridique est indispensable pour connaître l’environnement dans lequel on évolue, ainsi que les droits et devoirs de l’expert judiciaire (indépendance, neutralité, interdiction de communiquer avec les mis en cause…) ; il est vrai également que, bien souvent, une » approche laboratoire » est nécessaire, en raison notamment de l’étendue et de la variété de certains champs (on ne peut être, seul, expert dans tous les domaines de l’informatique ou de la chimie), des coûts des matériels et logiciels, de la nécessité d’organiser une veille technologique, d’entretenir des coopérations avec des homologues, etc.
Il n’en demeure pas moins que, moyennant un investissement humain (formation) et financier (équipements) raisonnables, la qualité d’expert judiciaire semble à la portée de certains de nos camarades et s’avérera sans aucun doute extrêmement gratifiante pour tous ceux qui franchiront le pas.
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société d’expertise judiciaire informatique
Bonjour en cherchant sur le net, j’ai trouvé l’articule que vous avez publiez et qui concerne à juste titre l’expertise judiciaire . mais qu’en est-il de l’expertise judiciaire informatique?.
Je voudrai bien savoir la limite entre le coté juridique et le coté technique de l’expertise judiciaire informatique, c’est à dire faut-il être juriste , ou bien ingénieur en informatique ou alors les deux ?
J’ai trouvé quelques professionnels de ce type d’expertise ( par exemple http://www.iaquebec.com/expertise-judiciaire.html) et apparement c’est très technique. alors encore une fois qu’elle est la limite entre l’aspect juridique et l’aspect technique ?
Cordialement.