L’externalisation supply chain ou comment aller au-delà de la simple externalisation logistique
En matière de logistique une offre de sous-traitance classique consiste à faire réaliser une partie des opérations physiques d’entreposage ou de transport par un prestataire.
Une évolution récente et croissante consiste à étendre la prestation de manière significative en termes de couverture de processus de pilotage : planification des réapprovisionnements et des stocks, prise de commande, optimisation du réseau de distribution, planification du transport, planification et gestion des retours…
C’est ce que l’on appelle l’externalisation du pilotage de la supply chain, c’est-à-dire de la chaîne logistique allant du fournisseur au client.
Quelles sont les activités concernées ?
Les processus pouvant intégrer une externalisation supply chain sont de différentes natures :
- des activités de nature stratégique, comme la planification à long terme des moyens physiques et de la structure du réseau logistique,
- des activités de nature tactique, comme la planification à moyen terme (quelques semaines ou quelques mois) des capacités, des stocks et de la distribution,
- des activités de nature opérationnelle, comme le déploiement des ressources et la révision du plan en cours d’exécution.
Ces activités de pilotage nécessitent une visibilité et un contrôle sur les ordres émis et les opérations réalisées. Le prestataire a également pour rôle la mise en place et la gestion des indicateurs de performance. En revanche, les activités d’exécution, comme le transport, l’entreposage et la préparation de commandes ne sont pas nécessairement réalisées par le prestataire supply chain. Ce dernier peut s’appuyer sur un réseau de partenaires, son rôle se focalisant alors sur le pilotage de ce réseau.
Le périmètre de l’externalisation peut s’étendre à la globalité de la chaîne logistique allant du fournisseur au client. Il peut également se concentrer sur une partie de cette chaîne, typiquement la partie amont (approvisionnements des composants ou matières auprès des fournisseurs) ou la partie aval (distribution des produits aux clients finaux ou dans le réseau de vente).
Les fonctions d’une cellule d’approvisionnement pilotée par le prestataire peuvent s’étendre à l’achat des matières premières, leur financement auprès des fournisseurs, la négociation des contrats auprès des entreprises de logistiques et de transport (y compris pour le transport international et la livraison en juste à temps), le développement et l’optimisation du réseau de transport, le déclenchement des ordres de réapprovisionnement, le pilotage des flux de transport, la gestion de stocks multisites, la coordination des fournisseurs, la mise en place de procédures communes à tous les acteurs de la chaîne amont et le suivi de toutes les activités sur cette chaîne…
De même, les fonctions d’une cellule de pilotage de la distribution peuvent inclure l’optimisation du réseau de distribution, les activités de planification de la demande (élaboration de prévisions, calcul des plans de distribution, planification des stocks), la prise de commandes, l’allocation des commandes aux sites, l’organisation au quotidien des flux au meilleur coût (constitution des charges de transport, gestion des capacités…), la gestion des aléas, la gestion des réclamations et des retours…
Un autre modèle mis en œuvre consiste à externaliser la gestion complète d’une supply chain » parallèle « . Un prestataire a ainsi développé une offre de pilotage des emballages réutilisables destinée à l’industrie automobile. Le service proposé consiste à fournir aux équipementiers qui en font la demande des emballages palettisés et propres. Une fois à disposition de l’équipementier, les emballages plastiques sont remplis de pièces et envoyés en fonction des demandes aux usines des constructeurs. Les emballages vidés de leurs pièces sont réexpédiés vers les centres du prestataire pour lavage et reconditionnement avant d’être réintégrés dans le cycle de distribution.
L’ensemble de ces mouvements d’emballages est précédé ou donne lieu à un transfert d’information vers le prestataire. Ce dernier peut ainsi à tout moment connaître l’état des stocks de chacun des partenaires, et à partir d’outils informatiques appropriés planifier ses capacités, répondre à la demande et en compenser les fluctuations.
La mutation des prestataires
Le métier de la prestation de transport et logistique, jusqu’à il y a peu considéré comme une mosaïque de services sans rapport les uns avec les autres, évolue non seulement vers une approche globale et synchronisée des opérations, depuis l’approvisionnement multisources jusqu’à la livraison au client final, mais aussi vers un pilotage de ces activités. Le marché de la prestation logistique laisse apparaître 3 niveaux d’acteurs :
- niveau 1 : le prestataire classique, spécialiste de l’entreposage ou du transport. Il gère les stocks, prépare les commandes ou gère les transports ;
- niveau 2 : le prestataire logistique intégré. Il s’attache à l’exécution d’opérations de distribution ou d’approvisionnement de l’entreprise cliente, en prenant en charge un ensemble intégré de flux physiques, y compris l’entreposage et le transport ;
- niveau 3 : le prestataire capable de piloter une supply chain. Il intègre et pilote les différentes activités. Les opérations physiques peuvent être exécutées par le prestataire lui-même, mais ce dernier peut apporter une plus grande valeur ajoutée en s’affranchissant de ses contraintes d’actifs. Il se focalise alors sur son rôle d’intermédiaire entre ses clients et d’autres prestataires logistiques de niveau 1 ou 2. Un nouveau vocable a accompagné l’émergence de ces acteurs : celui de LLP (Lead Logistics Provider) ou de 4PL (Fourth Party Logistics Provider) – par opposition à l’appellation 3PL, qui désigne le prestataire de niveau 2.
La plupart des prestataires actuels cherchent à évoluer vers ce troisième niveau. Ils y voient un vecteur de croissance leur permettant d’évoluer vers des opérations à plus forte valeur ajoutée et donc à plus forte marge. C’est également pour eux un moyen de se positionner en partenaires vis-à-vis de leurs clients et de bâtir des relations d’affaires sur le long terme. Enfin, ces activités sont bénéfiques pour leur image de marque et ont un effet de levier sur leurs métiers traditionnels.
En Europe, chacun cherche le bon chemin face à ces nouvelles opportunités. Les grands prestataires britanniques, notamment Exel (Ford, Marks & Spencer) ont démarré très tôt dans cette démarche de transformation. Plus récemment en France et en Europe, les groupe comme Géodis, Hays, Gefco, Kuhn & Nagel ont compris l’importance stratégique, pour eux, d’une telle transformation. Ils ont investi dans des logiciels de supply chain management (Manugistics, I2 Technologies…), et ont signé leurs premiers contrats.
Où en sommes-nous actuellement ?
L’externalisation des activités de pilotage est véritablement apparue il y a quatre ou cinq ans aux États-Unis, et plus récemment en Europe. Nous sommes donc au début d’un cycle, qui sera vraisemblablement long avant d’arriver à maturité. Les succès des premiers contrats et l’intérêt des entreprises permettent cependant de dire qu’une véritable tendance se dégage. Une étude réalisée en 2000 aux États-Unis montrait que les attentes des clients américains par rapport au rôle du prestataire évoluaient clairement d’un rôle de fournisseur ou de gestionnaire de ressources vers un rôle de pilote, de stratège et de chef d’orchestre (cf. graphe). Cette étude montrait également que l’externalisation des activités de pilotage stratégique était l’un des domaines qui vivra la croissance la plus forte d’ici à cinq ans. Cette croissance se concentrera sur l’optimisation de la distribution et des stocks.
Quel intérêt pour les entreprises ?
La tendance croissante au recours à l’externalisation supply chain s’explique par les intérêts qu’une entreprise peut y trouver. Ces intérêts sont de différentes natures.
Ils sont avant tout de nature économique. On peut identifier des avantages liés purement au fait d’externaliser, comme la variabilisation des coûts et la mutualisation des moyens avec des tiers (en termes de système d’information notamment). L’expertise logistique des prestataires, c’est-à-dire le cœur de métier de ces derniers, peut également permettre de dégager un certain nombre de gains. Ainsi, une amélioration de la qualité du pilotage apporte à la fois une amélioration de la rentabilité des capitaux investis (grâce à une meilleure gestion des stocks) et une diminution des coûts d’exploitation (coûts de transport…).
Cependant, pour apporter une réelle création de valeur, le prestataire doit pouvoir agir sur un nombre suffisant de leviers. Par exemple, la diminution des stocks sera optimale en agissant sur les leviers qui la conditionnent, comme notamment la taille des lots de transport, la fréquence de réapprovisionnement, la politique de dimensionnement des stocks de sécurité, la fiabilité des prévisions commerciales, le nombre de dépôts et l’emplacement des points de stockage, la durée et la fiabilité des délais de réapprovisionnement auprès des fournisseurs…
L’entreprise peut également trouver des intérêts de nature stratégique à une telle externalisation. Celle-ci lui permet en premier lieu de concentrer ses efforts sur son cœur de métier. Elle apporte également une flexibilité accrue dans la capacité à faire évoluer sa stratégie. En outre, les entreprises qui n’ont pas de structure de pilotage transverse à leur organisation, dans laquelle les différentes entités de la chaîne logistique fonctionnent en silos, peuvent voir dans l’externalisation un moyen plus facile que la construction d’une telle structure en interne.
Enfin, dans un environnement où la gestion des flux devient de plus en plus complexe du fait de la mondialisation, de l’accélération des cycles et de l’exigence accrue des consommateurs, l’externalisation supply chain peut aussi offrir une solution pour l’amélioration du service client. Cette meilleure qualité de service est rendue possible par une meilleure synchronisation entre les acteurs de la chaîne logistique et une visibilité accrue le long de cette chaîne.
Les facteurs clés de succès d’une externalisation
Le véritable challenge d’un prestataire logistique se trouve être le passage de la distribution physique traditionnelle, au pilotage du système logistique des clients. Les critères de réussite d’une externalisation supply chain ne sont donc pas les mêmes que ceux d’une externalisation logistique classique. Le pilotage global des flux nécessite un outillage et des compétences plus sophistiquées. Les points clés que le prestataire doit offrir sont notamment :
1. La capacité à traiter en temps réel les flux d’information entre les acteurs de la chaîne logistique (fournisseurs, clients, partenaires transport ou logistique). Cela passe par la conception, la mise en place et la gestion d’une infrastructure technique capable d’assurer les interfaces entre les systèmes des différents acteurs, avec des outils de type Web EDI (échange de données informatisées) et » track and trace » (ces derniers assurent une traçabilité qui valide la présence d’un produit en différents points de la chaîne logistique et permettent de dire, à tout instant, où se trouve le produit). Une bonne intégration des flux d’information est un point clé pour bénéficier d’une planification fiable (et donc d’une diminution des stocks de sécurité, d’un meilleur service client et d’une réduction des temps de cycle), d’une optimisation des coûts (en évitant les saisies multiples), et d’une bonne réactivité (par la capacité à gérer des alertes et à mener des actions correctrices).
2. La maîtrise des systèmes d’information de type décisionnel : il s’agit des progiciels d’optimisation et de planification de la supply chain (qui permettent de modéliser et d’optimiser les réseaux logistiques, d’élaborer des prévisions commerciales, de planifier à différents horizons de temps les stocks, l’approvisionnement, la production et la distribution). La plate-forme de pilotage doit comprendre aussi des systèmes de reporting et de gestion des événements par alertes.
3. La capacité à s’engager sur des résultats (en termes de taux de service et de coût de la supply chain notamment). Les compétences nécessaires sont celles de la gestion de projet, de l’optimisation de réseau, du reengineering des processus et de la gestion du changement. Le prérequis pour que le prestataire puisse s’engager de façon réaliste sur cette création de valeur passe par la définition préalable d’un référentiel et d’un système de mesure. Celui-ci doit mesurer de façon objective la valeur créée par le prestataire et doit être actualisé afin de prendre en compte l’évolution des contributeurs aux indicateurs non maîtrisés par le prestataire (par exemple, la baisse du rapport poids/volume des produits transportés qui peut générer une hausse du coût de transport).
4. La capacité à piloter les flux sur une géographie étendue et selon les modes de transport appropriés (route, mer, air, rail). Cela suppose que le prestataire puisse s’allier avec les meilleurs partenaires pour couvrir les besoins globaux de son client.
Ces différents points illustrent bien le fait que le métier de la prestation logistique évolue vers la réunion de trois métiers : le pilotage logistique, les technologies de l’information et le conseil. Pour fournir une solution supply chain globale, le prestataire doit donc être capable d’assembler et piloter les ressources, les capacités et les technologies de sa propre organisation, avec celles de fournisseurs de services complémentaires qui deviennent de véritables partenaires : des intégrateurs de système, des éditeurs de progiciels, des cabinets de conseil, ainsi que d’autres partenaires logistiques pour l’exécution.
Conclusion
Il y a quinze ans, les fournisseurs de l’industrie automobile étaient tous qualifiés de sous-traitants. Aujourd’hui, les plus dynamiques sont devenus des équipementiers. Leur rôle, l’étendue de leur responsabilité, la focalisation des constructeurs sur leur métier de base leur ont permis d’affirmer la spécificité de leur métier. Favorisées par l’externalisation croissante des opérations physiques et complexifiées par le phénomène de mondialisation, les activités logistiques suivent aujourd’hui le même type de cheminement.
Des opérateurs s’affirment aujourd’hui comme des intervenants apportant une valeur ajoutée spécifique par la maîtrise des techniques logistiques. Le prestataire devient donc de plus en plus un partenaire stratégique, fournisseur de services à valeur ajoutée et non plus seulement de moyens.
2 Commentaires
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Très intéressant, je vous remercie pour cet article détaillé.
merci pour tous ces détails sur cette grande question qui est la numérisation de la supply chain et donc avec un apport externe qui peut être déterminant.