L’histoire de France en Grand Uniforme
Qu’y a‑t-il donc dans la valise de Christian Marbach ? On connaît le créateur de Sofinnova, le directeur général de l’industrie, le grand manitou de la Cité des sciences et de l’industrie. On admire le brillant organisateur du bicentenaire de l’École polytechnique.
On sait moins qu’il est aussi homme de lettres et même auteur, à ses heures, de romans policiers. L’Innovateur, paru il y a vingt ans, est une brillante énigme qu’il aurait aisément pu résoudre, tel Hercule Poirot, à l’aide de son stock inégalable de petites cellules grises.
Mais non, il préfère, à l’instar de Miss Marple, observer les petits faits de la vie quotidienne. C’est de l’examen de la valise des suspects, d’un pyjama ou d’une brosse à dents, que surgira la vérité.
Aujourd’hui, ce sont des « portraits de polytechniciens » que Christian Marbach sort de sa valise. Des portraits tout simples, mais brossés avec son inimitable talent. Des portraits tout empreints de ce goût pour l’histoire hérité de ses parents enseignants.
Combien de portraits ? Deux cents ? Trois cents ? L’auteur, avec un brin de coquetterie, concède ne pas le savoir lui-même. Ce dont il est sûr, c’est que la « tribu polytechnicienne », fondée en 1794, compte aujourd’hui cinquante mille membres.
Ils existent, il les a rencontrés. Et il nous en présente quelques-uns, saisis dans leur vie de tous les jours, mais dans le contexte de l’histoire de France dont l’analyse de leurs trajectoires individuelles fournit une étincelante illustration.
Une galerie surprenante
Bien sûr, on retrouve les classiques personnalités polytechniciennes, mais en découvrant au passage des petits détails ignorés. Pourquoi donc les Carnot, le physicien et le président, descendants du premier Carnot célèbre, celui du principe, se prénommaient- ils Sadi ?
On s’attache donc avec intérêt à des personnages historiques que l’on ne connaît pas forcément. Par exemple, Doudard de Lagrée, l’explorateur du Mékong, ou Marcel Dieulafoy et son épouse Jane, archéologues à Babylone, ou encore Joachim Barrande, qui « a vu » les fossiles de Bohême.
Sait-on que Charles Fabvier a organisé, il y a près de deux cents ans, un audacieux plan de sauvetage de la Grèce qu’on lui envierait aujourd’hui ?
Ou que Guillaume Stanislas Marey, gendre de Monge et lui-même polytechnicien, a contribué à la réputation des fameux crus de Bourgogne ?
Sait-on que Ernesto Malinowski, ce camarade polonais devenu péruvien, a construit dans la cordillère des Andes un spectaculaire chemin de fer qui sera plus tard emprunté par Tintin et Milou ?
Ou que Saunal a décidé, en 1940, de sécher l’oral du concours d’admission pour aller se battre et revenir à l’X en 1945 ? Christian Marbach, lui-même brillant ingénieur des Mines, évoque certains de ses pairs, et se plaît, par exemple, à rappeler comment Héron de Villefosse a recensé « les richesses minérales de la France ».
Alsacien, il accorde une large place à ces camarades qui ont toujours gardé les yeux fixés sur la ligne bleue des Vosges, même à des milliers de kilomètres, tel Albert Dolisie qui a laissé son nom à une grande ville africaine de cent mille habitants.
Médailles d’or et d’argent
À une si belle galerie de portraits écrits, il fallait évidemment associer des portraits dessinés. C’est Claude Gondard (1965), éminent graveur de médailles, qui s’est chargé d’apporter à l’ouvrage une originale unité de présentation.
On retrouve avec plaisir le chèche de Lamoricière, le tricorne d’Anne Chopinet ou la coupe de cheveux inimitable de Marbach lui-même. Mais on découvre aussi avec attendrissement que certains camarades fameux louchent ou portent la tangente de travers.
Mais l’on peut admirer aussi la longue queue d’une souris marsupiale qui porte le nom de Boullanger ou suivre l’installation par Lebas de l’obélisque de la place de la Concorde. Enfin, qui, mieux que le créateur de l’École, Monge en personne, aurait su rédiger la préface ?
Ce n’est pas un mince exploit que de l’avoir ressuscité à bon escient pour présenter ce livre exceptionnel