L’homme et l’énergie, des amants terribles

Dossier : Énergie et environnementMagazine N°597 Septembre 2004
Par Jean-Marc JANCOVICI (81)

Un peu d’histoire

Comme tous les êtres vivants pré­sents à la sur­face de la pla­nète, l’homme ne pour­rait pas vivre sans éner­gie. Les plantes ont besoin de l’éner­gie du Soleil (ou d’une autre source si elles ne sont pas chlo­ro­phyl­liennes) pour croître et sub­sis­ter, et tous les ani­maux ont besoin d’éner­gie pour se mou­voir ou se déve­lop­per. Pen­dant très long­temps, jus­qu’à la domes­ti­ca­tion du feu il y a envi­ron 500 000 ans, la seule éner­gie dis­po­nible pour notre espèce a été celle de notre propre corps, lequel four­nit (pour l’Homo Sapiens Sapiens actuel) de 100 watts au repos (pour le méta­bo­lisme de base) à près d’un kilo­watt pen­dant un effort intense. Conju­guée à une popu­la­tion qui était alors de l’ordre du mil­lion d’in­di­vi­dus tout au plus, la puis­sance cumu­lée de l’hu­ma­ni­té ne pré­sen­tait assu­ré­ment pas une menace pour l’environnement.

Figure 1 – Quelques exemples de consom­ma­tions éner­gé­tiques (toutes éner­gies confon­dues), en kWh, pour quelques usages modernes en France

(1) L’électroménager com­plet signi­fie réfri­gé­ra­teur + congé­la­teur + lave-linge + lave-vais­selle + sèche-linge + cui­si­nière + élec­tro­nique de loi­sir (TV, magné­to­scope, etc.). La valeur indi­quée repré­sente bien sûr la consom­ma­tion annuelle de l’ensemble.
(2) Cette valeur ne concerne que l’énergie uti­li­sée par l’agriculture et l’industrie, mais ni le chauf­fage du maga­sin, ni les trans­ports de mar­chan­dises, ces der­niers consom­mant à peu près un tiers des car­bu­rants rou­tiers en France (le reste est pour les voi­tures, bien sûr). Il s’agit d’une valeur moyenne par personne.
(3) Pour une voi­ture qui consomme 8 litres aux 100 en moyenne ; 15 000 km repré­sentent à peu près le kilo­mé­trage annuel moyen d’une voi­ture en France.
(4) Chauf­fage au fioul ou au gaz + eau chaude sani­taire ; moyennes natio­nales. Avec de l’électricité, la consom­ma­tion d’énergie finale est 2,5 à 3 fois infé­rieure, mais l’énergie pri­maire reste équi­va­lente (voir enca­dré page 9).

Sources : Oli­vier SIDLER, 1999 (éclai­rage et élec­tro­mé­na­ger), WILLIAMS/KLUWER, 2004, adap­té par l’auteur (ordi­na­teur), cal­culs de l’auteur pour les autres lignes, d’après CEREN, ADEME et Obser­va­toire de l’Énergie.

Nous sommes aujourd’­hui 6 mil­liards d’hommes, dis­po­sant cha­cun, en per­ma­nence, d’une puis­sance moyenne de l’ordre de 2,5 kilo­watts. Dit autre­ment, chaque habi­tant de la pla­nète dis­pose, en per­ma­nence, de l’é­qui­valent de 10 esclaves à sa dis­po­si­tion, si nous consi­dé­rons que la puis­sance uni­taire moyenne d’un esclave au tra­vail est de 250 watts (même un esclave dort, et il ne peut pas être en per­ma­nence en train de four­nir 500 watts, ce qui cor­res­pond à un péda­lage intense à vélo !). Ces esclaves des temps modernes s’ap­pellent le chauf­fage cen­tral, les moteurs élec­triques et ther­miques, les ampoules (voir gra­phique ci-contre)…

Bien sûr cet » équi­valent esclave » devient par­ti­cu­liè­re­ment éle­vé pour les pays déve­lop­pés : un Fran­çais dis­pose ain­si de 20 » équi­valent esclave » pour satis­faire ses » besoins » modernes, et un Amé­ri­cain ou un Cana­dien mon­te­ra jus­qu’à 50.

C’est dire que depuis les temps pré­his­to­riques, non seule­ment notre popu­la­tion a été mul­ti­pliée par un fac­teur mille (figure 2), mais en outre la consom­ma­tion uni­taire d’éner­gie par indi­vi­du a été mul­ti­pliée par un fac­teur 10 à 20.

Or notre consom­ma­tion d’éner­gie ne repré­sente rien d’autre que notre apti­tude à chan­ger le monde qui nous entoure : l’éner­gie, c’est ce qui nous per­met de créer du chaud à la place du froid (ou inver­se­ment), de dépla­cer des objets ou des per­sonnes là où ils ne pour­raient être autre­ment, ou encore de modi­fier la struc­ture de la matière. Et si toutes les espèces per­turbent peu ou prou leur voi­si­nage dans le cadre de leur exis­tence (en consom­mant des proies, en creu­sant un ter­rier…), c’est le chan­ge­ment d’ordre de gran­deur propre à l’es­pèce humaine qui est désor­mais la source de bien des préoccupations.

Figure 2 – Évo­lu­tion démo­gra­phique depuis le néolithique
Évolution démographique depuis le néolithique
SOURCE : MUSÉE DE L’HOMME

C’est aux alen­tours de – 500 000 ans que nous avons quit­té le des­tin com­mun des autres êtres vivants en domes­ti­quant le feu, cette étape ayant mar­qué le début de la longue évo­lu­tion qui allait nous ame­ner à deve­nir des homo indus­tria­lis. Un demi-mil­lion d’an­nées plus tard, la com­bus­tion du bois repré­sente tou­jours une part signi­fi­ca­tive de l’éner­gie pour une large frac­tion de l’hu­ma­ni­té (voir figure 3). Le déve­lop­pe­ment de l’a­gri­cul­ture a été l’oc­ca­sion de l’ap­pro­pria­tion d’une deuxième source d’éner­gie, elle aus­si renou­ve­lable : celle du méta­bo­lisme des ani­maux de trait, avec la domes­ti­ca­tion du che­val et de la vache (un âne atte­lé déve­loppe quelques cen­taines de watts), aux alen­tours de 5 000 ans avant notre ère, et cette éner­gie-là est aus­si tou­jours répan­due dans le monde.

Les autres éner­gies renou­ve­lables sont aus­si connues et exploi­tées depuis l’An­ti­qui­té : le vent a ser­vi à pro­pul­ser les pre­miers bateaux à voiles (il y a 5 000 ans envi­ron), avant de faire tour­ner des mou­lins, ancêtres des éoliennes modernes ; la force méca­nique de l’eau est uti­li­sée pour moudre le grain depuis le début de l’ère chré­tienne, et tout le monde a en mémoire les prouesses d’Ar­chi­mède avec l’éner­gie solaire. Mais ce qui peut sem­bler sur­pre­nant, c’est que même le pétrole et le char­bon sont connus depuis l’An­ti­qui­té : on trouve de mul­tiples témoi­gnages de l’emploi du pétrole dans la civi­li­sa­tion méso­po­ta­mienne, plu­sieurs mil­liers d’an­nées avant notre ère, et des traces de l’u­ti­li­sa­tion du char­bon par les Chi­nois il y a 3 000 ans environ.

Quelles énergies consommons-nous aujourd’hui ?

Figure 3 - Décom­po­si­tion de l’approvisionnement éner­gé­tique mon­dial en 2000, par source. La caté­go­rie “ hydro et ENR ” est détaillée dans la figure 5.
Décomposition de l’approvisionnement énergétique mondial en 2000, par source.
Figure 4 – Contri­bu­tion his­to­rique des diverses sources à l’approvisionnement éner­gé­tique mon­dial depuis 1860, hors bois et trac­tion ani­male, expri­mée en mil­lions de tonnes équi­valent pétrole. La caté­go­rie “ hydro et ENR ” recouvre essen­tiel­le­ment l’hydroélectricité. Il est inté­res­sant de noter que les seules périodes de rela­tive accal­mie dans la crois­sance ont été des périodes de grands troubles éco­no­miques (crise de 1929, chocs pétro­liers). On note­ra aus­si que les éner­gies se super­posent plus qu’elles ne se rem­placent : le pétrole n’a pas tué le charbon !
Contribution historique des diverses sources à l’approvisionnement énergétique mondial depuis 1860

Notre consom­ma­tion éner­gé­tique est actuel­le­ment très lar­ge­ment domi­née par les hydro­car­bures, qui four­nissent plus des trois quarts de l’ap­pro­vi­sion­ne­ment mon­dial en éner­gie pri­maire (figure 3).

Cette domi­na­tion des hydro­car­bures, en incluant le char­bon (qui est un hydro­car­bure solide, puisque essen­tiel­le­ment com­po­sé de car­bone et d’hy­dro­gène), est suf­fi­sam­ment ancienne, à l’é­chelle d’une vie humaine, pour que nous ayons l’im­pres­sion qu’un monde sans pétrole cor­res­pond déjà à l’âge des cavernes (et donc qu’il est impos­sible de vivre sans), mais en fait très récente à l’é­chelle des temps his­to­riques (figure 4).

Contrai­re­ment à une idée lar­ge­ment répan­due, le char­bon n’est pas une éner­gie du pas­sé : ser­vant à faire de l’élec­tri­ci­té pour envi­ron les 23 de sa pro­duc­tion, son usage va crois­sant, l’élec­tri­ci­té étant la seule forme d’éner­gie finale qui aug­mente à peu près à la même vitesse que le PNB.

Les éner­gies renou­ve­lables hors bois (lequel n’est que par­tiel­le­ment » renou­ve­lable « , puis­qu’une par­tie du bois de feu consom­mé dans le monde cor­res­pond à de la défo­res­ta­tion) sont essen­tiel­le­ment consti­tuées par l’hy­dro­élec­tri­ci­té et, dans une moindre mesure, la géo­ther­mie (figure 5).

Figure 5 - Contri­bu­tion, en Mtep finaux, de chaque éner­gie renou­ve­lable dans le monde en 1999, hors bois (voir figure 3)
Contribution, en Mtep finaux, de chaque énergie renouvelable dans le monde en 1999
SOURCE IEA

Toutes les éner­gies, à des degrés divers, nous rendent dépen­dants de stocks exis­tants. Même l’éner­gie solaire, et ses mul­tiples déri­vés (bois, solaire ther­mique et pho­to­vol­taïque, hydro­élec­tri­ci­té, vent), nous rend tri­bu­taires d’un stock : celui de noyaux fusibles dis­po­nibles dans le Soleil ! Le pro­blème de la fini­tude du stock ne se pose cepen­dant pas avec la même acui­té pour toutes les formes d’éner­gie, loin s’en faut, et il res­te­ra des noyaux libres dans le Soleil bien après que notre espèce ait dis­pa­ru de la sur­face de la pla­nète. Pour notre mal­heur, cepen­dant, plus l’éner­gie est impor­tante dans l’ap­pro­vi­sion­ne­ment actuel, et plus le stock, expri­mé en mul­tiple de la consom­ma­tion actuelle, est faible (tableau 1).

Tableau 1 – Consom­ma­tions mon­diales d’énergie et réserves en 2000, et réserves expri­mées en années de consom­ma­tion constante, puis en pro­lon­geant la crois­sance annuelle moyenne consta­tée de 1970 à 2000. Dans ce der­nier cas, pétrole et gaz “ perdent ” dix et trente ans de consom­ma­tion sur la base des réserves actuelles.
Consom­ma­tion 2000 (Mtep Réserves en 2000 (Gtep) Crois­sance annuelle moyenne de 1970 à 2000 Années de consom­ma­tion constante Années de consom­ma­tion en pro­lon­geant la croissance
Char­bon 2 355 510 1,60% 216 93
Pétrole 3 604 165 1,39% 45 34
Gaz 2 085 140 3% 67 37
Total fos­sile 8 044 815 1,80% 101 58

Éner­gie pri­maire et éner­gie finale

La nature ne met pas à notre dis­po­si­tion, sous une forme prête à l’emploi, toutes les varié­tés d’éner­gies que nous uti­li­sons au quo­ti­dien : aucun pro­ces­sus natu­rel ne per­met à l’élec­tri­ci­té de » sor­tir du mur » toute seule ; il n’existe pas de fon­taine natu­relle d’es­sence ou de butane, et seules les plantes savent exploi­ter direc­te­ment l’éner­gie solaire pour en faire autre chose que de la cha­leur. Les éner­gies que nous uti­li­sons, et qui sont qua­li­fiées de » finales « , sont obte­nues à par­tir des sources dis­po­nibles dans la nature, qui sont qua­li­fiées de » primaires « .

Ces der­nières recouvrent les hydro­car­bures bruts (char­bons, pétroles, gaz natu­rel), les noyaux fis­siles ou fer­tiles (essen­tiel­le­ment ura­nium 235 et 238, et tho­rium 232), les noyaux fusibles ou sus­cep­tibles d’en pro­duire (deu­té­rium et lithium), la force méca­nique des élé­ments (vent, eau, etc.), le rayon­ne­ment élec­tro­ma­gné­tique du Soleil et la radio­ac­ti­vi­té natu­relle de la pla­nète (éner­gie géothermique).

À par­tir de ces sources d’éner­gie pri­maire nous allons obte­nir des éner­gies finales (essence ou fioul, éner­gie méca­nique, etc.), par des trans­for­ma­tions diverses (comme le raf­fi­nage pour le pétrole). L’élec­tri­ci­té, tout comme l’hy­dro­gène, sont des éner­gies finales, inexis­tantes dans la nature, et obte­nues par conver­sion d’une éner­gie primaire.

Un pays consomme tou­jours plus d’éner­gie pri­maire que d’éner­gie finale, la dif­fé­rence entre les deux repré­sen­tant les pertes du sys­tème éner­gé­tique. Par exemple, dans une cen­trale élec­trique dite ther­mique, on com­mence par pro­duire de la cha­leur, en brû­lant un com­bus­tible, ou en cas­sant des noyaux d’u­ra­nium en deux, et cette éner­gie ther­mique sera par­tiel­le­ment conver­tie en élec­tri­ci­té, le solde étant soit éva­cué dans l’en­vi­ron­ne­ment (cas stan­dard), soit aus­si par­tiel­le­ment récu­pé­ré sous forme de cha­leur exploi­table (cogé­né­ra­tion).

Dans ce cas de figure l’éner­gie pri­maire est celle qui cor­res­pond au déga­ge­ment de cha­leur ; l’éner­gie finale est celle qui res­sort sous forme d’élec­tri­ci­té seule (cas le plus cou­rant, cette élec­tri­ci­té repré­sen­tant de 33 à 50 % de l’éner­gie pri­maire selon les cas de figure), éven­tuel­le­ment accom­pa­gnée, le cas échéant, de cha­leur valo­ri­sable (le ren­de­ment glo­bal monte alors à 80 %).

Existe-t-il un seuil de consommation d’énergie à ne pas dépasser ?

Toutes les éner­gies néces­sitent, pour être » pro­duites « , une cer­taine forme de pres­sion sur l’en­vi­ron­ne­ment. En ce sens, l’éner­gie » propre » n’existe pas : c’est la dose qui fait le poi­son. Brû­ler quelques kilos de pétrole ou de char­bon par ter­rien et par an n’est d’au­cune consé­quence pour l’en­vi­ron­ne­ment, mais en brû­ler 500 fois plus se met à poser pro­blème (la consom­ma­tion moyenne d’hy­dro­car­bures par habi­tant de la pla­nète, avec bien sûr de très fortes dis­pa­ri­tés, s’é­ta­blit à envi­ron 1,3 tonne équi­valent pétrole par an).

Les mul­tiples uni­tés de l’énergie

Il est assez vite fait, pour le pro­fane, même ingé­nieur, de se perdre dans les mul­tiples uni­tés qui sont employées par les diverses pro­fes­sions qui s’intéressent à l’énergie.

Le phy­si­cien parle en joules, seule uni­té du Sys­tème inter­na­tio­nal, dont chaque lec­teur de cette hono­rable revue se rap­pelle pro­ba­ble­ment la définition.

Pour notre ali­men­ta­tion, nous uti­li­sons volon­tiers les calo­ries, ou kcal, qui valent 4 180 joules (il s’agit de “ grandes ” calo­ries) ; 1 gramme d’hydrates de car­bone en contient envi­ron 4.

L’électricien uti­li­se­ra volon­tiers le kWh (3600000 joules), ou ses divers mul­tiples : MWh (1000 kWh), GWh (1 000 000 kWh), TWh (1 000 000 000 kWh). La consom­ma­tion mon­diale d’électricité en 2001 a ain­si été de 15 700 TWh, année où chaque Fran­çais a pour sa part consom­mé envi­ron 7 000 kWh, direc­te­ment pour un gros tiers (élec­tro­mé­na­ger, éclai­rage, chauf­fage, etc.), et indi­rec­te­ment pour l’essentiel (à tra­vers les achats de pro­duits manu­fac­tu­rés ou de ser­vices, mar­chands ou non marchands).

Le pétro­lier et le char­bon­nier – et sou­vent le pros­pec­ti­viste – se com­prennent en par­lant tonnes équi­valent pétrole, ou tep (et ses mul­tiples ktep, Mtep et Gtep), uni­té conven­tion­nelle qui vaut 41,8 giga­joules (41,8 109 joules), et qui cor­res­pond au déga­ge­ment de cha­leur de la com­bus­tion d’une tonne de pétrole d’une qua­li­té par­ti­cu­lière. La tep, qui vaut aus­si 11 600 kWh (envi­ron), a l’avantage de per­mettre d’exprimer les consom­ma­tions annuelles des indi­vi­dus en petits nombres ; un Fran­çais consomme ain­si envi­ron 4 tonnes équi­valent pétrole d’énergie par an. La consom­ma­tion de l’humanité s’élève, quant à elle, à 10 Gtep (mil­liards de tep) envi­ron. Le pétro­lier aime aus­si les barils ; il en faut 7,3 pour faire une tonne équi­valent pétrole. Mais le char­bon­nier uti­lise éga­le­ment la tonne équi­valent char­bon (sachant qu’il y a plu­sieurs qua­li­tés de char­bon), valant envi­ron 0,61 tep.

Enfin n’oublions pas le che­val-vapeur, uni­té de puis­sance tou­jours en cours pour les auto­mo­biles (sym­bole CV !) et valant envi­ron 736 watts

Les dom­mages poten­tiels sont tou­te­fois de nature dif­fé­rente, par leur ampleur, leur glo­ba­li­té, leur sur­ve­nance dans le temps, et leur réver­si­bi­li­té, de telle sorte que s’il n’est pas pos­sible de » pro­duire » de l’éner­gie (en fait de l’u­ti­li­ser) sans pres­sion sur l’en­vi­ron­ne­ment, du moins est-il par­fois pos­sible de se doter d’une cer­taine hié­rar­chie des nui­sances, mais qui res­te­ra sou­vent bâtie sur des cri­tères non pure­ment objectifs.

Le tableau 2 pro­pose une des­crip­tion qua­li­ta­tive de quelques pro­blèmes liés à l’u­ti­li­sa­tion de diverses sources d’éner­gie, sachant que le niveau de ce qui est » exces­sif » trou­ve­ra pro­ba­ble­ment une défi­ni­tion variable selon les individus.

Bien évi­dem­ment, il est très dif­fi­cile de com­pa­rer avec une uni­té com­mune l’é­mis­sion de 3 tonnes de gaz car­bo­nique dans l’at­mo­sphère et la mobi­li­sa­tion d’un hec­tare de champ pour faire pous­ser du col­za. Il sera donc beau­coup plus facile à quel­qu’un de défi­nir ce qu’il ne sou­haite pas plu­tôt que ce qu’il sou­haite, sachant que, bien évi­dem­ment, cer­tains sou­haits ne sont pas com­pa­tibles entre eux.

Pour esti­mer ce que sera la pres­sion sur l’en­vi­ron­ne­ment, il faut donc aus­si savoir ce que pré­fé­re­ront les hommes, et com­bien ils estiment légi­time de consom­mer. En l’es­pèce, si per­sonne ne se risque à don­ner une borne supé­rieure à nos dési­rs, il est par contre fré­quent de consi­dé­rer qu’il existe une consom­ma­tion incom­pres­sible sous laquelle il n’est pas pos­sible d’al­ler, et que l’on désigne par le terme » besoins « . Pour­tant, au risque de pas­ser pour un dan­ge­reux ico­no­claste, j’ai­me­rais faire remar­quer que même cette notion n’a aucun conte­nu nor­ma­tif, et qu’il est donc dif­fi­cile de s’ap­puyer des­sus pour en tirer des conclu­sions quantitatives.

Avons-nous » satis­fait nos besoins » depuis que l’es­pé­rance de vie d’un ter­rien a dépas­sé 50 ans ? Où fau­drait-il attendre que cha­cun d’entre nous vive 120 ans pour que nous nous esti­mions repus ? Avons-nous » satis­fait nos besoins » lorsque nous dis­po­sons de 10 m2 chauf­fés par per­sonne, ou cela sera-t-il le cas uni­que­ment quand tout ter­rien dis­po­se­ra de 150 m2 chauf­fés, plus un jacuz­zi et un sau­na pri­vé par per­sonne ? Avons-nous » besoin » de man­ger 20 kg de viande par an (consom­ma­tion d’un Fran­çais en 1800), ou 100 kg par an (consom­ma­tion de 2000) pour être repus ? Avons-nous » besoin » de zéro, une ou deux voiture(s) par ménage, de zéro, 1 ou 20 vols en avion au cours de notre exis­tence ? Car la pro­duc­tion de tous ces biens ou ser­vices requiert de l’éner­gie (même pour la viande : il faut envi­ron 3 kg d’hy­dro­car­bures pour pro­duire un kg de veau…). Il faut admettre que c’est la notion même de » besoin » qui, pas­sé les besoins vitaux (boire, man­ger, dor­mir, se pro­té­ger du froid et des pré­da­teurs, per­pé­tuer l’es­pèce), sur les­quels il est à la rigueur pos­sible de s’ac­cor­der, ne cor­res­pond à aucun niveau pré­cis de consom­ma­tion d’éner­gie. Ceux que nous appe­lons » pauvres » aujourd’­hui, par exemple les habi­tants de l’Inde, sont, au regard de faits objec­tifs comme l’es­pé­rance de vie à la nais­sance, l’é­tat sani­taire moyen de la popu­la­tion, l’ac­cès aux ser­vices (tels l’en­sei­gne­ment), ou la consom­ma­tion de res­sources par per­sonne, infi­ni­ment plus riches que n’é­taient nos ancêtres fran­çais du Moyen Âge.

Puis­sance ins­tal­lée et éner­gie produite

Pour don­ner l’importance d’un dis­po­si­tif de pro­duc­tion d’électricité, il y a théo­ri­que­ment le choix : on peut soit don­ner la puis­sance nomi­nale, c’est-à-dire la puis­sance maxi­male qui peut être four­nie, soit l’énergie annuelle pro­duite. Or il se trouve que de don­ner les puis­sances nomi­nales conduit à un effet per­vers si cette don­née n’est pas com­plé­tée par le nombre moyen d’heures de fonc­tion­ne­ment dans l’année, qui peut être très variable selon les ins­tal­la­tions, allant de 2 000 heures “ équi­valent pleine puis­sance ” pour l’éolien, à 8 760 – soit le maxi­mum – pour une ins­tal­la­tion hydro­élec­trique “ au fil de l’eau ”. Les don­nées moyennes d’observation en Europe sont les suivantes :

Moyen de production Heures de fonc­tion­ne­ment “ équi­valent pleine puis­sance ” pour le bloc Alle­magne, Espagne, France, Ita­lie et Royaume-Uni en 2001
Nucléaire 6 800
Char­bon 4 800
Gaz 3 300
Hydro­élec­trique fil de l’eau  5 000 à 7 000
Hydro­élec­trique de barrage 1 000 à 2 000
Éolien 1 500 à 2 000

En outre la pro­duc­tion élec­trique se sépare tra­di­tion­nel­le­ment en trois “ natures ” d’électricité :

  • l’électricité de base, qui est celle consom­mée par des équi­pe­ments qui fonc­tionnent de manière à peu près constante au cours de la jour­née, ou au cours de l’année, par exemple des appa­reils de froid, ou de la force motrice dans une usine qui fonc­tionne en continu, 
  • l’électricité de pointe, qui est celle consom­mée par des équi­pe­ments qui fonc­tionnent sur des plages de temps réduites dans l’année ou dans la jour­née, par exemple des cli­ma­ti­seurs (qui ne fonc­tionnent que l’été, et sur­tout aux heures les plus chaudes), des radia­teurs élec­triques de salle de bain (qui ne fonc­tionnent que l’hiver, le soir et le matin), des ampoules (qui ne fonc­tionnent que le soir et le matin), etc., 
  • la “ semi-base ”, qui qua­li­fie des usages à mi-che­min entre les deux (par exemple un chauf­fage élec­trique à accu­mu­la­tion, fonc­tion­nant l’hiver, mais “ lis­sant ” la courbe de charge au cours d’une journée).

Ain­si, pour com­pa­rer les moyens de pro­duc­tion les uns aux autres, il faut connaître, outre la durée moyenne de fonc­tion­ne­ment, la nature d’électricité qui peut être pro­duite : cer­tains moyens ne peuvent faire que de la pointe (par exemple les bar­rages en France), d’autres essen­tiel­le­ment de la base ou de la semi-base (char­bon, gaz, nucléaire actuel), d’autres enfin ne pro­duisent de l’électricité qu’en fonc­tion de condi­tions favo­rables qui ne coïn­cident pas néces­sai­re­ment avec des pointes d’usage (éolien, solaire), sachant que l’électricité se stocke très mal.

Ensuite, depuis qu’il existe des hommes, » besoins » indi­vi­duels et » besoins » col­lec­tifs sont volon­tiers anta­go­nistes. Au nom de consi­dé­ra­tions sociales et éco­no­miques, nous avons » besoin » de garan­tir à tout le monde le droit de rou­ler en voi­ture, ce qui sup­po­se­rait un niveau éle­vé de consom­ma­tion d’éner­gie, mais au nom de consi­dé­ra­tions envi­ron­ne­men­tales nous avons aus­si » besoin » d’é­mettre de moins en moins de gaz à effet de serre, ce qui est dif­fi­cile à envi­sa­ger avec la mobi­li­té actuelle, et sup­po­se­rait plu­tôt une baisse de cette même consom­ma­tion. Tant qu’au­cun fac­teur limi­tant externe n’in­ter­vient, seule la volon­té popu­laire du moment (ou sa repré­sen­ta­tion plus ou moins effec­tive) décide de l’ar­bi­trage entre les deux, et four­nir une réflexion pros­pec­tive fiable en inté­grant cette réa­li­té est pour le moins ardu…

Il est en outre tout aus­si ardu de dis­ser­ter sur ce que seront les » besoins » futurs. D’a­bord, quel hori­zon de temps asso­cie-t-on au » futur » ? Est-il ques­tion de ce qui pour­rait se pas­ser dans dix ans ? cin­quante ? deux siècles ? trois mil­lé­naires ? Ensuite, défi­nir de manière uni­voque les » besoins » de nos des­cen­dants est encore plus déli­cat que de défi­nir les besoins pré­sents. Si » quel­qu’un » avait deman­dé aux Fran­çais de 1600, qui étaient, pour l’im­mense majo­ri­té, des pay­sans vivant dans une chau­mière à une ou deux pièces, ayant une espé­rance de vie à la nais­sance de 20 à 25 ans, ne se repo­sant qu’un jour par semaine au mieux, n’ayant jamais de vacances, dont une frac­tion variable mou­rait de faim et de froid chaque hiver, à par­tir de quand leurs » besoins » étaient satis­faits, je doute que nous aurions obte­nu la même réponse que ce qu’un Fran­çais » moyen » (même très moyen) pro­po­se­rait aujourd’hui…

Ain­si, non seule­ment il n’existe pas de réponse unique à ce que sont les » besoins » des géné­ra­tions pré­sentes, mais encore savoir ce que seront les » besoins » des géné­ra­tions futures est un exer­cice par­fois assez proche de la divi­na­tion ou de la lec­ture dans le marc de café : si nous avons suf­fi­sam­ment dété­rio­ré le monde d’i­ci là, peut-être que de mou­rir à 40 ans après avoir man­gé à sa faim sera le seul niveau d’exi­gence de nos des­cen­dants en 2150, mais si le miracle éner­gé­tique est arri­vé, peut-être que cha­cun ne sera pas satis­fait à moins d’a­voir fait le tour du Soleil en navette spa­tiale pour ses vingt ans…

Tableau 2
Type d’énergie primaire Risques ou incon­vé­nients envi­ron­ne­men­taux associés
Char­bon Chan­ge­ment cli­ma­tique, pol­lu­tion sou­frée locale, pous­sières, ruis­sel­le­ment de la pluie sur les cendres, affais­se­ments, per­tur­ba­tion des nappes phréa­tiques, pol­lu­tion ther­mique des fleuves
Pétrole Chan­ge­ment cli­ma­tique, pol­lu­tion sou­frée locale, pol­lu­tion de la sur­face des océans et marées noires, pol­lu­tion des sols sur l’emprise des raffineries
Gaz natu­rel Idem pétrole, sauf pol­lu­tion sou­frée et pol­lu­tion marine
Bois Défo­res­ta­tion, pol­lu­tion locale ou régionale
Nucléaire Pro­duc­tion de déchets à longue durée de vie, pol­lu­tion ther­mique des fleuves, éva­cua­tion des abords de la cen­trale en cas d’accident, risques de prolifération
Hydrau­lique Inon­da­tion de val­lées avec dépla­ce­ments de popu­la­tion et des­truc­tion d’écosystèmes ter­restres, per­tur­ba­tion des éco­sys­tèmes aqua­tiques aval
Bio­car­bu­rants Occu­pa­tion d’espace (au détri­ment de la pro­duc­tion de nour­ri­ture), éven­tuel­le­ment nui­sances “ clas­siques ” de l’activité agri­cole intensive
Solaire pho­to­vol­taïque Occu­pa­tion d’espace, fin de vie des pan­neaux, pol­lu­tion indi­recte des dis­po­si­tifs de sto­ckage ou des dis­po­si­tifs de pro­duc­tion d’électricité de pointe (indis­pen­sables en com­plé­ment) en cas de rac­cor­de­ment impor­tant au réseau
Éolien Occu­pa­tion du pay­sage, pol­lu­tion indi­recte des dis­po­si­tifs de sto­ckage ou des dis­po­si­tifs de pro­duc­tion d’électricité de pointe (indis­pen­sables en com­plé­ment) en cas de rac­cor­de­ment impor­tant au réseau

Quels grands défis pour l’avenir ?

Figure 6 – Consom­ma­tion cumu­lée d’énergie fos­sile avec un taux de crois­sance de 2 % par an – Cal­cul de l’auteur
Consommation cumulée d’énergie fossile avec un taux de croissance de 2 % par an

Mal­gré ce qui pré­cède, il est néan­moins pos­sible d’i­den­ti­fier au moins deux défis que les habi­tants de cette pla­nète auront à rele­ver en matière d’éner­gie au cours du siècle qui s’ouvre, en ce sens que si une solu­tion volon­taire n’y est pas appor­tée, ce sont très pro­ba­ble­ment des forces de rap­pel indé­pen­dantes de notre volon­té qui s’exer­ce­ront pour régler la ques­tion » à notre place « , et vrai­sem­bla­ble­ment de manière plus désa­gréable que si nous le fai­sons volon­tai­re­ment. La pre­mière situa­tion qui à l’é­vi­dence n’est pas » durable » est de conser­ver aus­si long­temps qu’il nous plai­ra un recours aux hydro­car­bures (char­bon, gaz et pétrole, qui font aujourd’­hui 85 % de notre appro­vi­sion­ne­ment, cf. plus haut) égal ou supé­rieur à ce qu’il est aujourd’­hui, puisque ceux-ci sont épui­sables. Si nous oublions tem­po­rai­re­ment la contrainte cli­ma­tique, de quelles échéances parlons-nous ?

Les réserves, c’est-à-dire les quan­ti­tés de com­bus­tibles que les opé­ra­teurs consi­dèrent pou­voir extraire du sol, aux condi­tions tech­niques et éco­no­miques du moment ou d’un futur proche2, tota­lisent actuel­le­ment 800 mil­liards de tep (voir tableau 1), mais il existe aus­si des réserves » sup­po­sées « , c’est-à-dire des res­sources dont l’exis­tence est déjà connue, ou sup­po­sée avec une bonne pro­ba­bi­li­té de décou­verte future (qua­li­fiées de » res­tant à décou­vrir »), et dont les opé­ra­teurs pour­ront pro­ba­ble­ment extraire » plus tard » une frac­tion déjà cer­née en ordre de gran­deur, quand les tech­niques auront pro­gres­sé ou le prix mon­té. Ces réserves sup­po­sées repré­sentent envi­ron 3 200 mil­liards de tep, et contiennent sur­tout du char­bon (pour envi­ron 3 000 mil­liards de tep).

Figure 7 – Évo­lu­tion de la tem­pé­ra­ture moyenne de l’hémisphère nord depuis l’an mille (courbe rouge ; la zone gri­sée repré­sente la barre d’erreur pour les époques anciennes) et évo­lu­tion pos­sible de la moyenne pla­né­taire au cours du XXIe siècle (fond vert).

Le 0 des ordon­nées repré­sente la tem­pé­ra­ture moyenne de la pla­nète en 1990. Les dif­fé­rents traits de cou­leur cor­res­pondent aux valeurs médianes des simu­la­tions cli­ma­tiques pour dif­fé­rents “ scé­na­rios d’émission ”, cor­res­pon­dant à dif­fé­rentes tra­jec­toires “ socioé­co­no­miques ” du monde. Les barres de droite donnent la dis­per­sion des modèles (15 en tout) pour un même scé­na­rio d’émission. Le scé­na­rio bas (trait vert du bas) cor­res­pond à des émis­sions de gaz à effet de serre qui res­te­raient gros­so modo constantes, et le scé­na­rio haut (trait rouge poin­tillé du haut) cor­res­pond à une pla­nète où 9 mil­liards d’habitants vivraient comme un Polo­nais de l’an 2000.

Par rap­port à l’élévation de tem­pé­ra­ture au XXe siècle, nous voyons qu’au XXIe siècle nous ris­quons de chan­ger d’ordre de grandeur.

Évolution de la température moyenne de l’hémisphère nordhhh
SOURCE : IPCC, 2001

Tou­te­fois, par la magie des expo­nen­tielles, avec 2 % de crois­sance par an de la consom­ma­tion de com­bus­tibles fos­siles (pro­lon­ga­tion de la crois­sance de la consom­ma­tion sur les trente der­nières années), nous épui­se­rions toutes les réserves connues en cin­quante ans (char­bon com­pris, voir tableau 1) et toutes les réserves sup­po­sées en un siècle (courbe ci-dessous).

Une telle évo­lu­tion est bien enten­du impos­sible, car une consom­ma­tion de res­sources non renou­ve­lables ne va jamais sans cesse crois­sant pour deve­nir bru­ta­le­ment nulle, mais ce petit exer­cice per­met au moins de débou­cher sur une conclu­sion simple : au vu des don­nées publiées dis­po­nibles, qui n’ont pas beau­coup chan­gé sur les trente der­nières années, il semble dif­fi­cile d’en­vi­sa­ger une crois­sance conti­nue de la consom­ma­tion d’éner­gie fos­sile qui per­dure plus de quelques décen­nies à par­tir de main­te­nant. Les opé­ra­teurs pétro­liers, par exemple, qui four­nissent actuel­le­ment la frac­tion la plus impor­tante de la consom­ma­tion mon­diale d’éner­gie (et acces­soi­re­ment la moins chère à pro­duire et la plus com­mode d’emploi, deux choses que l’on oublie sou­vent !) annoncent depuis peu que la pro­duc­tion de pétrole culmi­ne­ra aux alen­tours de 2020, pour inexo­ra­ble­ment décli­ner ensuite, à cause du mon­tant néces­sai­re­ment fini de pétrole extractible.

La deuxième évo­lu­tion qui ne peut pro­ba­ble­ment pas être pro­lon­gée très long­temps sans quelques petits ennuis concerne les émis­sions de gaz à effet de serre.

Figure 8 - Com­pa­rai­son entre les émis­sions brutes de CO2 par habi­tant en 1998 (CO2 seul, sans les puits) et :

– la limite de 500 kg équi­valent car­bone par per­sonne et par an, si l’objectif est de divi­ser les émis­sions mon­diales de CO2 par deux avec 6 mil­liards d’hommes sur terre (trait hori­zon­tal bleu foncé),
– la limite si l’objectif est de divi­ser les émis­sions par trois (ce qui sera à faire “ encore plus tard ”), dans un monde où la popu­la­tion serait pas­sée à 9 mil­liards d’individus (trait rouge foncé).

Il saute aux yeux que l’économie “ car­bo­née ” n’est pas com­pa­tible avec la pré­ser­va­tion du climat.


D’APRÈS UNFCCC, INED, CSE

La pro­lon­ga­tion des ten­dances concer­nant nos émis­sions de CO2 (ce qui, inci­dem­ment, signi­fie aus­si de pro­lon­ger les ten­dances en ce qui concerne les com­bus­tibles fos­siles) pour­rait donc conduire à une élé­va­tion de tem­pé­ra­ture moyenne de la pla­nète de quelques degrés en un siècle3. Quelques degrés de dif­fé­rence sur la tem­pé­ra­ture pla­né­taire, c’est l’ordre de gran­deur de ce qui sépare le der­nier maxi­mum gla­ciaire, alors qu’il y avait 3 km de glace sur l’An­gle­terre et la steppe boréale en France, de la période » chaude » actuelle. À la sor­tie d’un âge gla­ciaire, ces quelques degrés de tem­pé­ra­ture moyenne sont pris en dix mille ans. L’é­vo­lu­tion que nous avons mise en route pour­rait conduire à un chan­ge­ment du même ordre en un ou deux siècle(s), ce qui repré­sen­te­rait un bou­le­ver­se­ment que l’on peut esti­mer dif­fi­ci­le­ment com­pa­tible avec un confort de vie impor­tant à la sur­face de la pla­nète, voire avec la sur­vie d’une frac­tion notable de l’hu­ma­ni­té. Pour arrê­ter d’en­ri­chir l’at­mo­sphère en CO2, qui est le prin­ci­pal gaz à effet de serre d’o­ri­gine humaine, il faut divi­ser les émis­sions pla­né­taires par 2 au moins, et si nous sup­po­sons dans le même temps qu’il sub­siste 6 mil­liards d’in­di­vi­dus à la sur­face de la pla­nète, et que les » modes de vie » convergent, cela signi­fie une divi­sion par 4 à 5 en France, et par plus de 10 aux USA (figure 8).

Cher­cher à pro­lon­ger la crois­sance de la consom­ma­tion d’éner­gie fos­sile » tant que ça passe » pour­rait donc nous ame­ner assez vite dans une zone ou » ça ne passe plus « , soit pour des rai­sons de res­sources, soit pour des rai­sons cli­ma­tiques ; un sub­til mélange des deux est bien enten­du pos­sible. S’il est donc impos­sible de décrire avec pré­ci­sion à quoi res­sem­ble­rait un monde qui per­met­trait de marier, pour la nuit des temps, une humani­té de quelques mil­liards d’in­di­vi­dus avec un appro­vi­sion­ne­ment éner­gé­tique signi­fi­ca­tif, il y a au moins une conclu­sion pra­tique à tirer, pour nous autres ingé­nieurs, si nous vou­lons » durer » un tant soit peu : il convient de » décar­bo­ner » assez rapi­de­ment l’es­sen­tiel de notre consom­ma­tion d’éner­gie, ce qui requiert de faire appel, dans des pro­por­tions qui ne peuvent rele­ver que du » choix citoyen « , à la baisse de la consom­ma­tion d’éner­gie, aux éner­gies renou­ve­lables (sachant que les poten­tiels sont très variables), à la séques­tra­tion des émis­sions de CO2, et au nucléaire, et l’en­semble de tout cela s’en­tend bien sûr au niveau mon­dial comme individuel.

Un rap­port sur les tech­no­lo­gies de l’éner­gie récem­ment ren­du aux ministres de l’É­co­no­mie, de l’En­vi­ron­ne­ment et de la Recherche, rédi­gé par un groupe pré­si­dé par Thier­ry Cham­bolle, contient cette élo­quente cita­tion : » Pour ces­ser, à l’ho­ri­zon 2050, d’aug­men­ter la concen­tra­tion de gaz car­bo­nique pré­sent dans l’at­mo­sphère, il fau­drait divi­ser par deux nos émis­sions actuelles au niveau pla­né­taire et donc les divi­ser par un fac­teur 3 à 5 dans les pays déve­lop­pés. [Cet objec­tif] repré­sente pour les dif­fé­rents sec­teurs pro­duc­teurs ou consom­ma­teurs d’éner­gie, pour les entre­prises comme pour les citoyens un défi consi­dé­rable, dont ni l’o­pi­nion publique, ni les acteurs éco­no­miques, à quelques excep­tions près, n’ont réel­le­ment pris la mesure à ce jour. »

Par­ti­ci­per à construire un ave­nir éner­gé­tique durable (plus de quelques décen­nies s’en­tend !) devrait donc logi­que­ment séduire tout jeune ingé­nieur qui aurait le goût de l’ex­ploit, car, en com­pa­rai­son de ce que cela signi­fie de rele­ver un tel défi, l’en­voi de quelques astro­nautes sur la Lune, la plon­gée d’un bathy­scaphe dans la Fosse des Mariannes, ou la consti­tu­tion d’un cham­pion pla­né­taire de l’aé­ro­nau­tique étaient assu­ré­ment d’ai­mables plaisanteries.

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1.
La cor­rup­tion, signe d’un État faible, va sou­vent de pair avec des dégra­da­tions envi­ron­ne­men­tales importantes.
2. Voir article de Babu­siaux et Coif­fard dans La Jaune et la Rouge de mai 2000 ;
www.x‑environnement.org/Jaune_Rouge/JR00
3. La Jaune et La Rouge de mai 2000 se basait sur le rap­port 1995 de l’IPCC, avec des simu­la­tions d’é­lé­va­tion de la tem­pé­ra­ture en 2100 dont la borne supé­rieure était de 3,5 °C. Le rap­port IPCC de 2001 est plus pes­si­miste, et les simu­la­tions cli­ma­tiques les plus récentes, cou­plant le cli­mat avec le cycle du car­bone de la végé­ta­tion conti­nen­tale – qui n’é­tait qu’es­quis­sées dans le rap­port 2001 – plus pes­si­mistes encore. Le haut de la four­chette dépasse main­te­nant les 8 °C en un siècle.

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