L’hospitalisation à domicile : l’hôpital de demain
Dans le panorama des réformes indispensables de la santé, l’hôpital et son devenir focalisent les attentions et bien des craintes. Parmi d’autres propositions, le récent rapport Attali propose le développement de l’hospitalisation à domicile. Souvent confondu avec le maintien à domicile des personnes âgées, c’est une offre de soins à part entière, modèle de coordination et hôpital à moindre coût.
Outil d’aménagement du territoire pour les élus, source de coûts pour les organismes payeurs et de possibles profits pour certains investisseurs, relais de la chaîne de soins pour les professionnels de santé, lieux d’emploi pour les salariés de ces établissements, le tissu hospitalier est victime d’intérêts catégoriels, souvent contradictoires et se trouve, de ce fait, au centre de luttes d’influences et de jeux de pouvoirs. Les membres de la Commission Attali ont récemment rappelé la performance du système de santé français à l’échelle mondiale et estimé que les dépenses de santé devaient être vues comme une opportunité de croissance et non plus comme une charge, compte tenu notamment des progrès de la science et de l’allongement de la durée de la vie.
Une place en HAD n’est autorisée que si elle est gagée par la suppression d’un lit d’hospitalisation classique
Parce que portée par des experts venant d’horizons éloignés du monde de la santé, peut-être aurons-nous la chance que cette idée, longtemps réfutée, soit désormais prise en compte ! Après de nombreux autres rapports, le groupe souligne également le retard de la France en matière de chirurgie ambulatoire, d’hospitalisation de jour et plus largement d’alternatives à l’hospitalisation et, plus original, propose le développement de l’hospitalisation à domicile.
Une réelle opportunité
Ce dernier constat est une chance et constitue une réelle opportunité pour faire bouger les frontières de notre système de soins, en particulier celles séparant hospitalisation et pratique ambulatoire. Englués dans un hospitalocentrisme propre à notre pays et dans un mode de gestion des soins intrinsèquement déresponsabilisant, nous avons oublié trois vérités : l’hôpital est un recours ultime à n’utiliser qu’en l’absence de toute autre solution médicale ; le souhait de tout malade est de revenir à son domicile ou de ne pas le quitter dès lors que son état de santé le permet ; le système de soins doit être organisé autour du malade et de ses besoins et non pas en fonction des souhaits ou des disponibilités des producteurs de soins. C’est en partant de cette réalité qu’il y a plus de soixante ans est née l’hospitalisation à domicile.
Une idée simple
En 1945, le docteur Bluestone de l’hôpital Montefiore de New York ne se satisfait pas du décalage existant entre les capacités de prises en charge de l’hôpital dans lequel il exerce et les besoins médicaux considérables auxquels il doit quotidiennement répondre. Il imagine un système de prise en charge des patients alternant séjours hospitaliers pour les traitements lourds et maintien à domicile pour les phases de soins de suite. Le « Home Care » est né.
C’est sur ce modèle que s’engagent en France, au début des années cinquante, des réflexions autour de la possibilité de soigner des patients à leur domicile. C’est ainsi que voient le jour, en dehors de tout cadre réglementaire, quelques structures d’hospitalisation à domicile pour prendre en charge des malades atteints de cancer. En 1957, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris conclut une convention avec la Caisse régionale d’assurance-maladie et crée le premier service d’Hospitalisation à domicile (HAD), au sens moderne du terme. Cette initiative publique sera suivie quelques mois plus tard par une seconde, cette fois d’émanation associative : Santé Service.
Un parcours du combattant
Il faudra attendre la loi hospitalière du 30 décembre 1970 pour que l’hospitalisation à domicile bénéficie d’une reconnaissance légale et 1974 pour voir la Caisse nationale d’assurance-maladie publier une circulaire fixant les règles de fonctionnement des services d’hospitalisation à domicile. Juridiquement légalisée comme établissement de santé mais institutionnellement peu reconnue, l’HAD peine à trouver sa place dans le paysage sanitaire. Médecins hospitaliers réticents face à cet hôpital hors les murs, conflits d’intérêts pour les hôpitaux financés au prix de journée, indications médicales de l’hospitalisation à domicile mal définies, pendant trois décennies rien n’incite au développement de cette nouvelle offre de soins. Et si la suppression, en 1986, du passage préalable par l’hospitalisation classique élargit en théorie les indications de l’HAD, le budget global et l’obligation de créer les structures d’HAD par la seule voie de redéploiement interne sont en réalité autant de freins à son développement.
Une réelle opportunité pour rattraper le retard de notre pays en matière d’alternatives à l’hospitalisation
En 1991, la réforme hospitalière constitue une étape essentielle de la reconnaissance de l’HAD, en la définissant comme une alternative à part entière à l’hospitalisation traditionnelle. Mais pour significative que soit cette avancée, le développement de l’hospitalisation à domicile reste toujours entravé par le » taux de change « , ce système pervers qui consiste à n’autoriser la création d’une place en HAD que si elle est gagée par la suppression de lits d’hospitalisation classique. Malgré ces obstacles, des pionniers se battent pour offrir cette prise en charge aux malades. En 2000, 78 structures d’HAD existent, implantées quasi exclusivement dans des centres urbains de grande ou moyenne importance. C’est deux fois plus que dix ans auparavant. Enfin, en 2003, l’ordonnance de simplification administrative lève les derniers obstacles réglementaires en supprimant le taux de change et en autorisant la prescription de l’hospitalisation à domicile directement par les médecins généralistes.
L’hospitalisation à domicile en France en 2008
220 établissements sont autorisés à exercer cette activité. Ils offrent une capacité d’accueil de 9 000 places, mais seules environ 8 000 fonctionnent véritablement. En 2007 environ 70 000 patients ont été accueillis représentant 2 500 000 journées d’hospitalisation.
Les établissements d’hospitalisation à domicile représentent annuellement 400 millions d’euros de remboursement, somme à comparer aux 65 milliards de l’hospitalisation et aux 150 milliards de dépenses d’assurance-maladie.
Le coût moyen journalier est de 180 euros. L’activité des établissements d’HAD est fortement concentrée autour de deux pathologies : cancer et maladies neurodégénératives (sclérose en plaques – sclérose latérale amyotrophique, etc.). 40 % des malades pris en charge le sont pour des soins palliatifs
. Désormais, l’HAD a une place à part entière dans la planification de l’offre de soins et est inscrite dans les schémas régionaux d’organisation sanitaire de 3e génération. Début 2006, alors que la France compte moins de 7 000 places pour quelque 150 structures, le gouvernement fixe un objectif de 15 000 places opérationnelles en 2010. La circulaire de décembre 2006 parachève cet engagement en donnant une feuille de route claire aux agences régionales d’hospitalisation. Fin 2007, 220 établissements d’HAD existent représentant environ 9 000 capacités d’accueil.
L’hospitalisation à domicile, pour quels malades ?
Mal connue, l’hospitalisation à domicile est souvent confondue avec le maintien à domicile des personnes âgées ou assimilée aux réseaux de santé.
À tous les âges
Du nouveau-né au grand vieillard, les hospitalisés à domicile ont en commun d’être atteints de pathologies aiguës ou chroniques, lourdes, invalidantes, parfois douloureuses et souvent multiples.
En réalité l’hospitalisation à domicile est une offre de soins pleinement inscrite dans le sanitaire et non dans le médicosocial : les patients, pris en charge dans les structures d’HAD, sont toujours des malades qui, en l’absence d’un tel service, seraient hospitalisés en établissement de santé avec hébergement. Leur état de santé impose des soins médicaux et paramédicaux continus, coordonnés, prescrits pour une durée qui est fonction de l’évolution de leur maladie. Ces soins se différencient de ceux habituellement dispensés à domicile par leur complexité, une technicité spécifique, la fréquence et la durée des actes. Cette prise en charge a vocation à accompagner le patient jusqu’à ce que son état soit suffisamment amélioré pour que le relais soit pris par les professionnels libéraux ou par des Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) ou jusqu’au terme de sa vie dans le cas notamment des soins palliatifs.
Des établissements de santé
220 établissements d’hospitalisation à domicile représentent aujourd’hui 9 000 capacités d’accueil
Parce que les malades accueillis en HAD nécessitent des soins techniques et une logistique adaptée, les autorités de tutelle ont jugé que l’hospitalisation à domicile s’assimilait bel et bien à une hospitalisation et imposait que soit délivré aux structures qui la pratiquaient un statut d’établissement de santé. En effet, l’hospitalisation à domicile ne saurait se résumer à l’addition de prestations de soins et être perçue comme une simple amélioration de la pratique ambulatoire.
Pour contraignant qu’il soit, le statut d’établissement de santé est une garantie pour les malades par l’obligation ainsi faite aux structures d’HAD de se soumettre aux mêmes réglementations que tout autre établissement de santé : régime des autorisations ; certification ; collecte des déchets ; lutte contre les infections nosocomiales ; comité d’usagers ; recueil de l’information médicale ; permanence et continuité des soins 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, etc.
L’HAD : un modèle de coordination
Soins lourds à domicile
Les conditions très particulières de délivrance de soins lourds au domicile d’un patient polypathologique, par des professionnels différents exerçant des spécialités diverses, ont conduit à instituer des règles spécifiques à ce mode d’hospitalisation : prescription obligatoire préalable d’un médecin, formalisation d’un protocole de soins, règles d’organisation et de fonctionnement précises (médecin coordonnateur-personnels soignant et social…), accord préalable du médecin traitant, acceptation formelle de cette prise en charge par le malade ou son entourage.
Plus que son cadre réglementaire, l’originalité principale de l’hospitalisation à domicile est d’amener les professionnels de santé à rompre avec le caractère isolé et segmenté de leurs pratiques. La gravité des pathologies des malades pris en charge conduit obligatoirement à ce que les médecins hospitaliers, traitant et coordonnant l’HAD, définissent ensemble un projet thérapeutique. Déclinant de cette première étape, la charge en soins et la surveillance continue du malade imposent d’établir un protocole de soins détaillé, définissant avec précision les interventions des professionnels de santé qui vont se succéder au chevet du patient : infirmières majoritairement, mais aussi aides-soignantes, kinésithérapeutes, psychologue, voire ergothérapeute, diététicien, orthophoniste, pédicure, etc. Certains de ces professionnels sont parfois salariés de l’établissement mais de plus en plus ce sont des libéraux qui assurent les actes au chevet du patient, démontrant par là même leur capacité à travailler en équipe et à s’intégrer dans un schéma d’activités structurées et réglementées.
Un hôpital à moindre coût
Au-delà de l’intérêt humain de l’hospitalisation à domicile que nul ne conteste, cette offre de soins peut se prévaloir d’un coût sans commune mesure avec celui affiché par les établissements hospitaliers avec hébergement.
Une réelle opportunité pour rattraper le retard de notre pays en matière d’alternatives à l’hospitalisation
Deux raisons à cela. Tout d’abord le fait que les investissements des établissements d’HAD sont faibles en comparaison de ceux du secteur de l’hospitalisation traditionnelle, mais également un mode de fonctionnement souple dont l’unique curseur d’adaptabilité est l’état de santé du patient et ses besoins en soins et médicaments. Ces financements leur ont permis de professionnaliser leur démarche, de se conformer rapidement aux règles de la certification et surtout leur ont ouvert la possibilité de développer des systèmes d’information, corollaire indispensable de la pluridisciplinarité des personnels soignants et de la transversalité de l’activité de ces derniers. Cette lisibilité budgétaire est par ailleurs nécessaire pour le développement de l’hospitalisation à domicile dont les promoteurs ont besoin de voir sécurisées leurs initiatives.
Un modèle de tarification
La tarification à l’activité à laquelle sont soumis les établissements d’HAD pour 100 % de leur activité depuis 2006, et ce quels que soient les statuts des HAD, a d’emblée été un mode de tarification en parfaite adéquation avec le fonctionnement de ces structures.
Des réticences encore trop fortes
Malgré ce tableau quasi idyllique d’un hôpital hors de ses murs, les réticences sont encore fortes pour accepter le développement de cette alternative à l’hospitalisation. Victime avant tout d’une méconnaissance de son existence, l’hospitalisation à domicile est souvent confondue avec certains dispositifs médicosociaux qui s’adressent exclusivement aux personnes âgées et se trouve parfois de ce fait mal positionnée dans l’offre de soins.
Un accompagnement social
La perte d’autonomie de la plupart des patients génère un besoin d’accompagnement social – aides financières – aides ménagères – appuis matériels – toutes prestations identifiées par l’assistante sociale attachée à l’établissement, à l’issue d’un bilan effectué en relation avec l’entourage du malade.
Bien heureusement, certaines craintes s’estompent peu à peu pour des raisons qui tiennent tout à la fois aux réorganisations hospitalières et au partenariat que nouent de plus en plus les établissements d’HAD avec les professionnels de l’ambulatoire. Par contre perdurent des difficultés liées à un cheminement réglementaire encore complexe, à la démographie des professions médicales et paramédicales dans certaines régions, au caractère isolé de l’habitat dans des zones très rurales. Plus préoccupant à l’avenir, l’effet de la relative petite taille des établissements créés, souvent de statut associatif, pourrait être une limite au développement et surtout à la modernisation continue de l’hospitalisation à domicile. Après le temps des pionniers, puis des développeurs viendra sans doute dans le futur celui des gestionnaires dont il faudra néanmoins s’assurer qu’ils restent dans la ligne éthique des concepteurs de l’HAD. Les futures agences régionales de santé qui, au vu des rapports parus, devraient intégrer dans leurs compétences les secteurs de l’hospitalisation et ambulatoires, auront avec l’hospitalisation à domicile un outil majeur pour accompagner les nécessaires réformes de notre système de soins. Les autorités de tutelle ont ainsi une réelle opportunité pour rattraper le retard de notre pays en matière d’alternatives à l’hospitalisation, pour ouvrir la voie d’une reconnaissance totale de la place de ce mode de prise en charge dans un système de santé rénové dans lequel le rapport efficience-coût serait amélioré. Espérons qu’elles sauront dépasser les corporatismes et oseront bousculer des habitudes qui n’ont plus guère de justification médicale, économique ou politique.
Des craintes infondées
Malgré un fonctionnement balisé, certains professionnels de l’hospitalisation avec hébergement perçoivent encore l’hospitalisation à domicile comme un possible danger de la pérennité de leur propre activité et doutent de la qualité des soins délivrés, oubliant que les établissements d’HAD sont eux aussi contrôlés et certifiés. A contrario, des libéraux voient en l’HAD un empiétement sur leurs interventions voire une remise en cause de leur indépendance, ignorant que l’hospitalisation à domicile n’est pas une alternative à l’ambulatoire mais à l’hôpital et que de ce fait les malades en HAD sont des patients à qui ils ne seraient pas en mesure de prodiguer des soins.
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Article très intéressant
Article très intéressant sur l’HAD