L’hydrogène vert : un vecteur incontournable de la transition énergétique et de la décarbonation
Alors que nous entendons de plus en plus parler d’hydrogène vert depuis deux ans, ENGIE s’est intéressé à ce levier de la transition énergétique dès 2018 et poursuit une stratégie visant à accélérer son développement et son passage à l’échelle. Frédéric Claux, Managing Director Thermal Generation and Supply pour la zone Afrique, Moyen-Orient & Asie, et Stephan Gobert, Chief Strategy & Innovation Officer au sein du Groupe ENGIE, nous en disent plus. Rencontre.
L’hydrogène vert apparaît comme l’un des principaux leviers de la décarbonation. Comment appréhendez-vous cette dimension ?
La feuille de route mondiale pour décarboner le secteur de l’énergie et atteindre la neutralité carbone en 2050, publiée par l’Agence Internationale de l’Energie en mai 2021, s’articule notamment autour du déploiement massif des énergies renouvelables et du développement des gaz décarbonés, dont l’hydrogène vert. ENGIE a été précurseur sur le sujet en se dotant dès 2018 d’un département dédié à son développement. En effet, nous sommes convaincus que l’hydrogène vert, produit par électrolyse de l’eau à partir d’une source d’électricité renouvelable, a vocation à devenir un vecteur énergétique majeur pour tendre vers une économie neutre en carbone, en complément des énergies renouvelables. Un nombre croissant de pays se dotent d’ailleurs de stratégies nationales hydrogène et allouent des financements spécifiques en faveur de la structuration de la filière hydrogène et du développement de sa chaîne de valeur.
L’hydrogène vert, en contribuant à la décarbonation des usages, permet de faire le lien entre les piliers stratégiques du groupe ENGIE : les énergies renouvelables, les infrastructures et la réduction de l’empreinte carbone de nos clients. Aujourd’hui, l’hydrogène est utilisé afin de décarboner de nombreux secteurs difficiles à verdir, notamment l’industrie lourde (chimie, acier, verre) ou la mobilité longue distance. Un avantage déterminant de l’hydrogène vert est sa capacité à être stocké sous forme gazeuse, ce qui permet de palier l’intermittence des énergies renouvelables, puisqu’il pourrait alors être utilisé pour produire de l’électricité décarbonée. On peut également envisager de l’injecter dans le réseau gazier pour le verdir. Au-delà de ces usages, l’hydrogène, s’il est produit localement, favorise non seulement le développement de circuits courts, mais aussi la création d’emplois locaux et l’émergence de nouveaux écosystèmes industriels.
Si des freins persistent, les projections de développement du marché mondial de l’hydrogène vert sont optimistes. La baisse significative du coût de production des énergies renouvelables au cours de la dernière décennie et l’amélioration graduelle des technologies d’électrolyse et de stockage rendent la production d’hydrogène renouvelable à échelle industrielle plus abordable, voire compétitive dans le contexte actuel de hausse des prix des hydrocarbures.
Quelles sont les perspectives de développement de l’hydrogène vert dans la zone AMEA ?
La zone Asie, Moyen-Orient et Afrique offre des opportunités de développement de la filière de l’hydrogène vert particulièrement intéressantes. La région bénéficie, en effet, de nombreux atouts ; d’importantes capacités d’énergies renouvelables, un réseau d’infrastructures performant (logistique, gaz, électricité…), une proximité géographique avec les pays importateurs dont l’accès aux énergies renouvelables est limité.
Aujourd’hui, plusieurs pays du Golfe, d’Asie et d’Afrique ont bien compris l’enjeu et l’intérêt de se positionner rapidement sur le marché de l’hydrogène renouvelable. Au Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis misent sur le développement rapide de la filière hydrogène pour diversifier leur économie et leurs exportations. L’Arabie Saoudite a d’ailleurs récemment annoncé un ambitieux programme de production et d’exportation d’hydrogène et d’ammoniac verts, et lancé la construction d’une usine de production d’hydrogène vert à NEOM (4GW), la première de cette taille en construction, pour un investissement de 5 milliards de dollars.
Dans ce contexte favorable au développement de l’hydrogène vert, quelles sont les ambitions d’ENGIE ?
L’ambition d’ENGIE est d’accélérer la transition vers un monde bas carbone, en plaçant sa mission au cœur des enjeux mondiaux du développement durable en accord avec la raison d’être du Groupe : « agir pour accélérer la transition vers une économie neutre en carbone, par des solutions plus sobres en énergie et plus respectueuses de l’environnement ». Dans cette perspective, un de nos objectifs est d’être un leader dans la production d’hydrogène renouvelable à grande échelle en nous concentrant sur trois axes de développement : les utilisations industrielles, la mobilité et l’hydrogène comme vecteur d’énergie.
Actuellement, nous avons plus de 30 projets d’hydrogène vert à différents stades de développement dans le monde. Il s’agit maintenant de passer à l’échelle industrielle. Cela implique de nouer des partenariats clés, de promouvoir un travail de filière et de pouvoir s’appuyer sur un soutien public fort. Nous prévoyons ainsi de financer, construire et exploiter 600 MW de capacité de production d’ici à 2025 et 4 GW à l’horizon 2030 globalement. En parallèle, nous développons un portefeuille de réseau d’infrastructures (700 Km) et de stockage (1 TWh) à l’horizon 2030.
Quels sont les projets qui vous mobilisent sur votre périmètre géographique ?
Nous sommes actuellement engagés sur plusieurs projets dans l’industrie et la mobilité.
En Afrique du Sud, avec notre partenaire Anglo American, l’un des plus grands acteurs mondiaux du secteur minier, nous avons inauguré le projet « Rhyno » pour la mine de platine de Mogalakwena. Il s’agit du plus grand camion de transport minier à hydrogène du monde, capable de transporter une charge utile de 290 tonnes. Dans ce cadre, nous fournissons une solution d’hydrogène intégrée, qui inclut la production, la compression, le stockage, et le remplissage en un temps record. L’objectif final est de réduire jusqu’à 80 % les émissions de CO2 issues de la mobilité minière. Ce projet pilote a pour ambition de décarboner l’entièreté de la flotte de camions de cette mine, soit 40 camions et pourrait être étendu à d’autres sites à moyen terme.
Plus récemment, en décembre 2021, nous avons annoncé la formation d’une alliance stratégique avec « Masdar », un acteur majeur du secteur des énergies renouvelables aux Émirats Arabes Unis. Ensemble, nous cherchons à développer des projets d’une capacité de production totale de 2 gigawatts (GW) d’ici 2030, avec un investissement total de l’ordre de 5 milliards de dollars US. Cette alliance stratégique vise à exploiter les synergies existantes entre les deux groupes pour établir une position de précurseur sur le marché de l’hydrogène des Émirats Arabes Unis.
Dans ce cadre, nous avons également signé un accord de collaboration avec « Fertiglobe », qui exploite une unité de production d’ammoniac à Abu Dhabi. Nous travaillons avec ces deux partenaires pour développer une installation d’hydrogène vert d’une capacité pouvant atteindre 200 mégawatts (MW), afin d’alimenter la production d’ammoniac (vert) de Fertiglobe.
Quels sont les défis et les freins qui persistent actuellement ?
Le coût, la sécurité et le stockage de l’hydrogène restent les principaux défis à relever. Le coût de production de l’hydrogène est, en effet, dépendant du coût de production et de l’abondance des énergies renouvelables, mais aussi du coût des électrolyseurs, ainsi que de la disponibilité de l’infrastructure existante. On ne recense en effet que 5 000 kilomètres de pipelines de transport d’hydrogène dans le monde, contre plus de 3 millions de kilomètres pour le gaz naturel.
Pour sécuriser et accompagner le développement de la filière hydrogène, des investissements lourds sur toute la chaîne de valeur, au-delà de la production par électrolyse, et le soutien des pouvoirs publics sont nécessaires, voire essentiels. Afin de relever ces défis, ENGIE est engagé au sein de l’initiative de la Dorsale hydrogène européenne (European H2 Backbone), et soutient le déploiement d’un réseau de près de 40 000 km d’infrastructures hydrogène réunissant 21 pays, dont les deux tiers seraient constitués d’infrastructures existantes reconverties. D’autres projets de R&D en cours de déploiement – comme HyPSTER et Hygreen – ont pour objectif d’expérimenter le stockage d’hydrogène dans des cavités salines, sur des sites jusqu’ici utilisés pour stocker du gaz naturel.
Et pour conclure ?
L’hydrogène renouvelable intéresse aujourd’hui de nombreux acteurs et secteurs d’activités, au point que l’on parle désormais de la mise en place d’une « économie hydrogène ». Les gouvernements et les entreprises ont donc tout intérêt à adopter une stratégie de first mover sur l’hydrogène vert afin de pouvoir participer à ce marché d’avenir.