L’IA et la data au service de la recherche en oncologie
Licorne franco-américaine, Owkin capitalise sur le potentiel et la puissance de l’intelligence artificielle afin que tous les patients puissent bénéficier de la médecine de précision. Dans cet entretien, Jean-Philippe Vert (X92), directeur de la R&D d’Owkin, revient sur la création de la start-up française, son positionnement, et ses apports au monde de la santé.
Quelle est la genèse d’Owkin qui est aujourd’hui une licorne franco-américaine ?
Owkin est née à Paris en 2016. Elle est le fruit de la rencontre entre Thomas Clozel, médecin oncologue, et Gilles Wainrib (X03), professeur en intelligence artificielle, qui partagent une vision commune sur la santé : le futur de la médecine passe par l’exploration des importants volumes de données de patients produites dans les hôpitaux et centres de recherche grâce à technologies qui garantissent la sécurité et la confidentialité de la data. Fort de ce constat, l’ambition d’Owkin est de capitaliser sur ces grandes quantités de données pour développer des solutions basées sur l’intelligence artificielle pour la recherche médicale, découvrir et développer de nouveaux traitements pour les besoins médicaux non satisfaits avec un premier focus sur l’oncologie.
En 2021, Owkin est devenue une licorne après une prise de participation et la signature d’un accord stratégique avec Sanofi, le géant pharmaceutique français, afin de trouver des nouvelles cibles thérapeutiques et d’optimiser les essais cliniques dans plusieurs types de cancer. Aujourd’hui, Owkin rassemble 270 personnes réparties dans des bureaux à Paris, Nantes, Londres, New-York et Boston. C’est aussi une équipe R&D composée de plus de 80 ingénieurs et chercheurs.
Plus particulièrement, Owkin est spécialisée dans la médecine de précision. De quoi s’agit-il ?
La médecine de précision consiste à exploiter les données biologiques d’une maladie pour proposer à chaque patient un traitement personnalisé et ciblé. Il s’agit, par exemple, de décoder l’ADN d’une tumeur pour proposer des médicaments spécifiques qui ne peuvent avoir d’effets qu’à condition d’avoir détecter des mutations particulières.
La difficulté de cette approche est d’identifier, parmi les milliards de mutations possibles, celles qui sont prédictives de la réponse au médicament. Pour faire progresser la médecine de précision, Owkin développe des outils basés sur l’intelligence artificielle pour prédire l’effet de traitements ou le risque de récidives pour chaque patient individuellement, à partir de nombreuses données collectées au niveau moléculaire ou cellulaire de la tumeur. Cette démarche permet d’aider les médecins à prendre les meilleures décisions afin qu’ils puissent prescrire un traitement efficace et éviter les traitements inutiles.
En parallèle, nous travaillons également sur la découverte de nouveaux médicaments, susceptibles d’agir sur des sous-populations spécifiques de patients qui ne répondent pas aux traitements existants.
Et dans ce cadre, à quels besoins et problématiques répondez-vous ?
Nous voulons contribuer au progrès médical, en aidant chaque malade à recevoir le traitement qui l’aidera à guérir. Pour ce faire, nous développons, d’une part, des outils pour aider les médecins à prendre des bonnes décisions avec les traitements existants qui peuvent, par exemple, prendre la forme d’outils de diagnostic rapides et précis par analyse automatique d’images de biopsies. Et d’autres part, nous identifions des cibles thérapeutiques et des nouveaux traitements pour les malades ne répondant pas aux traitements actuels, et accélérons leur développement clinique grâce à l’intelligence artificielle.
Sur un plan technologique, vous capitalisez sur le potentiel de l’intelligence artificielle. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous déployons, en effet, des technologies basées sur l’intelligence artificielle et la biologie computationnelle pour inférer des modèles prédictifs à partir de données de patients. Pour assurer la sécurité et la confidentialité des données hébergées par nos partenaires, nous avons développé des technologies dites d’apprentissage fédéré qui permettent de faire collaborer plusieurs hôpitaux ensemble sans qu’aucune donnée ou information sur les patients ne sorte de chaque hôpital.
Nos modèles d’intelligence artificielle intègrent plusieurs modalités (images, profils moléculaires, données cliniques…) qui sont généralement interprétables, causales, et incluent de la connaissance a priori afin de générer des hypothèses biologiques.
En s’appuyant sur ces technologies nous développons des solutions de diagnostic et pronostic pour aider les médecins à prendre les bonnes décisions ; des solutions de découverte pour identifier des nouvelles cibles thérapeutiques et des nouveaux médicaments pour des populations de malades en ayant besoin ; et des solutions pour accélérer et réduire le coût des essais cliniques.
Pouvez-vous nous donner des exemples et des cas d’usages concrets ?
En 2022, nous avons notamment développé deux solutions de diagnostic qui ont obtenu la certification CE-IVD, ce qui permettra leur utilisation en Europe. La première, RlapsRiskBC, est une solution de pronostic basée sur l’intelligence artificielle pour prédire la probabilité qu’une personne atteinte d’un cancer du sein précoce rechute après le premier traitement. Cette solution permet donc aux médecins d’identifier les patientes à haut risque qui peuvent bénéficier d’un traitement ciblé et celles à faible risque qui peuvent donc éviter la chimiothérapie. Le modèle, développé en collaboration avec des équipes de l’Institut Gustave Roussy, s’appuie sur une image numérique d’échantillon de la tumeur obtenue en routine à l’hôpital, et démocratise ainsi l’accès à la médecine de précision.
La seconde solution, MSIntuit CRC, permet de dépister rapidement et simplement, à partir d’une image de la tumeur les patients atteints de cancer colorectal en identifiant les cellules qui ont une anomalie moléculaire connue sous le nom de d’instabilité microsatellite, ce qui les rend plus sensibles à l’immunothérapie.
Quelles sont les prochaines étapes pour Owkin ? Comment vous projetez-vous sur le marché de la HealthTech ?
Nous avons de nombreux projets en cours. Nous voulons étendre notre réseau de partenaires pour augmenter la quantité et la qualité des données sur lesquelles nos solutions s’appuient, en explorant notamment des modalités comme la transcriptomique spatiale et à cellule unique qui permettent d’explorer les tissus complexes comme le microenvironnement tumoral. En parallèle, en nous appuyant sur ces données, notre ambition est de continuer à améliorer nos technologies d’intelligence artificielle au service de la découverte de nouvelles cibles thérapeutiques afin de mettre sur le marché des traitements nouveaux d’ici quelques années.