L’IA et le marketing : pourquoi les marques attirent (enfin) les ingénieurs
Les métiers du marketing, naguère essentiellement basés sur l’émotif et le psychologique, se convertissent à l’approche scientifique des données. L’intelligence artificielle est aujourd’hui le catalyseur principal de cette conversion.
Depuis quelques années déjà, les directions marketing ont pris conscience des enjeux liés à l’exploitation scientifique des données. Trois effets se sont conjugués pour faire passer le marketing d’un métier de l’émotion à un métier de la méthode.
Le premier, c’est le passage de la communication de masse de l’après-guerre, qui utilisait des médias puissants (TV, radio et presse) mais génériques, à une communication personnalisée jusqu’à l’individu, rendue possible par l’essor d’Internet.
Le second est à trouver dans l’origine de ces nouveaux médias qui, contrairement à leurs aînés, sont issus d’entreprises technologiques – les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) essentiellement composées d’ingénieurs. Leur fréquentation assidue par les annonceurs ces dernières années les a rendus d’autant plus sensibles à l’apport des sciences dans la création de marques.
Le dernier, plus récent, c’est le progrès de l’informatique dans l’analyse et l’exploitation industrielle des données. C’est l’émergence du cloud computing (à nouveau avec Amazon, Microsoft et Google en pointe) et les technologies de machine learning et d’intelligence artificielle. Des données plus nombreuses et facilement exploitables en temps réel ont rendu possible la construction de stratégies marketing adaptatives, rationnelles, scientifiques !
Ces dernières années ont montré un enthousiasme sans faille pour ces innovations : multiplication d’annonces fracassantes, de tests, de MVP (Minimum Viable Product), de PoC (Proof of Concept) ou autres initiatives destinées à gagner en expérience sur le potentiel business de ces nouvelles méthodes et technologies. Cette effervescence est désormais assez largement passée et la plupart des acteurs ont atteint une forme de maturité qui les conduit à regarder plus froidement l’impact financier de cette transformation. C’est une nouvelle phase qui s’ouvre, celle de l’IA intégrée au cœur même des processus marketing de l’entreprise.
REPÈRES
À l’horizon 2020, 50 % de la dépense publicitaire dans le monde sera faite sur les nouveaux supports numériques, selon Dentsu Aegis. Amazon à elle seule dispose de plus de cent data centers répartis sur tous les continents.
Petit tour d’horizon des applications scientifiques dans le marketing…, qui marchent !
Si le marketing n’a pas une définition complètement standardisée dans les différentes entreprises, nous retiendrons ici quatre grandes fonctions : la connaissance client (qui sont-ils ? quelles sont leurs aspirations et comment les influencer ?), la publicité (où et comment leur exposer les produits et les valeurs de la marque ?), l’expérience client (comment les convaincre d’acheter ?) et enfin la fidélisation (au-delà de l’achat, quelles méthodes pour entretenir la flamme ?).
Connaissance client
Pour beaucoup de marques, la connaissance client est encore un enjeu complexe. Traditionnellement, les distributeurs (Carrefour, Fnac…) ont gardé la main sur cet aspect, et les marques dépensent une énergie considérable pour combler ce trou via des panels consommateurs ou en finançant des études statistiques fondées sur des sondages.
Là encore, les GAFA ont acquis une longueur d’avance considérable (accédez à vos paramètres Google pour voir s’il a reconnu votre genre, votre âge ou vos intérêts. L’expérience est troublante !). La bonne nouvelle pour les annonceurs, c’est que cette donnée est facilement accessible.
Il s’agit ensuite de confronter ces profils aux réactions – à l’échelle individuelle donc – devant un message publicitaire ou un catalogue sur Internet. Vous obtenez assez aisément les profils qui semblent les plus intéressés par la marque et ses produits. Le gain est immédiat, une fois l’algorithme mis en place, il fait économiser aux annonceurs les centaines de milliers d’euros autrefois dépensés en études.
“À chaque instant,
des milliers de campagnes publicitaires sont réalisées sur Internet”
Publicité
Les dépenses publicitaires représentent plus d’un quart du budget d’un département marketing selon Gartner (CMO Spend Survey 2018–2019). L’optimisation de cette dépense est donc critique pour la performance économique des entreprises. Il est d’ailleurs convenu d’affirmer qu’une moitié de cet argent est dépensée en pure perte…, mais sans pouvoir savoir laquelle ! Grâce aux données, il est désormais possible, sinon de trouver 50 % d’économies, du moins de déterminer plus facilement la performance de chaque dépense publicitaire.
Ici la mécanique s’inspire des métiers de la finance. À chaque instant, des milliers de campagnes publicitaires sont réalisées sur Internet (par exemple, pour acheter des mots-clés comme « voiture », « voiture neuve », « SUV », etc., sur Google). À chaque instant également, il est possible de connaître la performance de chaque campagne : combien de personnes ont cliqué sur la publicité ? Combien de temps elles sont restées sur le site ?
Il est rigoureusement impossible pour un être humain de surveiller en temps réel ces campagnes (à l’image des marchés financiers sur lesquels des millions de titres sont échangés chaque seconde). Les annonceurs font donc confiance à des algorithmes pour augmenter le budget d’une campagne, en couper une autre, changer le message ou l’image associée à telle autre, etc. À iso-budget, BCG estime qu’environ 10 % d’incrément de vente peut être réalisé en analysant de façon systématique et rigoureuse les performances des campagnes (How BCG’s Data-Driven Marketing Approach is Driving Growth for Leading Marketers).
Cet enjeu va au-delà des métiers du marketing : McKinsey a récemment estimé que 15 % des professions pourraient être automatisées entièrement d’ici 2030. Un grand nombre de tâches sont encore manuelles : création du plan média, configuration des campagnes, mises à jour, optimisation, reporting auprès de l’annonceur des performances.
Les deux effets combinés représentent des enjeux en millions d’euros pour la plupart des annonceurs.
“Sur les nouvelles interfaces d’achat, tout reste à inventer”
Expérience client
Une fois l’appétit du consommateur éveillé, il reste à le « convertir », lui faire réaliser l’acte d’achat qui justifie tous ces efforts. Là encore les algorithmes jouent un rôle prépondérant.
À bien des égards, le numérique et le e‑commerce n’ont pas beaucoup modifié nos habitudes de consommation. Un site marchand n’est pas si différent d’un magasin physique, avec ses rayons linéaires, ses produits appétissants, ses prix souvent barrés.
Mais d’autres méthodes d’interactions tendent à s’imposer. C’est le cas des nouvelles enceintes intelligentes (Google Home ou Amazon Alexa par exemple). Sur ces nouvelles interfaces d’achat, tout reste à inventer. Un exemple avancé est celui de Monoprix. Pour remplacer le fameux post-it que chacun appose traditionnellement sur son réfrigérateur, l’enseigne a créé une application vocale permettant de construire cette liste grâce à la voix.
Naturellement, ce sont des algorithmes d’IA qui permettent de reconnaître, au sein d’une phrase, les produits qu’il conviendra d’ajouter au post-it virtuel. Mais l’expérience va au-delà, et l’interface est dotée d’intelligence : par exemple, elle reconnaîtra la recette que vous semblez vouloir réaliser et vous proposera les ingrédients manquants (de la levure si vous avez demandé des œufs, de la farine et du chocolat). Elle saura aussi repérer vos habitudes de consommation et vous indiquer qu’il manque sans doute ce pack d’eau gazeuse que vous avez l’habitude d’ajouter à votre liste de courses !
Fidélisation
Une fois le prospect transformé en client, il faut s’assurer de sa fidélité ! Dans l’univers des télécoms ou de l’assurance par exemple, un des points de friction le plus souvent cité sont les centres d’appels (call centers). C’est souvent le dernier recours avant de perdre un client et un très important centre de coûts pour ces marques. De nombreuses applications utilisant l’IA sont développées dans ce domaine. Un exemple, réalisé chez un opérateur français, concerne les arguments déployés par les téléconseillers. Aujourd’hui, la plupart de ces arguments sont établis à l’avance et intégrés dans un script que le téléconseiller doit suivre scrupuleusement. L’inconvénient majeur est que, lors d’une conversation avec un client, par exemple mécontent, il est impossible de dérouler l’ensemble des arguments pour le convaincre de rester.
Aussi, cet opérateur a‑t-il créé le conseiller augmenté. Au lieu de suivre un script standard pour l’ensemble des clients, le conseiller augmenté va dérouler un argumentaire qui dépend de la connaissance que l’opérateur a de cet individu particulier (cf. le paragraphe ci-dessus) et du déroulement de la conversation. En analysant en temps réel la nature des échanges avec le client, le script s’adapte et va par exemple débloquer une promotion exceptionnelle à ce client à forte valeur et particulièrement véhément.
Les algorithmes permettant de reconnaître la voix ayant fait des progrès particulièrement spectaculaires ces dernières années, de nombreuses économies sont à attendre dans le domaine des centres d’appels.
L’IA au service de la productivité des agences publicitaires
Au-delà de la dépense publicitaire, près de 25 % du budget d’un annonceur est consacré aux agences qui opèrent ces campagnes. Et ici également, l’IA permet des gains de productivité considérables : il est estimé qu’entre 15 % et 20 % du temps passé par les agences pourrait être automatisé.
Avec l’IA, la cote des directeurs marketing remonte !
Dans le domaine du marketing, les outils issus de l’IA sont désormais répandus, connus et pour une partie maîtrisés. La phase d’industrialisation commence et l’impact économique pourra être observé dans les prochaines années. Une conséquence intéressante de cette précocité est l’effet induit sur le rôle et la position des directeurs marketing (CMO) dans les organisations. Historiquement, cette fonction n’avait pas la meilleure cote (seuls 8 % des CEO nommés aux USA ont fait leurs classes dans des fonctions marketing). Aujourd’hui les CMO sont à la pointe de l’innovation et de l’industrialisation de l’IA, et naturellement d’autres membres des comités de direction cherchent à s’inspirer des méthodes initiées par le marketing. Au-delà de la maîtrise des process et des technologies de l’IA, ce sont aussi les données sur lesquelles les marketeurs ont la main qui intéressent les autres métiers. Optimisation de la production, chaîne logistique, ressources humaines, ils se tournent vers leur collègue du marketing pour améliorer leurs process en utilisant l’IA. Pas si mal pour un métier de créatifs !
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