Liberté
Totalement libre, sans normes à respecter, sans mode ni école à suivre, le créateur peut être paralysé et finalement stérile. Au fond, les carcans de la tragédie classique ont donné au XVIIe siècle plus de chefs‑d’œuvre que le drame romantique libre de toute règle ; les symphonies, les sonates et les fugues sont en général plus belles et plus fortes que les poèmes symphoniques et les « fantaisies ».
Et cependant, la liberté du créateur comme celle de l’interprète, raisonnablement dosées, peuvent donner des résultats heureux.
GLUCK – ORPHÉE ET EURYDICE
Tout le monde connaît cet opéra, dont la version d’origine, en italien, fut créée à Vienne en 1762 avec un castrat-contralto en Orphée.
Il y eut plusieurs versions en français, dont une de Berlioz avec une mezzo-soprano travestie. Plutôt que d’utiliser une de ces versions « classiques », il a été fait choix dans ce nouvel enregistrement, avec Philippe Jaroussky, Amanda Forsythe dans le rôle d’Eurydice et l’ensemble I Barrocchisti, de la version destinée par Gluck à la cour de Naples en 1774 .
Choix qui témoigne d’une liberté intelligente : l’œuvre est concentrée (moins de 80 minutes), les récitatifs allégés. Mais ce qui fait le prix de cet enregistrement, c’est l’interprétation exceptionnelle de Jaroussky : nul, homme ou femme, contreténor ou contralto, ne possède cette capacité de traiter chaque mot, et même chaque syllabe, avec une inflexion propre qui colle à la note.
Un chef‑d’œuvre d’interprétation qui renouvelle une œuvre bien connue.
1 CD ERATO
QUATUORS FRANÇAIS : SAINT-SAËNS, LEKEU, DEBUSSY
Comparés aux quatuors des époques précédentes, les quatuors français de la période fin XIXe-début XXe siècle se singularisent par une extraordinaire liberté. Trois œuvres que vient d’enregistrer le Quatuor Ellipse en témoignent : le Quatuor n°2 de Saint-Saëns, le mouvement Molto adagio sempre cantante doloroso de Lekeu, le Quatuor de Debussy .
Du Quatuor de Debussy, tout a été dit : il a révolutionné en 1893 la musique de chambre, par sa forme (thème unique) et par ses harmonies inouïes au sens propre.
Vingt-cinq ans plus tard, Saint-Saëns, à 83 ans, choisit – incroyable liberté – de revenir, pour son second et dernier Quatuor, à une forme et des harmonies classiques et c’est un délice d’écoute, avec un Adagio d’anthologie.
Quant à Lekeu, il écrit à 17 ans, tel Rimbaud, une pièce intense et mystique, à 5 temps, bouleversante. Il mourra à 24 ans en 1894.
1 CD AD VITAM
DEUX VIOLONISTES LIBRES
Le Concerto pour violon de John Adams est comparable au Concerto à la mémoire d’un ange d’Alban Berg : il est pratiquement atonal, sauf dans son second mouvement, et profondément émouvant.
Adams n’appartient à aucune école, mais il possède un talent d’orchestration comparable à celui de Tchaïkovski, une invention mélodique et une capacité d’émouvoir uniques dans la musique contemporaine.
Leila Josefowicz est l’interprète idéale de cette œuvre qu’elle a jouée plus de cent fois, et qu’elle a enregistrée avec le St. Louis Symphony dirigé par David Robertson.
1 CD NONESUCH
On connaît Nigel Kennedy, l’élève de Menuhin, enfant terrible de la musique. Sous le titre Kennedy meets Gershwin, il vient d’enregistrer avec quelques musiciens (guitares, basse, violoncelle, violons, flûte) des arrangements de pièces de Gershwin dont Our love is here to stay, They can’t take that away from me…
Kennedy s’inspire de Stéphane Grappelli et navigue librement dans les harmonies complexes et délectables de Gershwin. Kennedy et Leila Josefowicz ont une singularité en commun : leur tenue, vaguement punk, ce qui n’est pas le trait le plus libre de leurs personnalités.
Mais si cela permet de convertir des jeunes, a priori méfiants devant la « grande » musique, on ne saurait le regretter.
1 CD WARNER