Lier l’analyse de l’entreprise à sa stratégie
Dès 1950, la stratégie d’entreprise apparaît comme une discipline à part entière ; plusieurs écoles s’affirment : selon l’école de la conception, il existe une stratégie optimale pour une entreprise à un moment donné. L’école de la planification préconise un processus de planification rigoureux pour déterminer cette stratégie optimale de manière quasi scientifique.
Les notions de valeur, vision, mission, métier sont mises en avant
Les principaux outils de préconisations stratégiques sont alors les célèbres matrices qui croisent l’intérêt du segment de marché visé avec les atouts de l’entreprise sur ce segment.
Pour la matrice du BCG, l’attrait du marché est assimilé à sa croissance ; les atouts de l’entreprise sont représentés par sa part de marché. D’autres matrices plus sophistiquées apparaissent ensuite : Mc Kinsey, BCG 2, ADL.
Instabilité et globalisation
Dans les années quatre-vingt les entreprises doivent adapter leurs stratégies. En effet, l’abaissement des droits de douane, le développement des TIC et la baisse du coût des transports conduisent à une concurrence exacerbée qui favorise un environnement instable où l’innovation et la différenciation des produits et services prennent une place prépondérante. La planification et les procédures même complexes ne peuvent pas prévoir les discontinuités et informer la direction sur les signaux de menaces ou d’opportunités.
Nouvelles approches
C’est alors que Michael Porter (école du positionnement) préconise dans son livre-clé, Choix stratégiques et concurrence, de mettre en place des actions offensives ou défensives pour créer une position défendable sur un segment de marché afin de faire face avec succès à la concurrence.
Stratégie et management
Avec l’école entrepreneuriale il n’y a plus d’une part une stratégie à construire de manière scientifique et d’autre part un management performant consistant à la mettre en place ; les deux notions de stratégie et de management interréagissent. Si certaines décisions restent clairement du ressort de la direction générale (la vision, les valeurs, le dessein de l’entreprise), l’aspect bottom-up est réhabilité face au top-down.
Si les ressources et compétences de l’entreprise permettent d’atteindre ces positions, les chances de disposer d’un avantage concurrentiel sur les concurrents sont accrues. L’école des ressources et compétences répond à cette problématique. Dans ce contexte, les notions de valeur, vision, mission, métier sont mises en avant. Ce sont les guides généraux qui permettent de se libérer des contraintes de la planification et facilitent ainsi une adaptation permanente en s’appuyant sur des avantages compétitifs durables.
C’est alors que se dessine la distinction entre stratégie construite et stratégie émergente : faut-il théoriser son avantage concurrentiel ou laisser parler son intuition pour capter les « signaux faibles » et s’adapter en permanence ? Pour y répondre, les sciences cognitives, en mettant en avant la motivation du chef d’entreprise et des salariés, favorisent l’émergence de l’école entrepreneuriale. Celle-ci préconise d’inculquer un état d’esprit d’entrepreneur, pour le chef d’entreprise, mais aussi chez les salariés.
Une mise en œuvre décentralisée
La mise en œuvre de la stratégie-planification est décentralisée en suivant la ligne hiérarchique. Chacun des acteurs, responsable d’une partie du déploiement stratégique, dispose d’un document chiffré construit à partir d’une comptabilité analytique simplifiée où les charges sont réparties sur les sections et les produits. Le suivi s’effectue à partir de ce document. Dans le cadre de la stratégie-positionnement, le développement de l’environnement concurrentiel a des conséquences sur l’organisation interne des entreprises. On passe d’une structure hiérarchique et compartimentée en centres de responsabilité à une gestion transversale des processus illustrée en particulier par la notion de « chaîne de valeur » développée par Michael Porter.
Nouvelle comptabilité analytique
Pour intégrer la notion de chaîne de valeur, la comptabilité s’enrichit d’une comptabilité basée sur les activités ou comptabilité ABC (Activity Based Costing). La mise en œuvre de la stratégie s’opère à travers une organisation transversale (et non plus hiérarchique). Le suivi s’effectue à travers le Tableau de bord prospectif (TBP).
Aussi bien pour la stratégie-planification que pour la stratégie-positionnement, le suivi de la performance s’effectue à travers des tableaux de bord standards qui sont des outils exclusivement financiers et d’origine comptable, tournés vers le contrôle de la performance passée et non reliés à la stratégie. À partir de 1992, la Balanced Scorecard ou TBP, développé par Norton et Kaplan, répond à cette objection.
En effet, il se présente comme un ensemble d’indicateurs directement reliés à la stratégie de l’entreprise et offrant à ses utilisateurs l’opportunité de piloter tous les déterminants de la performance.
Analyse à court terme
L’analyse financière et la stratégie ont évolué en parallèle mais sans véritables liens. Au cours de l’histoire de la stratégie, les entreprises poussées par la concurrence ont privilégié le moyen terme en s’appuyant sur l’analyse stratégique, leur comptabilité analytique et de nouveaux outils tel le TBP. Elles ont ainsi intégré la concurrence dans leur approche stratégique, modifié leur organisation (de hiérarchique à transversale) et développé des tableaux de bord plus adaptés à cette nouvelle donne en mettant en place le TBP.
Les banques ont donné la priorité au court terme faute de pouvoir appréhender le futur
Au cours de l’histoire financière, les banques ont utilisé des outils d’analyse des entreprises en suivant les normes comptables (au détriment de la valeur économique), en donnant la priorité au court terme (faute de pouvoir appréhender le futur) et en négligeant le plus souvent les aspects stratégiques de l’entreprise.
Réalisme et fiabilité
Pour une meilleure appréciation des perspectives et des risques de l’entreprise, il nous semble important que les partenaires financiers intègrent, dans leur analyse des entreprises, les aspects stratégiques. En effet, cette intégration présente deux avantages. Tout d’abord celui d’approcher de plus près la réalité économique, comme l’illustre, par exemple, la prise en compte des dépenses engagées pour maintenir la compétitivité.
Position concurrentielle
On peut considérer que les dépenses engagées par une entreprise pour maintenir sa position concurrentielle lui permettent de poursuivre son développement selon un trend prévisible et peu risqué. Toute dépense supérieure à ce seuil (pour tenter d’augmenter sa position concurrentielle) doit être isolée pour ne pas fausser l’appréciation du résultat d’exploitation et donc être reclassée en charges exceptionnelles. Toute dépense inférieure à ce seuil a pour effet d’améliorer à court terme le résultat d’exploitation de l’entreprise mais dégrade la position concurrentielle de l’entreprise. Les impacts à moyen terme d’une telle situation doivent être évalués pour apprécier les risques de détérioration de la situation de l’entreprise.
Le second avantage est d’établir des prévisions plus fiables selon un processus en trois étapes : établir des prévisions à partir de la base actuelle de résultat connu, en prenant en compte les évolutions prévues de l’environnement et en intégrant des éléments d’exploitation déjà acquis ; puis intégrer dans les prévisions les impacts (positifs ou négatifs) des décisions stratégiques déjà prises ; enfin intégrer les coûts et les bénéfices résultant des actions stratégiques prévues en retenant un ou plusieurs scénarios.
Ces démarches permettent de mieux appréhender le potentiel de l’entreprise et des risques qu’elle prend (ou qu’elle subit).