L’immigration clandestine en France : mécanismes et conséquences
Phénomène commun à la quasi-totalité des pays développés, l’immigration clandestine présente en France des caractéristiques particulières en raison de notre passé colonial et de nos départements et territoires d’outre-mer. La commission d’enquête mandatée par le Sénat a permis de dresser un tableau des mécanismes d’immigration irrégulière et d’évaluer la pertinence des dispositifs de contrôle. Autant d’éléments indispensables pour définir une politique conciliant l’efficacité et le respect de la dignité humaine.
Du rapport sénatorial, il faut retenir quelques points essentiels.
Tout d’abord, la désagréable surprise de constater une grande indigence des statistiques officielles. Les estimations du ministère de l’Intérieur sont très floues et vont de 200 000 à plus de 400 000 clandestins pour la seule France métropolitaine. Ensuite, plutôt que de parler d’immigration clandestine, il conviendrait de parler d’immigration » irrégulière » : on entre de manière légale, avec par exemple un visa touristique, puis l’on reste au-delà du délai légal en se faisant remarquer le moins possible ou bien en faisant une demande d’asile. En troisième lieu, il faut faire une distinction majeure entre la situation de la métropole et celle des départements et territoires d’outre-mer.
Enquête sénatoriale
En novembre 2005, le Sénat a mis sur pied une commission d’enquête de 22 parlementaires sur l’immigration clandestine.
Son président était Georges Othily, sénateur de la Guyane, et son rapporteur l’auteur du présent article.
La commission a organisé soixante-quinze auditions officielles d’associations, d’universitaires, de psychologues, de juristes spécialistes du droit du travail, etc.
Elle a visité sur place des centres de regroupement et des bidonvilles à Lyon, à Marseille, en région parisienne, à l’aéroport de Roissy. Elle s’est rendue en Guyane, à la Guadeloupe et Saint-Martin, sur les îles de Mayotte, la Réunion et Grande Comore, nous avons même envoyé une mission de collecte de renseignements en Roumanie…
Le rapport d’enquête a été publié en avril 2006.
Si en métropole la proportion des clandestins atteignait celle de l’outre-mer, ceux-ci y seraient 18 millions ! Les » clandestins » sont 19 000 à Saint-Laurent-du-Maroni, à la frontière ouest de la Guyane, sur une population totale de 35 000 habitants.
19 000 clandestins sur 35 000 habitants à Saint Laurent du Maroni
Ils sont 4 500 dans le village de Mamoudia dans l’île de Mayotte. Les clandestins de la Guadeloupe et de Saint-Martin sont bien souvent des Haïtiens fuyant la misère, tout comme à Mayotte, les Comoriens de Grande Comore et d’Anjouan. Les clandestins de Guyane sont essentiellement des Surinamiens, dont le pays a subi une longue guerre civile, il leur suffit de franchir le Maroni, il y a aussi dans ce département quelques Brésiliens cherchant l’or ou le caoutchouc dans les profondeurs de la forêt et vivant en groupes particulièrement violents.
Bien entendu nous sommes conscients que la misère des clandestins est le problème principal et que développer ou » codévelopper » les pays de départ serait la meilleure solution. Les méthodes utilisées jusqu’ici, en particulier l’aide financière d’État à État, n’ont pas, de loin, donné les résultats espérés. Trop de fonds disparaissent dans la corruption. Désormais les ambassadeurs de France sont chargés de reconnaître les projets sérieux et de gérer les fonds de l’aide.
Des méthodes et des filières bien rodées
Quelles méthodes les clandestins utilisent-ils pour améliorer leurs chances et essayer de légaliser leur situation ?
La première action est de détruire systématiquement tous les papiers officiels les concernant : il ne faut pas qu’ils puissent être identifiés. Ajoutons‑y la très courante fraude documentaire, les maternités sur le territoire français, les mariages de complaisance et les fausses reconnaissances de paternité.
Des demandes d’asile en diminution :
57 000 en 2004 puis 52 000 en 2005 et environ 35 000 en 2006 (pour la France métropolitaine). Ces demandes proviennent de plus en plus souvent d’Européens de l’Est. Les taux d’acceptation sont de l’ordre du tiers.
Bien entendu un certain nombre de légendes sont colportées par les passeurs qui y ont intérêt. Ils tentent de convaincre les candidats au départ en leur disant qu’ils auront automatiquement la nationalité française si leur enfant naît sur le territoire français. Ce n’est pas vrai bien sûr, seul l’enfant aura cette nationalité, sur sa demande, à l’âge de dix-huit ans.
Précisons que les passeurs des Comores demandent 150 à 200 euros pour un passage et utilisent des barques rapides à moteur pouvant embarquer jusqu’à trente clandestins. Bien entendu les tentatives de passage ont en général lieu de nuit et les passeurs n’hésitent pas à jeter leurs passagers à la mer s’ils estiment que le risque d’un contrôle est trop élevé.
Une situation kafkaïenne que le gouvernement s’est efforcé de corriger
Comment réagissent les autorités françaises ? En organisant un recensement et en réduisant les droits coutumiers d’une part, et en augmentant les contrôles et les moyens de la Marine nationale (radars) ainsi que la reconduite immédiate des clandestins pris sur le fait. D’ailleurs ceux-ci n’essaient pas, en général, d’utiliser des moyens juridiques pour retarder leur expulsion, ils la prennent avec fatalisme, se disant qu’ils réussiront la prochaine fois.
En métropole, la méthode la plus courante est le visa de tourisme valable trois mois, puis l’on reste en se fondant dans la masse ou en faisant une demande d’asile à l’OFPRA (Office français pour les réfugiés et les apatrides). Le récépissé de la demande vous donne le droit de rester jusqu’à la décision de l’Office à votre sujet, ce qui prenait couramment trois ans… plus tous les recours administratifs ! Précisons que pendant ce temps vous n’aviez pas le droit de postuler à un emploi, mais au bout de dix ans vous obteniez une régularisation de droit. C’était une situation kafkaïenne que le gouvernement s’est efforcé de corriger en augmentant les ressources de l’OFPRA. Désormais la plupart des dossiers sont traités en moins d’un an.
La troisième filière est le travail clandestin. Les filières, en particulier chinoises, sont très bien organisées. Le clandestin a un voyage entièrement préparé, avec des contacts successifs bien prévenus, un logement d’arrivée qui l’attend et un travail dans ses compétences. Ces clandestins travaillent surtout dans le bâtiment, la restauration, la domesticité, mais aussi dans la prostitution, y compris la prostitution des jeunes garçons, prostitution florissante à Marseille avec des jeunes gens venus d’Afrique du Nord.
Un problème général et européen qui appelle de nouvelles approches
Les mesures de contrôles mises en oeuvre sont nombreuses (voir encadré), mais toutes n’ont pas l’effet attendu. Ainsi l’aide au retour volontaire n’a que peu de succès : 2 000 seulement en 2006. Par contre il y a du progrès dans la répression contre les passeurs (1 400 arrestations en 2003 et 3 200 en 2006) et contre les employeurs de travail au noir (1 300 actions en 2003 et 2 000 en 2006).
Des mesures de contrôle renforcées
Pour faire face à la situation les pouvoirs des maires ont été augmentés, la rétention administrative est passée de douze jours à trente-deux jours (Angleterre : trois mois), et l’on envisage la généralisation des contrôles pour 2008. Il y a eu environ 36 000 refoulements à l’entrée sur le territoire (ou juste avant) en 2006 – dont la moitié outre-mer – et les reconductions effectivement effectuées dans le pays d’origine sont passées de 10 000 en 2002 à 24 000 en 2006 pour la seule métropole. D’autres mesures ont été prises. À la demande d’entrée pour des raisons de santé et pour se faire soigner, on oppose désormais un refus si les soins nécessaires existent dans le pays de départ. La loi sur le regroupement familial exige désormais que le père qui accueille soit monogame et ait des ressources et un logement conséquents. On organise aussi des contrats d’accueil et d’intégration avec un stage approprié, enfin les mariages de complaisance sont rendus plus difficiles, plus contrôlés et moins attractifs (délais de naturalisation allongés, etc.).
Un point faible est l’absence de contrôle des sorties du territoire national, comme cela se fait systématiquement aux États-Unis. Il faut y réfléchir. Il n’y a pratiquement pas non plus de croisement des fichiers, l’Éducation nationale ne donne rien et le ministère de la Santé peu de renseignements ; il y a tout de même des progrès du côté de l’Insee.
Bien entendu le problème des clandestins est un problème européen général. La » régularisation Jospin » de 300 000 clandestins en 1998 a créé un » appel d’air » pour beaucoup de nouveaux clandestins dont une grande partie était déjà installée dans d’autres pays d’Europe.
Les récentes régularisations massives en Espagne et en Italie ont eu des effets analogues. L’île de Malte, aux prises avec une situation difficile, demande avec raison une harmonisation des politiques européennes, une généralisation et une amélioration des moyens de contrôle avec bien davantage d’échanges de renseignements.
Le débat actuel porte aussi sur l’immigration subie ou choisie. Je pense qu’il est important de dire bien haut ce que l’on veut, et pour cela de commencer par le savoir ! Bien entendu des contrats précis dans le bâtiment, la restauration et pour les saisonniers en agriculture seront d’un effet très bénéfique. Le cas des étudiants est particulièrement décisif. Les étudiants ayant terminé leurs études sont très nécessaires à leur pays d’origine et il n’est pas concevable qu’ils restent au chômage en Europe pendant des mois et des mois. Pour terminer sur un point positif je dirai que nous développons un système de crédit-développement pour permettre aux étudiants étrangers les plus performants d’être particulièrement utiles à leur pays.
Le débat actuel porte sur l’immigration subie ou choisie
Les problèmes de l’immigration, et en particulier ceux de l’immigration clandestine, ont pris une dimension nationale et sont particulièrement préoccupants dans la France d’outre-mer. Heureusement le laisser-aller qui avait cours naguère, et qui était très préjudiciable aux clandestins eux-mêmes, abandonnés aux exploiteurs de travail au noir et aux marchands de sommeil, ce laisser-aller a pris fin et vous avez pu voir le nombre considérable des mesures de toutes sortes que nous avons prises.
Certes, tout ceci n’est qu’un début et le combat pour une plus grande dignité de l’immigration sera de longue durée, mais la partie est bien engagée, elle peut et doit être gagnée.
Cet article est extrait d’un exposé présenté au groupe X‑Démographie-économie-population.
Quelques questions
Faut-il en arriver à réduire les droits sociaux pour diminuer l’attrait de l’immigration ?
En fait les irréguliers n’ont aucun droit social, mais il y a des fraudes de toutes sortes.
Est-il vraiment utile de contrôler aussi les sorties comme le font les Américains ?
Bien sûr. Des renseignements nombreux, importants et fiables permettent de contrôler et d’améliorer beaucoup nos connaissances statistiques et donc de diriger beaucoup mieux aides, préventions et répressions. De plus cela permettra une bien meilleure harmonisation européenne.
Que deviennent la Couverture maladie universelle et l’aide médicale d’État ?
Elles explosent, c’est un grave souci. Nous sommes très généreux et nous en arrivons à dépasser nos moyens.
Pour éviter le travail au noir dans le BTP, ne vaudrait-il pas mieux y augmenter les salaires afin de pouvoir embaucher des Français ?
Mais les salaires y sont déjà élevés. En fait ces travaux demandent une grande qualification que peu de Français se sont donné la peine d’obtenir.
Quelle connaissance avons-nous des flux financiers sous-jacents ?
D’une manière générale, nous manquons d’évaluations des coûts et cela fausse complètement nos jugements. Nous nous étonnons de voir les éboueurs de Lyon travailler au noir pendant les après-midis, de voir un surveillant d’internat vivre dans un bidonville mais avec la télé et Internet. Il est finalement logique de voir des étudiants être en même temps professeurs de mathématiques. Les flux financiers envoyés dans leurs pays d’origine par les travailleurs immigrés sont en forte hausse, et cela est sûrement bien plus utile à ces pays que l’aide internationale dilapidée dans la corruption.
Comment expliquer la mauvaise fiabilité des statistiques françaises ?
Trop de préjugés idéologiques ont contribué à les fausser, il est temps de revenir à de saines mesures scientifiques sans complexes ni tabous.
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les causes de ce phénomèn
Pour le migrant, l’immigration peut avoir une ou plusieurs raisons :
• professionnelle (mission de longue durée à l’étranger) et études ;
• politique (réfugié politique fuyant les persécutions) ;
• sécuritaire, notamment en cas de guerre dans le pays d’origine ;
• économique (habitant de pays pauvres cherchant un meilleur niveau de vie dans les pays riches, éventuellement temporairement) ;
• personnelle (volonté de s’installer dans un pays par goût, par exemple si l’on se reconnaît dans ses valeurs) ;
• familiale (rejoindre le conjoint, l’enfant déjà installé).
• fiscale (l’installation dans un pays offrant un niveau d’imposition moins élevé)
Pour les États, l’immigration peut permettre de faire face à un déficit des naissances ou encore assurer une quantité ou qualité de main-d’œuvre suffisante. Toutefois, l’immigration illégale va au-delà des souhaits des pays d’accueil. Aujourd’hui, les flux de migrations sont orientés aussi bien des pays en développement vers les pays développés que d’un pays développé vers un autre. Les plus forts taux de travailleurs immigrés dans la population active se retrouvent dans les pays du Golfe Persique : 90 % aux Émirats arabes unis, 86 % au Qatar, 82 % au Koweït. Un migrant peut ne pas être en règle au regard de la législation sur l’immigration en vigueur dans le pays de destination.
& pourtant le racisme & la xénophobie donnent une autre vue sur le côté sentimental des immigrants