L’Importance d’être Constant
Le métier de comédien s’apprend, ou du moins le devrait-il. Voilà la raison pourquoi il convient de se méfier des “ comédiens amateurs ” : personne ne leur a enseigné les ficelles du métier. On en vient même parfois à se demander s’ils savent seulement qu’elles existent, et que leur ignorance peut se révéler fâcheuse. Sans doute bien des amateurs possèdent-ils des dons innés, qu’un minimum de pratique du plateau leur permet de développer, pour le plus grand agrément des spectateurs. Pour peu qu’ils aient en outre le physique de l’emploi, ils se croient bons. Et ils le sont en effet, en répétition ou même en représentation intime, pareils à George Sand et ses amis sur le petit théâtre de Nohant, où la scène est plus grande que la salle, réduite à quelques fauteuils.
Ils se croient bons parce que, se conformant aux dons que leur a conférés la nature, ils sont en effet “ naturels ”. Mais le hic est que personne ne possède, de naissance, le don de se faire entendre des spectateurs du dernier rang sans hurler, même dans une salle de taille moyenne. Or c’est bien ce que l’on attend, je serais tenté de dire d’abord, d’un comédien. Et comme il ne peut s’agir d’un don, c’est précisément cette pratique qui s’apprend. Elle passe, en premier lieu, par la qualité de la diction, mais une bonne diction n’est pas tout. Il ne suffit point de s’abstenir de manger des syllabes pour être compris, il faut en outre maîtriser la technique de la respiration ventrale, celle du chat qui dort, pas celle du sportif. Et cette pratique n’est pas naturelle du tout. Seuls de laborieux exercices peuvent en faire une seconde nature, un réflexe à quoi l’on ne pense plus. Tous les gens de métier le savent bien. Les comédiens amateurs l’ignorent trop souvent.
De sorte que s’ils sont naturels sur scène et y susurrent de leur voix naturelle des douceurs à leur dulcinée, même les spectateurs du premier rang ne les comprendront pas. Être naturel et paraître naturel sont en la matière deux choses bien différentes.
Je me faisais ces réflexions l’autre soir en assistant à une représentation, par une jeune troupe pourtant bien sympathique, de L’Importance d’être Constant d’Oscar Wilde. Amusante satire de la gentry anglaise victorienne, où l’on entend une lady à principes déclarer à l’orphelin prétendant à la main de sa fille que “ perdre un parent est un malheur, mais perdre les deux devient de la négligence ”, elle se laisse voir avec plaisir.
Quoi qu’il en soit, le spectacle offrait bien des qualités : sobriété de bon aloi du décor, raffinement des costumes, victoriens à souhait, élégance et grâce des jeunes comédiennes, aisance des garçons sachant en général que faire de leurs mains, ce qui n’est pas si facile, croyez-moi. On ne pouvait en outre que dire du bien de la mise en scène, parfaitement réglée, où les gestes et les déplacements, jamais inutiles, paraissaient couler de source.
La diction aussi semblait bonne, du moins lorsque l’on entendait ce qui se disait sur scène. Circonstance hélas exceptionnelle : même au second rang, où nous nous trouvions, on ne percevait le plus souvent qu’une façon de murmure. D’évidence ces jeunes comédiens, plus ou moins amateurs me semble-t-il, n’avaient pas encore appris à respirer.
C’était grand dommage pour Oscar Wilde, dont on perdait beaucoup de l’humour mélancolique et fin. Cher Wilde, que l’on ne joue plus guère en France à présent, sans doute parce que les dizaines de personnages de ses pièces les ont rendues hors de portée de budgets peu subventionnés. Peut-être aussi parce qu’elles sont parfois un tantinet bavardes. Défaut hélas assez répandu en ce stupide XIXe siècle qui fut le sien.
Le théâtre de cet Irlandais n’est d’ailleurs pas fait seulement de pièces amusantes et gracieuses. On y trouve aussi des drames noirs, tels cette Véra ou les nihilistes, sorte de Hernani mâtiné de grand-guignol, où l’on voit une nihiliste au grand coeur, un tsarévitch ami du peuple, une grande abondance de conspirateurs, des ministres corrompus, un tsar plus couard qu’un rat musqué finissant assassiné. Un salmigondis à coup sûr injouable, quelque chose de pire encore que Les Mains sales du regretté Sartre.
Ce que l’on sait moins peut-être, c’est que Wilde maniait parfaitement notre langue : son dernier drame, Salomé, fut en effet écrit en français, à Paris où il se réfugia après ses malheurs et son emprisonnement à Reading. Cette Salomé qui servit d’argument à Richard Strauss (et à son librettiste von Hofmannsthal) pour composer son turgescent opéra du même nom. Il est d’ailleurs amusant de noter que les Anglais, revenus de leurs préjugés homophobes et victoriens et voulant faire du maudit un auteur bien de chez eux en publiant ses oeuvres complètes, durent faire traduire Salomé.
Quel dommage donc que tant de talent créateur, si varié, n’ait pas été mieux servi, faute de technique vocale, le soir de cette Importance d’être Constant !