L’indispensable évolution de la formation pour savoir “produire” dans un univers changeant et à haut risque
La révolution économique mondiale, la diffusion immédiate et volumineuse des informations, la volatilité des marchés provoquent l’émergence de nouveaux métiers et la transformation/disparition de nombreux autres. Le rythme d’apparition de nouveaux produits, les nouvelles technologies de l’information et de la communication bouleversent la vie de l’entreprise et son organisation. Il devient indispensable de replacer l’homme au centre de la valeur ajoutée sous peine de mort subite comme nous en voyons trop ! Réfléchir à l’avenir, avoir une stratégie long terme et en obtenir l’adhésion supposent que tous les acteurs soient réactifs et performants. Cet objectif sera atteint par la reconnaissance de tous les savoirs existants et la validation des acquis ainsi que par l’introduction d’une nouvelle vision de la formation continue en présentiel ou à distance.
La formation développement en est l’exemple.
Évolution du monde, des métiers
Alors que l’Europe se construit, que le monde évolue et que les cartes politiques sont redistribuées, l’entreprise connaît aussi des mutations organisationnelles et structurelles. C’est ainsi que les outils de management les mieux adaptés sont la planification stratégique, le code éthique et le benchmarking.
Mais cet état de fait ne peut obérer une autre réalité : la France se vide de ses industries, délocalise, licencie et perd ses savoir-faire et ses compétences. Combien de cadres talentueux démotivés ont quitté leur société parce que le climat y était devenu exécrable ?
Les entreprises dont les capitaux sont en grande partie tenus par des Américains et des Anglo-Saxons, par le biais des fonds de pension, sont-elles encore vraiment dirigées par leurs responsables ? N’est-ce pas plutôt l’actionnaire qui commande et donne ses ordres ?
Il n’en reste pas moins qu’il ne faudrait pas mélanger capital d’une société et valeur de l’entreprise. Ce sont les hommes, leurs savoirs et leurs compétences qui font la richesse de celle-ci.
Et l’on sait comment les plus de cinquante ans sont traités dans les entreprises. Ainsi, le DRH d’une grande société largement bénéficiaire a‑t-il pris des dispositions drastiques pour les plus de 56 ans : après deux bilans annuels trois voies sont possibles : la personne poursuit avec un niveau de performance et la rémunération correspondante… en cas de performance insuffisante, la personne est repositionnée, avec son accord, en termes de rémunération et de salaire… soit on assistera à « un accord mutuel sur la date de départ et les conditions pratiques de celui-ci« 1.
Le rôle de l’homme dans la valeur ajoutée
Les entreprises ne sont plus gérées comme elles l’étaient. Où sont les grands « patrons » charismatiques qui avaient une véritable stratégie d’entreprise, l’expliquaient à leurs collaborateurs directs et savaient s’appuyer sur les savoirs acquis des plus anciens. Les entreprises font maintenant des états financiers au jour le jour et, le nez dans le guidon, regardent leur évolution pour le court ou le moyen terme et obéissent d’abord aux actionnaires.
Les cas d’Alstom, de Vivendi, d’Air Littoral, etc., sont suffisamment éloquents à ce sujet. Or la vraie valeur de l’entreprise ne peut pas être fondée sur les chiffres, reflets du passé, car les indicateurs et les voyants utilisés : productivité, rentabilités financières restent classiques et entraînent des effets néfastes pour le tissu industriel français :
- la productivité. Si productivité s’entend CA/effectif -, la réduction des personnes les mieux payées ou la simple réduction d’effectifs entraîne une amélioration immédiate et factice de celle-ci !
- la rentabilité. Il y a plusieurs définitions officielles2 qui aboutissent toutes au même résultat : meilleure rentabilité à court terme, bénéfice immédiat ; par contre, aucune trace du développement durable de l’entreprise, de l’amélioration des conditions de travail, de la gestion prévisionnelle des compétences.
Mais la véritable rentabilité n’est-elle pas de fabriquer le produit ou le service dont la société a besoin, dans les meilleures conditions de qualité et de prix ? Doit-on créer le besoin à coups de millions d’euros investis dans le marketing3 ?
Un dirigeant n’ayant en général pas la main sur le prix du marché, n’agissant que sur les coûts pour augmenter sa marge, retombe sur le schéma précédent. Pourtant, une production de qualité faite dans les délais et satisfaisant le client ne repose-t-elle pas essentiellement sur la motivation de ceux qui la font ?
Combien d’entreprises ont ainsi rappelé « leurs Anciens » pour mieux utiliser leur patrimoine d’expériences ?
On a pu constater l’effet désastreux de cette fracture intergénérationnelle dans la dernière catastrophe sanitaire que notre pays a vécue.
Si la gestion des seniors avec leur participation n’est pas un problème secondaire pour les entreprises, elle est aussi le symptôme d’une maladie sociale grave qui se manifeste çà et là, par des parents abandonnés, comme l’étaient les chiens, et mourant seuls parfois sans que même leur dépouille soit acceptée par leur famille !
Cette catastrophe sanitaire n’est pas seulement le résultat d’une canicule éprouvante pour tous, mais le reflet d’une société sans repères et d’une croissance sans âme comme le souligne un rapport de l’Unesco.
On est loin de l’utopie que prophétise pour le XXIe siècle Jacques Attali, dans son ouvrage Fraternités où il souligne que « pour secourir le faible, il faudra le brancher sur un réseau ».
La validation des acquis d’expériences4
La loi de janvier 2002 a remplacé la validation des acquis professionnels (VAP) par la validation des acquis d’expériences (VAE). Le décret paru au Journal officiel permet la prise en charge par les employeurs des frais afférents à la VAE au titre du plan de formation du salarié. L’assouplissement des contraintes administratives peut permettre d’entrevoir là une amélioration notable du nombre de candidats. En effet, la dernière loi de 1992 permettant d’appliquer la VAP n’a pas connu grand succès.
Pourquoi la VAE ? Parce que les papy boomers sont souvent moins diplômés que les jeunes qui arrivent au même poste – ce qui explique également la fracture intergénérationnelle. Cette fracture freine les jeunes qui se sentent supérieurs puisque plus diplômés et ne voient pas que leur savoirs ne sauraient remplacer les savoir-faire, savoir être et compétences des plus « anciens ».
De même les « anciens » se sentant méprisés n’ont aucune motivation pour « léguer » leurs savoirs et leurs compétences à ceux qui arrivent dans l’entreprise.
Celle-ci doit alors utiliser la gestion des compétences pour préparer les « secondes parties de carrière » à obtenir ces fameux diplômes par la VAE (la France souffrant toujours de la maladie chronique du diplôme) et supprimer cette fracture afin de faciliter les échanges et le transfert des fameuses compétences.
C’est à l’entreprise de définir ses objectifs et les compétences dont elle a besoin. C’est donc à l’intérieur même de l’entreprise que l’on doit réfléchir, avec un regard neutre, objectif, réaliste et anticipateur, s’appuyant sur des valeurs (qualité de vie, satisfaction des clients, mise en réseau des talents…).
La VAE n’est pas assez connue, ni utilisée dans les entreprises, pourtant elle permet de diminuer la fracture intergénérationnelle et d’utiliser les savoirs et les compétences de chaque génération.
L’acte de formation peut et doit se penser autrement, d’une part, par l’introduction des NTIC qui permet un enseignement « à la carte », en fonction des acquis déjà repérés, et, d’autre part, parce que les compétences se développent en permanence de manière informelle dans le rapport à l’autre, dans l’action, dans le travail.
La formation développement
Il s’agit là d’une démarche d’ingénierie permettant la maîtrise et l’intégration des évolutions intervenant dans la vie des entreprises.
Elle se caractérise par une approche globale (elle traite la question du changement dans sa totalité), intégrée (elle est réalisée pour et par l’entreprise, avec son langage), fonctionnelle (elle répond à une problématique précise, analysée dans un contexte économique, social et humain, traitée dans une logique de développement).
Il a fallu que le contexte qui nous entoure se complexifie avec ce que cela comporte d’illisibilité des situations et d’inintelligibilité des conduites pour que l’approche systémique, qui caractérise la formation développement, ait droit de cité dans la formation et que l’on prenne conscience de deux faits majeurs qui en constituent le substrat :
- l’importance du concept englobant du développement durable,
- le rôle essentiel de l’apprenant dans l’acte formatif.
L’importance du concept englobant du développement durable dont l’enjeu est de créer un milieu favorable au développement économique et social et de ce fait facilitateur de l’épanouissement des personnes. Cela suppose de mettre en place :
- des stratégies évolutives construites sur une finalité qui combine performance économique, utilité sociale et respect de l’environnement,
- des projets adaptatifs laissant à l’individu un degré d’autonomie, un espace de liberté et une coresponsabilité dans son action.
Cela confère à la formation l’objectif de valoriser l’intelligence dans les conduites humaines dans la société, en général, et dans l’entreprise, en particulier.
L’homme doit être capable d’intégrer les incertitudes liées au changement, de gérer des risques, de contextualiser et de globaliser des situations, et passer d’une logique de territoire et d’indicateurs à une logique de mouvement et de création de valeurs.
La « formation développement » s’appuie sur un dialogue social de qualité.
Il s’agit non seulement de mieux faire savoir, mais de mieux faire comprendre la nature et l’intérêt des acquis techniques, économiques et sociaux en expliquant leurs buts, leurs résultats mais aussi leurs perspectives d’évolution pour répondre à une problématique de développement.
Rappelons, si besoin était, quelques éléments généraux de cette problématique de développement que tout responsable ne peut négliger dans sa fonction formative qu’elle s’exerce directement ou indirectement par service spécialisé :
- nous entrons dans une civilisation de services où chaque client est un marché et chaque acteur économique, un entrepreneur ;
- l’immatériel envahit de plus en plus notre société qui doit faire face à trois révolutions : la mondialisation, les technologies de l’information et de la communication, la génétique. Cela génère une perte de sens mais des remises en cause touchant les rapports de force économiques, la place de l’intelligence dans la production des biens et des services ;
- l’imagination créatrice est en passe de devenir le critère d’excellence de l’homme du iiie millénaire ; cela suppose de rompre des cloisonnements, des compartimentages de culture et de savoir, d’être capable de combiner des logiques contradictoires, de travailler et d’innover dans des groupes métis et des organisations polycellulaires ;
- à un ordre humain hiérarchisé et cloisonné se substitue un ordre humain multiple et dynamique, traversé par des réseaux dont l’importance croît d’une manière exponentielle, créant des communautés virtuelles à l’échelle mondiale.
Grâce aux NTIC, l’information acquiert le statut d’énergie de développement avec des propriétés quasi génétiques : organisations neuronales, village planète, espace agrandi, temps rétréci…
Le rôle essentiel de l’apprenant dans l’acte formatif
Ce qui se passe aujourd’hui est une révolution comparable à l’avènement de l’écriture. Cela nous oblige à repenser l’éducation comme un problème de citoyenneté dans une société en mutation, à réfléchir sur les savoirs pertinents dont on a besoin pour exister et vivre dans une démocratie durable reposant sur l’adaptation et l’amélioration continue et sur l’obligation de précaution et de sécurité.
On se doit de combiner intérêt individuel, employabilité économique et utilité sociale pour que chacun puisse progresser sur le champ de la connaissance, en vue de trouver son chemin de vie et anticiper sur les changements sociétaux auxquels il participera.
Préparer les étudiants de tous les âges à vivre dans l’incertitude, dans l’aléatoire, à affronter des contradictions et à tracer leur voie vers le savoir et vers l’altérité, cela est rendu possible, non pas par l’organisation des institutions éducatives relativement rigides et cloisonnées, mais par les NTIC qui constituent aujourd’hui le véhicule privilégié de dissémination et du partage de la connaissance.
La création des réseaux de savoir conditionne de nouveaux types d’activités formatives affranchies des contraintes de temps et d’espace (l’auto-formation, les formations ouvertes et à distance mais aussi le travail en équipe de projet), et facilite la formation tout au long de la vie pour celui qui a le désir permanent d’apprendre ou de se perfectionner.
L’autonomie de l’apprenant le responsabilise : il n’est pas dans la situation de dépendance « d’être formé » mais de « se former » à partir d’un projet personnel suivi et durable pour lequel il sera dans l’obligation de coopérer avec les autres, de gérer des tensions, de partager idées et moyens, de consolider des liens sociaux, etc.
Trois actions nous semblent nécessaires à la réussite de la « Formation développement ».
Se donner les moyens d’une éducation permanente, ouverte à tous et à tout âge !
Pour cela, au carrefour de la production des savoirs, les institutions éducatives, en particulier universitaires, doivent élargir leur champ de service à la collectivité aussi bien au niveau du sens de la connaissance qu’à celui des usages, des outils et des méthodes, autour de cet objectif : « bâtir la cité humaine » dans une perspective de progrès durable.
Dans la société cognitive où la matière grise est la principale richesse, transmettre, rencontrer, échanger, partager sont les bases d’une éducation vivante et les conditions d’un mieux vivre ensemble.
Favoriser des contenus formatifs interdisciplinaires !
Si l’on veut introduire une culture du changement, il faut dépasser les champs disciplinaires et introduire de nouveaux savoirs. Nous emprunterons à Edgar Morin(5) les sept savoirs qu’il nous propose et qui, pour l’instant, sont restés à l’effet d’annonce comme d’ailleurs beaucoup de réformes qui n’ont pas résisté aux pressions administratives et corporatistes.
Remarquons que formés et formateurs dans la formation développement en acte sont coproducteurs de contenus formatifs qui leur permettent, par l’échange et la confrontation, d’acquérir de nouvelles capacités cognitives, relationnelles et organisationnelles.
Valoriser l’espace d’apprentissage que représente l’entreprise
Pour cela, certaines conditions sont à remplir, entre autres :
- parcours professionnels lisibles,
- qualité de vie au travail améliorée,
- adhésion et respect d’une déontologie,
- management participatif…
Nous y ajouterons quelques exigences-clés qui sous-tendent la réussite de la formation développement :
- préférer à la sophistication des moyens et des procédures la valorisation de la personne et son droit à l’initiative pour qu’elle joue un rôle moteur,
- privilégier l’amplification des ressources (en particulier le gisement de compétences qui constitue l’esprit d’œuvre de l’entreprise), sur la croissance des moyens,
- décloisonner les efforts et refuser la parcellisation des solutions en développant l’aptitude à gérer les interfaces entre les services,
- donner ainsi la possibilité d’interagir avec les autres en maîtrisant la « connectique » des compétences et la mutualisation des savoirs et des expériences,
- rechercher la complémentarité et la cohérence dans les initiatives collectives en construisant des projets partagés reposant sur :
- une compréhension des problématiques en jeu,
– une conscientisation des intérêts des acteurs concernés,
– leur montée en compétence dans le travail d’équipe,
– une contractualisation claire et acceptée par tous.
La formation développement est un régulateur efficace des transformations induites par les changements d’un monde de plus en plus imprévisible et incertain où chaque décisionnaire doit relever le défi de la complexité et ne peut plus se réfugier dans la voie simple du taylorisme et du rationalisme cartésien pour planifier et organiser dans le consensus.
Il doit remplir sa mission, face à des contraintes temporelles drastiques, dans des espaces flous faits d’obstacles, de ruptures et de rejets où règnent les « dissensus » et où on est plus apte à déduire et à refuser qu’à décider et à agir.
La formation développement contribue à tonifier le tissu social et augmenter sa portabilité en projets.
_____________________________________________
1. Le Monde : Comment Unilog « repositionne » ses cadres de plus de 56 ans. Article publié le 29 juillet 2003 par Michel Delberghe.
2. Définitions données par annufinance.
3. Le Japon a vendu des millions de nouveaux lecteurs CD audio en changeant simplement leur couleur, créant ainsi une mode. Où sont les enfants qui acceptent de s’habiller avec des vêtements sans marque ?
4. Pour plus d’informations sur la VAE : http://vosdroits.service-public.fr
5. Edgar Morin : Les « sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur » – reproduit avec la permission de l’Unesco – Éditions du Seuil – sept. 2000.