L’industrie aéronautique israélienne
Parmi les « miracles » liés à la création, à l’existence et au développement de l’État d’Israël, IAI, l’Industrie aéronautique israélienne, occupe une place assez spéciale.
L’histoire d’IAI, cadette de cinq ans de l’État, va de pair avec les événements politiques, militaires, économiques et sociaux qui ont marqué l’évolution d’Israël dans sa forme moderne et profondément dynamique.
Itzhac BEN-ZWI a été chef de la Mission européenne d’IAI à Paris (1978−1981 et 1987–1993).
Césarée © AMBASSADE D’ISRAËL
Le profil d’IAI se distingue dans l’ensemble du paysage industriel du pays par trois caractéristiques qui sont à la base de sa ligne de conduite : l’audace, l’originalité et la vision de l’avenir. Tout en vivant dans la réalité, hélas toujours menaçante, et tout en faisant preuve de réalisme, IAI n’a jamais cessé de rêver, et a parfois eu la chance de voir ses rêves s’envoler avec succès !
Créée en 1953 par le gouvernement israélien1 comme station d’entretien et de réparation de matériel aéronautique, IAI est rapidement devenue le support industriel et technologique des activités de Tsahal2 en général, de l’armée de l’air3 en particulier, dont on connaît l’importance et le niveau professionnel. IAI a constitué un appui de grande valeur dans l’effort national visant à donner à l’armée de l’air une haute qualité et une grande puissance.
Parti avec un équipement, un personnel technique et une expérience professionnelle quasi nuls, Bedek4 a réussi à s’organiser assez rapidement pour suppléer aux besoins urgents de la jeune et débutante armée de l’air.
L’aide française de la « Belle Époque » des relations franco-israéliennes5 a été d’une importance capitale. La première génération d’IAI a été fortement marquée et doit énormément à la coopération avec l’industrie aéronautique française. Les générations plus jeunes, celles qui ont grandi avec l’embargo décrété après la guerre des Six jours, connaissent sensiblement moins bien, de façon plutôt fragmentaire, les produits, les technologies et les compétences aérospatiaux de la France. Elles connaissent mieux les produits et les technologies américains, et ont acquis une formation et une expérience professionnelle à l’américaine.
Un peu d’histoire
En 1959, IAI a acheté la licence de fabrication des avions Fouga Magister CM 170. En 1960, décolle le premier avion fabriqué en Terre Sainte, un Fouga de production israélienne.
Encore plus audacieuse a été, en son temps, la décision de développer un avion original de conception israélienne. L’ingénieur en chef d’IAI était à cette époque Moshe Arens6 et le PDG Al Schimmer, deux personnalités dotées d’une capacité visionnaire. IAI a ainsi opté pour un avion civil petit transporteur (« commuter »).
Ce projet a débuté dans les années 60. Le premier Arava, dûment certifié par la Federal Aviation Administration (FAA) des États-Unis et par d’autres organisations de l’aviation civile, a été vendu à partir de 1972. L’Arava fut un pas très important du point de vue de l’ingénierie. Il a beaucoup compté dans le développement technologique d’IAI et last but not least a été un de ses succès commerciaux : IAI a fabriqué plus de 100 appareils, vendus à l’étranger.
En fait, dans les années 607, IAI a vécu une période d’un dynamisme formidable, d’enthousiasme, d’émulation, de créativité, ainsi qu’un essor technologique et économique lequel, regardé avec le recul d’aujourd’hui, est particulièrement impressionnant.
IAI a mené une politique industrielle à plusieurs niveaux (voir encadré) et a simultanément introduit et assimilé les moyens modernes d’une industrie de haute technologie, en adoptant des systèmes informatiques et des systèmes de planification à court et long terme. Ces derniers ont constitué le cadre et les instruments permettant de définir chaque année en détail les prévisions et le contrôle des activités de l’année à venir.
Ressources humaines
Pendant ses quarante-cinq ans d’existence, IAI a employé près de 200 000 personnes, avec un pourcentage important d’ingénieurs, scientifiques, informaticiens, ainsi qu’un personnel technique qualifié.
Dans les années 1985–1987, IAI comptait au total plus de 22 500 personnes. Actuellement, elle emploie environ 13 500 personnes dans les quatre groupes de la société (voir encadré ci-après).
Résultats financiers
Depuis 1993, IAI, comme l’ensemble de l’aéronautique mondiale, a connu une période de crise. Selon les données les plus récentes, cette crise est en train d’être résolue, comme l’ont été en leur temps les graves problèmes qu’avait connus IAI en 1965–1967, en 1974 et en 1987. Ainsi, IAI a eu en 1997 un bénéfice de 22 millions de dollars, ce qui représente 1,5 % de son chiffre d’affaires.
Répartition des ventes d’IAI en 1997 | ||
Électronique Avions militaires BEDEK Avions civils Autres |
600 M US $ 370 M US $ 380 M US $ 300 M US $ 45 M US $ |
36% 22% 23% 18% 1% |
En 1997, les ventes d’IAI ont dépassé le 1,6 milliard de dollars (voir la répartition en encadré). Leur niveau est à peu près constant depuis 1989 (variations de 1,45 à 1,6), avec une part des exportations de près de 80 %, soit environ 1,3 milliard de dollars en 1997. Il est important de constater que, de nos jours, près du tiers des ventes8 sont civiles.
Le carnet de commandes a été à peu près constant entre 1989 et 1996 (entre 2,5 et 2,6 milliards de dollars), c’est-à-dire que IAI a signé chaque année de cette période de nouveaux contrats à l’exportation pour plus de 1 milliard de dollars (entre 1 et 1,25), qui s’ajoutent à un montant de 250 à 350 millions de dollars sur le marché intérieur, principalement militaire. En 1997, le montant des nouveaux contrats à l’exportation a été de plus de 2 milliards de dollars et le carnet de commandes a dépassé 3,5 milliards de dollars.
Les ventes par employé sont d’environ 125 000 dollars, ce qui pour Israël est un chiffre modeste, mais raisonnable (il faut plus de 150 000 dollars pour une bonne rentabilité).
Il convient d’observer que, durant l’année 1997, IAI a investi 34 millions de dollars en R&D, ce qui représente de l’ordre de 2 % de son chiffre d’affaires. L’industrie aéronautique ne peut renoncer ni à la recherche ni au développement, même en période difficile. Mais une société comme IAI a certainement besoin d’un volume de R&D plus important.
Activité aéronautique industrielle en Israël
L’activité aéronautique industrielle a commencé en Israël avec IAI. Depuis ses débuts et jusqu’à aujourd’hui, IAI est le noyau central de cette activité. En se développant, celle-ci est devenue de plus en plus complexe. Pour ses produits, IAI a eu besoin d’un large support industriel : des entreprises métallurgiques (forge, fonderie), mécaniques (fabrication de pièces, traitements, etc.), électroniques, des bureaux d’étude, etc., ont été créés. Durant les derniers dix à quinze ans, IAI a passé commande aux autres entreprises israéliennes pour un montant annuel de 250 à 350 millions de dollars. Beaucoup de ces entreprises industrielles ont développé leurs propres produits et technologies, et sont actives de manière indépendante sur les marchés internationaux.
Dans ce domaine, les entreprises les plus connues sont Rafael, Taas, Elbit, Tadiran, Elisra, El-Op, Tat, Carmel Forge, Cyclon.
Le chiffre d’affaires de l’intégralité des activités aérospatiales israéliennes9 est de l’ordre de 2,5 à 3 milliards de dollars par an. Leur effectif total est de l’ordre de 25 000 employés. À titre de comparaison, la totalité des activités industrielles en Israël correspond à un chiffre d’affaires de l’ordre de 15 à 20 milliards de dollars par an, pour un effectif de l’ordre de 250 000 employés.
Ces chiffres montrent clairement que, dans l’ensemble des activités industrielles d’Israël, la part de l’activité aérospatiale approche les 15 %. IAI contribue à approximativement 60 % de ces 15 %, d’où l’impact d’IAI sur l’ensemble de l’économie israélienne.
À titre de comparaison, l’industrie diamantaire a un chiffre d’affaires annuel de 1,5 à 2 milliards de dollars, tandis que l’industrie agricole se situe à environ 700 millions de dollars.
Il convient enfin d’appeler l’attention sur l’importance – en perspective – de l’introduction et du développement des technologies de pointe pour le profil général du pays, ainsi que leur incalculable portée pour son économie.
Grands programmes d’IAI
Les grands programmes d’IAI (voir encadré) concernent aujourd’hui des activités complexes et sont constitués de systèmes aérospatiaux, et non seulement de produits aérospatiaux. IAI est devenue depuis longtemps un « System House » possédant une compétence en matière de « management », des moyens technologiques, ainsi qu’une organisation de « marketing » pour initier, exécuter, financer et rentabiliser de tels programmes à l’échelle internationale. Bien entendu, ceci se déroule dans des proportions israéliennes !
La priorité dans les programmes d’IAI a été, et reste certainement, le développement, la fabrication et la modification d’avions, civils et militaires ; mais aussi, une grande partie de l’activité d’IAI est constituée des programmes dans le domaine de l’électronique.
Adaptation et souplesse : le Lavi
L’originalité, le pragmatisme10 et le réalisme qui caractérisent l’organisation d’IAI lui permettent de traverser avec une certaine habileté des périodes de tension et de surcharge de travail, ainsi que des périodes de crise.
Produits et services d’IAI
(liste non exhaustive)
Électronique
- Communication par satellite
- Système de défense contre les missiles sol-sol (programme Arrow/Hetz)
- Système de défense contre les missiles (programme Barak pour la marine)
- Radars
- EW
- Ordinateurs militaires
- Missiles tactiques
- Électro-optique
- C3I
- Navigation
Aviation militaire
- Kfir
- Phalcon AEW A/C
- Systèmes UAV
- Modernisation du F‑16
- Modernisation du F‑15 Eagle
- Modernisation du F‑4 Phantom 2000
- Modernisation du F‑5E
- Modernisation du Mig 21
- Modernisation de l’hélicoptère CH-53D
- Sièges résistant aux crashes
Aviation civile
- Jet d’affaires Galaxy
- Jet d’affaires Astra
- Sous-traitance du MD-11
- Sous-traitance du Boeing 777
- Nacelles
- Ingénierie aéronautique
- Composants de systèmes hydrauliques
- Trains d’atterrissage
- Systèmes de contrôle du vol
Aviation Bedek
- Conversion du B‑747
- Conversion du C‑130
- Maintenance de plateforme, révision et modernisation d’avions Boeing, Douglas et Lookheed
- Réparation, révision et retrofit de 30 types de moteurs
- Réparation et révision de 6 000 accessoires et instruments aéronautiques
- Matériaux composites avancés
En termes plus choisis, la souplesse de son organisation lui crée un certain avantage par rapport aux entreprises de ce genre et de ce gabarit, plus traditionalistes et plus conservatrices dans leur organisation.
C’est ce qui s’est passé avec le tristement célèbre programme Lavi…
Avec le programme Lavi, je pense avec regret que chacun en Israël a fait des erreurs : les hommes politiques, les militaires, les économistes, les journalistes, les ingénieurs.
Le programme initial a été conçu comme un petit avion de combat, un avion de petite taille qu’Israël était en mesure de concevoir, de développer, de construire et de financer. Il devait équiper l’armée de l’air comme un avion de masse. Ce projet avait été approuvé par le gouvernement d’Israël en 1980.
Le gouvernement de l’époque a approuvé ce projet, tout en mentionnant que le programme était particulièrement important pour l’industrie et l’économie du pays. Il était clair que l’armée de l’air pourrait toujours s’équiper avec des avions étrangers, notamment américains comme le F‑15 ou le F‑16.
Trois prototypes du Lavi ont été fabriqués. Tous les tests et essais ont démontré un succès technologique indiscutable, voire total. Les trois avions Lavi ont effectué plus de 100 vols, tous réussis avec de très bonnes performances. Le directeur du programme a reçu en mai 1987 la plus prestigieuse distinction nationale, le prix d’Israël.
Mais, un aspect avait été négligé, à savoir les coûts : l’avantage de construire un avion israélien concurrençant le F‑16 devait se trouver, outre dans ses bonnes performances, dans un prix incomparablement plus bas. Or, il s’est avéré que le Lavi, développé et fabriqué avec des financements américains, n’était pas sensiblement moins cher que le F‑16. Aussi, IAI ne pouvant pas être compétitif face aux Américains, le programme a‑t-il été arrêté le 30 août 1987.
Cet arrêt a été un coup très dur pour IAI, à beaucoup de points de vue. Il a touché l’ensemble du groupe d’une manière qui aurait pu lui être fatale. Mais, devant le désastre, il fallait réagir. Pragmatisme, inventivité et combativité réunis, IAI a découvert que le Lavi était une occasion exceptionnelle, voire unique, de développer des produits et technologies de pointe pouvant être utilisés indépendamment. Ainsi, après 1987, la vente sur les marchés mondiaux de produits et technologies de pointe a permis à IAI de réaliser des gains très importants, qui ont facilité le redressement – en moins de trois ans – de la société.
Conclusion et perspectives
Avant de brosser les perspectives d’avenir, je souhaiterais présenter quelques considérations personnelles. Dans le passé, et surtout pendant les années où j’ai été chef de la Mission d’IAI à Paris, j’ai beaucoup travaillé pour l’amélioration des rapports avec les sociétés françaises, que ce soit l’Aérospatiale, Dassault, Dassault Électronique, la Snecma, Thomson CSF, et beaucoup d’autres.
Les résultats ont été remarquables mais, il faut l’avouer, bien en deçà des possibilités voire plutôt modestes. Cependant, j’ai eu le sentiment que mes interlocuteurs, collègues et partenaires français, tenaient à ce que, quoi qu’il en soit, nous maintenions des liens, fussent-ils momentanément délicats ou fragiles.
Dans la conjoncture actuelle, l’intérêt de relancer les relations d’affaires bilatérales est évidement profitable aux deux parties. Bien que limité, le marché israélien est, sur le plan technologique et opérationnel, d’une importance majeure au plan mondial. D’autre part, les Israéliens sont très actifs sur les marchés internationaux11, où l’on trouve leurs produits et technologies, civils et militaires.
Je pense qu’une coopération entre les sociétés aérospatiales des deux pays, sous la forme d’une collaboration intelligente et professionnellement compétente doublée d’une politique économico-financière de perspective, peut donner une impulsion d’envergure, ainsi qu’une synergie pour mener les partenaires vers un nouvel essor. Comme les Israéliens vendent aujourd’hui aux États-Unis pour près de 750 millions de dollars par an, une telle coopération franco-israélienne, bien menée, pourrait augmenter de beaucoup la pénétration française et israélienne sur les marchés américains, et pas seulement américains !
Programme de modernisation du Phantom F‑4 de la Turkish Air Force, en cours à IAI/LAHAV Division. © ISRAËL AIRCRAFT INDUSTRIES
En ce qui concerne les perspectives d’IAI, il apparaît que les données qui existent déjà permettent d’être optimistes et de prévoir du travail, des développements, des ventes. Simultanément, la société a entrepris une restructuration qui la mènera à un rapport annuel meilleur que celui de 1997.
Pour les années 1998–2000, on envisage une croissance du chiffre d’affaires et une rentabilité accrue. Tous les domaines d’activité mentionnés plus haut continueront probablement leur développement. Il existe des programmes bien définis, qui constitueront le cadre technologique, économique, du développement et du marketing pour les cinq années à venir.
IAI tendra vers un chiffre d’affaires du niveau de 2 milliards de dollars en l’an 2000, comprenant 80 % d’exportations (~ 1,6 milliard de dollars), de nouveaux contrats à l’exportation pour un total annuel de 2 à 2,2 milliards de dollars, ainsi que des ventes de 300 millions de dollars sur le marché intérieur.
En ce qui concerne les développements dans le domaine des avions, seul le Galaxy sera poursuivi et introduit sur le marché.
Une petite société comme IAI doit être attentive à ce qui se passe dans l’aéronautique mondiale, car le monde attend une nouvelle génération d’avions. Mais elle doit également détecter et trouver les niches qui lui permettront de nouveaux développements et la pénétration dans des marchés qui seront créés de par le monde. Le potentiel d’IAI dans la haute technologie est tellement important qu’il est à envisager de nouveaux programmes spectaculaires dans les prochaines années.
Enfin, parce que les industries aérospatiales d’Israël sont des industries modernes, avec des technologies de pointe, et surtout parce qu’elles utilisent les compétences professionnelles d’éminents ingénieurs et scientifiques – chacun avec ses ressources intellectuelles et professionnelles – je crois très fortement que ces industries ont devant elles l’avenir le plus positif au plan technologique, économique et du marketing.
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1. Il détient encore aujourd’hui la totalité des actions de la société.
2. Tsahal : acronyme de Tsava Hagana LeIsrael (Armée de Défense d’Israël).
3. « Heyl Avir » en hébreu.
4. IAI a fait ses premiers pas sous ce nom.
5. Les années 50 et 60.
6. Qui a par la suite mené une carrière politique et fut notamment ministre de la Défense dans les gouvernements Begin et Shamir.
7. Tant avant qu’après la guerre des Six jours.
8. Soit 533 millions de dollars en 1997.
9. Y compris l’électronique, l’avionique et l’optronique utilisées pour les activités aérospatiales.
10. La nécessité d’improviser et de faire face soudain à des situations totalement imprévues sont des épreuves qui laissent des traces : dura lex, sed lex.
11. USA, Extrême-Orient, pays d’Europe de l’Est et de l’ex-URSS, ainsi que dans plus de 100 pays.
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article très intéressant
Article très intéressant.
On serait très heureux d’y voir une suite sous forme d’actualisation plus récente d’un article qui date ! en tout cas merci pour toute ces informations passionnantes !