L’industrie automobile : dinosaure ou phœnix ?
Le terme de mutation revient périodiquement pour décrire la situation du secteur automobile. On le retrouve évidemment dans les années d’avant-guerre, où s’est construit le paysage industriel que l’on connaît ; dans les années 70 avec les crises du pétrole ; dans les années 80 avec la révolution des nouvelles normes d’efficacité venant du Japon et le déploiement spectaculaire de la robotisation des usines. Mais probablement jamais n’a‑t-on assisté à la conjonction de facteurs que l’on constate dans la situation actuelle, qui crée pour le secteur un momentum inédit.
On en veut pour preuve que les impératifs de lutte contre la crise climatique, qui voit une intrusion forte des politiques publiques dans les décisions technologiques et produits des constructeurs ; que les évolutions des comportements de mobilité où les clients potentiels privilégient de plus en plus l’accès à des services de mobilité efficaces, par rapport à la possession de véhicules perçus de plus en plus comme des objets polluants, coûteux et finalement peu pratiques ; la dynamique de la compétition, avec le déplacement d’un jeu concurrentiel dur mais policé entre les constructeurs de la triade (Europe, Japon, USA) vers une domination de plus en plus évidente d’acteurs de zones géographiques nouvelles (Corée, Chine) d’un côté et l’intrusion brutale de nouveaux prédateurs de valeur issus du monde numérique de l’autre ; les évolutions des dynamiques industrielles, où l’image de fleuron d’industrie nationale cède le pas à celle de l’emblème des délocalisations et de suppressions d’emploi à un moment où la reconquête de l’autonomie nationale devient un enjeu fort ; et enfin une image d’organisation du travail typique de « l’ancien monde », où les jeunes n’ont plus guère envie de se projeter.
Le tableau est certes sombre et les défis multiples, mais l’histoire montre que l’industrie automobile a su par le passé, tel un phœnix, trouver face à de telles crises les ressources pour assurer sa résilience, pour rebondir en se réinventant. Quel est aujourd’hui plus précisément l’état de ces contraintes et des acteurs qui les portent ? Quelles sont aujourd’hui les perspectives de réponse et de dépassement ?
Tel est l’objet de ce dossier. Des perspectives où, comme on le verra, l’imagination et l’intelligence des ingénieurs tiendront certainement un rôle central. Car c’est dans les moments de rupture, plus que dans le maintien des régimes permanents, que l’exigence d’une association de compétences scientifiques et techniques, d’une intelligence et d’une motivation conceptrice innovantes, et d’une capacité organisatrice devient centrale dans la réussite des projets.