L’industrie chimique française, un second qui résiste derrière l’Allemagne
Si la taille de l’industrie chimique française n’a rien de comparable à celle du géant allemand, elle n’en reste pas moins un acteur économique important et dynamique, qui contribue positivement à la balance commerciale.
L’industrie chimique allemande a toujours été, depuis ses origines dans les colorants textiles, beaucoup plus puissante que son homologue française. Elle reposait depuis les années 1860 sur de grandes entreprises autonomes et diversifiées. Après de premières ententes sous la forme de cartels, la fusion de huit entreprises de la branche donne naissance en 1925 au géant IG Farbenindustrie, qui domine la chimie mondiale de manière écrasante avec un effectif initial de 94 000 salariés, porté à 138 000 en 1938 avec le développement de ses activités sous le régime nazi. Une opération semblable, à moindre échelle, a lieu en 1926 entre quatre entreprises anglaises pour donner naissance à Imperial Chemical Industries (ICI), qui compte 33 000 employés.
Une industrie française divisée
En France, le projet d’Union chimique porté par Kuhlmann échoue du fait notamment de l’opposition de Saint-Gobain. Seules des fusions plus restreintes, comme celle de la Société chimique des usines du Rhône et des Ets Poulenc Frères en 1928, sont réalisées. Les différents groupes français ne couvrent pas l’ensemble du spectre des activités, de la chimie minérale ou organique à la pharmacie. Seuls Kuhlmann et Rhône-Poulenc sont de purs acteurs de la chimie ; Pechiney et Ugine sont d’abord des entreprises métallurgiques, Saint-Gobain une manufacture de verre ; aucun n’atteint dix mille salariés dans la branche. Mais, même divisée, l’industrie chimique, avec la construction de nombreuses usines pendant la Grande Guerre pour répondre aux besoins stratégiques en phénol ou en chlore, et le développement d’une industrie nationale des colorants qui n’existait guère avant 1914, occupe dans les années 1920 une position renforcée sur le marché national, mais aussi à l’exportation. Au point que les Allemands s’en inquiètent et obligent Kuhlmann en 1929 à la formation, avec ICI et les Suisses, d’un cartel européen qui fige les positions acquises. En 1940, l’IG Farben profite de la défaite française pour prendre le contrôle de l’industrie des colorants et de la pharmacie de Rhône-Poulenc.
REPÈRES
L’industrie chimique française est un acteur majeur de la chimie mondiale et de l’économie française : 2e rang en Europe après l’Allemagne et 7e rang dans le monde. Avec 60,6 milliards d’euros d’exports et 50,4 milliards d’euros d’imports, elle présente un solde industriel de 10,2 milliards d’euros. Elle emploie 166 500 personnes au sein de 3 000 entreprises, consacre 1,9 milliard d’euros à la R & D et dépense 3,1 milliards en investissements (chiffres de l’Union des industries chimiques, UIC, de 2018).
Erreurs stratégiques
L’effondrement du Reich en 1945 débouche sur un démantèlement de l’IG Farben imposé par les Alliés. À l’Ouest renaissent les entreprises BASF, Bayer et Hoechst, qui se font pendant des décennies une concurrence très cordiale. Au lieu d’un géant mondial, l’Allemagne en a trois… La France, qui avait l’usine de Ludwigshafen dans sa zone d’occupation, a dû rapidement renoncer à ses espoirs de contrôle de la BASF. L’industrie française est ensuite affaiblie par des erreurs stratégiques. Rhône-Poulenc récupère en 1961 la branche textiles artificiels du groupe familial Gillet qui se révèle être un boulet dans les années 1970. Pechiney, après avoir regroupé sa chimie en 1959 avec celle de Saint-Gobain, la cède en 1969 à Rhône-Poulenc, avant de récupérer deux ans plus tard celle d’Ugine et de Kuhlmann ! Les nationalisations de 1982 arrivent opportunément pour une branche en difficulté. Mais elles n’empêchent pas des restructurations massives. Rhône-Poulenc poursuit la fermeture puis la cession de ses usines textiles. Pechiney se recentre sur l’aluminium en abandonnant sa chimie à Elf Aquitaine.
“Le projet d’Union chimique porté par Kuhlmann échoue du fait notamment de l’opposition de Saint-Gobain”
Restructurations à l’échelle mondiale
Au tournant des années 2000, les groupes chimiques sont, dans le monde entier, confrontés aux pressions des milieux financiers pour éclater leurs activités qui obéissent à des cycles économiques différents. Aussi bien ICI que les Suisses, Hoechst, Bayer ou Rhône-Poulenc constituent des entités distinctes pour la chimie de base et la pharmacie, souvent regroupées entre elles ensuite. De nouveaux noms sortis de nulle part comme Aventis, Zeneca ou Novartis émergent. L’éclatement se traduit aussi par la transformation de grands sites chimiques en plateformes multientreprises ; les réseaux techniques n’imposent plus de liens économiques.
Domination germanique
Après la phase de restructuration mondiale, les Allemands restent dominants. BASF, délestée en 2000 d’une branche pharmaceutique mineure, est le premier groupe chimique mondial intégré (122 000 salariés). Bayer, recentrée sur la pharmacie et l’agrochimie, constitue, avec la reprise récente de l’encombrant Monsanto, un autre géant mondial (117 000 salariés).
Des perspectives encourageantes
De ce côté-ci du Rhin, la chimie de Rhône-Poulenc, autonomisée sous le nom de Rhodia avec de lourdes dettes, a été reprise par le groupe belge Solvay en 2011, qui, après la cession de diverses activités, n’emploie plus que 3 700 salariés en France. La chimie d’Elf Aquitaine, passée sous le contrôle de Total en 1999, s’est rebaptisée Arkema après le désengagement du groupe pétrolier en 2004 ; avec 20 000 salariés dans le monde, dont un bon tiers en France, le groupe est le leader français. Les plateformes chimiques allemandes comme Ludwigshafen (39 000 salariés), Leverkusen (32 600) ou Francfort-Hoechst (22 000) restent bien plus importantes que, dans l’Isère par exemple, celles de Roussillon (1 450 salariés) ou Pont-de-Claix (569). Mais la chimie française, avec un capital souvent étranger, se porte mieux que jamais. La plupart des sites historiques subsistent ; de nouveaux acteurs indépendants, même s’ils sont de taille modeste, comme Kem One ou Seqens, ont émergé. Avec de nombreuses TPE-PME, la branche emploie, hors pharmacie, 166 000 salariés ; elle occupe le deuxième rang
européen, loin derrière l’Allemagne certes avec ses 336 000 salariés. Elle se réclame d’être la première industrie manufacturière exportatrice, devant l’aéronautique et l’automobile. La globalisation des contraintes environnementales ne peut que favoriser des relocalisations d’une production chimique qui se veut verte.