Prix du kWh sur le marché de gros californien

L’industrie électrique en californie : comment le régulateur peut (mal) répartir la valeur entre acteurs ?

Dossier : Les services aux entreprisesMagazine N°568 Octobre 2001Par : Christophe MORET, vice-président du cabinet de conseil en stratégie Estin & Co

La déré­gle­men­ta­tion en Cali­for­nie s’est avé­rée désas­treuse, sauf pour les pro­duc­teurs. La loi de 1996 pré­si­dant à la réforme du sys­tème élec­trique cali­for­nien impo­sait un gel sur les tarifs aux clients finaux jus­qu’à l’a­mor­tis­se­ment par les uti­li­ties1 des coûts de tran­si­tion à la com­pé­ti­tion. Cette loi, en contrai­gnant les uti­li­ties à vendre leurs moyens de pro­duc­tion, les obli­geait à ache­ter sur le mar­ché de gros. Alors même que les tarifs finaux étaient gelés, les prix de gros ne se voyaient impo­ser aucun prix plafond.

Le réseau de trans­port est un autre fac­teur res­pon­sable de la situa­tion. Aucune aug­men­ta­tion de capa­ci­té n’est pré­vue avant 2007, alors même que 25 % de la consom­ma­tion cali­for­nienne pro­vient d’autres États. Quant au réseau de trans­port intra-cali­for­nien, il est vic­time d’un gou­lot d’é­tran­gle­ment au centre de l’É­tat (à Bakers­field), les capa­ci­tés de tran­sit y étant infé­rieures à celles des lignes venant du nord comme à celles venant du sud.

Les contraintes envi­ron­ne­men­tales pèsent éga­le­ment for­te­ment. Avec la ten­dance récente au rachat de cré­dits d’é­mis­sion NOx par des orga­ni­sa­tions envi­ron­ne­men­ta­listes et un parc ins­tal­lé consti­tué à 55 % de cen­trales vieilles de plus de trente ans, la Cali­for­nie se trouve dans une situa­tion de pénu­rie de moyens de pro­duc­tion effec­tifs tout à fait inédite. Les cré­dits d’é­mis­sion NOx, en deve­nant plus rares, ont très net­te­ment aug­men­té, pas­sant de 4 000 dol­lars la tonne au début des années 1990 à 90 000 dol­lars la tonne en jan­vier 2001, ce qui alour­dit d’au­tant les coûts des uti­li­ties. En décembre 2000, AES était condam­né à ver­ser 17 mil­lions de dol­lars à titre de dépas­se­ment de cré­dit d’émission.

À l’é­té 2000, San Die­go Gas & Elec­tric était auto­ri­sée par la CPUC, orga­nisme cali­for­nien char­gé de fixer les prix au client final, à réper­cu­ter les prix de gros sur les prix finaux ; il en résul­tait une hausse de 300 % des fac­tures. À la même période (où la consom­ma­tion en air condi­tion­né aug­mente sen­si­ble­ment la demande glo­bale d’élec­tri­ci­té), Paci­fic Gas & Elec­tric et Cali­for­nia Edi­son payaient sur le mar­ché de gros 1 400 dol­lars pour 1 MWh qu’ils ven­daient 64 dol­lars au client final, les price caps2 au détail n’é­tant pas contre­ba­lan­cés par des price caps au niveau des prix de gros.

La CPUC accep­tait, au début jan­vier 2001, d’aug­men­ter les prix entre 7 % et 15 %. Cette déci­sion se révé­le­ra pro­ba­ble­ment trop tar­dive et trop timide (les uti­li­ties estiment que seule une hausse supé­rieure à 30 % pour­rait les sau­ver de la ban­que­route annoncée).

Dans le même temps, les pro­duc­teurs bat­taient des records : Reliant enre­gis­trait un résul­tat opé­ra­tion­nel de 90 mil­lions de dol­lars sur la pro­duc­tion en Cali­for­nie au troi­sième tri­mestre 2000, repré­sen­tant 30 % du résul­tat opé­ra­tion­nel total de la branche pro­duc­tion et plus du double du résul­tat 1999 de celle-ci sur la même période. Quant à Dyne­gy, son résul­tat avant impôt pas­sait de 22 à 106 mil­lions de dol­lars sur la même période.

Cette déré­gu­la­tion mal maî­tri­sée a conduit à des com­por­te­ments irra­tion­nels. Ain­si CalPX, l’o­pé­ra­teur indé­pen­dant du réseau, cen­sé four­nir uni­que­ment les uti­li­ties, s’est vu dans l’o­bli­ga­tion de trou­ver des appro­vi­sion­ne­ments jus­qu’à la hau­teur de 30 % de la demande de l’É­tat, se retrou­vant dans un rôle qui n’est pas le sien, celui de tra­der, dans lequel il s’est plu­tôt mal débrouillé.

Plus frap­pant encore, des gros clients indus­triels élec­tro-inten­sifs (dont les pro­duc­teurs d’a­lu­mi­nium Kai­ser et Alcoa) ont déci­dé d’in­ter­rompre leurs opé­ra­tions afin de vendre au prix fort l’élec­tri­ci­té qu’ils achètent à bas prix dans le cadre d’un contrat à long terme, et d’é­vi­ter de payer leur appro­vi­sion­ne­ment com­plé­men­taire à un prix exces­sif. Ain­si Kai­ser, qui avait ache­té son élec­tri­ci­té en octobre 1996 pour cinq ans à 2,26 cents/kWh, la revend actuel­le­ment à son four­nis­seur (la Bon­ne­ville Power Admi­nis­tra­tion) entre 30 cents en heures creuses et 82 cents en heures pleines. L’en­tre­prise attend 52 mil­lions de dol­lars de cette vente et ne compte pas rou­vrir son site (pro­dui­sant 90 000 tonnes par an) avant l’é­chéance de son contrat d’ap­pro­vi­sion­ne­ment en octobre 2001.

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P.-S. Les choses bougent vite, mais sans que la solu­tion ne se rap­proche pour autant : mars 2001 a vu les tarifs aux clients finaux aug­men­ter de 40 % en moyenne, PG & E décla­rer ban­que­route et se pla­cer sous la pro­tec­tion du cha­pitre xi, Cali­for­nia Edi­son revendre son réseau à l’É­tat de Cali­for­nie pour un prix (exces­sif) de trois mil­liards d’eu­ros (ceci afin de réduire sa dette).

L’É­tat de Cali­for­nie porte main­te­nant le défi­cit (à peine enta­mé par les 40 % de hausse des prix) pro­ve­nant du déca­lage entre prix de gros et de détail.

L’hi­ver 2001 pro­met d’être chaud. Pas d’a­mé­lio­ra­tion du réseau de trans­port enga­gée, pas de construc­tion de nou­veaux moyens de pro­duc­tion men­tion­née, pas de relâ­che­ment des contraintes éco­lo­giques envi­sa­gé. Pire : si les mili­tants éco­lo­gistes par­viennent un tant soit peu à leurs objec­tifs, la sau­ve­garde des sau­mons impli­que­ra une réduc­tion de la pro­duc­tion hydro­élec­trique dans le bas­sin de l’O­re­gon, prin­ci­pale source exté­rieure d’éner­gie élec­trique pour la Californie…

Estin & Co est un cabi­net inter­na­tio­nal de conseil en stra­té­gie basé à Paris, Londres et Genève. Le cabi­net assiste les direc­tions géné­rales de grands groupes euro­péens et nord-amé­ri­cains dans leurs stra­té­gies de croissance. 

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1. Uti­li­ty = com­pa­gnie exploitante.
2. Price cap = prix plafond.

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