L’industrie européenne sortira grandie de l’épreuve du règlement Reach
REPÈRES
Le règlement européen Reach (enregistrement, évaluation, autorisation des substances chimiques) a été adopté par le Conseil et le Parlement européens le 18 décembre 2006. Ce règlement comporte un calendrier de dépôt de dossiers, entre 2010 et 2018, en fonction des tonnages annuels produits et commercialisés.
REPÈRES
Le règlement européen Reach (enregistrement, évaluation, autorisation des substances chimiques) a été adopté par le Conseil et le Parlement européens le 18 décembre 2006. Ce règlement comporte un calendrier de dépôt de dossiers, entre 2010 et 2018, en fonction des tonnages annuels produits et commercialisés.
La première échéance était fixée au 30 novembre 2010, date à laquelle toutes les substances chimiques produites ou commercialisées à plus de 1 000 tonnes par an auront dû être enregistrées auprès de l’Agence chimique européenne (ECHA) dont le siège est à Helsinki (Finlande). Certaines substances chimiques à très haut risque, telles que les produits cancérigènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction et les substances à risque équivalent, dont la liste doit être établie par l’Union européenne, doivent faire l’objet d’une autorisation préalable sur la base d’une demande introduite par l’industriel.
Il incombe désormais aux industriels de faire a priori la démonstration de la maîtrise des risques alors que précédemment les autorités devaient d’abord lister les substances à haut risque, dites « prioritaires », pour interpeller ensuite l’industrie en lui demandant d’apporter des informations sur la bonne maîtrise des risques et enfin décider éventuellement de mesures de restriction voire d’interdiction d’usage.
Il incombe aux industriels de faire a priori la démonstration de la maîtrise des risques
Le dossier déposé auprès de l’Agence chimique européenne (ECHA) doit suggérer d’éventuelles études complémentaires, et apporter la démonstration que ces risques sont convenablement maîtrisés grâce aux mesures de prévention et protection et aux règles d’utilisation des produits.
Le dossier est évalué sous la responsabilité de l’ECHA, par des experts des gouvernements. Si la conclusion en est positive, c’est-à-dire si les éléments inclus par l’industriel dans son dossier paraissent suffisants pour estimer que la substance chimique est convenablement maîtrisée pour les usages prévus au dossier, la substance est déclarée » enregistrée » et sa production ou sa commercialisation en Europe peuvent se poursuivre.
Reach est né de l’insuffisance de la réglementation antérieure laquelle n’avait pu traiter qu’un trop petit nombre de substances : quelques dizaines de substances au regard de quelques centaines de produits listés » prioritaires » par les autorités et d’un « inventaire » de plus de cent mille substances déclarées existantes.
Une ambition et une contrainte
Une mobilisation de l’industrie
À ce défi sans précédent, l’industrie chimique européenne et ses fédérations nationales et européennes ont répondu par une mobilisation comparable : contribution à toutes les phases du processus législatif et de la mise en place des instruments d’application pour proposer des modalités pratiques fondées sur l’expérience de la gestion du risque en industrie ; diffusion mensuelle d’informations auprès des entreprises avec des check-lists des étapes préparatoires à remplir, offre de formations Reach, sessions de préparation à Reach, groupe de liaison avec l’ECHA pour identifier les problèmes d’application et trouver des réponses pragmatiques, etc. Le Cefic (la fédération européenne) a également créé une filiale, ReachCentrum, pour gérer les consortia de préparation des dossiers d’enregistrement.
Ce constat fait à la fin des années quatre-vingt-dix, conjugué à une aversion grandissante de la société face aux risques, a conduit à une refonte complète de la réglementation débouchant sur une remise à plat systématique de la connaissance des produits chimiques et de l’évaluation de leurs risques.
Ce faisant l’Europe s’est donné une ambition – et une contrainte – sans précédent dans le monde : mettre à jour l’information sur les produits chimiques et (ré)évaluer les risques correspondants pour environ 30000 substances en une dizaine d’années ; c’est-à-dire faire en dix ans cinquante fois plus que ce que l’on avait difficilement réalisé au cours des dix années précédentes. On mesure ce que cela implique en termes d’efforts, d’organisation et de coûts pour l’industrie et pour les autorités publiques.
Ensemble et de concert
Il n’y a évidemment pas un seul producteur pour chaque substance devant être enregistrée et le processus doit donc être conduit par l’industrie agissant « ensemble et de concert ». De plus, l’intention louable d’éviter la multiplication de tests similaires pour une même substance qui conduirait à un nombre excessif d’essais sur animaux a justifié l’introduction du principe de soumission d’un seul dossier d’enregistrement pour chaque substance, à déposer conjointement par toutes les entreprises intéressées par la production ou la commercialisation de ladite substance (le principe one substance – one registration introduit à la fin du débat législatif). Ainsi l’enregistrement d’une substance doit être précédé par la formation d’un SIEF (Substance Information Exchange Forum) devant permettre à toutes les entreprises intéressées de se retrouver et de partager l’information, avec les difficultés qu’on imagine de protection des secrets industriels.
La responsabilité de l’enregistrement est ensuite confiée à un consortium des entreprises concernées, telle entreprise conservant la possibilité de faire un enregistrement complémentaire pour des usages particuliers.
Trois millions de déclarations
Les débuts de Reach ont été quelque peu chaotiques, du fait du délai extrêmement court entre le vote du règlement européen et son entrée en vigueur ne laissant pas le temps nécessaire à la mise en place des outils notamment informatiques correspondants. Ainsi la période dite de préenregistrement durant laquelle les entreprises devaient signaler à l’ECHA leur intention de déposer un dossier pour les substances les concernant a été marquée par des indisponibilités répétées du système informatique de l’Agence ; de plus, au regard des 150 000 préenregistrements attendus, ce sont près de 3 millions de déclarations qui ont été reçues.
Partager l’information tout en protégeant les secrets industriels
À la date de la première échéance d’enregistrement fin 2010, 24 675 dossiers d’enregistrement portant sur 4 300 substances ont été correctement reçus par l’ECHA, cela apportant la preuve que l’industrie chimique européenne avait bien relevé le défi, ce dont l’Agence s’est d’ailleurs publiquement félicitée. Les analyses menées par le Cefic permettent de conclure que les entreprises, notamment les plus grandes, ont respecté cette première échéance et que les consortia formés ont été au rendez-vous ; les problèmes potentiels concernent plutôt les distributeurs de produits.
Enfin la filiale ReachCentrum du Cefic a très bien fonctionné pour gérer avec succès la préparation de nombreux dossiers d’enregistrement. Malgré les difficultés souvent irritantes voire préoccupantes du démarrage, on peut donc tirer un bilan globalement positif de la première phase d’application de Reach, ce qui démontre la volonté et la capacité de l’industrie de répondre aux attentes des autorités et du public quant à la bonne maîtrise des risques chimiques.
L’impact du coût
Quel est l’avenir de l’industrie chimique européenne ?
Une approche pragmatique pour les PME
Les PME, dont on pouvait craindre qu’elles soient dépassées par une tâche de cette ampleur, se sont aussi bien mobilisées. Mais, c’est dans cette catégorie que l’on dénombre le plus grand nombre de dossiers non parfaitement constitués ou mal introduits dans le système informatique de l’ECHA. L’Agence promet d’adopter une approche pragmatique pour résoudre les problèmes au cas par cas.
On peut formuler un début de réponse en s’interrogeant sur l’impact du coût de Reach sur la compétitivité de l’industrie européenne, sur le risque de disparition de l’offre de certains produits chimiques et sur le bénéfice que l’industrie est en droit d’attendre de Reach en termes de consolidation du marché unique européen pour la chimie et au final de meilleure acceptabilité de la chimie par le public et les consommateurs.
Le prix d’une « lettre d’accès » au dossier d’enregistrement, pour une entreprise n’ayant pas participé à son élaboration et souhaitant accéder aux données rassemblées et au rapport de sécurité chimique correspondant, va de 20 000 à 200 000 euros environ. Le coût total de la préparation d’un dossier d’enregistrement pour une substance, partagé par toutes les entreprises engagées dans le consortium, varie de 2 à plus de 10 millions d’euros.
Reach coûte cher à l’industrie, avec un risque de disparition de certains produits
Cela valide les estimations faites initialement par l’industrie d’un coût de Reach de 5 à 10 milliards d’euros. Certes, ce montant peut paraître, en première analyse, raisonnablement absorbable par une industrie européenne réalisant plus de 500 milliards de chiffre d’affaires par an. Cependant, cette seule appréciation globale ne peut rendre compte des situations individuelles d’entreprises dont beaucoup ont à supporter une lourde charge technique, administrative et financière pour telle ou telle substance qu’il sera difficile voire impossible de récupérer sur des marges étroites.
Donc, oui, Reach coûte cher à l’industrie et conduira à une certaine rationalisation des portefeuilles de produits, ce qui renvoie à la question du risque de disparition de certaines offres.
Les nécessités de la maintenance
Il est encore prématuré d’apprécier le risque de disparition de l’offre de certains produits chimiques. Le Cefic a mis en place un suivi de l’impact de Reach dont les premiers résultats indiqueraient une perte de CA de 14% en Europe et de 5 % sur les marchés extérieurs, mais aussi un gain de 5 % par effet de Reach sur les importations.
Ces chiffres sont à manier avec prudence car l’impact de la crise économique n’est pas isolé. D’autre part la disparition de tel ou tel produit, même relativement marginale pour un producteur, peut avoir des conséquences importantes dans la chaîne des fournisseurs car nécessitant des reformulations touchant des lignes entières de produits utilisant des substances chimiques ou conduisant à des problèmes de maintenance lorsqu’un produit « ancien » susceptible d’être abandonné reste nécessaire pour la maintenance sur de nombreuses années d’un produit fini.
Le marché unique européen de la chimie
Helsinki, siège de l’Agence chimique européenne (ECHA). |
Reach est un règlement européen dont l’application ne passe pas par des transpositions en législations nationales toujours susceptibles d’introduire des différenciations voire des incohérences ; cela, combiné avec la mise en place d’une seule agence européenne chargée de l’application, présente de grands avantages pour l’industrie et les utilisateurs de produits chimiques, en principe assurés de disposer de règles identiques pour la production et la commercialisation de substances chimiques dans toute l’Union européenne : un produit « labellisé Reach » devrait accéder librement au marché dans toute l’Europe.
De plus, Reach étant la réglementation la plus exigeante au monde, les entreprises européennes devraient disposer d’un avantage concurrentiel sur les marchés mondiaux. Mais Reach ne gomme pas les divergences entre les États membres de l’Union européenne quant aux approches de la gestion du risque chimique et aux politiques de restriction d’usage, lesquelles avaient fortement marqué le débat législatif et sont naturellement réapparues dans les discussions sur la mise au point des modalités d’application, cela conduisant à des échanges parfois surréalistes au Conseil d’administration de l’ECHA ; on a même vu tel État membre refuser d’admettre les conclusions du Service juridique de la Commission sur l’interprétation du règlement Reach.
Risques environnementaux
Si Reach est européen, la police et les contrôles restent de la compétence des États.
De plus, des réglementations spécifiques à certains produits comportant des substances chimiques peuvent comporter des clauses sur les risques environnementaux et pour la santé ne tenant pas compte des conclusions des analyses faites dans le cadre de Reach, lesquelles devraient pourtant s’imposer
L’avenir dira si l’Europe et son industrie sortiront gagnantes grâce à l’avènement d’un véritable marché unique européen de la chimie ; les fondamentaux sont bons ; espérons que la raison « européenne » prévaudra.
Effacer les peurs
La meilleure acceptabilité de l’industrie chimique et de ses produits en Europe : c’est évidemment le « plus » que l’industrie est en droit d’attendre après avoir consenti l’effort considérable de se conformer à Reach. Là encore, difficile de conclure tant le mythe du risque zéro et la pratique excessive du principe de précaution semblent encore dominer beaucoup d’esprits, dans l’opinion comme chez certains politiques ; la multiplication des publicités pour des produits « sans » (telle substance chimique) en fournit une illustration quotidienne.
Reach est la réglementation la plus exigeante au monde
Reconquérir une bonne notoriété reste un défi permanent pour l’industrie chimique et Reach seul ne pourra effacer les peurs et les perceptions négatives, certes aggravées par quelques accidents mémorables.
Le sens des responsabilités
En s’engageant sans réserve pour faire de Reach une réussite, l’industrie européenne de la chimie donne la preuve de son sens des responsabilités et de son attention constante aux problèmes de risque.
Je ne doute pas que l’effort soit en définitive payant, ne serait-ce que parce que les entreprises ayant réussi l’épreuve Reach pourront faire valoir que leurs produits sont bien connus, leurs risques bien maîtrisés, l’information aisément accessible par le public et les dossiers de dizaines de milliers de substances chimiques validés par les autorités publiques.
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Président du Groupe Minaf
Cet article manque de souligner un aspect essentiel de la chimie : la fabrication d’un produit commercial nécessite souvent de fabriquer plusieurs intermédiaires, eux-mêmes des produits chimiques. La publication par l’UE du nouveau guide d’interprétation du réglement REACH en décembre dernier a dénaturé l’esprit du texte initial en imposant des exigences jusqu’au-boutistes pour forcer un enregistrement coûteux de tous ces intermédiaires chimiques dans la plupart des cas. Ces produits semi-finis qui ne sortent pourtant pas des usines chimiques pourront faire l’objet d’études complètes et lourdes d’impact sur l’environnement et l’homme afin de pouvoir toujours être fabriqués l’UE. Il sera donc plus économique pour les clients de les faire fabriquer en dehors de l’UE et d’importer le produit fini. D’autant plus que les produits finis pour la pharmacie sont exemptés de REACH ! La première victime en sera la chimie fine européenne et son premier débouché : la chimie pharmaceutique servies par des centaines de PME européennes. Ce sont donc des dizaines de milliards de ventes qui pourraienet partir en Asie. A raison de 150 à 200 mille euros de vente en moyenne par emploi, l’impact sur la chimie fine sera considérable…