L’industrie verrière brésilienne pour l’emballage et les arts de la table – L’exemple du groupe Saint-Gobain
L’industrie verrière brésilienne de l’emballage (bouteilles et pots) et des arts de la table présente des caractéristiques qui reflètent le niveau de développement industriel du pays. Rapportée à la population totale du pays sa production reste relativement faible (4 kg par an par habitant contre 60 en France), cependant les unités de production sont modernes et bien équipées.
Au niveau des arts de la table, la grande majorité des assiettes vendues au Brésil sont en verre, situation que l’on retrouve de par le monde dans d’autres régions en voie de développement (Moyen-Orient par exemple).
Enfin regardant la structure de l’industrie, les deux principaux acteurs, Saint-Gobain et Owens Illinois sont présents sur ces deux segments, alors que dans le reste du monde ils sont sortis des arts de la table, qui a une logique industrielle et commerciale fort différente de celle de l’emballage. Les relativement faibles volumes et donc les économies d’échelle à garder sous un même toit les deux activités sont une des raisons de cette particularité brésilienne et d’autres acteurs locaux ont également maintenu cette diversité. Notons enfin que les distances continentales font que le Nord et le Nord-Est du pays ne sont desservis que par un seul fournisseur, CIV. Cette entreprise brésilienne bénéficie d’une rente de situation enviable, compte tenu de la barrière que représentent les coûts logistiques.
Emballage verrier au Brésil
Avant de commencer un rapide survol des défis et opportunités pour l’industrie de l’emballage verrier au Brésil, reprenons dans un premier temps les chiffres de consommation de boissons et la participation du verre dans chacune d’entre elles : ils montrent l’importance de la bière, et en second lieu des alcools forts.
Par ailleurs notons que le marché brésilien représente de l’ordre de neuf cent mille tonnes, alors que le marché français s’approche de 4 millions de tonnes, soit une consommation par habitant dix fois plus faible au Brésil.
La bière : un marché de bouteilles consignées
Le Brésil est un bon consommateur de bière, avec un marché proche de 8 milliards de litres par an. Notons deux points principaux pour le marché de l’emballage de la bière.
D’une part 70 % de cette consommation se fait dans les bars et restaurants où la bière est principalement servie dans des bouteilles de 600 ml, appelée inteira. Le Brésilien aime boire sa bière bien froide (bem gelada), et laisse sa bouteille dans un seau à glace, la versant petit à petit pour qu’elle ne réchauffe pas. Ces bouteilles sont consignées, standard, le parc est de 6 milliards de bouteilles avec un renouvellement de 3 % par an. En comparaison avec l’Europe où la bière à la pression domine dans les bars et restaurants, ce mode de consommation représente des volumes importants pour l’emballage verrier mais avec un produit peu différencié.
Second point qui affecte notre marché : le premier brasseur, Inbev, leader mondial, tient 70 % du marché, une position aussi dominante est rare pour un marché de cette taille.
Dans cette situation stratégiquement peu confortable, la capacité à innover et la qualité sont cruciales pour survivre. Les fournisseurs d’emballage aident en effet les départements marketing des différentes marques de Inbev (Bramha, Bohemia…) à se différencier et Saint-Gobain est perçu comme partenaire fidèle.
Marché des spiritueux
Le principal spiritueux brésilien est la cachaça, alcool de canne. Au Brésil c’est une boisson populaire ; un verre dans un petit bar coûte environ 50 centimes de réal, soit 20 centimes d’euro. Les distilleries cherchent donc des bouteilles peu chères, qui souvent sont des bouteilles de bières réutilisées.
Cependant, ces dernières années leur marketing s’est professionnalisé et a pris de l’importance. Ces efforts répondent aux besoins des marchés export, en particulier l’Europe et les États-Unis où la cachaça se consomme surtout comme étant la base du cocktail « caipirinha » (petite paysanne). Saint-Gobain a depuis quelques années parié sur le potentiel de la cachaça hors du Brésil et a adopté une attitude de partenaire et de conseil pour les cachaceiros. Pour accompagner cet effort de création d’une identité visuelle ont été développées de nouvelles bouteilles spécifiques, avec une gravure « Cachaça do Brasil » ; c’est cette bouteille que vous trouverez dans les duty-free de Rio de Janeiro ou de São Paulo.
Ligne de table : Duralex et Marinex
Au sein du groupe Saint-Gobain, la division Santa-Marina au Brésil est la dernière activité de gobeleterie, la partie européenne ayant été vendue en 1996. Elle fabrique des assiettes et verres trempés, sous la marque Duralex pour le marché national, et avec des plats pour le four sous la marque Marinex. Ces deux marques bénéficient sur le marché intérieur d’une notoriété très forte et sont devenues synonymes de catégories, cependant c’est à l’export que les progrès ont été les plus spectaculaires.
Juste avant l’élection de Lula en 2002 le réal s’est fortement dévalorisé, reflétant l’inquiétude des marchés financiers devant la probable élection d’un leader syndical. Ainsi le change a atteint 4 réals pour 1 dollar, donnant une impulsion aux exportations dans tout le pays, et l’industrie des arts de la table put pénétrer de nombreux marchés lointains. Santa-Marina fut leader dans cette conquête de nouveaux territoires, augmentant considérablement ses parts de marché en Europe, en Russie, au Moyen-Orient grâce à des prix très agressifs.
La réévaluation progressive du réal, aujourd’hui à 2,1 réals pour un dollar fait vivre une situation douloureuse à de nombreuses entreprises brésiliennes. En quelques années, pour rester rentables, il fallut rapidement passer des hausses de prix et, perdant l’avantage du change, travailler considérablement la qualité et l’innovation afin d’être au niveau des produits européens. L’ensemble du secteur mit en place des programmes de réductions de coûts, bien typiques de la vieille Europe.
Dans le cas de la division Santa-Marina, le résultat fut probant. Elle est devenue leader dans de nombreux pays dans les plats pour le four en verre, ses produits sont reconnus pour être supérieurs aux produits asiatiques, et elle gagne chaque année un peu plus d’espace dans la grande distribution européenne.
Programmes d’excellence industrielle
La réalisation de l’amélioration de la compétitivité mentionnée ci-dessus fut possible grâce à deux facteurs principaux. D’une part depuis une dizaine d’années déjà les usines brésiliennes du groupe avaient une culture de participation et de progrès continu en ce qui concerne la sécurité. Ces programmes furent un succès indiscutable si l’on regarde la baisse forte des accidents (la division va compléter en mars une année entière sans accident avec arrêt) et le maintien des performances. Fortes de cette culture d’amélioration et de motivation des employés, les usines brésiliennes se sont engagées fortement dans un programme d’excellence industrielle. Elles ont mis en place les outils les plus simples (groupe d’amélioration avec opérateurs, 5S, qui sont des bonnes pratiques de tenue des ateliers) et maintenant entament une phase plus avancée avec la mise en place d’ateliers en flux tendu et l’introduction de la TPM (maintenance productive).
D’autre part, il est difficile d’évoquer ces changements sans mentionner l’exceptionnelle capacité d’adaptation qui caractérise les Brésiliens. Ici, une proposition de changement ne rencontre pas de résistance, mais génère de l’enthousiasme et de la créativité. Les dirigeants étrangers, apprécient donc rapidement les qualités des habitants de São Paulo : travailleurs, dynamiques, entrepreneurs, flexibles. Autant dire des caractéristiques que l’on ne rencontre pas partout dans le monde.